Comme souvent, il pleuvait sur le Gradski Stadion. Ce qui ne dérangea pas l’escalade d’un enfant en imperméable avec une écharpe bleu et blanche autour de son cou. Montant au-dessus du grillage séparant la tribune du terrain, le garçon ne pensait plus aux trombes d’eau pour célébrer la belle victoire d’Osijek sur l’Hajduk. Lors du tour d’honneur, le capitaine, Borna Barisic, admiratif, lui donna son maillot. Plus tard, la légende conservera une image : celle d’un père trouvant son fils endormi à côté du maillot boueux de Barisic.

L’histoire semble parfaite. Ce genre d’histoires qui touche la sensibilité de l’âme Pannonienne, permettant au club de laver une image quelque peu salie depuis l’arrivée d’un proche de Viktor Orban à la tête du club. Car oui, avant ces derniers mois remplis d’histoires touchantes, les fans du club étaient montés en pression en raison d’une multitude de maladresses. Comme, par exemple, lorsque le site officiel a commencé à publier des articles en langue hongroise sur le « Patron », Lorinc Meszaros. D’autres n’ont que peu goûté que le club donne publiquement à Zdravko Mamic un maillot floqué « Maminho », en référence à un autre Patron, ou plutôt Parrain, celui du football croate.

En maillot du Dinamo à l’entraînement

Parmi ces maladresses, l’attribution du brassard de capitaine à Borna Barisic. Ce n’est pas un secret, le transfert de Barisic à Osijek n’a pas été accepté par tous. Cet été, lors de son arrivée, beaucoup de fans avaient mal digéré les déclarations publiques dans lesquelles le joueur parlait de son amour pour le Dinamo Zagreb. Pire, il a même avoué être venu au premier entraînement de la saison avec le maillot bleu du multiple champion en titre… le tout en pleine campagne de communication menée par le club. Présent aux quatre coins de la ville, le slogan « Osijek navija za Osijek » (Osijek supporte Osijek) faisait moins crédible avec la nomination d’un capitaine qui ne supporte même pas le club de la ville où il est né et où il a grandi…

Si Barisic n’est que très moyennement apprécié, c’est aussi parce qu’il porte le lourd héritage familial, lui qui est le fils de l’un des protagonistes de « la mafia de Čepinski », lui dont la famille a laissé sa marque – peu reluisante – sur la ville et au club. En effet, Stipe Barisic, père de Borna, plus connu dans le milieu sous le nom de Moljac, a notamment fait partie de ceux qui ont organisé la plus grande affaire de corruption policière, en compagnie d’un certain Rajic. Les hommes payaient notamment des policiers corrompus pour avoir accès à certaines informations sur des personnes importantes. Qu’ils revendaient ensuite à d’autres… l’ex président Ivo Sanader en est une des plus importantes figures.

Stipe Barisic est un homme particulièrement riche et influent en Slavonie, notamment du côté d’Osijek, là où il faisait partie des entrepreneurs de Cepinski (petite bourgade adjacente où est né Borna). Son rejeton n’avait donc pas trop de soucis à se faire pour son avenir, comme il en témoigne sur le site officiel du club d’Osijek : « Mon père m’a suivi toute ma vie, non seulement pour le football mais pas que. J’aurais pu prendre d’autres chemins. Si j’avais voulu, j’aurais pu passer cinq mois en mer ou étudier facilement dans les meilleures écoles, mais je ne voulais pas parce que je ne suis pas ce genre de personne. Voilà pourquoi j’ai décidé de tout donner dans le football pour me prouver que je peux réaliser quelque chose sans aide. Votre père peut être le président du club ou le président de la FIFA, mais quand vous allez sur le terrain, vous devez être bon, on ne vous fait pas de cadeau. Je veux prouver que je ne dois rien à personne. Je veux prouver non seulement aux autres, mais aussi à moi-même. Tout cela fait que je suis un peu plus motivé qu’un joueur lambda« .

