Elle est là : la Coupe du Monde 2018. La vôtre … et la nôtre. Pour fêter cette compétition, chez nous, dans nos contrées russes, notre rédaction a décidé de faire les choses comme il faut en vous offrant différentes séries d’articles. Il est temps de passer à l’heure russe ! 

Dans son Invitation au Voyage, Charles Baudelaire nous transporte dans un monde de chimères, un monde fantasmé loin du tumulte de la réalité. Il fait de ses moments des flâneries, des moments d’exode poétique, entre l’or des villes et la chaleur des cieux, entre la richesse des parures et la beauté envoûtante des fleurs. Un voyage fait d’émotion non feinte, mais dont la destinée, comme tout rêve, n’est qu’un retour brutal à la réalité. Un songe aux lendemains moins riches et somptueux, un songe à la destinée fataliste, la mort de l’imaginaire et de la joie dans un réveil suffoquant, entouré par le cramoisi des cœurs saignants.

Adam Nawalka est notre Invitation au Voyage. Loin de la réalité, il était le conteur d’une génération polonaise faite d’Hyacinthe et d’or. Une réalité emportée par les effluves des victoires, par l’ivresse des songes les plus merveilleux. Quelle était notre joie de voir cette équipe lors de l’EURO 2016. Elle, faite de bravoure, de coeur et de victoires. Le football polonais renaissant de ses cendres fumantes, mais froides. Que dire de la campagne de qualification pour la Coupe du Monde 2018 ? Tressant des lauriers impériaux et impérieux sur les têtes auréolées de gloire malgré des anicroches qui résonnent maintenant comme de fausses notes prémonitrices. Pourtant, nous nous sommes pris à voguer sur ce fleuve merveilleux et enivrant, dans une barque qui nous semblait faite d’ivoire, d’ambre et de douceur. De nos traîtres yeux, nous avons alors détourné le regard sur la laideur et l’échec. Mais tout ceci n’était qu’un songe, une parenthèse enchantée nous faisant oublier la vérité crue, celle qui de sa dague funeste vous transperce à maintes reprises lors de sa révélation. Douleur vive et pérenne.

Épigraphe

C’est en Mater Dolorosa que la Pologne se réveille. Une nouvelle fois. Comme si l’échec, les larmes et les peines ne sont qu’un triste refrain habituel. On ne s’habitue jamais vraiment à tout cela, on le subit. Et l’amertume, elle, s’accumule comme une vieille rengaine. Les fantômes de 2002, de 2006 et de 2012 sortis de leur sommeil s’agitent comme des ombres du haut de la caverne nous servant de tanière. Reclus, nous sommes devenus aveugles. La déception est certainement d’autant plus grande que cette fin est aussi celle d’une génération. Les Piszczek, Grosicki, Blaszczykowski, Fabianski et même Lewandowski ne reverront jamais, sans doute, les sommets mondiaux et glorieux sous le maillot de l’Aigle blanc. En terre russe, la Pologne a une nouvelle fois hissé pavillon blanc, mais cette fois-ci sans même avoir combattu, sans même avoir tenter la moindre manœuvre héroïque pouvant rendre fier son peuple, comme autrefois Tadeusz Kościuszko à Raclawice.

Écoutons les rumeurs et oiseaux de mauvais augure, au loin, qui annoncent maintenant à gorge déployée que cet échec était prévisible. Que ce rêve brisé au crépuscule dans la fraîcheur naissante de Kazan n’était qu’un leurre. Il est Polonais de dire ‘je savais’ en attendant l’apocalypse et le jugement dernier. Mais qui de nous n’a pas espéré ? Qui de nous n’a pas cru en cette équipe ? En cette génération plus talentueuse que ces aînées ? Ne serait-ce que quelques secondes, pensant enfin conjurer la déception et la rancoeur polie par les ans. Les regards accusateurs se tournent sur les sorcières, elles que nous devrions maintenant brûler en place publique après les avoir portées au sommet, aux cieux, comme des totems de la Pologne gagnante retrouvée.

