Temps de lecture 7 minutesL’Azerbaïdjan, l’autre vainqueur de l’Euro 2016

Il y a une semaine, le Portugal remportait le titre de champion d’Europe 2016. Et puis il y a l’Azerbaïdjan, l’autre vainqueur de ce tournoi, le vingt-cinquième pays qualifié. Car oui, si vous ne les avez pas vu sur les terrains, l’Azerbaïdjan et sa compagnie nationale du pétrole et du gaz, SOCAR, étaient omniprésents autour des terrains de cet Euro 2016. Associer football et Azerbaïdjan, c’est pour les plus anciens se souvenir d’un 10-0 à l’Abbé Deschamps en septembre 1995 (dédicace à toi papy qui n’était déjà pas tout jeune à l’époque). Ce soir-là, Franck Leboeuf avait notamment claqué un doublé. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et c’est l’occasion de faire un point sur le foot azerbaïdjanais plus de 20 ans après cette soirée…

SOCAR et le football

Fondé en 1992 par lhan Aliyev, devenu président du pays par la suite, SOCAR est la compagnie nationale du pétrole et du gaz. Basée sur un modèle vertical comprenant l’exploration, la production, le traitement et le transport du gaz et du pétrole, la compagnie azerbaïdjanaise est aujourd’hui dans les petits papiers de la Commission européenne depuis la mise en service du BTC (oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan) à destination de l’Europe. Et quoi de mieux qu’un Euro afin de bien se faire voir aux yeux de cette Europe ?

C’est ainsi que la société de Bakou a signé un contrat estimé à 80 millions d’euros pour quatre ans par Sports Sponsorship Industry afin de voir SOCAR faire son entrée dans la compétition européenne. Une décision également aidée par les bonnes relations entretenues avec Rovnag Abdoulaïev. Pas forcément l’homme le plus connu dans nos contrées, il est pourtant directeur de SOCAR mais également président de la fédération nationale de football ainsi que … député de la majorité. Une triple casquette pouvant choquer, mais pas si rare dans certains de nos pays.

En plus de s’afficher sur les différents panneaux publicitaires présents dans les matchs de l’Euro 2016, SOCAR a également signé pour apparaître comme partenaire du baromètre des meilleurs joueurs de la compétition. « Energy of Azerbaidjan » devient alors visible de tous.

© socar.ro
© socar.ro

Pour sa soirée de lancement de l’Euro 2016, la société azerbaïdjanaise avait réuni un gratin politico-sportif composé notamment des ex-champions du Monde Christian Karembeu et Marcel Desailly ou encore de Rachida Dati, actuelle députée européenneLes relations entre l’Azerbaïdjan et l’Europe sont donc économiques et politiques. L’Azerbaïdjan a également gagné le droit d’organiser un huitième de finale lors de l’édition 2020 de l’Euro qui se déroulera dans plusieurs pays. Entre-temps le pays va accueillir l’Euro U17. C’est donc une véritable politique de diplomatie sportive qui est mise en place par le régime de Bakou.

Ce Soft Power se trouve également en Géorgie où la compagnie nationale azerbaïdjanaise a signé un partenariat pour soutenir les infrastructures du pays, en donnant de l’argent pour reconstruire les stades et en étant le partenaire principal de la fédération depuis 2008. Partenariat renouvelé pour la seconde fois cette année.

L’Azerbaïdjan et le football

Quand on associe Azerbaïdjan et football, la première idée qui nous vient en tête pour nous, Français, c’est Lens et le feuilleton aux 1001 rebondissements avec Hafiz Mammadoz. Depuis 2013, l’ homme d’affaires a investi 17 millions d’euros dans le RC Lens et a fait afficher « Land of Fire » sur le maillot du club nordiste. Ce contrat visant à encourager le tourisme en Azerbaïdjan a également été signé avec des clubs plus prestigieux comme l’Atletico Madrid, le FC Porto et Sheffield Wednesday.

