Les Bohemians Praha viennent de vivre une décennie délicate. Il y a 10 ans, l’un des clubs historiques du football tchécoslovaque avait été mis en liquidation. S’en sont suivies de longues batailles judiciaires (qui continuent d’ailleurs encore aujourd’hui) et l’apparition de trois entités désireuses de porter le nom et perpétuer la tradition de la Bohemka. Ceci dit, il parait que les Kangourous entrevoient finalement la lumière au bout du tunnel.
Le club, connu surtout pour être le club formateur d’Antonín Panenka, est officiellement créé en 1905 sous le nom de SK Kotva pour être bientôt rebaptisé AFK Vršovice (Club d’athlétisme et de football de Vršovice) du nom du quartier homonyme. Ses origines remontent néanmoins à 1895 et la mise en place du cercle sportif « Kotva », fondé par un groupe d’adolescents du quartier, ce qui en fait l’une des plus anciennes associations sportives en République tchèque. Si au départ l’équipe dispute ses matchs, pour la plupart des amicaux, sur différents terrains dans la capitale et ses environs, en 1914 (à l’époque où la Tchéquie faisait encore partie de l’Autriche-Hongrie) l’AFK se dote finalement d’une aire de jeu à lui, située dans la zone de Ďolíček. Depuis, le club n’a jamais quitté son antre historique. Cela dit, le premier véritable stade n’y a été inauguré qu’en 1932, à l’initiative du président du club, Zdeňek Danner (1888-1936).
Le kangourou débarque à Prague
Entre-temps, l’AFK se dote également d’un nouveau nom, nom qu’il conservera par la suite et sous lequel il entrera dans l’histoire du football. En effet, en 1927, l’équipe pragoise est invitée en Australie pour une tournée de matchs amicaux, notamment contre l’équipe nationale d’Australie et une sélection de l’armée britannique. Pour occasion, afin de souligner son origine et pour faciliter la tâche aux journalistes et aux spectateurs sur place, le club adopte le nom anglais de Bohemians, en référence à l’appellation latine de la Tchéquie. C’est également à l’occasion de la tournée aux antipodes que l’institution se dote de son légendaire surnom des Kangourous ou Klokaní en VO. En effet, l’un des organisateurs de l’escapade australienne du AFK a offert aux joueurs un kangourou vivant en guise de cadeau. Le marsupial a accompagné l’équipe en Europe et a passé le reste de ses jours à Prague. Son corps naturalisé est toujours exposé au siège du club.
Ceci dit, si les Bohemians font partie des meilleurs clubs tchécoslovaques de l’époque, ils n’arrivent pas à concurrencer les deux cadors pragois. La Sparta et la Slavia monopolisent le championnat jusqu’à la fin des années 40. Le seul club à avoir interrompu leur domination fut la Viktoria Žižkov, sacrée championne en 1928. Les Bohemians, eux, sont abonnés aux places d’honneur.
Panenka et cie
Ainsi, les plus grands faits de gloire des Klokaní se font attendre jusqu’au tournant des années 1970. et 80. Les Kangourous se classent troisièmes trois fois de suite entre 1979 et 1982 avant de remporter la Coupe nationale en 1982 (ils sont finalistes en 1980 et 1981) et, surtout, obtenir leur premier -et pour l’instant le seul- titre national, conquis en 1983. Cette année-là, ils passent tout près du doublé puisqu’ils atteignent une nouvelle fois la finale de la coupe où ils se font dominer par le Slovan Bratislava. Ils ne descendent du podium national que trois années plus tard. En 1984, ils se classent de nouveau troisièmes et en 1985, ils terminent le championnat juste derrière la Sparta.
Dans le même temps, le club s’illustre également en Europe. Si la première expérience européenne de la Bohemka tourne court (élimination contre Honvéd dès le premier tour de la Coupe UEFA en 1976), lors de la saison 1982/83 les Kangourous se hissent jusqu’en demi-finales de la compétition (en étrillant l’ASSE 4 à 0 à Prague) où ils sont éliminés par l’Anderlecht.
