Si vous habitez en Pologne, vous connaissez forcément Amica. Mais si ! Allez dans votre cuisine et regardez votre four ou votre micro-ondes : il y a plus d’une chance sur deux qu’il soit de la marque Amica. Celle-là même qui a amené une petite ville d’une dizaine de milliers d’habitants à remporter cinq trophées nationaux et à participer pendant cinq saisons à des compétitions européennes. Un comble pour une ville aussi petite et située à une cinquantaine de kilomètres du grand voisin Poznań. L’occasion pour nous de revenir sur l’histoire de ce club et vous expliquer comment un club créé au début des années 1990 pour des raisons commerciales a été détruit quinze ans plus tard pour ces mêmes raisons.

La montée des échelons

Si l’on veut parler du début officiel de l’Amica, il semble logique d’évoquer le Błękitni Wronki, créé en 1921 sous le nom du KS Wrona. Après des dizaines de changement de nom, comme souvent dans nos pays, le projet va prendre une autre dimension. En 1967, Boleslaw Hibner, alors président du club, parvient à convaincre la légende locale Henryk Czapczyk de venir aider et apporter son expérience professionnelle. L’attaquant du Warta Poznań, vainqueur du championnat avec le club voisin, était alors le plus efficace devant les buts. Malheureusement, la venue d’un ancien joueur professionnel ne peut suffire à faire briller un si petit club coincé dans les bas fonds du football de la région de Grande Pologne. Mais, un événement majeure va bien aider la région et la ville. Alors que Czapczyk ne fait pas briller le club, une entreprise de fabrication de cuisinière à gaz et charbon voit le jour dans la ville. Celle-ci, nommée Amica, profite d’une société polonaise en plein boom démographique pour accroître rapidement sa puissance.

Film de présentation de la ville de 1994 avec la vie de ses habitants, son usine, sa prison .. La Pologne profonde!

En 1989, le gouvernement communiste tombe. L’entreprise, qui finance déjà grassement le club local depuis deux ans, voit un grand tournant arriver avec la privatisation. Un vrai coup de pouce dont les deux parties avaient besoin. La structure du club peut alors se mettre en place grâce à une fusion surprenante avec un petit club du canton dirigé par Ryszard Forbrich, un simple coiffeur. Avec Jacek Rutkowski, ils prennent ensemble la direction de l’Amica Wronki avec des postes bien distincts. L’homme d’affaires prend en main les finances et le rôle de président. Le coiffeur, lui, obtient un poste d’adjoint et de directeur sportif. Il aura un rôle primordial dans l’avant-saison 1993/1994.

À l’apparence lambda et bon enfant, Forbrich a pourtant les dents qui rayent le parquet. Il parvient à convaincre les instances footballistiques de la région de donner une place à son club dans la troisième division polonaise. Afin de motiver cette décision, il s’appuie sur l’investissement du club en recrutant des joueurs comme  Piotr Szułcik ou Waldemar Sobkowiak, qui viennent respectivement de première et seconde division. Les autorités l’ont bien compris, il serait bête de brider un club ayant un tel potentiel économique à moyen terme en l’obligeant à faire ses classes à l’échelon départemental.

Sans être inquiété, Wronki termine tranquillement le championnat à la première place, la seule donnant l’accession au niveau supérieur, avec 15 points d’avance sur son rival et une différence de buts de +72. De quoi aborder la saison suivante pleine de sérénité. Cette fois-ci, les deux premières places peuvent permettre la montée en I Liga. Un objectif désigné par le club pour avoir un retour sur investissement. Un objectif à portée de main, puisqu’à la fin de la seizième journée de championnat, Amica est toujours invaincu. La première défaite intervient lors de la rencontre suivante contre le Śłąsk Wrocław, seul club à terminer la saison devant Wronki. Certes à égalité de points, mais avec un goal average de +37 contre +49 pour les Silésiens.

