La Wunderteam est de retour. L’équipe nationale d’Autriche s’est qualifiée pour la première fois de son histoire à un Euro – après l’avoir co-organisé avec la Suisse il y a huit ans – à la suite d’une campagne survolée dans un groupe homogène, comprenant notamment la Russie et la Suède. Mais les Autrichiens ont dû cravacher pour retrouver des couleurs. Tentative d’explication en quatre points.
Le travail autour des jeunes à l’ÖFB
Il n’y a pas de secret. Pour être performant chez les séniors, la formation des jeunes est capitale dans le projet à long terme d’un directeur technique national ou d’un directeur sportif. En Autriche, à l’Österreichischer Fußball-Bund, c’est un directeur sportif. Et ce directeur sportif, c’est Willibald Ruttensteiner. Quand il a été nommé à ce poste en 1999, les anciens l’appelaient « Powerpoint-Willi », parce qu’il arrivait sur les terrains en costume, avec un ordinateur portable sous le bras. Aujourd’hui, « Powerpoint-Willi » est devenu « Willi Wichtig » (« L’important Willi »). Matthias Sammer, son homologue du FC Bayern, et qui officiait à ce poste à la fédération allemande avant qu’il ne rejoigne le club d’Alaba, a affirmé que « le football autrichien devrait ériger une statue à Willi Ruttensteiner ». Il est vrai que l’équipe nationale récolte les fruits de son travail actuellement. À son arrivée, il était l’un des seuls à voir plus loin que le bout de son nez dans l’organigramme de l’ÖFB. Avec quelques personnes, il a repensé le système de formation en Autriche, et a notamment encouragé les clubs à construire des centres de formation décents pour aider les jeunes joueurs à devenir grands : « Si les enfants n’ont pas le temps de jouer au football pendant plusieurs heures chaque jour, alors les entraînements ont intérêt à être sacrément bons ! »
Il a également lancé le « Projekt 12 ». Lancé en 2009 par l’ÖFB en collaboration avec le ministère des Sports autrichien, ainsi que la Bundesliga autrichienne qui ont ensemble investi pour 1.4 million d’euros, ce projet se concentre sur le développement individuel d’une sélection de 25 joueurs et 10 joueurs âgés de 15 à 21 ans, que ce soit sur le plan sportif, psychologique, médical ou scientifique. Actuellement, on retrouve des noms comme Konrad Laimer et Valentino Lazaro, qui vient de sortir des 23 Autrichiens pour l’Euro, mais aussi des plus jeunes comme les deux perles du Sturm Graz Sandi Lovric et Romano Schmid. Des joueurs comme David Alaba ou Aleksandar Dragovic sont les résultats de ce projet qui a pour slogan « de talent à joueur international ». Neuf joueurs de l’équipe nationale actuelle sont passés par ce système qui vient d’être prolongé jusqu’en 2018, avec des ambitions encore plus élevées. Les équipes nationales des jeunes se portent excellemment bien en Autriche, les sélections participent régulièrement aux tournois européens et les jeunes d’hier – Prödl, Junuzovic, Okotie, Harnik étaient de l’équipe demi-finaliste de la Coupe du Monde U20 en 2007 – sont les internationaux d’aujourd’hui. Et tout cela, c’est en grande partie grâce à « Wichtig Willi » qui commence même à pouvoir l’ « Österreicher Weg », la façon autrichienne, à l’étranger et notamment en Slovaquie.
L’Österreicher-Topf, ou le Pot Autrichien
Après la mise en place de l’arrêt Bosman, les clubs autrichiens ont commencé à acheter beaucoup de joueurs étrangers, d’où la rareté de voir des jeunes autrichiens sur les terrains du championnat au début du millénaire. Alors, à un moment donné et avec l’Euro 2008 à domicile qui arrivait, les dirigeants autrichiens se sont dit que cela devait stopper. La Bundesliga autrichienne et la fédération se sont mises d’accord pour mettre en place un nouveau fonds de financement commun, appelé l’Österreicher-Topf, soit le Pot Autrichien en français, à partir de la saison 2004/2005. Le principe est simple : plus les Autrichiens jouent, plus le club reçoit de l’argent. L’Österreicher-Topf prend en compte le nombre de minutes jouées par les joueurs éligibles en sélection autrichienne tous les week-ends et, à la fin de la saison, redonne l’argent de façon proportionnelle. La majorité de l’argent provient des droits TV, mais la fédération ajoute quelques milliers d’euros. Au total, neuf clubs se partagent 700.000 € en fin de saison, puisque le Red Bull Salzburg, beaucoup plus tourné vers l’étranger, ne participe pas. Pour en faire partie, il faut avoir un maximum de six joueurs étrangers inscrit dans son effectif. Au final, d’un point de vue économique, beaucoup de clubs autrichiens ne peuvent se permettre de passer à côté d’une telle somme alors qu’un club comme Grödig vient de faire faillite.
