Coupe du Monde 2018 – Russie : Entre Espagne et Russie, on a discuté avec Dmitri Popov

Elle est là : la Coupe du Monde 2018. La vôtre … et la nôtre. Pour fêter cette compétition, chez nous, dans nos contrées russes, notre rédaction a décidé de faire les choses comme il faut en vous offrant différentes séries d’articles. Il est temps de passer à l’heure russe ! 

Alors que la Sbornaya accueille l’Espagne dans son stade Luzhniki, le tout porté par la ferveur nationale, nous avons discuté avec Dmitri Popov. Joueur emblématique du Spartak Moscou des années 90, Popov a également connu l’Espagne et son football durant de nombreuses années, notamment avec le Racing Santander. Voyage entre Russie et Espagne avec l’un des hommes qui a fait le football russe.

La Sbornaya affronte aujourd’hui  la sélection espagnole en huitièmes de finale de la Coupe du Monde. C’est déjà une réussite d’avoir su passer cette phase de poules.

Tout à fait. Nous avons montré de belles choses durant les deux premières confrontations, contre l’Arabie Saoudite et l’Égypte. Lors du match contre l’Uruguay, certains joueurs ont été laissés au repos permettant aux remplaçants d’avoir du temps de jeu, l’objectif des huitièmes de finale étant déjà atteint. Désormais, tout le pays attend cette rencontre face à l’Espagne. Elle est sans aucun doute favorite, mais cette Coupe du Monde nous a montré pas mal de surprises avec des résultats inattendus. La Russie se prépare pour ce match, les chances de gagner existent malgré tout le talent présent dans cette équipe espagnole, qui par ailleurs n’a pas eu un parcours si facile en poule.

Concernant la défense, vous pensez que Cherchesov va modifier son schéma en mettant une ligne de cinq ou rester à quatre défenseurs ?

Je pense qu’on va jouer avec quatre défenseurs. Zhirkov et Mario Fernandes vont faire leur retour, même si Mario Fernandes est rentré en cours de match contre l’Uruguay. Concernant la charnière centrale, ce sera la même chose avec Ignashevitch et Kutepov. Ça n’a pas de sens de changer ce qui a marché auparavant. Lors de la défaite contre l’Uruguay, c’est l’ensemble de l’équipe qui a failli sur les coups de pied arrêtés, donc il n’y a aucune raison d’incriminer spécialement la défense.

Certains joueurs de la Sbornaya, comme Smolov, ne sont pas au top de leur forme. Est-ce un problème ?

Non, Smolov n’est pas un joueur clé de la Sbornaya durant cette Coupe du Monde.Maintenant, d’autres joueurs comme Golovin, Cheryshev ou Dzyuba ont pris le rôle de leader. Ce sont ces joueurs à fort potentiel sur lesquels il faudra compter pour réaliser une belle performance contre l’Espagne.

Parlons désormais de votre carrière. Vous êtes né à Yaroslav, c’est donc au Shinnik que vous avez commencé votre carrière, à quinze ans. Pourquoi si tard ?

J’ai en effet commencé à évoluer tardivement dans le football parce que je faisais de la course à ski. À l’époque il y avait un tel sport (rires). J’avais peu de chance de percer dans ce sport, étant donné que je jouais bien au football, j’ai pu commencer, à quinze ans, à y jouer professionnellement et le Shinnik s’est présenté naturellement à moi.

Lorsque le Spartak Moscou s’intéresse à vous, en 1989, est-ce synonyme d’un rêve ?

C’était un rêve, car j’étais un grand supporter du Spartak malgré le fait que je jouai au Shinnik. Quand j’ai reçu la proposition du Spartak, j’étais très étonné. Mais j’ai pris cette opportunité d’intégrer cette équipe et j’en ai profité à 100%, donc je suis très heureux que cela se soit déroulé ainsi.

Vous avez d’ailleurs plus ou moins intégré rapidement l’équipe première.

Il m’a fallu tout de même un an pour y arriver. Et puis j’ai dû changer de poste, je suis passé d’attaquant à défenseur latéral pour intégrer l’effectif.

Un match peut changer une carrière. Pour vous c’est ce match face au Spartak Ordzhinikidze, n’est-ce pas ?