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La génération dorée des Bohemians ne se résume bien entendu pas au légendaire meneur de jeu moustachu, Antonín Panenka (célèbre surtout pour son penalty inscrit dans la finale de l’Euro 1976 contre l’Allemagne ; en 1981, il quitte le club pour le Rapid Vienne). Signalons notamment Pavel Chaloupka, le compère de Panenka dans l’entre-jeu (également international émérite et meilleur buteur du championnat l’année du titre), un autre milieu Vladimír Hruška (au club depuis 1981), les défenseurs Zdeněk Prokeš, František Jakubec et Stanislav Levý ou encore l’attaquant Přemysl Bičovský. La période faste du club est inséparablement liée au nom de Tomáš Pospíchal, technicien historique qui a dirigé la Bohemka entre 1977 et 1987.
Descente aux enfers
La dernière participation des Pragois aux joutes européennes remonte à l’exercice 1987/88 et l’élimination au premier tour de la Coupe UEFA par les Belges de Beveren. Cette apparition marque le début du déclin du club. Les Kangourous commencent à s’emplâtrer dans le ventre mou du tableau. La dernière saison du championnat tchécoslovaque réuni (1992/93) est de très mauvais augure pour la suite puisque la Bohemka ne se classe que 15e, soit à l’avant dernière place, et ne se maintient que grâce à la séparation du pays et la création d’un championnat slovaque distinct. Si l’année suivante, à l’issue de leur première saison en championnat tchèque, les Bohemians se sauvent de justesse (14e), ils ne réussiront pas à sauver les meubles l’année d’après en terminant l’exercice à la 15e place et sont ainsi relégués. À partir de ce moment-là, le club commence à faire l’ascenseur.
Simultanément, la situation financière de l’institution se dégrade, notamment sous la présidence de Pavel Švarc. Quand il quitte le navire en 2004, la Bohemka évolue en deuxième division écrasée par une dette estimée à environ 50 millions de couronnes (grosso modo, 2 millions d’euros). La situation est critique. Le nouveau propriétaire Michal Vejsada ne peut que constater les dégâts. Enfin, en 2005, un tribunal ordonne la mise en liquidation du club. Et c’est là où commence la désormais fameuse Kauza Bohemians (l’affaire Bohemians)…
Kauza Bohemians
Le président Vejsada, dans le souci de sauver le nom et les couleurs du club, les cède à l’homme d’affaires Karel Kapr, président du modeste FK Střížkov. Le deal est conclu avec l’accord du TJ Bohemians, club omnisports dont l’équipe de football était certes indépendante mais qui disposait des droits au nom et aux couleurs historiques. En même temps, M. Vejsada conserve les actions et les dettes des Bohemians. Les supporteurs, eux, avec le célèbre comédien Ivan Trojan en tête, préfèrent monter leur propre club à partir de zéro. La nouvelle entité prend initialement le nom historique AFK Vršovice avant d’opter pour le patronyme Bohemians 1905, se fait admettre à la Fédération de football tchèque (qui la reconnaît en tant que successeur officiel de l’ancienne Bohemka) et intègre une poule de troisième division. Or, Karel Kapr, président de Střížkov et acquéreur du nom et des couleurs du club défunt, rebaptise son équipe FK Bohemians Praha et l’inscrit également à la troisième division. Si, dans un premier temps, la Fédération refuse l’inscription historie d’éviter un imbroglio, la justice civile saisie par Karel Kapr ordonné l’intégration du FK Bohemians en championnat. Ainsi, deux clubs répondant au nom des Bohemians se retrouvent au même échelon. En même temps, l’ancien président, Michal Vejsada, monte son propre équipe sous le nom du FC Bohemians…
Une histoire certainement compliqué pour votre petite tête que nous vous récapitulons. Ainsi, les Bohemians 1905 sont un nouveau club fondé par les supporteurs et reconnu par la Fédération comme le successeur de la tradition des Bohemians. Le FK Bohemians (anciennement FK Střížkov) est le club dirigé par Karel Kapr, homme d’affaires à qui le président du club défunt, Michal Vejsada, a cédé le nom et l’emblème des anciens Bohemians. Le FC Bohemians est un nouveau club fondé par Vejsada.
