Temps de lecture 8 minutesAlbanie Euro 2016 : Gianni de Biasi et l’Albanie, mission Impossible n°35678

L’Albanie a beau avoir été le premier pays du monde à se déclarer athée[1], les supporters albanais ne sont pas loin de dresser un nouveau culte à leur sélectionneur, dont le premier exploit a été de qualifier la sélection des aigles pour l’Euro français. Son nom ? Gianni de Biasi. Un italien qui a préféré traverser l’Adriatique et a même choisi de prendre la nationalité de son pays d’adoption. Un homme à part donc.

« Je suis heureux et honoré, c’était un rêve. » Le 28 mars 2015, l’actuel sélectionneur de l’équipe d’Albanie réagit en ces termes quand le président albanais Bujar Nishani lui remet son nouveau passeport albanais pour services rendus à la patrie. Une fierté pour l’entraineur italien, et surtout pour l’Albanie donc. Car De Biasi a pris les rênes de la sélection albanaise en décembre 2011. Spécialiste des opérations maintien ou des campagnes d’accession avec des équipes totalement déconsidérées au premier abord, le technicien de 59 ans a réussi son plus beau pari sportif à la tête des Kuq e Zi : qualifier les aigles pour une première compétition internationale. Portrait d’un homme de défi, qui a dû partir de 0 avec toutes ses équipes.Albanie

La tête à Toto(nero)

Originaire de Vénétie, le jeune Giovanni fait ses débuts pros à Trévise en 1975, où il en profite également pour décrocher un diplôme de comptable. Une formation qui aurait pu lui être bien utile si, après une saison blanche du côté de l’Inter Milan, il n’avait poursuivi sa carrière. Il s’accroche cependant en rejoignant consécutivement la Reggiana et Pescara, mais c’est surtout à Brescia (171 matchs-13 buts) puis à Palerme (105 matchs-7 buts) que le petit milieu de terrain s’épanouit le mieux. Les mauvaises langues diront alors que le Vénitien s’est parfaitement adapté à son nouvel environnement sicilien en écopant une suspension d’un mois à la fin de la saison 1986-1987 en raison de l’implication du club dans l’affaire du calcioscommese ou « Totonero-Bis » de 1986. Gianni de Biasi a alors 30 ans et une bonne carrière de joueur dans les divisions professionnelles italiennes derrière lui. Il remonte dans le Nord de la Botte, à Vicenza pour une première saison, puis Trévise lieu de ses premiers frissons, et enfin Bassano Virtus, alors en Serie D, où il construira la base de ses futurs succès d’entraîneurs.

« Après avoir fini ma carrière de joueur à Bassano, le président Sorio m’a fait la proposition d’entrainer et de devenir le responsable du secteur jeune du club. Sur le moment cela m’a complètement surpris, parce que d’un coup on se rend compte que le temps passe et une proposition comme celle-ci te ramène à la dure réalité, d’un autre sens cela te montre aussi que la vie continue et qu’il ne faut pas la laisser s’échapper. » – Extrait d’Autobiografia , « La mia strada »

Dès la fin de sa carrière De Biasi troque alors crampons et maillots pour le survêtement d’entraîneur des jeunes de Bassano. Une expérience qu’il reproduit ensuite à Vicenza lors de la saison 1991-1992. Mais le technicien souhaite alors se frotter au monde professionnel et c’est chose faite en 1992-1993 avec la modeste équipe de Pro Vasto en Serie C2. A Carpi, ensuite, il ne découvre pas tout de suite la Serie B mais plutôt le système D. En trois ans là-bas, il se retrouve en effet avec une équipe totalement différente chaque saison. Une expérience qui lui a appris à « savoir reconstruire de zéro », ce qui sera le cas avec quasiment toutes les équipes qu’il coachera par la suite.

© GENT SHKULLAKU/AFP/Getty Images
© GENT SHKULLAKU/AFP/Getty Images

Cossenza, SPAL Ferrara, De Biasi poursuit son tour des clubs du Nord Est italien et s’offre même des séjours de « stage » allant observer l’Ajax de Jan Wouters puis le Barça de Van Gaal lors de l’été 1999, avant de poser ses valises à Modène.