Des succès et des doutes

En seulement trois saisons, le club aura atteint l’élite du football avec un effectif d’une qualité plutôt intéressante. Beaucoup de gens voient alors en Wronki un espoir pour l’avenir à court terme. Le stade fraîchement construit trois ans plus tôt, pouvant accueillir 5000 places, est d’une taille adéquate pour une petite ville. Les prix bas (entre 10 et 20zl soit 2,5 – 5 euros) permettent de réunir au stade les ouvriers de la ville et ses environs. Les espoirs placés en cette équipe se confirmeront les deux saisons suivantes avec deux cinquièmes places à seulement quelques petits points d’une qualification en coupe UEFA. Une qualification qu’ils obtiendront à la fin de l’année suivante, grâce à une performance en Coupe de Pologne.
En quatre matchs seulement (dont trois terminés aux prolongations), ils se retrouvent en finale. Étrangement, Wronki marquait plusieurs buts sans rencontrer d’opposition particulière dans les 30 minutes additionnelles. Cela se reproduisit lors de la finale les opposants à l’Aluminium Konin. Le score de 5-3 à la fin des 120 minutes et les six cartons jaunes et un rouge distribués à l’encontre des joueurs de Konin suscitèrent des interrogations. Peu importe pour Wronki qui décroche son premier trophée six ans seulement après la reprise de ce club en perdition totale.

Ryszard « Le coiffeur » Forbrich sur la gauche soulevant la coupe de Pologne, premier trophée de l’histoire du club. | © raspolik.blogspot.com
Ryszard « Le coiffeur » Forbrich sur la gauche soulevant la coupe de Pologne, premier trophée de l’histoire du club. | © raspolik.blogspot.com

Mais dans le reste de la Pologne, on commence à se poser beaucoup de questions. Tout le monde a pu remarquer que les arbitres avaient parfois un comportement suspect à l’encontre des adversaires de l’Amica. Comment des joueurs venus parfois de seconde division arrivent-ils à si bien se débrouiller sur un terrain au milieu des joueurs adverses bien plus forts sur le papier ? Comment un simple coiffeur ayant exercé ses fonctions à la prison de la ville possède-t-il autant de pouvoir dans un club qui figure désormais parmi les plus puissants de Pologne ? Tant de questions qui resteront sans réponse pendant plusieurs années. Des années pendant lesquelles l’Amica Wronki se permettra de gagner deux nouvelles coupes nationales.

En plus de ces trois trophées, on peut aussi ajouter deux supercoupes de Pologne soulevées en 1998 et 1999. Seul point noir dans ces années d’euphorie, les résultats en coupe d’Europe ne sont guère brillants. Jamais le club ne passa le troisième tour de la coupe UEFA. L’Atletico Madrid ou le Hertha Berlin étaient bien trop forts et puissants pour de simples joueurs du milieu de tableau d’Ekstraklasa. Même l’AJ Auxerre se permit de torpiller de pauvres Polonais 5-1. Cette rencontre, encore dans la mémoire de certains Bourguignons, fut marquée de l’empreinte des Sagna, Lachuer, Kalou ou encore Pieroni qui jouaient face à leur futur coéquipier Dariusz Dudka. Ce dernier faisait partie de la génération de jeunes joueurs formés au club qui avaient le privilège de disposer du seul centre de formation de Pologne. Cet investissement à long terme souligne les intentions du club de rester là pour un bon moment…

Malgré cela, les résultats ne sont pas aussi bons qu’espérés et il semble y avoir un trou dans l’arrivée de gaz de la gazinière Amica Wronki. En 2002, après une saison sans qualification européenne, l’équipe finit troisième derrière le Wisła et le Legia. De nouveau qualifié en coupe européenne, le club ambitionne d’aller chercher un titre de champion de Pologne, dernier trophée dont le club pourrait s’enquérir. Malheureusement, rien de plus ne se produira dans la petite bourgade de la campagne de Grande Pologne.

Jacek Rutkowski réfléchit alors à promouvoir une nouvelle fois son entreprise Amica. Il a dans l’esprit de la rattacher au grand Lech Poznań. Pour cela il faudrait une fusion. La décision est prise le 9 décembre 2005 par un accord entre le chef d’entreprise et Radosław Majchrzak, alors président du Lech. La marque Amica devient attachée au club Poznanien (6e cette année-là) tandis que celui de Wronki (4e) devient une antichambre de son voisin, en formant les jeunes dans la troisième division. Une triste issue après avoir obtenu, en seulement neuf saisons, une place parmi les 20 premiers clubs dans l’élite polonaise. Et lorsque sa marque achète le géant nordique GRAM, elle s’ouvre sur tout le marché Ouest-Européen.