Oui, Adam Nawalka a failli. Nous ne comprenons pas pourquoi cet homme si pragmatique a décidé de tout changer à six mois de la Coupe du Monde et de tout rechanger encore pendant celle-ci. Oui, pourquoi Adam ? Pourquoi ne pas être revenu à la genèse de nos victoires ? Pourquoi avoir voulu tenter ces coups tactiques incongrus ? Pourquoi avoir voulu répondre aux chants des sirènes ? Pourquoi ne pas avoir faire jouer Kamil Glik alors qu’il était apte et le premier de tes centurions ? Pourquoi avoir choisi l’inconnue qui passait par là en tenue d’Ève, alors que nous étions si bien ensemble auparavant ? Pourquoi avoir isolé ce groupe sur les bords de la mer Noire ? Pourquoi ne pas avoir écouté les joueurs qui te disaient, même tes plus fidèles lieutenants, qu’ils ne sentaient pas à leur aise dans ces nouveaux schémas tactiques ? Pourquoi t’être enfermé dans ta tour d’ivoire et dans tes choix parfois incompréhensibles au commun des mortels ? Pourquoi Adam ? Pourquoi avoir voulu nous réveiller si tôt ?

Exergue

Et toi Robert ? Tu es sans aucun doute l’un des meilleurs joueurs polonais de tous les temps, mais es-tu ce capitaine courage oriflamme au vent ? Et vous tous ? Pourquoi avoir laissé se mur funeste se rapprocher sans bouger la moindre oreille ? Les causes de cet échec sont multiples. De la préparation physique à la tactique fantaisiste, de l’indifférence de certains joueurs au huis clos pesant de Sochi, des clans au manque de leader non pas technique, mais physique. Nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous même, sans chercher d’excuses, car il n’y en a pas, car il n’y en a plus.

Je pense à ces petits Polonais, maillots sur le dos dans les fanzones de Lublin à Varsovie, de Lodz à Katowice. Ces petits Polonais qui rêvaient avec leur coeur d’enfant, comme nous tous, mais dont les larmes resteront figées dans le marbre froid de l’Histoire de ce sport. Comme celles de 2002. De 2006. De 2012. Ces petits Polonais, la tête pleine de rêves. Ces petits Polonais qui ressentent dorénavant la souffrance et la douleur. Cette même douleur qui passe d’année en année, de génération en génération. Celle de leur père et de leur grand-père. La honte d’être au ban. Puni, là, dans le coin de la classe, à entendre ses camarades rire dans notre dos.

Nous n’étions pas les plus forts, nous n’étions pas les plus habiles, nous n’étions pas les plus beaux, mais avons-nous été nous-mêmes ? Avons-nous su nous transcender ? Sommes-nous si faibles ? Voir la Pologne proposer moins de jeu que l’Arabie Saoudite, la Tunisie ou le Panama et l’Iran … vraiment ? Les critiques sur la qualité de notre effectif s’entendent, mais tant d’équipes moins talentueuses ont proposé bien plus que nous. Ou plutôt, toutes les équipes ont proposé plus que nous.

Certes, notre groupe n’était pas le plus simple, mais n’est-il pas malhonnête de venir en nous racontant la douce et sympathique histoire du « groupe le plus difficile de cette Coupe du Monde » ? La langue de bois est un art bien connu en Pologne, n’est-ce pas Adam ? N’est-ce pas Robert ? Mais l’apocalypse n’est-elle pas le dévoilement et la révélation ?

C’est un gâchis monumental. Un château de sable construit depuis cinq ans que l’océan vient d’engloutir sans que personne ne fasse attention à l’écume qui léchait ses flancs. De ces signes avant-coureurs de certains joueurs hors de forme et d’un groupe parfois à la limite, berné par nos croyances portées sur ce clan de caciques. Mais Adam toi qui vis, dors et manges avec eux, tout cela, tu le savais. Bien plus et bien mieux que nous tous. La sélection était l’arbre qui cachait la forêt d’un football polonais atone. Aujourd’hui, l’arbre est tombé. Ne reste que le vide.

