Elle est là : la Coupe du Monde 2018. La vôtre… et la nôtre. Pour fêter cette compétition, chez nous, dans nos contrées russes, notre rédaction a décidé de faire les choses comme il faut en vous offrant différentes séries d’articles. Il est temps de passer à l’heure russe !

Ce mercredi Angleterre et Croatie offriront le match de leur vie pour atteindre la finale de la Coupe du Monde. Parmi les joueurs croates, nombre d’entre eux ont fait leur gamme au Dinamo Zagreb, qui est aujourd’hui reconnu comme un modèle de formation en Croatie et plus encore, à travers tous les Balkans. Pourtant les Modric, Mandzukic, Kovacic, tous issus du prestigieux club de la capitale croate, savent-ils ce qu’ils doivent au football anglais ? Car si les Anglais ont inventé et codifié le football, c’est bien la réinvention de ses règles permanentes qui lui a donné son statut de sport le plus apprécié au monde. Retour aux origines du football croate et à ses premiers développements, quand les footballeurs croates impressionnaient les Anglais.

1911, acte de naissance du football yougoslave

1911 est une année bien rempli. Dans ce qui est encore l’Empire d’Autriche-Hongrie, le football essaime tout naturellement, comme dans le reste de l’Europe. Si les capitales impériales se sont déjà dotées de plusieurs clubs comme le MTK (1888) et Ferencvaros (1899) à Budapest, ou le First Vienna (1894) et le Rapid (1898) à Vienne, les villes du reste de l’Empire ne tardent pas à en ressentir le besoin. En ce temps de montée des nationalismes, chacun comprend qu’avoir un club peut servir à faire avancer ses intérêts de représentation. C’est ainsi qu’on assiste à la création d’une flopée de clubs bientôt mythiques comme l’Hajduk Split, l’Austria Vienne, le BSK Belgrade (aujourd’hui OFK), ou encore l’Ilirija  (Olimpija) Ljubljana.

A Zagreb, la situation est quelque peu différente puisque le HASK Zagreb, qui revendique une forte identité croate, existe déjà depuis 1903 et le NK Zagreb depuis 1908. Pour autant, des rumeurs faisant état de la possible création d’un nouveau club à Zagreb, destiné à concourir dans le championnat hongrois et non plus dans le championnat local auquel ces clubs sont limités, poussent plusieurs amateurs de football locaux à créer une nouvelle entité destinée à contrer l’influence hongroise. Sobrement nommé Gradanski, « les citoyens », le club devient en quelques années un des poids lourds du football zagrébois. La fin de la Première Guerre mondiale et la création du Royaume de Yougoslavie (pas vraiment communiste à cette heure-là) en font également un des clubs majeurs du championnat yougoslave en remportant 5 championnats. Le futur Dinamo Zagreb (refondé et renommé ainsi après la Seconde Guerre mondiale) installe alors une féroce rivalité avec le BSK Belgrade et l’Hajduk Split.

L’Angleterre comme source d’inspiration

Cet engouement pour le football à Zagreb ne se dément pas, surtout que la ville compte alors plusieurs clubs de haut niveau. Bien que l’époque soit peu propice à l’échange d’un flot d’informations en temps réel, on rapporte que la presse croate de l’époque voue une admiration réelle pour le football anglais et s’applique à offrir régulièrement à ses lecteurs les résumés de matchs des championnats anglais et écossais. Peut-être intrigué par cette passion des Croates pour le beautiful game, on retrouve ainsi dans les archives du Gradanski le premier passage d’un Britannique à la tête du club croate, en la personne de l’irlandais James Donnelly.

James Donnelly, un irlandais à Zagreb (debout tout à droite) irishfootballersineurope.blogspot.com

Titulaire d’une honnête carrière en Football League à Blackburn, Accrington Stanley, Southend United ou Brentford, on ne connait pas exactement les motivations qui ont poussé le natif de Mayo à accepter la proposition des dirigeants du Gradanski, alors champion en titre, de jouer pour eux…et bientôt de prendre la tête de l’équipe, l’entraîneur Imre « Jesza »Poszony, décidant peu après le début de la saison de lâcher les rênes de l’équipe pour ceux de Ujpest. Par-dessus tout le club est en proie à de gros problèmes financiers et de nombreux joueurs doivent même quitter l’effectif. La saison qui s’annonce avec Donnelly comme entraîneur-joueur est donc un désastre, le Gradanski terminant à la dernière place du championnat. L’Irlandais se voit même reprocher un jeu trop défensif, responsable selon les dirigeants d’une chute de l’affluence pour les matchs du Gradanski. Mauvaise pioche pour les dirigeants zagrébois, l’Irlandais ira quelques années plus tard exercer ses talents du côté d’Istanbul et deviendra une légende du Fenerbahçe en y rapportant pas moins de 5 titres nationaux.

