Temps de lecture 9 minutesAndreï Tikhonov, un symbole entre Moscou et Samara

Aujourd’hui un quart de finale de Coupe de Russie se joue entre le Krylia Sovetov Samara et le Spartak Moscou. Rassurez-vous, nous n’allons pas nous attarder sur le match en lui-même qui, hormis les supporters des deux équipes, n’intéresse pas grand monde même si les deux équipes pratiquent un jeu tourné vers l’attaque. Footballski en profite surtout pour faire le portrait d’un homme cher aux deux clubs, Andreï Tikhonov.

Des débuts dans l’anonymat

Andreï Tikhonov est né le 16 octobre 1970 à Kaliningrad, actuellement Korolev, dans la région de Moscou. À quelques pâtés de maisons de Tarasovka, centre d’entrainement historique du Spartak Moscou, le jeune Andreï se passionne pourtant pour le Dinamo Tbilissi des David Kipiani, Aleksandr Chivadze, Vitali Daraselia et Ramaz Shengelia. Il faut dire que dans les années 70, le club géorgien est l’un des clubs majeurs du Championnat soviétique avec le Dynamo Kiev et éblouit l’Europe en Coupe des Vainqueurs de Coupe. Quoi qu’il en soit, Tikhonov intègre le club de sa ville natale doté du doux nom de Vympel (du nom d’une société spécialisée dans la fabrication de missiles sol-air installée à Korolev), et vit pour l’instant des jours tranquilles, sans se douter qu’il marquerait l’histoire du club rouge et blanc.

Andreï Tikhonov au service militaire | © sports.ru

À l’âge de seize ans, il intègre le Trudovoye Rezervey, société sportive destinée aux élèves désirant acquérir une formation professionnelle technique. Le jeune Tikhonov n’est pourtant pas du tout dans l’idée d’embrasser une carrière sportive. À tel point que lorsqu’il doit partir faire son service militaire à l’âge de 18 ans, il n’est aucunement envoyé dans une section sportive de l’armée, mais dans les troupes intérieures sibériennes dans le Kraï de Krasnoïarsk ! Durant ses deux ans de service, Andreï Tikhonov ne touche pas le moindre ballon, mais ils font de lui un autre homme :

« Je n’ai pas de bonnes impressions de l’Armée en particulier. Mais c’est elle qui a fait le Tikhonov que tout le monde connait. Si je n’avais pas fait mon service militaire, je serais encore aujourd’hui en train de jouer pour le Vympel. L’Armée a changé mon regard sur la vie, m’a rendu cent fois plus sérieux et responsable. »

De retour à Moscou, il retrouve le plaisir du football au Vympel puis l’année suivante, intègre leTitan Reutov qui, en 1991, manque de peu le titre du championnat régional. Avec ses résultats plus que convaincants et dans une période mouvementée, le club prend place en division 3. Dans un rôle d’attaquant, Andreï Tikhonov marque dix buts durant la saison 1992, avant de voir sa vie transformée lors d’un match contre le Spartak.

Le Spartak comme début de carrière

En cette année 1992, Titan doit affronter une équipe de jeunes footballeurs du Spartak Moscou. Un match auquel est présent non seulement Andreï Tikhonov, mais aussi un certain Oleg Romantsev dans les tribunes.

Cela fait quatre ans qu’Oleg Romantsev a pris les rênes du Spartak Moscou et les bons résultats ne se sont pas fait attendre avec un Championnat soviétique en 1989 et une deuxième place lors de la saison 1991. Romantsev connait le Spartak sur le bout des doigts, ayant d’abord joué 180 matchs de 1971 à 1976  avec le maillot rouge et blanc en tant que défenseur. Oleg Romantsev compte, comme son illustre prédécesseur Konstantin Beskov, sur une Académie du Spartak riche en talents, mais aussi sur une veille accrue des pépites dans la région de Moscou et à travers le pays. Il n’est pas donc étonnant de le voir assister à un match de troisième division pour faire un peu de scouting (il assistait d’ailleurs à l’ensemble des matchs des catégories de jeunes…)

© spartakfanat.ru

Ce match, Andreï Tikhonov et les siens le perdent 0-1 et ce dernier ne marque aucun but durant sa présence sur le terrain. Mais qu’importe, Oleg Romantsev a décelé en lui une pierre précieuse qu’il va falloir polir. L’adjoint de Romantsev, Aleksandr Takhanov l’observe encore quelques matchs avant de proposer à Andreï une période de test au Spartak. Une période qui s’avère concluante pour Tikhonov qui, à 22 ans, rejoint l’élite du football russe.

