Pour les pessimistes, les vendredis 13 se suivent et se ressemblent, chacun d’entre eux charriant son lot de mauvaises nouvelles, parfois lourdes de sens. C’était le cas à l’approche du week-end dernier lorsque les fans de l’Union Berlin apprirent avec stupeur le départ de leur chouchou Christopher Quiring pour le Hansa Rostock. Avec lui, le chapitre de toute une époque se referme définitivement. Portrait d’un gamin de Berlin-Est, enfant de la Réunification et dont l’identité est partagée entre le kop et la pelouse.

L’annonce a fait l’effet d’une bombe. Sur Facebook, entre un gif de chat et une énième image pas marrante demandant de taguer un contact dont le nom commence par M, un message brut, clair et concis : Christopher Quiring a quitté le stage hivernal de l’Union Berlin à Oliva Nova, sur la côte des Baléares, pour rejoindre un autre bord de mer : celui de la Baltique, qui héberge le club du Hansa Rostock, où il a signé jusqu’en 2019 pour moins d’un demi-million d’euros. En quittant un candidat déclaré à la promotion en Bundesliga pour une ancienne gloire aujourd’hui noyée en troisième division, Quiring espère redonner un coup de fouet à sa carrière qui commençait à battre de l’aile. La décision fut pourtant très difficile à prendre car dans l’Est de Berlin, il jouit d’une réputation hors-pair : celle du clubman et du régional de l’étape. Son départ a été salué à la fois par le club et les supporters dans un mélange de profonde tristesse et de meilleurs vœux pour l’avenir. Car à vingt-six ans, Chrissy, comme on le surnomme dans l’arrondissement de Treptow-Köpenick, vient probablement de saisir la dernière perche qui lui permettra de sauver son parcours de joueur de football professionnel.

Presque instantanément après l’annonce de son transfert, Christopher Quiring faisait une dernière déclaration sur la web TV de son club formateur, qu’il remercie pour les quinze années passées en son sein.

CQ2, l’anti CR7

Né le 23 novembre 1990, Christopher Quiring est un enfant de la Réunification. Il voit le jour dans l’arrondissement de Marzahn, un quartier populaire, pour ne pas dire défavorisé, de ce qui fut pendant quatre décennies Berlin-Est, capitale de la République démocratique allemande. Sa première licence, il la prend à cinq ans seulement au BSC Marzahn, le club de son quartier, où il restera jusqu’en 2002. Cette année-là, il est repéré par le meilleur centre de formation de la partie Est de Berlin : le FC Union, qu’il intègre dans la catégorie U13. Sa progression se fera doucement mais sûrement. Franchissant les catégories d’âges une à une, il finit par intégrer la réserve six ans plus tard, en 2008. Disputant ses premiers matchs semi-professionnels avec une certaine réussite, Quiring obtient son premier contrat professionnel deux saisons plus tard, en 2010, sous l’égide de l’entraîneur Uwe Neuhaus (aujourd’hui sur le banc du Dynamo Dresde). Cette saison-là, l’Union a réussi à se maintenir dans l’antichambre de la Bundesliga, un an après avoir obtenu le titre de champion de D3. Mais au cours de ses premiers mois en pro, CQ2, de son surnom ronaldesque, alterne les rencontres entre les A et la réserve, histoire d’affûter son niveau et confirmer progressivement son statut d’ailier droit indiscutable. Ses qualités de vitesse et de percussion vont rapidement être saluées, de même que son amour pour les Eisernen. En 2011, lors d’un match de Regionalliga (D4) avec l’équipe B, il inscrit le seul but dans le derby face au rival historique du BFC Dynamo. Une réalisation qu’il ira fêter, jeune et fou qu’il était alors, face au kop de l’ancien club de la Stasi, provoquant l’ire des supporters locaux qui se déchaîneront à coup de sifflets, de gobelets de bière et de pétards.

