La grande Histoire a souvent des conséquences inattendues sur la vie de certains sportifs. Pendant la seconde guerre mondiale, les mouvements stratégiques et politiques dans les Balkans ont conduit une bande de Macédoniens à devenir des héros du championnat bulgare, avec un entraîneur juif à leur tête.

Le territoire de Macédoine devient bulgare

Avant la seconde guerre mondiale, la Macédoine est une partie du royaume de Yougoslavie. Un peu plus à l’est, le royaume de Bulgarie profite de la seconde guerre mondiale pour accroître son territoire, après avoir adhéré aux forces de l’Axe en 1941. Cet appui des Allemands avait déjà permis aux Bulgares de récupérer une partie du sud de la Roumanie après les accords de Craiova en 1940. La conquête vers l’ouest continue et le royaume bulgare récupère une partie sud-est de la Serbie actuelle, une grande partie de la Macédoine (l’extrême ouest étant pris par les Italiens) ainsi qu’une partie de la Grèce avec la région de Thrace.

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Le territoire bulgare à son apogée pendant la seconde guerre mondiale (en vert foncé, le territoire actuel)

Les clubs macédoniens invités à participer au championnat bulgare

Jusqu’au début de la guerre, les meilleurs clubs macédoniens faisaient partie de la ligue serbe. Le club phare du football macédonien est alors le Gradanski Skopje (le club des citoyens en VF) qui joue dans l’élite du football serbe, avec notamment une cinquième place en 1940.

L’invasion bulgare change cependant la donne. Le club de Gradanski cesse d’exister en 1941 mais renaît sous un autre nom : le FK Makedonija, qui est en fait le fruit de la fusion de quatre anciens clubs de la ville de Skopje. Le gardien de l’époque Vasil Dilev raconte cette transformation : « Le club du FK Makedonija a été créé en 1929. Le club a participé à des compétitions pendant deux ans jusqu’à ce qu’un ordre vienne d’en haut stipulant que le club devait être dissous car la Macédoine n’existait plus. Le régime serbe avait proclamé que la Macédoine n’existait plus, le nom officiel du pays était Banovine du Vardar ou Sud Serbie. Puis, quasiment dix ans plus tard, quand les Bulgares ont envahi, ils nous ont proposé de créer un club. Un des mes amis a proposé « pourquoi ne pas s’appeler Makedonija ? ». C’est ainsi que nous avons formé le club et très vite nous avons débuté en première division bulgare. »

La mythique saison 1942

Dès 1941, le Makedonija Skopje fait donc partie de l’élite bulgare. Pendant ces années de seconde guerre mondiale, le championnat bulgare accueillera notamment des clubs de Bitola (Macédoine actuelle), Kavala (Grèce) et donc de Skopje. La saison 1942 restera mythique pour l’équipe de Makedonija. Dilev se souvient : « Il y avait 18 clubs en D1 bulgare et personne ne pouvait nous battre. Je me rappelle une fois, il y avait une grande annonce en une d’un journal : « Sport, la meilleure équipe de Bulgarie vient dans notre ville demain à telle heure. L’équipe est composée des meilleurs joueurs de Bulgarie, les onze fils fiers de Macédoine. » Aucun autre club n’était loué comme cela ! »

En effet, en 1942, les onze Macédoniens font forte impression sur les terrains de Bulgarie. Ils battent tout d’abord le Sportklub Plovdiv en Bulgarie 0-2 en huitièmes de finale du championnat. En quarts, le ZhSK Sofia (ancêtre du Lokomotiv) ne pèse pas lourd et prend 6-1 sur les deux matchs. Une autre équipe de Sofia, le Slavia, est battue par les Macédoniens en demi sur le score de 5-4 avec notamment une victoire 5-1 à Skopje.

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La finale contre le grand Levski Sofia reste d’anthologie. La légende veut que le pouvoir bulgare ait tout mis en place pour que les Macédoniens ne puissent pas gagner. Dilev raconte : « A l’aller, un de leurs joueurs a frappé sur le poteau. Cela a laissé une marque sur le poteau qui était à l’époque en bois. Mais l’arbitre a accordé le but. Nous avons protesté mais il a accordé le but et une bagarre a alors débuté, il a accordé une victoire 3-0 au Levski. » Au retour, à Sofia, devant 50 000 spectateurs, un but sera aussi étrangement refusé aux Macédoniens, un but qui leur aurait offert la victoire.