Les premières saisons, il les passe d’abord avec la doublure du Spartak, enquillant les buts dans son rôle d’attaquant de pointe, puis intègre rapidement l’équipe première. Lors de la saison 1994, il joue 20 matchs de championnat (neuf buts) et six matchs de Ligue des Champions (deux buts). Il se permet même de marquer huit buts lors d’un même match avec l’équipe réserve… Tout le monde est scotché par le niveau de jeu de ce joueur rapide, complet techniquement, et disposant d’une vision de jeu exceptionnelle. On le voit toucher vite les étoiles, comme Viktor Zernov :

Un garçon incroyable au destin unique. Passer deux ans à l’Armée sans aucune relation avec le football et se retrouver au Spartak, ce gars doit avoir une ténacité incroyable ? Et c’est un garçon tendre, gentil et extrêmement modeste. Un garçon de la race des Fedor Cherenkov. Pas étonnant qu’ils se soient liés d’amitié.  Et je suis absolument certain qu’Andreï ne se laissera pas dépasser par la célébrité.

Sa proximité avec de grandes personnalités du Spartak telles que Fedor Cherenkov ou Oleg Romantsev comme entraîneur ont certainement dû lui permettre d’atteindre aussi rapidement les sommets.

J’ai vite reconnu en lui un joueur talentueux » racconte Cherenkov. La précision devant le but, la capacité de comprendre une situation de jeu en un clin d’œil. Et puis je l’ai connu par la suite en tant qu’homme. Durant la trêve hivernale en Allemagne, nous partagions la même chambre d’hôtel. C’est un garçon gentil et ouvert. Il disait souvent : si je fais quelque chose mal, Fedorich, explique-moi ça comme un enfant.

Réservé tout en étant perfectionniste, Tikhonov mit tous ses talents au service de ses partenaires. D’abord comme attaquant puis, grâce à Romantsev, sur le côté gauche à partir de la saison 1995. Ce poste d’ailier offensif lui permettait d’allier à la fois sa vitesse, ses débordements ravageurs, ses fameuses frappes lointaines du gauche comme du droit et ses talents de finisseur devant le but. Un attaquant complet qui n’existe plus de nos jours en Russie…

Au côté de Egor Titov, Dmitri Alenichev, Aleksandr Shirko, Luis Robson et bien d’autres, le Spartak d’Andreï Tikhonov remporte huit fois le Championnat russe de 1992 à 2000, deux fois la Coupe de Russie (1994 et 1998) et participa durant toutes ses années aux phases européennes qui restent encore aujourd’hui les plus belles pages du Spartak en Europe.

L’héroïsme footballistique

Andreï Tikhonov, c’est ce mélange de qualité footballistique et d’héroïsme dans les moments clés, faisant de lui un joueur à part dans la conscience des supporters du Spartak. La saison 1996 sous les ordres de Georgy Yartsev est sans nul doute la plus belle de sa carrière. Seize buts en 34 matchs de championnat et au final un but libérateur lors du match en or face à Alania Vladikavkaz pour le titre ! Un débordement côté gauche qui se termine par un tir de l’extérieur de la surface et trompe le gardien. Un but venu d’ailleurs comme il en a le secret…

Des buts en or qui offrent des titres, Andreï Tikhonov en avait déjà marqué un en 1993 face à Okean (1-1) pour offrir le titre de champion de Russie aux rouge et blanc, puis un autre en 1998 pour l’unique but de la finale de la Coupe de Russie face au Lokomotiv Moscou (1-0).