La cavalcata de Modène

Alors englué en Serie C1 depuis quelques années le club accède en deux saisons à la Serie A, une division que le club d’Emilie-Romagne ne connaissait plus depuis 40 ans. Et pour sa première saison dans l’élite, le coach fait mieux que de la figuration, en accrochant une victoire 2-1 contre la Roma. L’entraîneur impose déjà à l’époque son style tout en rigueur et son sens de l’organisation qui feront son succès partout où il le passera. Un style loi d’être flamboyant mais diablement efficace. Comme il le raconte à la gazzetta di Modena il y a quelques mois :

« Quand j’ai réussi à porter Modène de la Serie C à la B, puis à la A tout le monde poussait dans le même sens. Seule une programmation attentive et une gestion entrepreneuriale du club, comme cela était le cas avec Montagnani puis avec Amadei, peut porter un club à réaliser de grandes choses. »

Après 3 saisons pleines, celui qui a gagné le qualificatif de Mister quitte Modène avec le sentiment d’avoir terminé son cycle à la tête du club d’Emilie Romagne. Malgré une proposition de contrat de 5 ans, celui qui reste encore une légende dans le cœur des tiffosi gialloblù s’en va pour un autre défi.

L’Homme providentiel (et provisoire)

L’entraîneur s’installe alors en Serie A en prenant les rênes de Brescia, où il aura l’honneur de coacher Roberto di Baggio, mais surtout le Torino, où son statut d’homme providentiel a été le plus net. En effet quand De Biasi arrive dans le Piémont le toro végète depuis plusieurs années en Serie B plombé particulièrement par une gestion calamiteuse et un feuilleton interminable autour de la vente du club. Finalement un nouveau président, Urbano Cairo reprend le club le…2 septembre 2005, soit à peine trois semaines avant le début du championnat. Celui-ci appelle immédiatement De Biasi qui dispose alors d’une semaine en tour et pour tout pour finaliser son équipe grâce à une dérogation à la période  de mercato. Malgré tout, le miracle de Modène semble se reproduire, et le club atteint la 3ème place, synonyme de play-offs d’accession, gagnés ensuite face à Mantoue. Voilà comment en un an De Biasi rend sa fierté au club grenat avec une accession à la Serie A l’année de son centenaire. De quoi construire sur du solide et être en état de grâce auprès de sa direction ? Pas exactement, car une élimination en Coupe d’Italie dès le mois d’août à Crotone donne un bon prétexte au président Cairo, qui ne cache plus sa mauvaise entente avec De Biasi, pour écarter ce dernier avant le début du championnat. L’ironie de l’histoire étant que son successeur Alberto Zaccheroni est en perdition totale avec son équipe et qu’à 14 journées de la fin on appelle en sauveur…le mister, qui parvient à maintenir de justesse le club en Serie A.

© GENT SHKULLAKU/AFP/Getty Images
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Après avoir donc : monté une équipe d’anonymes de deux divisions en deux ans et l’avoir maintenu dans l’élite, puis ramené un club mythique en Serie A, avant de se faire débarquer…pour en être les sauveurs 9 mois après, Gianni de Biasi débarque à Levante. Lui dont la carrière d’entraîneur ressemble de plus en plus à une partie de Fifa Guingamp-Real Madrid en mode expert démarrée à la mi-temps, débarque en Liga dans un club qui n’a réussi à accrocher qu’un petit point sur les 7 premières journées. Un handicap rédhibitoire, conjugué à un mercato hivernal totalement catastrophique où la direction, minée par les problèmes financiers, laisse partir quasiment tous ses joueurs valables. Pas question pour autant de retrouver une situation en tant soit peu confortable. Le 16 avril 2008 il résilie son contrat avec le club valencien, qui terminera avec 17 points de retard sur le premier non-relégable, et retourne sur le banc…du toro pour 5 matchs, et les sauver de la relégation à l’ultime journée de championnat bien entendu.

