Temps de lecture 5 minutesJózsef Zakariás ou l’art de se rendre indispensable

Moins connu que Ferenc Puskás, Sándor Kocsis ou encore Zoltán Czibor, József Zakariás était pourtant un joueur clé du légendaire « Onze d’Or » hongrois des années 1950, avec lequel il a tutoyé les sommets (Helsinki 1952, Wembley 1953) et vécu une terrible désillusion (Berne 1954). Portrait d’un milieu défensif à la trajectoire pour le moins atypique, entre passes millimétrées, couvre-feu ignoré et scandale d’usurpation d’identité.

 

Les meilleurs partent toujours les premiers, d’après un proverbe assez connu et régulièrement utilisé en des circonstances funestes. Cet adage peut-il s’appliquer à József Zakariás, décédé le 22 novembre 1971 et qui fut ainsi le premier membre du célèbre « Onze d’Or » à passer l’arme à gauche ? Difficile de l’affirmer avec certitude, tant Ferenc Puskás tenait le haut de l’affiche au sein de cette équipe mythique. A défaut d’être le meilleur, Zakariás n’en demeurait cependant pas moins un élément très important du système mis en place par Gusztáv Sebes.

De joueur offensif à milieu défensif

József Zakariás naît le 25 mars 1924 à Budafok, un quartier du sud de Budapest. Très vite happé par le football, il se met au service de deux formations : le Budafoki MTE, son club, et le Kábelgyár SC, l’équipe de l’usine de fabrication de câbles au sein de laquelle il travaille. Celui qui évolue alors principalement au poste d’avant-centre dispute régulièrement deux matchs par week-end, avant de s’envoler pour le Gamma FC en 1944. Il y découvre la première division et affronte le redoutable Újpest de Ferenc Szusza (encore à ce jour meilleur buteur de l’histoire du championnat magyar) pour son baptême du feu. Mais la Hongrie, jusque-là relativement épargnée, subit alors de plein fouet les violents remous de la Seconde Guerre mondiale. Une fois cette sombre période terminée, le football reprend progressivement ses droits et Zakariás s’épanouit pleinement au MATEOSZ Munkás SE, le nouveau nom du Gamma FC. Il y côtoie notamment le gardien Gyula Grosics, qui va devenir un de ses coéquipiers au sein de l’« Aranycsapat ». Président du MATEOSZ, János Jakubcsek ne tarit pas d’éloges à l’égard de son jeune protégé :

« Il sait tout ce qu’un footballeur doit savoir. Il est aussi conscient de ce qu’il peut faire et le fait dans toutes les positions. Pied droit, pied gauche, peu lui importe. Ailier, attaquant de pointe, il se débrouille quoiqu’il arrive. C’est également quelqu’un d’exceptionnel en dehors du terrain. C’est un super garçon, je vous le dis ! » (source : Nemzeti Sport)

Inévitablement, ses performances ne laissent pas les observateurs de marbre. Le sélectionneur national, Tibor Gallowich, lui offre tout d’abord sa première cape le 20 août 1947, contre l’Albanie (3-0). C’est ensuite Márton Bukovi, l’entraîneur du MTK Budapest (qui s’appelle Bástya SE à l’époque) qui parvient à l’attirer en 1951. Membre de la deuxième meilleure équipe du pays derrière le Honvéd, Zakariás prend une nouvelle dimension aux côtés des Mihály Lantos, Nándor Hidegkuti et autres Péter Palotás. C’est surtout à ce moment précis que s’opère un changement majeur dans sa carrière de footballeur. Jusque-là principalement considéré comme un joueur à vocation offensive, « Zaki » descend d’un cran. Bukovi souhaite en effet s’appuyer sur son excellente qualité de passe pour en faire un milieu défensif devant également remplir un rôle de relayeur, c’est-à-dire être capable d’assurer la transition entre la défense et l’attaque. Et il s’avère que ce nouveau poste va comme un gant au natif de Budafok, qui réussit parfaitement la mission confiée par son entraîneur. « Zakariás, sais-tu que tu n’as raté aucune passe depuis sept matchs ? », lui aurait d’ailleurs demandé ce dernier lors d’un entraînement.

Responsable de la défaite contre la RFA ?