En l’espace de plusieurs saisons, trois clubs désireux de perpétuer la tradition des Kangourous évoluent dans différents championnats tandis que leurs dirigeants s’affrontent devant les tribunaux pour faire valoir leurs droits. En 2007, le club des Bohemians 1905 est repris par un groupe d’investisseurs tchèques. Parmi eux, l’actuel propriétaire, Dariusz Jakubowicz, homme d’affaires issu de l’industrie chimique. En 2008, le club monte en première division et en 2009, la Tribunal de propriété commerciale déclare que les Bohemians 1905 sont la seule entité habilitée à utiliser le nom et l’emblème historique. Le FK (club de M. Kapr) fait appel. En 2010, lorsque les deux équipes évoluent en première division, le FK refuse de disputer le match retour contre le 1905. La Fédération lui inflige une lourde amende et lui retire 20 points. Le FK est relégué en deuxième division. Quand en 2012 les Bohemians 1905 descendent à leur tour à l’échelon inférieur, ils y retrouvent leur alter ego…
Dans le même temps, le FC Bohemians de M. Vejvoda évolue en divisions régionales pour disparaître en 2012. L’année suivante, Vejvoda, les Bohemians 1905 et la Fédération tchèque de football signent un accord à l’amiable en vertu duquel la Fédération rachète les actions du club défunt, toujours détenues par Vejvoda, avant de les revendre aux Bohemians 1905 qui acceptent de rembourser les dettes de l’ancienne Bohemka. Le litige entre Michal Vejvoda et le 1905 est d’ores et déjà résolu. Mais il reste encore la question du FK Bohemians. Son président, Karel Kapr, réfuse tout compromis. Il n’arrête pas de saisir les instances en demandant la liquidation des Bohemians 1905 et en sollicitant de gros dédommagements de la Fédération.
Ceci dit, si le propriétaire des Bohemians 1905, Dariusz Jakubowicz, et le président du club, Antonín Panenka, sont optimistes pour l’avenir, il leur reste encore du pain sur la planche. Il doivent non seulement gérer le litige avec M. Kapr mais également résoudre l’imbroglio autour du stade historique du club. En effet, l’enceinte appartient à l’arrondissement Praha 10 dont la mairie réfléchirait à vendre le Ďolíček à une société immobilière. Heureusement pour les Bohemians, la mairie de la capitale tchèque est disposée à donner un coup de main au club et à reprendre l’enceinte pour ensuite le mettre à la disposition des Kangourous.
Au milieu de tous ces soucis financiers et juridiques, et au grand bonheur d’environ 4500 spectateurs présents aux rencontres disputées à domicile (le taux de remplissage du Ďolíček oscille entre 80 et 90%, ce qui représente le deuxième meilleur résultat de la Synot Liga derrière la Viktoria Plzeň, champion en titre), l’équipe s’en sort plutôt bien. Si les Kangourous ont terminé la saison 2013/14, la première après leur retour dans l’élite, juste devant la zone rouge (14e), ils se sont classés 8es à 13 unités devant le premier relégable à l’issue de la saison 2014/15.
Si l’équipe coachée par le Slovaque Roman Pivarník, menée par l’expérimenté défenseur Josef Jindřišek ainsi que l’ancien milieu international Radek Šírl et renforcée récemment notamment par le Colombien Jhon Mosquera (premier Colombien en première division tchèque) et l’Ukrainien Leonid Akulinin (ancien international ukrainien espoirs) ne peut certainement pas rêver d’une place au podium, elle devrait facilement assurer son maintien dans l’élite du football tchèque. Les supporteurs ne demandent pas mieux. Pas pour l’instant, en tout cas…
Michal
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