Mais Tikhonov, c’est aussi le sacrifice pour remporter un match. Le 11 septembre 1996, le Spartak affronte Silkeborg en 32e de finale de Coupe d’Europe. Le gardien Ruslan Nigmatulin se fait expulser à la 88e pour avoir touché le ballon des mains sur une sortie incompréhensible en dehors de la surface. Les changements ayant tous été faits, Tikhonov enfourche les gants et se poste dans les cages. Le coup franc est d’abord contré par le mur, mais la frappe lourde du joueur danois oblige Tikhonov à se détendre pour réaliser un arrêt de grande classe qualifiant ainsi son équipe au tour suivant.

Tous ces faits font évidemment de Tikhonov l’un de joueurs préférés des supporters du Spartak. Mais sa simplicité et son attachement au club durant tant de temps lui ont permis de s’affirmer comme l’une des personnalités les plus aimées de l’histoire du club au losange. « Ce garçon est bien sûr talentueux, mais je vous en prie, disait Romantsev aux journalistes alors que Tikhonov venait d’arriver au Spartak, ne lui faites pas d’éloges excessifs. ». Cette célébrité aurait pu lui faire tourner la tête, mais Tikhonov est l’exemple de joueur équilibré hors du terrain qui ne se fait pas emporter par la gloire.

Laisser sa trace partout !

La saison 1999 continue de sourire à Tikhonov avec à son actif dix-neuf buts et seize passes décisives en 39 matchs toutes compétitions confondues. Il affirme vouloir rester au club. Tout semble parfait. Mais au début de la saison 2000, la machine s’enraye. À la suite d’un pénalty manqué contre le Lokomotiv en fin de match, le Tikhonov tranquille que l’on connaissait s’emporte et rate le reste de sa saison (un seul but en 25 matchs de championnat, son pire bilan au Spartak). La relation avec Oleg Romantsev s’effrite au cours de la saison pour définitivement devenir compliquée après la défaite du Spartak contre le Real Madrid. Tikhonov exprime le mécontentement de l’équipe devant Romantsev de manière agressive au terme du match. Ce dernier prend la décision d’écarter le favori des supporters qui rassemble ses affaires le jour suivant et quitte le club.

Départ difficile pour un des symboles de la domination spartakiste des années 90 ! Mais l’autorité de Romantsev sur l’équipe et le club était à cette époque totale et, selon lui, même le favori des supporters ne pouvait se permettre de réagir de la sorte…

Pour Andreï Tikhonov, son départ du Spartak ne veut pas dire la fin de sa carrière, loin de là. Son attachement au Spartak aurait pu faire croire à une carrière dans un seul club, mais Romantsev en décida autrement. Il termine la saison 2000 au Maccabi Tel-Aviv où il joue huit matchs et marque un but. Une expérience à l’étranger qui fut de courte durée puisqu’il signe la saison suivante au Krylia Sovetov de Samara. Il y reste quatre ans durant lesquelles il y apporte toute son expérience, permettant au club d’atteindre une cinquième place en Championnat deux saisons de suite. Et comme au Spartak, il est devenu le capitaine emblématique du club, laissant comme à Moscou une trace indélébile à Samara.

Même constat à Khimki où il s’engage en 2005. Le club de la banlieue de Moscou est pourtant en deuxième division, mais Tikhonov se met alors un nouvel objectif, faire monter le club dans l’élite. Et c’est chose faite en 2006, saison durant laquelle il réalise une saison fantastique avec 22 buts en 42 matchs !

Le temps des révérences

Tikhonov au Lokomotiv Astana en 2009 | © rusteam.permian.ru

À la suite de l’expérience Khimki qui a duré trois ans, Tikhonov se prend à revenir dans ses anciens clubs, tel un rappel théâtral pour dire triomphalement au revoir. Il passe la saison 2008/09 au Krylia Sovetov puis en 2010, rejoint Khimki en grande difficulté en deuxième division avec qui il parvient à se maintenir en finissant 13e. Lors de la saison 2009, Tikhonov joue un an du côté du Lokomotiv Astana (Kazakhstan) entraîné alors par Sergeï Yuran, ex-spartakiste. Figurait aussi dans l’effectif un certain Egor Titov… La présence des anciens rouge et blanc a été décisive dans son choix. Tikhonov y joue 25 matchs et marque 12 buts pour au final terminer troisième du championnat. L’expérience kazakh est ternie par de grosses difficultés financières du club entrainant des retards de salaires.

