Au mois de février 2003, l’équipe nationale d’Estonie vit un moment particulier. Une tournée pour disputer des matchs amicaux durant la trêve hivernale de Meistriliiga, le championnat national. Un long voyage en forme de tour du monde express, d’Estonie en Chine en passant l’Equateur, Wuhan et – déjà – des problèmes de virus. 17 ans plus tard, quelques joueurs et dirigeants de l’équipe nationale ont rassemblé leurs souvenirs pour Kristjan Remmelkoor, du site Soccernet.ee.
L’été équatorien
Février 2003. En plein hiver balte, une équipe d’Estonie composée en quasi-intégralité de joueurs du Flora Tallinn traverse le monde pour une folle épopée. Si des tournées internationales ont déjà eu lieu durant les longs hivers où le championnat national est à l’arrêt, aucune n’a encore eu l’importance de celle-ci. Pour beaucoup, pour ne pas dire tout le monde, c’est un saut dans l’inconnu.
« Ce fut un voyage record, se souvient Tarmo Lehiste, qui dirigeait alors la délégation estonienne. Probablement aucune autre équipe n’a traversé le monde d’un bout à l’autre de cette manière pour jouer des matchs. On nous a offert ces opportunités et la direction de la fédération a décidé d’accepter les offres. C’est moi qui ai organisé la logistique, les billets d’avion et convenu des conditions des matchs, etc. »
Après de longues heures de trajet, la première étape se joue à Guayaquil, en Equateur, au bord de l’Océan Pacifique. 37 degrés. La différence de chaleur est étouffante. Dès son arrivée, l’équipe, composée uniquement de joueurs du Flora Tallinn (qui a financé en partie la tournée) et coachée par son entraîneur néerlandais Arno Pijpers, joue un amical face au Deportivo Cuenca, qu’elle perd sèchement (3-0). A peine le temps de s’adapter à la chaleur et, le 9 février, c’est dans un Estadio Monumental garni de 12 000 personnes que l’Estonie affronte l’Equateur. Pour une courte défaite (1-0, penalty d’Ivan Hurtado) qui met fin à une série de six matchs amicaux sans défaite pour les Baltes.
Quatre jours plus tard, le changement de décor est radical pour le second match entre les deux nations. Le Stade Olympique Atahualpa de Quito est situé à plus de 2 800m d’altitude. Une situation inédite pour les visiteurs. « Le ballon allait beaucoup plus vite qu’en Estonie à cause de l’altitude, explique Andrei Stepanov. Il nous semblait qu’on aurait pu tirer depuis la moitié du terrain. » Malgré l’arrivée de plusieurs joueurs évoluant à l’étranger – Terehhov (Haka Valkeakoski), Sergei Pareiko (Rotor Volgograd), Andres Oper (Aalborg) ou encore Indrek Zelinski (Landskrona) – l’équipe estonienne s’incline à nouveau (2-1).
Pas le temps pour profiter des paysages ni faire du tourisme. Dès le lendemain du match, les joueurs sont de nouveau dans l’avion, pour le trajet le plus long. Via Amsterdam et Francfort, les voici en Chine, pour deux nouveaux matchs.
L’hiver de Wuhan… et un virus
Après une nouvelle escale à Pékin, la délégation estonienne arrive enfin à destination, Wuhan. Où, loin de la chaleur sud-américaine, la température ne dépasse pas les huit degrés. Mais en plus du trajet et de la température, un imprévu pose de gros problèmes : « Près de la moitié des joueurs sont tombés malades pendant le voyage, certains avaient une fièvre de près de 40 degrés, se souvient Teet Allas. Lorsque nous avons fait une escale à Amsterdam, il y avait une dizaine de personnes de touchées. Notre médecin courait d’un joueur à un autre. En plus du problème d’acclimatation, nous avions probablement un virus au sein du groupe. Lorsque nous sommes arrivés à Wuhan, il fallait néanmoins composer une équipe pour jouer contre la Chine. Voyager d’un bout du monde à l’autre était déroutant, nous n’arrivions pas à dormir, il nous a fallu prendre des somnifères. »
La grippe décime ainsi une bonne moitié de la délégation, au point de devoir rapatrier un des joueurs au pays. Mais ce n’est pas plus facile pour ceux qui sont épargnés. Le 16 février, soit trois jours à peine après le match joué à Quito, les Estoniens affrontent à Wuhan l’équipe nationale chinoise, dans un stade garni de 20 000 spectateurs, une affluence sans commune mesure avec celles auxquelles la majorité des joueurs sont habitués. Entraînée par la légende néerlandaise Arie Haan, la sélection chinoise s’impose (1-0) face à des joueurs quelque peu déboussolés. « Je me souviens avoir souvent regardé la grande horloge du stade, ce match a demandé tant d’efforts physiques, dit l’arrière droit Teet Allas. Nos adversaires couraient comme des lapins et jouaient très bien. »