De FOTO:FORTEPAN / ERKY-NAGY TIBOR, CC BY-SA 3.0

C’est aussi au milieu de terrain que l’ancien joueur du Gamma FC réussit à faire son trou en sélection nationale. Le « Onze d’Or » avait déjà ses magiciens. Puskás, Kocsis, Czibor, Budai et consorts se trouvaient les yeux fermés et pouvaient faire la différence à n’importe quel moment d’une rencontre. Mais il manquait à Gusztáv Sebes un homme de l’ombre, capable de récupérer des ballons sans commettre de fautes pour ensuite relancer le jeu proprement. Ce numéro six devant apporter l’équilibre tant nécessaire à cette mécanique déjà très bien huilée, c’est József Zakariás. Associé à József Bozsik dans le 4-2-4 novateur de Sebes, le joueur du MTK gagne définitivement ses galons de titulaire à Helsinki, en 1952, lorsque la Hongrie remporte le titre olympique. Il fait partie de l’équipe qui humilie l’Angleterre à Wembley le 25 novembre 1953 (3-6), ainsi que de celle qui s’incline face à l’Allemagne de l’Ouest en finale du Mondial 1954 (3-2). Cette défaite aussi cruelle qu’inexplicable correspond d’ailleurs au tout dernier match de Zakariás sous le maillot magyar. À en croire certaines sources, le joueur n’aurait pas respecté le couvre-feu imposé la veille de la finale par le sélectionneur et aurait passé la nuit en compagnie d’une femme de chambre. Mis au courant, Sebes est cependant conscient de l’importance de « Zaki » dans son dispositif et l’aligne donc contre la RFA. Tenu pour responsable (du moins en partie) de l’échec subi à Berne, il n’aurait ensuite plus été appelé à cause de cet écart de conduite.

Le LOSC est tombé dans le panneau

Peu de temps après, son nom se retrouve au cœur d’une histoire des plus cocasses. Le 27 juillet 1954, un individu se présentant comme étant József Zakariás frappe à la porte du Lille OSC, sacré champion de France quelques mois plus tôt. Il affirme avoir franchi le rideau de fer afin de trouver à l’Ouest indépendance et liberté. Tout heureux de voir débarquer un tel joueur, le président Louis Henno le fait signer sans même vérifier ses papiers d’identité. La nouvelle fait grand bruit, mais les journalistes qui étaient en Suisse pendant le Mondial restent circonspects, car la nouvelle recrue lilloise ne ressemble pas vraiment à Zakariás. Et l’imposteur ne tarde pas à être démasqué. Contre Rouen, il multiplie les maladresses et grossières erreurs techniques en une dizaine de minutes et blesse même un joueur adverse, avant d’être arrêté puis interrogé par la police. Il s’agit en réalité de Ladislav Fereb, un Tchécoslovaque ayant servi au sein de la Légion étrangère. L’usurpateur d’identité est condamné à deux mois de prison, tandis que le président Henno comprend qu’il a commis une terrible erreur. Le vrai Zakariás, de son côté, aurait rigolé en écoutant un journaliste français lui narrer l’escroquerie.

Sacrés champions olympiques à Helsinki, les Hongrois sont récompensés par Arme Kuusela, Miss Univers 1952. Zakariás est le troisième joueur en partant de la gauche. D’Olympia-kuva – CC BY 4.0

Au MTK Budapest jusqu’en 1956, « Zaki » raccroche définitivement les crampons en 1958. Il démarre ensuite une carrière d’entraîneur marquée par un long passage sur le banc de l’équipe nationale de Guinée (1961-1968). À l’image du Ghana (József Ember), de l’Égypte (Nándor Hidekguti) ou encore du Zaïre (Ferenc Csanádi), la toute jeune sélection guinéenne souhaite profiter de l’expérience d’un ancien joueur hongrois afin de se lancer dans le grand bain du football international. Épaulé par László Budai, Zakariás aide le Syli national à franchir les paliers un à un jusqu’à se qualifier pour les Jeux olympiques de Mexico, en 1968, où les Guinéens se distinguent en battant la Colombie (3-2). À son retour en Hongrie, il continue d’entraîner pendant quelque temps. Mais la maladie l’emporte beaucoup trop tôt. Le 22 novembre 1971, à seulement 47 ans, József Zakariás décède des suites de problèmes cardiovasculaires. À titre de comparaison, le dernier survivant du « Onze d’Or », Jenő Buzánszky, s’est éteint le 11 janvier 2015, soit près de quarante-quatre ans plus tard. Non, le numéro six des « Magiques Magyars » n’était pas le meilleur de son équipe. Il était en revanche indispensable. C’est encore mieux.

Raphaël Brosse

 

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