Paradoxalement, une des meilleures périodes du Gradanski commence juste après ce moment-là, quand arrive aux commandes de l’équipe Marton Bukovi, un tout jeune footballeur retraité hongrois, qui vient de mettre un terme à sa carrière après deux ans au FC Sète. Et pour sa première expérience en tant qu’entraîneur le natif de Budapest ne va pas tarder à montrer ses talents tactiques, lors notamment d’une rencontre passée à la postérité au printemps 1936. Le Liverpool FC est alors en tournée en Europe centrale et a fait forte impression lors de ses précédents matchs en Autriche, alors que s’annonce un match de haut niveau à Zagreb contre le Gradanski.

Marton Bukovi – GNKDinamo.hr

Une tournée en forme de voyage d’études

C’est une foule conséquente, la plus grande affluence du Gradanski à ce moment-là, qui est venu observer ce dont sont capables les Anglais, et surtout quelle sera la réponse de leurs propres joueurs. Plus grands, plus forts, plus rapides, mieux entraînés, la différence entre les deux équipes parait flagrante en début de match. Les Anglais, adeptes du fameux système en WM, qu’aucune équipe yougoslave n’a alors encore osée, se montrent particulièrement appliqués. Pourtant, contre toute attente, ce sont les « citoyens » de Zagreb qui prennent d’assaut le but anglais, et inscrivent alors 5 buts. Résultat final ? 5 buts à 1 pour des Yougoslaves survoltés, bien aidés peut-être par un arbitre soigneusement sélectionné. Malgré tout, l’équipe de la Mersey, où évolue alors un certain Matt Busby, reconnait la qualité technique et tactique de l’équipe croate et propose alors de jouer la revanche en Angleterre cette fois-ci.

Les Croates, qui ont alors retrouvé une certaine santé financière, se montrent ravis de la proposition et l’affaire est conclue pour le mois de novembre suivant. Seul petit hic, le championnat yougoslave organise ses phases finales à cette période-là et se montre intraitable avec les équipes en tournée. Signe de l’assurance des Croates, il est alors décidé que le Gradanski enverra sa meilleure équipe en Angleterre, quand l’équipe réserve aura le devoir d’assurer en championnat. Premier match au programme, Liverpool bien sûr.

Et si les Anglais prennent largement leur revanche en l’emportant 4-1, la presse anglaise ne se montre pas avare en éloge, pour une équipe arrivée quelques jours avant en Angleterre. Les matchs suivants ne se révèlent pas forcément mieux pour les Croates qui concèdent un match nul face aux Écossais des Hearts of Midlothian (4-4), de courtes défaites face à Wolverhampton (4-2) et West Ham (1-0), et surtout une contre performance évitable face aux leaders de seconde division de Doncaster (6-4), malheureusement sous-évalués par les joueurs croates.

playingpasts.com

Plus qu’une tournée de démonstration, les Yougoslaves se servent de cette expérience comme d’un véritable voyage d’observation et d’études. Durant leurs 14 jours en Angleterre, ils assistent par ailleurs à des matchs d’Arsenal, Aston Villa, Blackburn, Liverpool et Sheffield Wednesday. Impressionnés par les infrastructures offertes à leurs homologues que ce soient les stades, les centres d’entrainement, les méthodes de récupération physique et le staff dédié, tout parait plus grand, plus beau, mieux organisé. Un journaliste yougoslave accompagnant l’équipe ira jusqu’à décrire le stade de Aston Villa comme un « château sorti d’un conte de fées. » Chaleureusement accueilli à chacune de leurs étapes, et notamment par des banquets d’honneurs, le technicien Marton Bukovi en profite également pour prendre des dizaines de notes concernant les systèmes tactiques utilisés par ses homologues anglais. De retour en Yougoslavie, il applique très vite ces principes et permet au club de gagner son quatrième championnat de suite.

Cette expérience se poursuit pour lui au MTK Budapest, à Ujpest, puis en équipe nationale hongroise. Ayant observé de près les habitudes de jeu des équipes anglaises, il met alors sur pied un système hybride au WM, le 4-2-4, qu’il appliquera avec succès d’abord au MTK. En tant qu’assistant de Gusztav Sebes, c’est aussi lui qui lui suggère d’appliquer ces principes afin de tirer le meilleur des joueurs du « onze d’or hongrois. » Avec un certain succès, grâce à ces conseils, la Hongrie bat 6 buts à 3 l’Angleterre à Wembley. Une défaite en forme de Waterloo pour une équipe et une nation qui se pensait imbattable tant qu’elle jouait avec ses propres règles. Inspiré par cette réussite, ce sera ensuite Béla Guttman qui mettra en place cette tactique à Sao Paulo, Porto, et surtout au Benfica. Il paraîtrait que « l’on ne fait pas un voyage, c’est le voyage qui nous fait et nous défait. » En serait-il de même du football ?

Antoine Gautier


Photo de couverture : Les équipes de Liverpool et Gradanski avant le coup d’envoi de leur match en Angleterre. playingpasts.co.uk

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