Un ultra devenu professionnel

Christopher Quiring dans le Waldseite, le secteur des fans actifs de l’Union (© Matthias Koch)

Ce goût pour la provocation et cette haine farouche pour les rivaux de l’arrondissement de Hohenschönhausen, Quiring les a gagnés pendant ses années de formation. Non pas à l’entraînement, mais à chaque match de l’équipe première, qu’il suivait ardemment dans le Sektor B du Stadion an der alten Försterei, là où sont présents les ultras de l’Union Berlin et plus particulièrement, le Wuhlesyndikat. Principal groupe actif, Quiring en a été membre jusqu’en 2008 (l’année de la rénovation du stade) et a depuis gardé contacts avec certains de ses membres. Dans une interview accordée au quotidien BZ en 2015, il déclarait « avoir grandi avec eux », de ses douze à quinze ans, en participant notamment aux déplacements, principalement face aux autres équipes de l’ex-RDA.

En 2013, après une victoire face à Bochum, Christopher Quiring avait tenu à célébrer les onze ans d’existence du Wuhlesyndikat, le groupe de ses années ultra, dont il s’est fait par la suite tatouer le logo sur le mollet droit (© Hupe)

Cela fait de nombreuses années que le torchon brûle entre, d’une part, les ultras et leurs revendications et, d’autre part, les instances dirigeantes, qu’elles soient des clubs ou de la ligue. Au milieu de ce conflit incessant, la plupart des footballeurs, tels des chats échaudés, préfèrent se taire et éviter de se mouiller, par peur d’éventuelles représailles de la part de leur employeur. Mais Christopher Quiring n’a jamais caché sa sympathie pour le mouvement ultra et ses moyens d’actions, à commencer par l’utilisation d’engins pyrotechniques. Une attitude cautionnée malgré tout par l’Union qui, comme chacun le sait, n’est pas un club comme les autres. « Chez nous, les ultras font partie intégrante de l’équipe », déclarait Christian Arbeit, le porte-parole du club, au Tagesspiegel en 2012. « Nos décisions se prennent collectivement, personne n’est laissé de côté », avant d’ajouter à propos de CQ2, « c’est son avis personnel et il peut tout à fait l’exprimer ».

« Les ultras ne meurent jamais ». Christopher Quiring arborant un t-shirt du Wuhlesyndikat après une défaite de l’Union à Brunswick en 2012 (© Matthias Koch)

Le seul incident notoire concernant les déclarations brutes de Quiring a lieu en septembre 2012. Ce jour-là, l’Union reçoit son rival de l’Ouest, le Hertha BSC. Les Bleu et Blanc de Charlottenburg l’emportent 2 à 1 après une rencontre sous très haute tension. Face à la caméra de la chaîne du club, le latéral droit déclare à chaud : « quand les Wessis [le surnom péjoratif donné aux Allemands de l’Ouest, ndlr] jubilent dans notre stade, j’ai envie de gerber ». La petite phrase ne passe pas inaperçue. Dans la presse, comme au sein d’une frange du public, on s’interroge sur l’utilité d’employer un vocable à connotation politique renvoyant à la période de la Guerre froide. Surtout de la part d’un gamin de vingt-deux ans à l’époque, né un an après la chute du Mur et quelques semaines après la réunification de son pays. Son jeune âge, c’est l’argument qu’il utilisera pour se justifier : « il n’y a qu’à regarder ma date de naissance pour comprendre que mes paroles n’étaient pas politiques », affirmera-t-il par après dans des propos rapportés par le Tagesspiegel. Avant d’ajouter qu’ « à Berlin, il est impossible de mentionner [les mots] Est et Ouest sans que cela n’ait une [telle] connotation ». Un autre quotidien, le Berliner Kurier, lui prêtera une phrase qui résume à elle seule son caractère volcanique : « j’ai appris que certains veulent tout comprendre de travers. C’est quelque chose que je ne peux pas changer. Mais ce n’est pas non plus quelque chose qui me fera changer ».

Avec le recul, on admettra que l’immaturité avait parlé. Quiring n’a effectivement pas tenu de propos éminemment politiques, mais réaffirmait, de façon maladroite certes, tout l’amour qu’il portait à son club de cœur. Cette déclaration ne lui apportera pas que des ennemis. Dans les rangs des ultras, elle lui permettra d’accéder au statut de chouchou du public, au côté de Torsten Mattuschka, une ancienne légende qui, là encore face au Hertha, avait marqué sur coup-franc le but de la victoire lors d’une précédente rencontre à l’Olympiastadion.

