Elle est là : la Coupe du Monde 2018. La vôtre … et la nôtre. Pour fêter cette compétition, chez nous, dans nos contrées russes, notre rédaction a décidé de faire les choses comme il faut en vous offrant différentes séries d’articles. Il est temps de passer à l’heure russe ! 

Placés dans l’ombre des footballeurs et stars médiatiques de ce football, les arbitres n’ont qu’à de très rares occasions le droit à la parole, le droit à la mise en avant, à l’approfondissement de leur vie, de leur carrière et de leur vision du football. Loin des questions polémiques sur les erreurs possibles commises par ces hommes, nous reviendrons ici sur les liens qu’entretiennent les corps arbitraux polonais et japonais. Deux fédérations qui travaillent conjointement sur ces questions depuis 2008.

Une coopération inédite pour de nouveaux horizons

Leurs noms sont Szymon Marciniak, Paweł Sokolnicki, Radosław SiejkaYudai Yamamoto, Toshiyuki Nagi ou encore Shinji Och. Tantôt polonais, tantôt japonais, ces différents arbitres ne semblaient pas avoir vocation à se rencontrer un jour, et encore moins à travailler ensemble sur un projet commun. C’est pourtant ce qu’il est arrivé au courant de l’année 2008 où leurs fédérations respectives mettent en place un partenariat nouveau : une collaboration entre les arbitres nationaux dans le but de faire évoluer les mentalités de chacun, d’exercer ses compétences sur de nouveaux terrains et surtout de faire face à de nouveaux types de jeu. « Nous voulions tester nos arbitres dans des conditions différentes. Mener un match en J-League est certainement une expérience intéressante. Nous avons eu des offres de coopération avec d’autres fédérations, mais celle-ci était certainement la meilleure », explique à ce sujet Zbigniew Przesmycki, directeur du corps arbitral de la Fédération polonaise de football. « Pour nous, un tel échange est une chose merveilleuse. Le partage d’expériences avec les arbitres japonais enseignera certainement beaucoup de choses à nos arbitres. Je suis sûr que l’autre camp ne se plaindra pas non plus. »

Une collaboration poussée également par la fédération japonaise qui voit dans le championnat polonais une possibilité pour ses meilleurs arbitres d’expérimenter et mieux connaître un football jugé comme plus physique, moins technique et plus lent. « La chose la plus importante au Japon est la vitesse, le dynamisme. Les joueurs sont constamment en mouvement. Et pour vous, la force, le jeu dur et le contact physique sont les facteurs les plus importants », confirme Yudai Yamamoto, l’un de ces Japonais atterrit en Pologne« Comparé au Japon, votre championnat est plus physique et a plus de contacts. Dans mon pays, les joueurs jouent très proprement. Quand de telles situations se produisent, au moindre contact, l’un des joueurs tombe immédiatement au sol, simule et demande une pénalité pour le rival. Mais c’est aussi dû à notre physiologie, nous sommes généralement plus petits que les Européens, donc nous ne pouvons pas nous permettre d’être trop téméraires. » ajoute Kenji Ōgiya, dans une interview avec Przegląd SportowyUne collaboration qui permet surtout au football polonais et à son corps arbitral de se remettre en question face à une approche sur le terrain bien différente des siennes, le tout porté par des arbitres japonais considérés comme meilleurs dans les différents classements se voulant juge du niveau national des arbitres.

Car là est bien le plus important : faire travailler les arbitres polonais et japonais sur le terrain, en match officiel, que ce soit en première et seconde division, mais aussi pour quelques matchs des sélections nationales respectives. Une réalité du terrain qui peut parfois trancher avec les habitudes des Polonais, en atteste ce match d’août 2009, entre le Zagłębie Lubin et le Ruch Chorzów, marqué par neuf cartons et trois cartons rouges sortis par ce même Kenji Ogiya. Exemple d’une approche plus asiatique de l’arbitrage, loin du laisser jouer caractéristique des Polonais. Une autre culture footballistique portée jusque dans les réunions et ateliers des arbitres professionnels polonais.

Des échanges qui continuent encore à ce jour, d’un côté comme de l’autre. Dès 2008, la fédération polonaise décide d’envoyer quelques-uns de ses meilleurs éléments, allant de Marcin Borski, à Krzysztof Myrmus ou encore Maciej Szymanik. Trois hommes venant arbitrer, le temps de quelques semaines, trois matchs de J-League 1, un de J-League 2 et, mieux encore, un Japon – Uruguay. De quoi apprécier le voyage.

Et si les Japonais doivent eux parfois se taper des Wisła Płock – ŁKS Łomża ou des maths de la Syrenka Cup (tournoi international de football pour les équipes nationales juniors qui se déroule chaque année, d’août à septembre, dans différents stades polonais), ces échanges permettent surtout aux différents acteurs de se côtoyer, tisser de nouveaux liens d’amitié, s’ouvrir à de nouveaux horizons et de nouvelles visions de leur métier, d’autant que les Japonais décidaient, dès 2008, d’envoyer des arbitres internationaux reconnus. Une occasion en or pour la progression du football polonais. Preuve en est : en 2009, la FIFA reconnaît qu’il s’agit du meilleur programme de formation de ce type au monde.