A chaque fois, le club avait désespérément besoin d’argent et ne pouvait pas refuser l’offre azerbaïdjanaise qui n’hésitait pas à offrir plus que la valeur du marché. En 2012, 12 millions d’euros ont été offerts au second club de Madrid, alors que des entreprises spécialisées ont évalué le partenariat à 8 millions. Une belle surprime…

Ainsi, au cours des dernières années le pays du Caucase a nettement amélioré sa visibilité en menant diverses opérations d’envergure dans le secteur du football. Azad Rahimov, ministre azerbaïdjanais de la Jeunesse et des Sports, expliquait cette stratégie en interview : « Il y a peu de moyens aussi efficaces qu’un affichage sur le maillot d’une équipe de football. »

© JAVIER SORIANO/AFP/Getty Images
© JAVIER SORIANO/AFP/Getty Images

Toujours dans l’idée de se faire un nom sur la scène internationale, le pays a attiré Manchester United afin de monter une école footballistique locale dans l’idée de développer les talents sur place. A côté du football à 11, on retrouve l’Azerbaïdjan au sommet du futsal avec une 10ème place mondiale.

Conséquences pour le football azerbaïdjanais

On voit l’émergence de deux clubs qui dominent la scène nationale. L’un, Qarabag, est taillé pour la Ligue des Champions, l’autre, Qäbälä, a plus un profil Europa League.


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Qäbälä s’est appuyé sur le Goy Gol FC, créé en 1995 et qui évolue dans la ville de Ganja. Le club a été transféré à Qäbälä en 2006, année où il a gagné sa promotion en première division azerbaïdjanaise. Cinq ans plus tard, et après un gros travail autour du club, ce dernier finissait troisième et décrochait le droit de découvrir l’Europa League. Afin de préparer au mieux cette campagne européenne, l’agence de relations presse Bell Pottinger a été chargée d’organiser un tour de matchs amicaux dans le Nord de l’Angleterre. Arrivé comme entraîneur du club en mai 2010 puis, quelque temps plus tard, comme directeur sportif, Tony Adams, l’ancien joueur d’Arsenal, aime rappeler les conditions qu’il a connu au pays de SOCAR.

« Quand je suis arrivé, il n’y avait pas de terrain, quand nous en avons enfin eu un, c’était un synthétique et neuf équipes s’entraînaient dessus. Il a fallu faire un gros travail avec l’équipe, certains n’avaient jamais vu une balle avant. Je suis arrivé comme entraîneur en avril ou mai 2010 et très rapidement, je me suis rendu compte que je n’étais pas prêt pour être entraîneur et manager. Le niveau était très bas, et il y avait une quantité astronomique de travail à faire en dehors du terrain », déclarait-il en interview.

En plus de l’Anglais, le club s’est également appuyé sur Yuri Semin, l’ex-entraîneur du Lokomotiv Moscou pendant près de 15 ans. Qäbälä a terminé ces trois dernières années à la troisième marche du podium azerbaïdjanais tandis que sur la scène européenne, le club avait fait parler de lui l’année dernière à l’occasion du match face à Dortmund. Le joueur arménien Mkhitaryan n’avait pu se rendre en Azerbaïdjan la faute au conflit entre les deux pays à propos du Haut-Karabagh. Quand la politique s’initie dans le sport.


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Qarabag est un club originaire de la ville d’Agdam mais joue depuis 1993 à Bakou. Mais ça, vous le savez déjà, car vous avez lu « Qarabag le club qui ne joue jamais à domicile ». La direction du club a de son côté donné les clés du camion en 2008 à l’entraîneur Gurban Gurbanov qui a mélangé avec brio le tiki-taka au totaalvoetbal néerlandais, où les joueurs changeaient librement de position sur le terrain. Au contraire de Qäbälä, le club a connu une épopée européenne lui permettant d’obtenir un coup de projecteur grâce à une victoire face à Anderlecht, sa première dans un tour final en Europe, précédée un an plus tôt d’une victoire face au Dnipro en Ukraine. Des victoires loin d’être illogiques pour le club qui domine outrageusement le championnat local.