« Unioner, ultra et invendable ». Au fil des saisons et malgré son jeune âge, Christopher Quiring est devenu une figure d’identification pour une partie du public de l’Union Berlin (© Hupe)

Sacrifié sur l’autel des ambitions

L’affiche du film Union fürs Leben (© Weltkino Filmverleih)

Cette image de clubman lui vaudra de tenir l’un des rôles principaux d’un film tourné lors de la saison 2012-2013. Intitulé Union fürs Leben (en français, « Union pour la vie »), il dépeint un portrait de la famille Unioner, dans lequel Quiring incarne, au côté de divers profils de supporters, le joueur fidèle parmi les fidèles. On y découvre le portrait d’un régional de l’étape pur et dur. Il se confie sur sa formation parallèle qui lui valut un diplôme d’ouvrier en construction métallurgique, un métier qu’il n’a cependant jamais vraiment songé à exercer, obnubilé par l’idée de devenir footballeur professionnel. Pourtant au départ, les choses n’étaient pas aussi simples. Le championnat allemand est depuis toujours caractérisé par des joueurs de grande taille au physique imposant et au jeu rugueux. À la fin de sa formation, Chrissy mesure 1,72 mètre et affiche un physique trop frêle pour passer pro, selon les dires de son entraîneur de l’époque. Il lui faudra redoubler d’efforts et affuter sa carrure pour réaliser son rêve. C’est ainsi qu’il intensifie ses séances de musculation et enchaîne les entraînements de boxe. À force de travail, de coups portés sur le ring et dans des sacs de frappe, il acquiert force et rapidité. Sa petite taille deviendra son atout sur le flanc droit du terrain, lui permettant des accélérations fulgurantes et une technique plus que correcte.

Mais la principale faiblesse de sa carrière provient de son incapacité à s’imposer comme titulaire indiscutable au fil des saisons. Au moment de signer au Hansa Rostock, son bilan s’élève à 130 apparitions en 2. Bundesliga et cinq en Coupe d’Allemagne, soit environ vingt matchs par saison, ce qui lui vaut davantage une étiquette de super sub. Ses dix-neuf buts et ses douze assists ne plaident pas non plus en sa faveur et sa fortune fut diverse selon les entraîneurs. Uwe Neuhaus le titularisera à 71 reprises en cinq saisons. Son successeur, l’inexpérimenté Norbert Düwel, tentera de faire le ménage au sein de l’effectif, en se séparant notamment de Torsten Mattuschka dans des conditions déplorables, mais fera malgré tout confiance à Quiring lors de vingt-neuf rencontres. Un an plus tard, Düwel est viré et remplacé par Sascha Lewandowski qui veut rebâtir une équipe sur des bases solides. Quiring cette fois-ci ne fait plus partie de ses plans et commence à cirer le banc. Atteint de dépression chronique, Sascha Lewandowski se suicide quelques mois plus tard. L’intérim est assuré par son adjoint André Hofschneider, qui gardera globalement le même schéma de jeu et assurera à l’Union une prometteuse sixième place.

À l’hiver 2015 déjà, CQ2 commence à se poser la question d’un départ, même sous forme de prêt, pour conserver du temps de jeu. Le Hansa manifeste déjà son intérêt mais la piste la plus sérieuse le mènerait à l’Energie Cottbus. Finalement, aucune ne se concrétise et Quiring continue de ronger son frein en attendant des jours meilleurs. Ces jours n’arriveront pas. Au mercato d’été, l’intérim d’André Hofschneider prend fin. Il est remplacé par Jens Keller à qui l’on confie la mission de continuer le bon travail mené la saison précédente avec un objectif qui, avec le temps, devient de moins en moins flou : être promu en Bundesliga. L’image de club prolo de l’Union Berlin ne s’effrite pas mais se transforme. Les structures se professionnalisent, de même que les entraînements et le recrutement. Quant à son image populaire, elle est mise en avant par le département marketing pour continuer de recruter de nouveaux fans. Au sein de cette nouvelle configuration, Christopher Quiring n’est qu’un joueur moyen. Son talent principal, c’est sa popularité et son ancrage au sein du club et de son public. Mais avoir bonne réputation ne suffit pas à marquer des buts et au cours de la première moitié de la saison 2016-2017, Jens Keller ne le fait monter qu’à trois reprises seulement, pour un temps total inférieur à une heure de jeu. La rupture est consommée.