Et comme la boucle devait être totale, Tikhonov finit par revenir au Spartak en 2011. Un retour non pas pour jouer, mais plutôt pour permettre à l’ensemble des fans ainsi qu’au club tout entier de le remercier dignement pour toutes ces années passées en rouge et blanc. Ce match d’adieu le 18 septembre 2011 contre le Krylia Sovetov était donc l’occasion de tirer sa révérence de la plus belle des manières. La foule s’est regroupée au stade Luzhniki pour le dernier match d’Andreï Tikhonov en tant que joueur professionnel ! Quoi de plus logique que de finir sous les couleurs rouges et blanches face au Krylia Sovetov lors d’un match de Championnat. Tout un symbole. 45 minutes de jeu, une passe décisive pour Aiden McGeady et une sortie sous les applaudissements du public pour baisser le rideau sur une carrière fantastique au parcours atypique.

Au revoir capitaine !

Tu es resté sur le terrain désert.

Au revoir, notre valeureux Tisha,

Reviens à la maison « Spartak ».

Au revoir, Andrey, au revoir

Notre grand capitaine, adieu !

Ne sois pas triste, souris en faisant tes adieux

Et espère les victoires du Spartak.

Nous espérons le succès de l’équipe,

Et de beaux buts à n’en plus finir…

Que l’écho de l’appel rouge et blanc

Reste dans nos cœurs.

 

Une nouvelle casquette pour « Tisha »

Mettre fin à sa carrière de joueur au Spartak était comme écrit. Sa carrière d’entraineur par contre restait encore à se dessiner. Lorsqu’il était encore joueur, Tikhonov n’exprimait aucune envie particulière pour devenir entraineur. Pourtant, son caractère de meneur d’hommes, son autorité naturelle et sa grande connaissance du jeu montraient des capacités évidentes pour le rôle de coach. Son retour au Spartak est d’ailleurs l’occasion pour lui de connaitre le métier, en intégrant le staff technique de Valery Karpine jusqu’à l’arrivée d’Unai Emery, puis à l’occasion d’une pige avec celui de Krasnodar.

En 2016, il prend les commandes de l’équipe de Yenisey après sa rencontre convaincante avec le Gouverneur du Kraï de Krasnoïarsk. Tikhonov permet à son équipe d’atteindre contre toutes attentes la troisième place de FNL et de pouvoir jouer un barrage contre Arsenal Tula. Malheureusement pour Krasnoïarsk, Arsenal se maintient en RPL malgré une belle victoire à domicile 2-1. Un but de Shevcenko enterre les espoirs de RPL pour les hommes de Tikhonov. Mais à travers cette saison, l’ancien buteur a vraiment marqué les esprits. Il a prouvé sa capacité à coacher, à avoir des résultats rapides et à pratiquer un jeu offensif séduisant. Le Krylia Sovetov a bien sûr sauté sur l’occasion en le nommant entraîneur principal après sa descente en FNL. Tout un symbole de le revoir avec les couleurs bleues, et pourquoi pas bientôt la casquette d’entraîneur du Spartak ?

Vincent Tanguy 


Image à la une : Movsumov / Sputnik via AFP Photos

1 Comment

  1. Anonyme 30 mai 2020 at 21 h 46 min

    Merci pour cet article. « Vincent Tanguy supporter du Spartak et vivant en Russie depuis de nombreuses années ». Je pensais être le seul Français a avoir vécu « de nombreuses années en Russie et supporter du Spartak ». Comme quoi je ne « surfe » pas assez sur le net ! Et qui plus est, grand fan de Tikhonov, Tsymbalar et toute la bande dès le milieu des années 90 (via comme je le pouvais avec la LDC) car je n’avais que 12 ans en 95. Merci pour le travail fourni, merci pour ce hasard de ce soir de cette découverte car je me sens tellement isolé en tant que Français ayant vécu en Russie et bien avant déjà passionné par le Spartak (mon tout premier voyage en tant que touriste en Russie avant de m’y installer était de m’acheter le maillot de Titov – Tikhonov et Tsymbalar mes deux idoles n’étant plus là). Gé-ni-al.

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