La Hongrie politique inquiète. Les Hongrois eux-mêmes, enfin certains, sont inquiets des menaces totalitaires régnant sur le pays. Et au milieu de ce bordel : le football. Mais alors vraiment en plein milieu. Retour sur les six derniers mois de l’année à Budapest (et un peu en province et même dans des bleds improbables de moins de 2 000 habitants).

Classement Hongrie

Ferencváros a définitivement repris le pouvoir en Hongrie. Le mythique club magyar a pourtant connu le pire il y a peu. Relégué en seconde division en 2006, il était criblé de dettes et dans l’incapacité d’assumer son statut de locomotive du football local. Dix ans plus tard, il évolue dans une enceinte flambant neuve et caracole en tête du championnat. Alors que dix-neuf des trente-trois journées ont déjà été jouées, Fradi compte dix-huit points d’avance sur son premier poursuivant (dans tous les sens du terme) : Újpest.

Comment expliquer une telle domination sportive ?

Par la cohérence de tout le club : un bon coach, un recrutement intelligent et un président influent (mais l’on y reviendra). Donc un bon coach tout d’abord : Thomas Doll. La carrière de l’Allemand semble enfin repartir dans le bon sens après ses expériences mitigées à Dortmund et Gençlerbirligi. Arrivé en décembre 2013, il a pris le temps de construire une équipe cohérente.

La signature du gardien Dénes Dibusz dans la foulée de Doll a rassuré l’arrière garde. Il faut dire que le jeune portier (25 ans) est l’avenir du pays au poste. Dès le départ de Király, les bois nationaux lui reviendront. En décembre 2014, Tamás Hajnal revenait à 33 ans dans son club formateur pour lui faire profiter de sa longue expérience construite en Allemagne. Quelques mois plus tôt, Zoltán Gera avait fait de même apportant sa vista devant. Avec l’ex-Manceau Roland Lamah, ils approvisionnent le grand Daniel Böde en ballons de buts. Au milieu de tout ça a même émergé un pur produit de la formation ayant fait son chemin jusque chez les A internationaux : Ádám Nagy.

Bref, une équipe complète qui avait déjà arraché la Kupa à Videoton en mai dernier mais terminé juste derrière ceux-ci (couronnés champions) en Nemzeti Bajnokság I.

Une progression logique donc, surtout après que toutes les pièces du puzzle aient été assemblées sur le pré. À noter tout de même que le départ foireux du Videoton de Casoni a bien aidé Fradi à s’envoler. Viré après cinq journées, quatre défaites et une élimination de la C1 par le BATE Borisov, l’ancien rugueux défenseur olympien n’aura pas fait le poids. Le club de Székesfehérvár s’est bien repris depuis sous la houlette de Ferenc Horváth et colle désormais aux basques du Újpest de Roderick Duchâtelet (fils de Roland, ancien propriétaire du Standard et actuel de Charlton (UK) et Alcorcon en Espagne). S’il était censé quitter le club en mars dernier après une faillite presque prononcée, l’escr.. heu.. l’homme d’affaires belge est toujours en place. Il s’est d’ailleurs fait un petit plaisir en ramenant Kylian Hazard à Buda. Son équipe reste malgré tout bien loin d’un leader qu’il a réussi à faire tomber avant la trêve dans le grand derby de Budapest.

Une victoire 1/0 arrachée par les Lilák à Fradi, chez eux, dans la toute moderne Groupama Arena. Enfin, « chez eux », pas pour les groupes ultras de Ferencváros.

La Groupama Arena, le nouveau bijou de Ferencvaros. / © Marcell Katona
La Groupama Arena, le nouveau bijou de Ferencvaros. / © Marcell Katona

Des investissements massifs de l’état, des ultras contrôlés ou virés de stades modernes mais souvent vides : la drôle de révolution du football hongrois.

« On a l’impression qu’ils veulent éliminer la passion et le fanatisme que représentent les ultras dans le football hongrois. » Cette déclaration d’un ultra cagoulé de Fradi aux hipsters de Copa 90 en septembre 2014 avant un derby Újpest – Ferencváros dénote bien du climat actuel. À la base de ces tensions, des nouveaux stades voulus par le gouvernement et des mesures de sécurité pour y entrer, également voulues par le gouvernement. Un ultra désireux d’assister à un match dans la Groupama Arena doit désormais montrer une pièce d’identité, une carte du club contenant son nom, sa date de naissance, le nom de jeune fille de sa mère, son adresse, son mail et … ses empreintes de main ! Il faudrait accepter de se faire scanner la main pour entrer au stade.

Un système ultra répressif qui ne plaît forcément pas aux principaux intéressés, entrés en résistance contre les autorités du club. Du club ET du pays. Le président de Ferencváros n’est autre que Gábor Kubatov, vice-président de Fidesz, le parti politique de Victor Orbán, Premier ministre, un brin totalitaire qu’on ne présente plus.

La moderne Pancho Arena, d'une capacité de deux fois la ville. / © Schrödischröd
La moderne Pancho Arena, d’une capacité de deux fois la ville. / © Schrödischröd

Le bon Victor est aussi un fan de football, tellement qu’il a créé un Clairefontaine hongrois qui… évolue désormais en première division ! Vous suivez toujours ? En fait, il a tellement aimé son jouet que le Puskas Academia FC a été intégré au plus haut échelon national. Pourquoi pas, après tout ? En plus de ça, ils sont dotés d’un super stade, la Pancho Arena. Dommage qu’il soit vide la plupart du temps, mais pas surprenant lorsque l’on sait que la localité où il a été construit n’est peuplée que par 1 700 habitants. Pourquoi alors construire un stade de 3 500 places pour une équipe sans enracinement local ? Qui sait… Peut-être simplement un coup de cœur du Premier ministre, Felcsut (la « ville » en question) étant son lieu de naissance.

Mais non, car la question se pose un peu partout dans le pays où de nouveaux stades ne cessent de sortir de terre alors que les ultras en sont bannis. D’où sort cet argent ? De la poche du contribuable ! Le gouvernement a en effet alloué plus de 450 millions d’euros à la construction de ces enceintes… vides !

Bien sûr, le business model « Premier League » ou « PSG » voudraient que les « méchants hooligans » soient remplacés par un public de consommateurs, voire familial. Problème, le niveau de jeu n’est pas attrayant, les noms peu ronflants et la culture club surtout présente chez des populations refusant de se voir confisquer toutes libertés… un plan voué à l’échec, donc.

Ces efforts qui ressemblent parfois à de la propagande étatique ont reçu un sacré coup de pouce de la part de l’équipe nationale. Les Magyars se sont qualifiés pour l’Euro 2016 après quarante-quatre ans d’absence à ce niveau. Une vraie fierté nationale conquise dans la si fameuse Groupama Arena sous les yeux du Premier ministre. Jusqu’ici, tout va bien. Attention au réveil.

Mourad Aerts


Image à la une : © www.mtkbudapest.hu

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