© Goal Croatia

Et l’on serait bien dur de juger Borna par le prisme de Stipe. Le jeune homme se construit sa propre destinée, loin de son père et de ses manœuvres douteuses. Et pour cela il a choisi le football, où il a commencé dans sa ville d’Osijek. Bien qu’il y soit revenu cet été, son parcours entre-temps est plutôt atypique. Après avoir terminé sa formation à l’académie du club de sa ville, le jeune homme est parti débuter en senior sous les couleurs du NK BSK Bijelo Brdo, en troisième division croate. Malgré les difficultés, Borna en garde en bon souvenir, comme il le raconte toujours pour le site officiel du NK Osijek: « Je peux dire que je suis un gamin d’Osijek, où je suis passé par toutes les catégories d’âge. Puis, j’ai eu une grave blessure, je me suis fait les ligaments croisés antérieurs. Je suis revenu en six mois mais j’ai dû subir une autre opération et au final, j’ai passé presque deux ans sans football. Je devais trouver un club qui pourrait m’accueillir après cela, et le KSF m’a donné cette chance, je les remercie pour tout ce qu’ils m’ont apporté. Après que je suis retourné à Osijek. Le début était dur comme tout le monde, mais je pense que je me suis assez rapidement adapté aux grandes ligues. »

Méritocratie ne rime pas avec Croatie

Aujourd’hui, Barisic est sans aucun doute l’un des principaux acteurs d’Osijek, voire le meilleur arrière gauche de Prva Liga. Sa forme fluctue comme celle de son équipe mais globalement, Borna est techniquement propre, avec un gros moteur, prêt à beaucoup de courses répétées sur son côté. Ce latéral qui ferme très bien son côté défensivement, alors qu’il est l’un des meilleurs centreur de la ligue.

Si la qualité et la forme étaient les seuls critères comptant pour être appelé en équipe nationale, alors Barisic serait certainement dans la liste d’Ante Cacic. Pourtant, le sélectionneur n’a d’yeux que pour Josip Pivaric. Ce dernier est pourtant peu fiable défensivement, bien qu’il apporte offensivement. Sur la saison, si Pivaric reste tout de même l’un des meilleurs à son poste, son homologue d’Osijek semble un à deux crans au-dessus. Et devinez qui est le premier choix de Cacic pour la position d’arrière gauche avec la sélection ? Pivaric évidemment, selon la jurisprudence Dinamo, ou Mamic.

Un coup d’œil rapide aux statistiques moyennes de la saison, fournies par InStat, montre que Barisic est supérieur à Pivaric en termes de buts, passes décisives, tirs cadrés, centres effectués, dribbles réussis ou encore sur les duels gagnés. Les statistiques, bien sûr, ne sont pas la Bible. Il y a d’autres facteurs à prendre en compte pour être nommé en sélection. Cependant, jouer au Dinamo ou à Osijek n’est pas la même chose. Il est toujours plus simple de jouer dans une meilleure équipe, avec de meilleurs coéquipiers. Les chiffres suggèrent que Barisic est un meilleur joueur que Pivaric. Mais c’est aussi l’impression que l’on a en regardant les matchs. Et comment pouvons-nous savoir si Barisic peut s’adapter à la sélection si on ne l’invite à se montrer que lors d’une sélection en équipe C contre la Chine (où il figurait parmi les meilleurs), et qu’on ne l’appelle même pas pour un match amical stupide et inutile en Estonie ?

Les éloges ont beau fleurir de toutes parts, Borna est aussi conscient qu’il ne doit jamais cesser de travailler et qu’il doit progresser dans tous les secteurs: « Depuis l’enfance je pratique les croix, c’est ma principale qualité mais je pense que c’est en quelque sorte inné chez moi. Souvent, j’appelle quelques jeunes joueurs pour m’entraîner personnellement et me perfectionner. Je veux corriger ce qui ne va pas mais aussi ce qui est bon, parce que rien qui n’est pas encore au niveau où il pourrait et devrait être. Y compris la croix, je veux que tout soit encore mieux. »

Borna Barisic est un latéral que l’on peut qualifier de moderne qui, en plus de son travail défensif, participe grandement aux tâches offensives. Pour cela, le joueur doit être doué techniquement et très affûté physiquement : « Je sais ce qu’on attend des joueurs d’aujourd’hui, d’être beaucoup plus complet et d’avoir un gros moteur physique. Il faut effectuer beaucoup de courses et de répétition, beaucoup de travail, et être techniquement solide. Pour cette raison, je suis un programme individuel basé seulement sur les capacités physiques, et je pense que je suis supérieur à tout le monde sur ce point. Je pense qu’aujourd’hui il n’est pas possible de réussir sans cela, surtout dans la position à laquelle je joue. »

Avec une telle envie débordante et des qualités physiques et techniques au-dessus de la moyenne, Borna Barisic a tout pour se faire une place au soleil sous le maillot à damiers, loin de Cepinski et des affaires familiales. Après avoir créé un consensus autour de lui dans une ville qui le rejetait à son arrivée, ce n’est pas s’imposer chez les Vatreni qui va faire peur au jeune homme au mental d’acier.

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