C’était un match entre le Shinnik Yaroslav et le Spartak Ordzhinikidze (Vladikavkaz, NDLR) qui avait été entraîné par Oleg Romantsev (ancien joueur du Spartak Moscou au milieu des années 70, NDLR). Il était là pour superviser le match et a apprécié ma performance. Le Spartak m’a fait une proposition dans la foulée.

Vous êtes resté quatre années au Spartak Moscou. Durant celles-ci, vous avez vécu deux défaites en demi-finales de Coupe d’Europe. La première contre l’OM en 1991 (Coupe des clubs champions), la deuxième contre le club belge d’Antwerpen en 1993 (Coupe des Coupes). Ces deux défaites sont encore présentes ?

Bien sûr, je m’en souviens. La première contre l’OM suivait une qualification face au Napoli de Maradona puis une autre qualification contre le Real Madrid. En arrivant en demi-finale, tout était possible, mais à cette époque, l’OM avait une grande équipe face à laquelle nous avons été impuissants. Il y avait des joueurs de grand talent comme Jean Pierre Papin, Abedi Pelé, Chris Waddle… Cette équipe était l’une des meilleures d’Europe à cette époque.

Et face à Antwerpen, que s’est-il passé ?

Face à Antwerpen, il y a eu de nombreux faits défavorables. Au match aller, nous avons marqué un but, mais nous aurions dû en marquer trois. Au retour, ils ont marqué avec l’aide de l’arbitre qui siffle un penalty alors que le ballon se trouvait déjà dans l’autre moitié adverse. Le facteur arbitral ajouté à la blessure de Dmitri Radchenko et ma blessure durant la première période ont fait que ce malheureux événement est encore difficile à oublier.

Vous n’avez d’ailleurs pas été épargné par les blessures. C’est l’une d’elles qui vous fait rater l’Euro 1996.

Je ne peux pas dire que ce soit seulement à cause de mes blessures. Je n’ai pas été tout le temps sélectionné durant les phases éliminatoires et c’est deux mois avant la compétition que je me fais une rupture du ménisque et du ligament croisé du genou droit. Chaque joueur doit malheureusement vivre ce type de moments difficiles. Mais j’étais surtout contrarié par mes blessures qui étaient suffisamment graves et qui demandaient beaucoup d’efforts pour s’en remettre. Le fait que je n’aille pas à l’Euro 1996 passait au second plan.

Durant cette période, vous avez évolué en Espagne, au Racing Santander où de nombreux Russes y sont passés.

En effet il y a eu Dmitri Radchenko, Vladimir Bezchasnikh, Sergey Shustikov, Ilshat Fayzulin et d’autres encore. Le Racing Santander cherchait de bons joueurs. Un joueur comme Andreï Zygmantovich avait déjà joué avec la sélection soviétique à la fin des années 80. Lorsque Radchenko et moi sommes arrivés au Racing, le club montait en première division et nous avons accroché, dès la première saison, la huitième place du championnat, ce qui était un excellent résultat pour un promu. Ils ont cherché à recruter des joueurs russes, car, à cette époque, il y avait une grande quantité de bons joueurs russes qui coûtaient peu cher.

Et pourquoi l’Espagne ? C’est le type de jeu pratiqué là-bas qui vous a plu ?

Lorsque je jouais au Spartak, nous jouions souvent face à des équipes espagnoles durant les tournois et j’ai tout de suite adoré le pays. Dès l’instant où j’ai eu cette proposition, je n’ai pas hésité une seconde.

Par la suite vous avez joué au Sociedad Depoirtiva Compostelle puis à Tolède à la fin de votre carrière. Durant toute cette période, vous n’avez pas souhaité rentrer au pays ?

Je n’ai pas eu l’intention de rentrer. Par la suite j’ai fini par vivre en Espagne et je m’y sentais bien. Ce n’est qu’au moment où le Spartak m’a proposé d’intégrer le club que je suis revenu. Recevoir une offre du Spartak, ça ne se refuse pas!

Vous avez tout d’abord intégré l’École du Spartak, puis vous devenez directeur sportif. Durant ces années au club, le Spartak n’a remporté aucun trophée. Comment l’expliquez-vous ?

