Pour nous, ce n’est peut-être qu’une simple photo mais pour les Chypriotes, cette photo ci-dessus est qualifiée de trahison. L’homme que vous voyez entouré est Kostakis Koutsokoumnis, le président de la Fédération Chypriote de Football (KOP), juste avant un match amical à Istanbul. Lui et plusieurs autres présidents de fédérations invités en Turquie pour jouer un match amical. Jusque-là, rien à signaler. Mais, c’est lors de la photo d’avant match que la polémique se crée. Le président de la fédération Chypriote a été vu portant le maillot de la… Turquie ! Un choix pas forcément judicieux quand on connait l’histoire de Chypre.

Depuis 1974, l’île est divisée en deux après une invasion turque qui a causé des milliers de morts et de réfugiés (un tiers de la population chypriote grecque). La partie nord, depuis reconnue seulement par Ankara, est occupée jusqu’à ce jour par l’armée turque. La République de Chypre au sud fait partie de l’UE et constitue un état souverain. Vous comprendrez donc que depuis l’apparition de la photo sur le site de la Fédération Turque de Football, les Chypriotes grecs montrent leur mécontentement et demandent la démission du président de la KOP.

Un peu d’histoire pour comprendre

L’histoire de Chypre est dense, l’île a connu plusieurs tutelles durant les siècles : hellénique, romaine, byzantine, franque, vénitienne, ottomane et britannique. En 1960, Chypre gagne son indépendance. Dans les années 60 et 70, des affrontements se multiplient entre Chypriotes grecs (80% de la population) et Chypriotes turcs (18% de la population). La Turquie, sous prétexte de protéger la communauté ethnique des Chypriotes turcs, envahit l’île pendant l’été 1974, chassant ainsi les habitants légitimes de leurs foyers et y installant des colons et les quelques centaines de Chypriotes turcs habitant jusqu’alors un peu partout dans l’île.

Le football sert de prétexte aux supporteurs pour montrer leurs appartenances et leurs revendications. A Chypre, foot et politique se jouent sur le même terrain.

Le temps passe, mais la situation reste encore au point mort. Malgré plusieurs résolutions des Nations Unies demandant à la Turquie de retirer ses troupes du sol chypriote, celle-ci refuse et se montre toujours très arrogante. Les négociations entre Chypriotes grecs et turcs n’ont, quant à eux, rien donné, puisque la Turquie (de laquelle la partie occupée dépend financièrement) ne montre aucune volonté. Cette tension entre la République de Chypre et la partie occupée a toujours été présente. Elle s’est faite plus virulente depuis 1996, lorsque S. Solomou a été tué par l’armée turque suite à l’assassinat de son cousin T. Isaac par les « Loups Gris » (nationalistes turcs).  Il était en train d’enlever le drapeau turc lors d’une manifestation sur la « ligne verte » (zone tampon) à côté de la ville fantôme de Famagouste.

En quoi l’histoire est en rapport avec le football ? Aucun, mais le football sert de prétexte aux supporteurs pour montrer leurs appartenances et leurs revendications. A Chypre, foot et politique se jouent sur le même terrain. Comme le disait le politologue Hubert Faustmann de l’Université de Nicosie : « Chypre représente un cas unique en Europe où il est possible de connaître l’orientation politique de quelqu’un simplement en lui demandant quelle équipe de football il supporte ».

A noter que les clubs de foot de la partie occupée de Chypre prénommée « RTCN », ne jouent pas dans le même championnat. En effet, en 1955, bien avant l’invasion turque, avait été créée une fédération de Football Chypriote turque, qui était plutôt une association. Avant l’invasion turque, les clubs chypriotes grecs et turcs participaient dans le même championnat. Mais depuis, les clubs de la « RTCN »  ont créé leur championnat, qui, rappelons-le, n’est pas reconnu par la FIFA ou l’UEFA, et ne peut donc pas participer aux compétitions européennes.