La trajectoire personnelle du coach Spitz

Si le FK Makedonija a fait trembler la Bulgarie, il le doit en partie au grand Illes Spitz, entraîneur hongrois. La légende veut qu’il ait marqué plus de 600 buts en 1000 matchs lors de sa carrière de joueur qui l’a vu notamment remporter 3 titres de champion avec l’Ujpest.

Devenu entraîneur, Spitz a d’abord géré l’Hajduk Split avant d’arriver à Skopje. Il entraîne tout d’abord le Gradanski en ligue serbe avant de prendre logiquement les rênes du FK Makedonija lors de sa création en 1941. Pour Dilev, le mérite de Spitz fut immense : « Il a transformé le FK Makedonija en une équipe qui a donné des frissons à toute la Bulgarie. Quel entraîneur ce fut ! Il n’en existe plus comme lui aujourd’hui. »

spitz

Mais Illes Spitz est juif et la région des Balkans n’est pas épargnée par l’Endlösung; cependant sa fonction d’entraîneur du FK Makedonija lui sauvera la vie. Là encore, Dilev raconte : « Il était juif, avait une femme et un enfant. Il a quasiment disparu quand les Bulgares ont déporté les juifs de Macédoine. Il fut enfermé dans la fabrique de tabac de Skopje comme les autres. Mais quand le secrétaire du club a appris que Spitz était détenu, il est parti directement voir le chef de la police. Ils l’ont sorti du train à Vranje en Serbie. Les autres sont partis, lui est resté. »

A cette époque, les autorités bulgares subissent une énorme pression des Nazis pour déporter des juifs vers la Pologne. Si l’Etat bulgare a sauvé 50000 juifs vivants en Bulgarie, ceux vivant en Macédoine et dans le sud-est de la Serbie, annexés par la Bulgarie, n’ont pas eu la même chance. Plus de 7000 juifs de Macédoine ont ainsi été déportés vers Treblinka, aucun n’en est revenu.

Une équipe ambassadrice de la révolte macédonienne

Pour Dilev, la fierté de porter le M sur le cœur était ancrée dans la pensée des onze joueurs du FK Makedonija : « Nous étions les ambassadeurs de ce pays qui aspirait à son indépendance. De ce fait, les autorités bulgares nous pénalisaient toujours. La procédure voulait que les joueurs fassent hourra trois fois avec la main droite levée avant les matchs (NDLR: en signe d’allégeance au pouvoir). Mais nous refusions et devions donc payer des amendes, semaine après semaine. »

fk makedonija

Pour annihiler ce sentiment nationaliste, les autorités bulgares offrent la nationalité bulgare à toute la population du Banovine du Vardar et donc également aux footballeurs du FK Makedonija. Ainsi un des joueurs de l’équipe, Kiril Simonov, jouera deux fois pour la sélection bulgare.

Jusqu’en 1944, le FK Makedonija jouera dans le championnat de Bulgarie sans plus connaître les excellents résultats de 1942. Pendant ce temps-là, la révolte des Macédoniens prend forme et devient de plus en plus vindicative au fil des années comme dans toute la Yougoslavie. Le 2 août 1944, la Macédoine démocratique est proclamée.

La libération et la création du Vardar

La Macédoine devient une république yougoslave. Le club du FK Makedonija devient en 1947 le FK Vardar, aujourd’hui le plus grand club du pays. De son côté, Kiril Simonov devenu Kiril Simonovski est parti jouer au Partizan Belgrade avant de rentrer au Vardar en 1950. Il aura également joué pour la sélection yougoslave.

kiril simonovski

Enfin, Illes Spitz est également parti à Belgrade où il a entraîné le Partizan (deux titres de champion de Yougoslavie) et Radnicki. En 1960, il rentre à Skopje pour s’occuper du Vardar. Le 1er octobre 1961, il meurt dans le vestiaire du Vardar, atteint d’attaque cardiaque à la fin d’un match. La fin d’une grande histoire qui a lié quelques hommes formant une équipe mythique pour tout un peuple.

Tristan Trasca

Voici l’interview complète de Vasil Dilev, le dernier survivant du FK Makedonija (avec sous-titres anglais) : https://www.youtube.com/watch?v=1aR3qgaLlN0

Cette histoire a fait l’objet d’un film très romancé nommé The Third Half avec l’excellent Richard Sammel et la superbe Katarina Ivanovksa

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