« Les changements de climat, d’altitude, le décalage horaire, le voyage, tout cela était très difficile. On ne comprenait plus ce qu’il se passait, quand il faisait jour et quand il faisait nuit, ajoute Taavi Rähn. Son coéquipier Meelis Rooba abonde sur les difficultés, et apprécie d’autant la courte défaite obtenue à l’issue d’un match équilibré : Le stade était grand et chauffé. Nous étions en février mais lorsque nous nous sommes assis sur le terrain, il était chaud ! Nous étions tellement fatigués après un si long voyage. »
Souvenirs de Wuhan
Après ce premier match, la délégation estonienne a enfin pu prendre un peu de repos à son hôtel. Dont elle n’est que très peu sortie. « Nous n’avons pas beaucoup voyagé à Wuhan. Je ne me souviens pas que nous ayons fait des visites là-bas, les entraîneurs ne voulaient pas, raconte Teet Allas. Nous étions tellement sollicités que nous ne voulions pas quitter l’hôtel. Les locaux nous sautaient immédiatement dessus dès que nous en sortions. Le football y est assez populaire et il y avait beaucoup d’intérêt. » Impression confirmée par Andrei Stepanov : « Les personnes rencontrées voulaient communiquer en anglais avec tous ceux qui ne ressemblaient pas aux Chinois. Ils nous demandaient beaucoup de choses sur nous et nos vies. »
Les joueurs et le staff visitent ainsi très peu la ville, privilégiant le repos et la récupération à l’hôtel. Les rares sorties se font dans des endroits proches, comme le raconte le dirigeant Tarmo Lehiste : « Il y avait un petit marché près de l’hôtel où les joueurs allaient acheter des DVD. Toutes sortes de films, de musique et de jeux extrêmement bon marché. » Ce qui n’empêche pas quelques découvertes, au sein même de l’hôtel, comme se souvient ce même Lehiste : « Lors d’un déjeuner officiel avec la fédération locale, j’ai mangé de la viande de serpent là-bas pour la première fois de ma vie. Ça ressemble à du poulet. »
Deux jours après le match face à l’équipe nationale chinoise, les Estoniens retrouvent le stade de Wuhan, cette fois pour un match face à la sélection de Chine U21. Pour ce match, seuls les joueurs du Flora sont encore présents, les autres sont rentrés au pays. Bien que plus reposés et acclimatés, les Estoniens souffrent et sont menés 2-0, avant de revenir à égalité en fin de match grâce à deux buts de Martin Reim et Viatcheslav Zahovaiko. Le seul match de cette tournée qui ne se solde pas par une défaite.
Le lendemain, il est déjà temps de quitter Wuhan. « Une ville industrielle ordinaire, familière aux gens de l’ère soviétique, relativement sale et noire. Le stade était grand, fier et très bien dans le reste de la ville, » note Lehiste. Confirmé par Allas : « Tout dans la ville semblait infiniment grand, colossal à notre sens. Il y avait beaucoup de monde et beaucoup d’agitation. »
Epuisant, mais fondateur
Dans son ensemble, le voyage s’est avéré difficile et fatigant pour tout le monde. Et pour beaucoup, il a également été désagréable pour la santé, mais Andrei Stepanov, qui avait 23 ans à l’époque, se souvient très positivement de la tournée : « Ce fut un voyage difficile, mais j’étais à un âge où j’aimais voyager. J’ai pu aller des deux côtés du globe pendant quelques semaines, en observant les différences culturelles et tout le reste. »
Composée en quasi-intégralité par l’équipe du Flora Tallinn, double championne d’Estonie devant ses voisins du Levadia et du désormais défunt TVMK, cette équipe partie en tournée a certes souffert, mais gagné en confiance. Un mois plus tard démarre la saison 2002 de Meistriliiga, que le Flora survole littéralement, s’adjugeant un troisième titre consécutif sans connaître la moindre défaite.
Pour Teet Allas, l’aventure a été très bénéfique : « Le voyage a rapproché l’équipe et beaucoup ajouté à notre solidarité. Il fallait s’entraider là-bas. Ce n’était pas facile d’être loin de chez soi aussi longtemps, mais nous nous entendions très bien, le climat au sein de l’équipe était bon. Bien sûr, cela ne signifie pas que nous n’avons pas pris les choses au sérieux sur le terrain. Plus tard, nous avons eu beaucoup de plaisir à parler de ce voyage, mais il n’a pas été possible de le répéter. A cette époque, nous n’avions pas d’autre proposition et avoir une telle opportunité de partir en Chine et de jouer là-bas, cela n’arrive qu’une fois dans une vie. »
Pierre-Julien Pera
Tous témoignages recueillis par Kristjan Remmelkoor, que nous remercions chaleureusement.
Image à la Une : © Kasper Elissaar