Le coiffeur truqueur

Durant cette même période, Ryszard Forbrich voit son nom impliqué dans « la liste du coiffeur » publié par le quotidien sportif Przegłąd Sportowy. Une liste qui n’a rien d’une coupe mulet. Cette dernière est plutôt constituée d’une base de matchs présumés truqués avec pas moins de 28 arbitres qui auraient favorisé l’une des 94 équipes citées dans les papiers d’une des gazettes les plus vendues du pays. Tout en haut de cette pyramide véreuse se trouve le coiffeur qui tirait les ficelles. Le plus grand scandale de l’histoire du football polonais démarre, une histoire qui, dix ans plus tard, voit le début de la fin.

Les anciens présidents, joueurs et arbitres ont pour la plupart fait leurs aveux, mais bon nombre de matchs sont encore aujourd’hui toujours présumés truqués sans avoir débouché sur des condamnations, faute de preuves et d’aveux. De coiffeur de la prison de Wronki à plus grand truqueur du football polonais, Ryszard « Le coiffeur » Forbrich voit ses affaires étalées dans la presse et dans les médias nationaux tandis que certains essayent d’en savoir un peu plus sur ce coiffeur devenu l’un des hommes les plus influents dans les coulisses du football polonais durant les années 90.

L’enfant de Zielona Góra a toujours été un passionné de football, un univers dans lequel il eut l’occasion d’entrer en 1990 avec le club de l’Olimpia Poznan où il s’y distingue en tant que chef de sécurité du club. Une trajectoire déjà pas forcément très courante pour une personne n’ayant qu’un CAP coiffure. Rapidement, l’homme arrive à tisser des liens avec des gros bras et autres personnes haut placées dans le milieu du football polonais. Des liens qu’il ne manquera pas de recontacter plus tard dans sa carrière.

Après quelques années, notre bon Forbrich se retrouve à l’Amica. De là, il n’hésite pas à contacter les arbitres des différents matchs de son club ou encore des présidents et joueurs adverses. Et mieux vaut garder le silence, ce dernier n’hésitant pas à faire pression, voire pire, sur les carrières des joueurs qui s’autorisaient à dénoncer les agissements de l’homme dans les coulisses du football polonais. C’est ainsi que Ryszard, la main sur le cœur, donnait quelques contrats à ses quelques amis baraqués et aux mains souvent sales. Des hommes pleins de testostérone qui venaient parfois rendre quelques visites impromptues aux journalistes qui auraient pu songer à dénoncer ses pratiques peu recommandables.

Les bons comptes font les bons amis. Comme un témoin le dévoile dans un documentaire lié à l’affaire judiciaire, « lors des mi-temps, il allait parfois boire une ou plusieurs vodkas dans le vestiaire des arbitres ». Tel un bon salon, notre coiffeur sait recevoir. Si les petits gâteaux et le café chaud sont ici remplacés par la vodka, Pologne oblige, le principal pour Forbrich était de toujours satisfaire les besoins de ceux qui pouvaient faire progresser son club directement ou indirectement. À l’image de ce geste généreux de notre homme qui avait eu l’amabilité de déposer une mallette remplie de plus de 100 000 złoty (25 000 euros) dans le coffre d’un arbitre quelques jours avant un match. Et c’est avec la plus grande des difficultés qu’il admettra toutes ces affaires lors de son procès. Un procès, où, quand le juge lui demanda quel est son métier, il répondit « Je suis Ryszard Forbrich, et je suis coiffeur ».

Le coiffeur lors de son procès | © Maciej Kulczyński
Le coiffeur lors de son procès | © Maciej Kulczyński

De son côté, en 2006, le club de l’Amica nomma Andrzej Kadziński comme nouveau président pour une saison en troisième division polonais. Ce dernier ne parvient pas à garder les liens étroits qui existait entre le club et l’entreprise qui prit la décision de mettre un point final à ce club devenu épave, où sponsor principal ne voulait plus apporter d’argent et dont pratiquement la totalité de l’effectif avait quitté le navire la saison précédente.

Par la suite, les nouveaux dirigeants prirent la décision de former à nouveau le Błękitni Wronki qui quitta les belles installations du Stadion Wronki pour s’installer sur un terrain d’entrainement situé un peu plus loin dans la ville. Un stade n’est désormais plus vraiment utilisé, si ce n’est pour accueillir quelques matchs mineurs de l’équipe nationale ou pour la formation des jeunes joueurs du Lech Poznan. Nous sommes alors en 2006, l’Amica Wronki est mort. Un club qui n’aura vécu que douze ans. Un temps suffisant pour laisser une empreinte indélébile sur l’histoire du football polonais. Et tout ça grâce à un coiffeur un peu trop truqueur.

Kévin Sarlat


Image à la une : © static.polskieradio.pl

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