Le dilemme de l’image et de l’avenir

Les nouveaux objectifs sportifs de l’Union Berlin sont clairs et parfaitement réalistes. Hélas, tout projet ambitieux implique des compromis et dans ce cas précis, de se séparer du dernier joueur de l’ancienne génération du club. Un joueur qui y a été formé, passé par tous les échelons, qui a connu la presque faillite, la rénovation du stade par les fans eux-mêmes, la promotion en D2 et cette famille soudée comme de l’acier, indéboulonnable. Christopher Quiring fait partie de cette famille. Il en fera partie pour toujours. Dans les réactions à son transfert, certains petits malins se sont plu à souligner qu’il avait tout de même choisi un autre club de l’Est ; faisant ainsi allusion à une tentative avortée de transfert vers Bielefeld. Quiring, en manque de temps de jeu était allé trouver les responsables et leur avaient fait savoir qu’il préférait rester au club en jouant moins et en étant moins payé, plutôt que de partir ailleurs. Dès lors, comment ne pas l’adorer encore un peu plus ?

Dans son communiqué, la direction précisait tout de même que ce transfert n’était pas comme les autres. Que l’attachement de Christopher Quiring à son club était d’un niveau devenu tellement rare dans le football professionnel que la séparation allait être d’autant plus difficile. Un avis partagé par l’intéressé. Mais les deux parties ont cependant réussi à se mettre d’accord sur un autre point : celui de ne pas gâcher une carrière encore fraîche pour conserver un statut de mascotte. « Bien sûr que c’est dur de partir. Mais je crois que le bon moment est venu pour un transfert », déclarait Chrissy dans le même communiqué. Avant d’ajouter : « je vis pour être sur le terrain, pour me donner à fond ». À 26 ans, il a montré qu’il avait atteint l’âge de la maturité. Exit les petites phrases pernicieuses et l’image du mec moitié joueur pro, moitié ultra. Il sait que la carrière d’un footballeur est trop courte pour l’arrêter brutalement à vingt-six ans et que c’est désormais pour la prolonger le plus longtemps possible qu’il se battra avant tout désormais.

Dans sa revue de presse quotidienne, l’excellent fanblog Unioner Textilvergehen avait des mots durs envers les supporters qui refusaient d’admettre le départ de l’enfant-chéri : « Christopher Quiring est un footballeur professionnel, pas un fan ». Une manière d’expliquer que le meilleur moyen de prouver son amour pour le joueur était justement de le laisser partir pour donner un espoir à sa carrière de repartir vers l’avant. Et d’ajouter qu’il était celui qui souffrait probablement le plus de la situation. Lui qui, à maintes reprises, avait subrepticement caressé l’espoir de devenir le Francesco Totti de Treptow-Köpenick en passant l’entièreté de sa carrière à l’Union, se voyait contraint et forcé d’accepter d’être relégué à l’échelon inférieur, dans une équipe du ventre mou pour qui les espoirs de promotion en D2 ne sont encore qu’un doux rêve.

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Une photo publiée par Eroll Zejnullahu (@erollzejnullahu) le

Qu’il s’agisse de Matthias Koch, le photojournaliste officiel de l’Union, de ses potes et coéquipiers Eroll Zejnullahu et Steven Skrzybsky, ou encore d’une foule de supporters anonymes, les messages d’adieu et de soutien à Chrissy ont été légion depuis ce fameux vendredi 13 janvier. Son expérience et ses qualités physiques comme techniques pourraient bien être utiles à Christian Brand, le sympathique entraîneur du Hansa, qui y trouvera peut-être la pièce manquante à son schéma de jeu. À 26 ans, la carrière de Christopher Quiring prend un nouveau tournant. Certes, pas celui qu’il espérait, mais peut-être celui qui lui permettra de revenir un jour en héros à l’Alte Försterei et qui sait, de jouer en Bundesliga.

Laissons le mot de la fin à ce fan qui s’est fendu d’une vidéo, certes un peu malaisante, mais qui résume bien l’image que laissera Quiring dans le club de sa vie, au sein de sa seconde famille :

https://youtube.com/watch?v=AHayqwm5fCc

U.N.V.E.U.

Julien Duez


Image à la une : Christopher Quiring lors de la saison 2012-2013 en compagnie de Ritter Keule, la mascotte de l’Union Berlin (© Frank Marten Pfeiffer)

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