Il ne faut pas regarder seulement le Spartak individuellement, mais plutôt au regard du football russe de l’époque. Le Spartak Moscou ne doit évidemment pas rester sans résultat durant tant de temps. Nous avons fait des erreurs. Le fait qu’un club comme le Spartak, qui possède une telle histoire et de telles traditions, ne remporte rien en seize ans n’est pas normal. Mais d’un autre sens, la concurrence était forte à ce moment-là. Le championnat brassait beaucoup d’argent, or il faut comprendre que l’argent qui finance les clubs provient de fonds publics. Mais le Spartak était, au même titre que le CSKA Moscou, un club privé. Il tentait donc de vivre par ses propres moyens. Le Spartak ne pouvait se permettre de dépenser une quantité folle d’argent. Les dirigeants ont tenté de mettre en place une politique d’investissements cohérente, mais tout cela n’enlève pas le fait que le Spartak a fait des erreurs.

Vous avez durant ces années ciblé de nombreux joueurs, notamment Promes. J’imagine que ses performances ne vous étonnent pas ?

Nous avons ramené de brillants joueurs tels qu’Emenike, Wellington ou encore McGeady qui ont apporté rapidement de bons résultats. Ce qui distingue Promes des autres, c’est sa capacité à avoir de bons résultats sur quatre ans. Il donne une plus-valu au football russe, il continue d’être exigeant envers lui-même et maintient ainsi un niveau de performance élevé. Mais je ne peux dire qu’il n’y avait pas de joueurs aussi bons que Promes. Wellington a, par exemple, durant ses premières années, montré de belles choses, Alex a bien joué, Emenike a lui aussi montré que c’était un super joueur. Mais tous n’ont pu maintenir ces performances aussi longtemps que Promes, c’est vrai.

Peut-on espérer le voir porter à nouveau le maillot du Spartak ?

Je ne peux répondre à sa place. J’aimerais qu’il reste au Spartak et qu’il puisse continuer à montrer le meilleur de lui-même, car il est difficile de trouver un joueur avec une telle longévité à un tel niveau. Comme tout sportif, Promes veut pouvoir jouer dans un championnat plus relevé. Mais il faut lui demander ce qu’il planifie pour sa carrière, c’est un garçon intelligent donc je ne m’en fais pas pour lui.

Vous continuez de suivre le championnat russe ?

Bien sûr. Je continue de suivre la RPL, le Spartak et le Shinnik en particulier. C’est très étrange que le Spartak n’ait pu atteindre la finale de la Coupe de Russie alors que le club était favori. Cela m’a grande déçu … s’ils avaient atteint la finale contre le Shinnik Yaroslav, cela m’aurait permis d’aller voir le match.

Le Shinnik, malgré sa défaite en finale de Coupe contre Tosno, a montré de belles choses en FNL.

Le Shinnik est une équipe qui vit avec ce qu’elle a. Elle ne dispose pas de fonds suffisants pour pouvoir espérer évoluer à un niveau supérieur. Malgré cela, l’équipe a en effet bien joué durant cette saison.

Le problème du financement est un problème récurrent dans le football russe actuellement.

Le problème du football russe est que l’État finance les clubs sur des fonds publics. On ne retrouve cela nulle part dans le monde! Partout, les clubs sont détenus par des propriétaires privés ou des actionnaires d’entreprises qui ne dépensent que ce qu’ils ont gagné. Notre football connait une crise. Quand certains proposent un arrêt des financements publics, beaucoup de clubs s’y opposent. Des histoires comme l’Amkar se répéteront. Notre football ne se développera pas comme il se doit si cela continue.

Un autre aspect concerne les salaires importants des joueurs russes. Les Russes ne doivent pas recevoir 1.5 ou 2 millions de roubles de salaire. Aucun club ne paiera une telle somme pour de jeunes joueurs russes. Il ne doit pas non plus y avoir de limite de joueurs étrangers dans le championnat. Les Russes seraient ainsi moins enclins à partir dans des clubs étrangers moyens afin de s’améliorer sportivement. Pour le moment, le développement du championnat russe semble compliqué.

Vincent Tanguy / Tous propos recueillis par V.T pour Footballski


Image à la une : Vladimir Rodionov / Sputnik via AFP Photos

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