Une première expérience à l’étranger dont l’entraîneur se souvient pourtant encore avec enthousiasme. « Entrainer Levante a été pour moi une des belles expériences en tant qu’entraineur. Malgré une crise de gouvernance et le départ de nombreux joueurs au mercato hivernal et avec une équipe composée uniquement de jeunes du club j’ai approché le maintien. Encore aujourd’hui en Espagne on m’appelle « L’Homme miracle ». Grâce à la famille levantina j’ai eu l’occasion de me faire la main dans un championnat comme la Liga et l’opportunité d’entrainer Damiano Tommasi, un grand joueur et un grand homme. »

Le vélo de Gianni de Biasi, de Venetto à Shkodra

© Dino Panato/Getty Images
© Dino Panato/Getty Images

Baggio, Tommasi…et bientôt Di Natale, l’entraîneur aura coaché quelques un des joueurs italiens les plus élégants des années 2000. Une expérience avec ce dernier de courte durée cependant, puisqu’ appelé en décembre 2009 par l’Udinese, il en est viré dès le mois de février 2010… Vient alors le moment d’une période plus calme, où Gianni de Biasi se mue quelque temps en commentateur pour la télé italienne. Un an et demi au micro, et surtout sur un vélo qu’il enfourche dès qu’il veut retrouver du calme, après ce qu’il considère encore comme le plus grand échec de sa carrière. C’est justement sur son vélo qu’il reçoit son premier coup de fil en lien avec la sélection albanaise et il est loin d’être enthousiaste, comme il le raconte au « Messaggiero ».

« – Que faisiez-vous quand on vous a annoncé que la sélection albanaise pensait à vous ?
– Je pédalais
– C’est-à-dire ?
– J’étais à Vittorio Veneto sur mon vélo. Un ami m’a parlé de la proposition qui venait d’arriver.
– Et vous avez répondu ?
– Je dois y réfléchir. Et j’ai recommencé à pédaler.
– Votre premier sentiment ?
– J’étais sceptique. Je venais de subir une expérience brutale à l’Udinese, je voulais couper les ponts, presque tout arrêter. Et puis l’Albanie ? Je ne connaissais rien de ce pays. »

L’italien embarque donc pour les bords de la mer Ionienne, où il trouve une sélection en plein doute, aux infrastructures délabrées et dont les meilleurs joueurs, expatriés pour la plupart, déclinent le maillot kuq e zi. Pendant deux ans il observe, prend des notes, parcours le monde pour suivre ses joueurs, fait un tour d’Albanie en vélo, et tente longuement de convaincre les jeunes pousses albanaises de rejoindre son projet. Ses deux plus grosses prises étant Mergim Mavraj et Edgar Cani, qui avaient refusé de porter le maillot albanais en sélection de jeunes. Autre jeune arraché à la colonie albanaise suisse, Migjen Basha compose le milieu de terrain albanais depuis 2013, après avoir pourtant porté le maillot suisse dans toutes les catégories de jeunes, jusqu’aux espoirs.

© GENT SHKULLAKU/AFP/Getty Images
© GENT SHKULLAKU/AFP/Getty Images

Encore une fois Giovanni De Biasi a su recréer une osmose dans son équipe en partant de quasiment rien et en s’imposant cette fois-ci sur du long terme. Lui qui doit passer par le capitaine Lorik Cana pour traduire ses consignes dans le vestiaire ne semble jamais aussi fort que quand on ne l’attend pas. Et c’est ainsi, totalement inattendus que débarqueront les Albanais en France en ce mois de juin.

Modène, Torino, Albanie…il semble se dessiner au final des similitudes entre les équipes coachées par De Biasi : passionnées, en difficulté, prêtes à s’enflammer mais aussi à accepter sa méthode. En plus de la nationalité albanaise, il est d’ailleurs intéressant de voir que l’Université de Tirana lui décerna le 3 octobre 2015 un doctorat honoris causa en sciences sociales. Parmi les justifications à cette reconnaissance :

« Pour avoir su créer un esprit d’équipe et avec son talent et avec sa maîtrise, fondé sur un modèle victorieux de collaboration, se basant fortement sur cet esprit, lequel représente, en effet, le modèle à suivre pour la société albanaise. »

Rien que ça.

Antoine Gautier


Image à la une : © FRED TANNEAU/AFP/Getty Images

[1] Le président Enver Hoxha, proche d’une idéologie maoiste extrême, déclara officiellement en 1967 l’Albanie « premier pays athée du monde » et engage une politique d’annihilation de toute forme de culte religieux.

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