« Tout est axé sur le développement des joueurs. En Autriche, un jeune talent peut vraiment progresser. »
Ainsi, de nombreux jeunes joueurs autrichiens ont pu recevoir leur chance alors qu’ils n’auraient peut-être pas pu l’avoir sans cette mesure. Un club formateur comme l’Admira Wacker Mödling, qui a sorti des joueurs comme Marc Janko, Marcel Sabitzer, Sinan Bytyqi et Andreas Herzog (entre autres…), a joué avec un effectif 100% autrichien cette saison, et sera européen l’an prochain après sa belle quatrième place et sa finale de coupe. Depuis l’introduction de ce système, c’est la première fois qu’un club n’a joué qu’avec des joueurs autrichiens. Sur la première partie de saison, 74% des minutes en Bundesliga étaient jouées par des Autrichiens, contre 56% en 2004/2005, au début de la formule, et 65% en 2007/2008. Bref, que ce soit à la fédération ou à la ligue, tout est fait pour que le jeune joueur progresse et ait la possibilité de s’affirmer. « Tout est axé sur le développement des joueurs. En Autriche, un jeune talent peut vraiment progresser » explique Ruttensteiner.
Des joueurs talentueux dans des grands championnats
Il était également très important que ces jeunes joueurs talentueux réussissent à quitter le pays pour jouer dans des championnats plus compétitifs que la Bundesliga autrichienne. La Bundesliga allemande a notamment été un marché très important – pour des raisons assez évidentes – pour les joueurs autrichiens qui ont pu gagner de l’expérience dans un championnat bien meilleur que le domestique. Sur les 23 joueurs sélectionnés par Marcel Koller, 15 jouent en Allemagne, en Bundesliga ou 2. Bundesliga (Okotie à 1860, Ilsanker et Sabitzer à Leipzig qui est promu) et seulement trois, Aleksandar Dragovic (Dynamo Kiev), Marc Janko (FC Basel) et Jakob Jantscher (FC Lucerne) n’ont jamais mis les pieds chez le voisin allemand.
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Quelques joueurs sont partis très jeunes d’Autriche sans faire leurs preuves au pays, comme David Alaba au Bayern et Marko Arnautovic à Twente. D’autres comme Junuzovic, Baumgartlinger, Dragovic ou Janko ont bénéficié des nouvelles mesures du championnat autrichien citées au-dessus pour s’affirmer et devenir des joueurs importants dans leurs équipes au début de leur carrière, l’Austria Wien pour les trois premiers, le RB Salzburg pour le dernier. Ils ont ainsi pu attirer les clubs étrangers, et ont ensuite signé là-bas. Et, aujourd’hui, les joueurs jouent régulièrement et dans des clubs qui font d’excellentes performances. Christian Fuchs est notamment champion d’Angleterre après une grande saison sur le plan personnel, Julian Baumgartlinger sort de la meilleure saison de sa carrière à Mayence qui s’est qualifié pour l’Europe, Marko Arnautovic semble s’être finalement calmé à Stoke City, Marc Janko a empilé les buts avec Bâle, Aleksandar Dragovic est champion d’Ukraine et a joué les huitièmes en Ligue des Champions et il n’y a pas besoin de présenter David Alaba. Ces joueurs ont surfé sur la vague pour apporter cette bonne forme et cette expérience à l’équipe nationale.
Marcel Koller
Grâce à toutes ces mesures citées au-dessus, l’équipe nationale a réussi à progresser d’année en année. Sans un meneur, cela ne servait néanmoins pas à grand-chose. Or, depuis 1999 et le départ de Herbert Prohaska, dernier entraîneur à avoir réussi à qualifier le pays pour une compétition internationale en 1998 (en France…), l’Autriche a eu beaucoup de mal à trouver un Teamchef digne de ce nom. Ce n’était certainement pas le cas de Dietmar Constantini, plus communément appelé « Didi » Constantini. Déjà deux fois entraîneur intérimaire de la sélection auparavant, Constantini a finalement reçu sa chance. Arrogant et irrespectueux, Constantini a beaucoup plus marqué son passage par ses citations étranges – « Taktik ist überbewertet », « la tactique, c’est surcoté » ou « Ich habe als Trainer mehr erreicht als andere je erreichen werden », « en tant qu’entraîneur, j’ai fait bien plus que ce que d’autres n’atteindront jamais » – que par ses résultats. Avec 13 défaites en 23 matchs, l’Autriche a touché le fond.
« Marcel Koller a sauvé ma carrière » – Marc Janko
Décrié à son arrivée en 2011, notamment par Prohaska et Hans Krankl, parce que les médias s’attendaient à un grand nom, Autrichien de préférence, pour redresser l’ancien géant d’Europe, Marcel Koller a eu l’approbation de Willi Ruttensteiner, l’homme fort de la fédération depuis 1999, qui a enfin eu son mot à dire sur le sélectionneur. Son CV n’est pourtant pas mauvais, avec deux titres de champion de Suisse avec Saint-Gall et les Grasshoppers, mais sa dernière expérience à Bochum, avec une montée et une descente, datait de deux ans. Cependant, Koller a rapidement fait taire les critiques. Si l’Autriche a manqué la Coupe du Monde 2014, les résultats et les prestations de la Wunderteam étaient en très nets progrès. Marcel Koller a réussi à redonner une philosophie et une stratégie à l’Autriche. Les joueurs l’adorent et il le leur rend bien en les utilisant avec leurs qualités. L’Autriche actuelle est bien plus que la somme de ses parties. Arnautovic explose, Alaba est magistral au milieu de terrain et Marc Janko empile les pions. L’Autriche a enfin trouvé un homme à la hauteur de son effectif. L’Autriche est passée de la 71e à la 11e place au classement FIFA. Et l’Autriche s’est qualifiée pour une compétition internationale.
Quentin Gueguen
Image à la une : © SAMUEL KUBANI/AFP/Getty Images