Encore une fois, ce sont de multiples petites choses, petits parasites venant ronger l’écorce de ce grand arbre, qui ont l’ont fait tomber sur le sol moite et froid de la défaite. La canopée désertée, les experts et analystes vont devoir maintenant faire leur basse besogne. L’aigle est devenu vautour et Adam sera le premier enterré. Le premier à subir la foudre. Puis, tour à tour, passerons Robert. Gregorz. Kamil. Wojtek. Lukasz. Piotr. Zibi. Tous, un à un, jusqu’au dernier, vous y passerez. Telle une mante religieuse, la presse polonaise, elle qui a fait naître les espoirs, viendra se la farcir. Après tout, il faut bien atténuer sa déception. Et voilà finalement que notre sempiternel cercle vicieux reprend ses droits : la destruction comme création, la reconstruction comme futurs espoirs déchus. Peut-il en être autrement ? N’est-ce pas la chute des idoles qui fait notre Histoire ? Nombre de jeunes talents sont déjà présents, ici, dans cette équipe. Zielinski, Kownacki, Linetty, Bereszynski, et bien d’autres encore ; eux seront nos nouveaux phares. Espérons, cette fois, que notre pragmatisme sera gardien de ces nouvelles lumières pour ne pas vivre une nouvelle Constantinople. Kazimierz doit être bien triste de là-haut.

Épitaphe

Oui, nous avons échoué. Oui, nous sommes encore la risée des autres. Oui, la déception brille à travers nos larmes chaudes. Mais cette équipe nous a fait rêver quoiqu’il en coûte. Oui, Adam, je n’ai pas compris tous tes choix. Oui, Robert, je pensais que tu pouvais être notre leader. Et toi, Slawomir, j’aurais préféré que ta place revienne à un autre. Zibi, j’ai cru que, malgré ton appétence pour les tweets, ton travail à la tête de la fédération n’était pas si mauvais, qu’il allait porter ses fruits. Oui, j’ai voulu croire. Peut-on en vouloir aux rêveurs? Peut-on en vouloir à ceux qui nous ont fait rêver ? Les ruptures sont difficiles et l’ont oublie parfois trop vite ces moments merveilleux passés ensemble, occultés par la tristesse et la colère. Je ne veux pas oublier. Je ne veux pas oublier l’amour et la passion que cette équipe nous a procurée durant quatre années. Je ne veux pas oublier ma joie un soir de juin 2016 après une séance de tirs au but victorieuse face à la Suisse. Ni les chevauchées de Kamil ou encore cette première victoire face à l’Allemagne. Je ne veux pas oublier.

Il est dorénavant tant de fermer ce livre. Recommencer sans épigraphe, d’une page blanche synonyme de nouvelles aventures. Alors, en attendant, merci Adam. Merci Robert. Merci à vous tous de nous avoir fait rêver. Merci de nous avoir grandi et rendu fier tout un peuple. Les pleurs n’y changeront rien, vous le savez. Vous aussi, vous avez été jeunes. Vous aussi, vous avez connu ces moments propres à notre football. A notre histoire. Vous aussi, comme nous aujourd’hui, vous avez pleuré. Vous aussi, vous savez que le passé ne nous a que trop rarement souri. Alors, nous autres, il nous faut profiter de chaque instant, faire de chaque souvenir une madeleine de Proust dans son herbata. C’est dans cette tristesse que nous voyons des lendemains faits de mieux. Les analyses, elles, se feront dans la froideur de l’hiver, loin de cette émotion estivale.

Il est temps de te dire au revoir, Adam. Il est temps de vous dire au revoir, Lukasz, Kuba, Slawomir, Michal. Il est temps d’insuffler de la jeunesse et de l’envie. Il est temps de se remettre en question, de se regarder dans la glace. Il est temps de reconstruire. Pour l’avenir, il est temps Merci pour tout. Laissons maintenant les doux vers d’Aimé Césaire résonner comme épitaphe de cette aventure. Notre aventure.

il y a des volcans qui se meurent
il y a des volcans qui demeurent
il y a des volcans qui ne sont là que pour le vent
il y a des volcans fous
il y a des volcans ivres à la dérive
il y a des volcans qui vivent en meutes et patrouillent
il y a des volcans dont la gueule émerge de temps en temps
véritables chiens de la mer
il y a des volcans qui se voilent la face
toujours dans les nuages
il y a des volcans vautrés comme des rhinocéros fatigués
dont on peut palper la poche galactique

Mathieu Pecquenard


Image à la une : Łukasz Grochala / cyfrasport / Newspix

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