Une adaptation réussie

Si les cultures footballistiques entre les deux pays sont certes différentes, l’adaptation générale des différents arbitres japonais n’a jamais réellement causé de problèmes pour les autres acteurs. Il faut dire que dans un football mondialisé comme le nôtre, où ces mêmes arbitres ont déjà un bagage international, entre quelques participations en Coupe du Monde et compétitions internationales chez les espoirs, le championnat polonais n’est qu’une compétition comme les autres. À deux différences près : une langue et des ambiances bien différentes des terrains et stades japonais.

Nos trois arbitres japonais après après des tests de condition physique à Pruszków | © Aleksander Solnica

« L’ambiance dans les tribunes était incroyable. Ce sont principalement des familles avec des enfants qui viennent dans les stades de J-League. En Pologne, nous avons remarqué que cela était complètement différent. Les supporters du Legia étaient fantastiques. Tout le monde voulait crier et chanter des chants du club. Et les applaudissements ont duré tout le long du match. » confiait Yamamoto dans le numéro 3, de l’année 2013, du journal officiel de la fédération polonaise de football. Un match du Legia où l’arbitre avait d’ailleurs eu quelques difficultés à expliciter ses choix aux capitaines des deux équipes. « Mon anglais aurait pu être un peu meilleur, mais je peux compenser ces éventuels défauts par l’expression et la gestuelle. J’ai aussi appris quelques mots polonais qui sont utilise avant et pendant un match, comme ‘Dzień dobry.’, ‘Tak.’, ‘Nie.’, ‘Dziękuję.’, ‘Uwaga!’ (‘Bonjour.’, ‘Oui.’, ‘Non.’, ‘Merci.’, ‘Attention!’, NDLR.). Dans l’un de mes matchs, j’ai eu quelques difficultés en début de match. Je pensais que deux joueurs étaient très nerveux. Du coup, je cours vers eux et je crie : ‘Calm down!’. Et soudain, ils ont souri et m’ont dit qu’ils étaient amis. Je ne m’attendais pas à cela. »

Une adaptation simplifiée par les joueurs locaux, mais également japonais. Pour cause, de nombreux joueurs japonais foulent les pelouses polonaises ces dernières années, d’Akahoshi à Kitano en passant par Murayama ou Daisuke Matsui. Un joueur que Yudai Yamamoto a d’ailleurs eu l’occasion de rencontrer lors de son passage à Gdansk. « [Matsui] est célèbre. Il a été l’un des principaux joueurs lors du Mondial en Afrique du Sud. Je prie maintenant pour son succès dans le championnat polonais. » Des prières perdues dans les cieux.

Mieux encore, lors de leurs multiples passages au pays, Yudai Yamamoto et ses collègues en ont également profité pour visiter, apprendre et comprendre la société, la culture, l’histoire ou encore la cuisine polonaise. « Nous étions juste à Sztutowo, où nous avons visité le site de l’ancien camp de concentration. En général, nous visitons votre pays, nous regardons les matchs d’Ekstraklasa à la télévision et nous essayons de connaître votre cuisine. » confirme le Japonais. Des pierogis, de la vodka et de l’Ekstraklasa, les clés d’une adaptation réussie à la vie polonaise.

Une réussite jusqu’à l’international

« J’espère que grâce aux matchs que j’ai pu arbitrer en Pologne, j’acquerrai beaucoup d’expérience. […] En tant que Japonais, nous ne participons généralement pas aux matchs amicaux en Europe, maintenant nous en avons l’occasion. Cela s’avérera certainement utile à l’avenir. Pour l’instant, mon objectif est de remporter une nomination pour la Coupe du Monde, qui aura lieu en 2018 en Russie. » Tels étaient les mots de Yudai Yamamoto en 2013.  S’il n’a pas été retenu pour arbitrer les matchs de la compétition, quelques-unes de ses connaissances, elles, participent bel et bien à ce Mondial russe.

94e minute de jeu. Jimmy Durmaz commet une faute punie quelques secondes plus tard par une frappe pleine lucarne signée Toni Kroos. Au sifflet se trouve Szymon Marciniak, arbitre polonais participant à cette collaboration polano-japonaise. Loin des terrains d’Ekstraklasa ou de J-League, Paweł Sokolnicki, autre acteur de cette collaboration, ainsi que le Japonais Ryūji Satō, en tant que quatrième arbitre, accompagnent Marciniak pour ce match à rebondissements. De quoi saluer un partenariat aux notes de vodka et de saké.

Pierre Vuillemot


Image à la une : © Oleg Bkhambri (Voltmetro) / Wikicommons

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