De con côté, la fédération de football azerbaïdjanaise n’est pas en reste avec l’initiative «Football is Life ». L’idée est de former des professeurs avec des professionnels allemands qui vont ensuite encadrer de jeunes Azerbaïdjanais. La fédération prend en charge le salaire des professeurs des écoles et fournit les équipements aux jeunes. L’idée est de favoriser le jeu, repérer des talents, mais également d’encourager la pratique d’activités sportives et donc in-fine un mode de vie plus sain.

Forcément, ces diverses initiatives se ressentent sur le niveau global du football azerbaïdjanais avec une évolution de 12 places au cours des quatre dernières années. Le championnat pointe dorénavant à la 26ème position, derrière la Serbie et la Bulgarie. Deux pays où le football n’est pas vraiment dans la même dynamique.

Le revers de la médaille

Cependant, les fonds et leur origine sont souvent critiqués. Il faut dire que la transparence n’est pas vraiment le point fort du pays. Pour preuve, le président Ilham Aliev a été élu « personnalité la plus corrompue de l’année 2012 » par l’association indépendante Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). En marge de la conférence de presse de Michel Platini présentant l’Euro 2020, une question à propos de l’Azerbaïdjan lui a été posée, sa réponse a été de dissocier le sport, la politique et les droits de l’homme : « Nous sommes dans le foot et dans le sport. Le foot, c’est le foot ; la politique, c’est la politique, je pense que si on commence à mélanger, on n’aura pas beaucoup de foot dans le monde. »

Pas forcément l’avis de tout le monde. Ainsi, au moment où l’Atletico Madrid atteignait la finale de la Ligue des Champions, Reporters sans frontières a lancé une campagne de sensibilisation « Land of repression » à propos de l’Azerbaïdjan et des dérives du pays.

Land of repression
© Rsf.org

Présent sur les maillots au travers de « Land of Fire », un message de l’office du tourisme azerbaïdjanais, on aurait pu supposer l’envie du de développer ce secteur. Cependant, la réalité est bien différente et le pays ne met pas tout en oeuvre pour attirer les visiteurs sur ses terres.

Ainsi, si vous souhaitez vous rendre en Azerbaïdjan et que vous êtes citoyens européens, vous devrez demander un visa avec une lettre d’invitation auprès de l’ambassade. Tant de paperasseries qui n’aident pas vraiment.  De plus, le ministère des Affaires étrangères déconseille formellement tout déplacement dans les zones frontalières avec l’Arménie (à l’ouest), le Nakhitchev (région du Caucase, au sud-ouest) et le Daghestan (Russie, au nord). Tandis que le conflit portant sur le Haut-Karabagh se ravive régulièrement, dernier exemple en début de ce mois de juillet.

La stratégie de Soft Power d’utiliser le football comme une arme publicitaire et politique n’est pas propre à l’Azerbaïdjan. L’autre exemple bien connu est celui de Gazprom. Le géant russe sponsorise de nombreux clubs dans des pays avec des intérêts stratégiques comme Schalke 04 en Allemagne, Chelsea en Angleterre, Crvena Zvezda en Serbie ou encore le Zenit en Russie. Le Kazakhstan cherche de son côté à exister sur la scène européenne avec le FC Astana, sponsorisé par les fonds présidentiels, et le Kairat Almaty. Ainsi, comme nous le voyons, c’est une émulation régionale de pays producteurs et exportateurs de matières premières dont l’Europe a le plus grand besoin.

Lazar van Parijs


Image à la une : © PASCAL GUYOT/AFP/Getty Images

3 Comments

  1. Aharon Boyadjian 27 juillet 2016 at 19 h 44 min

    Bravo pour le site très élaboré.
    Pour l’article sur l’azerabaïdjan, je dirais que l’UEFA se prostitue devant les riches azéris qui n’hésitent pas à tout acheter pourvu qu’on parle d’eux. Quelle mentalité enfantine (ou maléfique ?).
    Vous verrez aussi des athlètes d’origine diverses rapidement naturalisés azerbaïdjanais, mais aussi turcs, participer aux JO de Rio, comme aux derniers Championnats d’Europe d’athlétisme.
    Les différentes fédérations sportives internationales se dopent elles-mêmes à l’argent et crient au scandale quand un sportif se dope.

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  2. Krikor Amirzayan 28 juillet 2016 at 16 h 45 min

    L’Azerbaïdjan l’une des dernières dictatures de la planète et pays raciste, a investi grâce à ses ressources financières tirées du pétrole, le monde du football européen. Cet Emirat pétrolier mené par une main de fer par le dictateur Ilham Aliev, cette dynastie transmise de père en fils veut s’acheter un visage européen et de démocratie. L’UEFA est tombé dans le piège de cet argent sale tiré des caisses de l’Etat azéri au détriment d’une population pauvre. Car 90% des ressources du pays sont spoliées par le clan du président-dictateur Aliev. L’Azerbaïdjan qui par des moyens frauduleux avait acheté l’Eurovision 2011 en achetant votes et juges pour se donner un visage de démocratie européenne, a également acheté l’UEFA qui est tombé dans le piège. Honte à l’UEFA. L’Azerbaïdjan qui figure en bas de la listes des pays classés en matière de respect des Droits de l’homme, sent le souffre. Un pays à éviter, et pourtant l’UEFA l’a sacralisé et rendu un honneur. L’organisation du football européen qui a fait la Une de l’actualité pour ses agissements malsains, n’est plus à un détail près. L’Azerbaïdjan est une sorte d’Allemagne nazie du Sud-Caucase. Elle vient en avril dernier d’agresser les Arméniens du Haut-Karabagh. L’Azerbaïdjan désire remettre la main sur le territoire arménien du Haut-Karabagh, une terre arménienne depuis la nuit des temps, peuplée à 99% par des Arméniens. Staline avait injustement offert ce territoire du Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan en 1923. Au prix d’une guerre de libération de 1988 à 1994, les Arméniens ont gagné leur liberté et leur indépendance du joug de l’Azerbaïdjan. Mais ce pays, l’Azerbaïdjan qui a voué la haine raciste anti-arménienne, en politique nationale n’a pas sa place dans le concert des nations européennes fondées sur la démocratie. L’Azerbaïdjan n’est pas une démocratie. Elle achète une image de démocratie en versant des fonds importants aux organisations européennes. L’UEFA s’est salie les mains en recevant ce pactole azéri prémédité pour faire oublier la dictature du clan Aliev. Les Arméniens le savent. Mais l’Europe ferme encore les yeux sur ce pays islamique et qui abrite des milliers d’islamistes de Daesh. Et qui défie l’Arménie, première nation chrétienne de la planète et à visage européen, comme l’a une nouvelle fois affirmé le Pape François lors de sa visite officielle de trois jours en Arménie fin juin.

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    1. Aharon Boyadjian 25 août 2016 at 22 h 26 min

      Parfaitement d’accord, Cher Monsieur, mais vous oubliez de mentionner le Nakhitchevan offert également à l’azerbaïdjan par le géorgien Staline qui vouait une haine terrible aux Arméniens. Bizarre, car la Géorgie est un pays chrétien et l’azerbaïdjan musulman !!!
      Mais parlons plutôt de sport et de football. Le problème est que l’argent fait que le sport, et surtout le football, est politisé et les riches en profitent pour se faire de la promotion.
      Où es-tu Baron de Coubertin ? regarde ce qu’est devenu le sport que tu vantais pur et désintéressé. Où est le fair play ?

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