Des réactions assez vives

Après un résumé assez bref sur le contexte, revenons-en à cette photo. Quelques heures après la diffusion de la photo montrant K. Koutsokoumnis portant le maillot turc, outre les médias, les réseaux sociaux et notamment les clubs de football chypriotes se sont déchaînés face à ce sujet.

Réactions des clubs chypriotes et de leurs supporteurs

C’est par des communiqués que les différents clubs de l’île se sont manifestés. L’Anorthosis Famagouste (club réfugié à Larnaka depuis 1974 due à l’invasion turque de la ville de Famagouste), a été le premier à réagir en qualifiant le geste de K.Koutsokoumnis de « d’action regrettable et condamnable ». Côté ultras, le club en compte 3 000 environ, qui pour certains, sont partisans des mouvements de droite et ont eux aussi montré leur mécontentement en affichant un grand message lors de leur match contre l’Omonia Nicosie :

La banderole indique «Ο Σολωμός σκοτώθηκε για να την κατεβάσει, απο ψηλά σε βλέπει και έχει αηδιάσει», en VF : « Solomos a été tué pour l’avoir descendu (le drapeau turc, ndlr). Du paradis il te voit et il est dégoûté »

Par ailleurs, comme dit plus haut, Solomos Solomou a été tué tout près de la ville de Larnaca (où se trouve le siège du club) et était né à Famagouste, 4 ans avant l’invasion turque, et a du se réfugier à Larnaca. Les «μαχητές » (« les combattants »), nom donné aux ultras du club de Famagouste, ont aussi brandi le drapeau grec dans ce match, une manière pour montrer une fois de plus leur attachement à la Grèce, et montrer leur camp face à cette polémique.

De son côté, l’APOEL Nicosie a écrit quelques lignes sur les réseaux sociaux et explique que dans une « patrie blessée » depuis 42 ans, porter le maillot de la Turquie « est une honte. »APOEL-Chypre

« Dans une patrie blessée et ensanglantée depuis 42 ans, un drapeau turc sur la poitrine est une honte… »

Du côté de leurs supporters, ils demandent plus clairement une démission de K. Koutsokoumnis de la présidence à la fédération chypriote. Les Ultras de l’APOEL Nicosie (souvent positionné à  droite), ont une plus grande hostilité envers le nord de Chypre, et évoquent souvent leurs affections envers la Grèce.

Lors du match APOEL-AJAX en 2014, dans le virage nord où se trouvent les fanatiques de l’APOEL, on pouvait retrouver à gauche le drapeau chypriote où la partie nord, occupée par la Turquie, est coloriée en rouge et un « N’oubliez pas » en plusieurs langues est inscrit. A droite, se trouve le drapeau de Chypre dans le drapeau de la Grèce moderne.

Ces supporteurs déplorent l’attitude de Koutsokoumnis de « trahison », en pensant aux « héros chypriotes qui se sont battus et se sont défendus pour la terre grecque face à l’invasion turque. » La revendication a également été jusqu’à une banderole affichée au siège du club indiquant « Tourkokoumnis (jeu de mots avec « Tourkos » qui signifie turc en grec, ndlr) tu as oublié les morts de 1974. »

APOEL-Tourkokoumnis

L’un des trois clubs de Limassol, l’Apollon Limassol, a lui été plus diplomate, en demandant au président de la KOP, dans un communiqué, de « s’excuser envers le peuple et les supporteurs chypriotes. » Enfin, l’Omonia Nicosie, a expliqué que « depuis qu’une partie de Chypre se trouve sous occupation turque, avec les conséquences tragiques connues, nous devons être doublement attentifs et ne pas provoquer avec des actions ou autres manières, les sensibilités de notre peuple. » Le groupe ultras des « trifili » («les trèfles», nom donné dû au symbole de leur logo, ressemblant d’ailleurs à ceux du Panathinaikos ou du Celtic), a quant à lui, été plus direct et a demandé à K. Koutsokoumnis de démissionner.

Les différentes réactions des clubs chypriotes donnent une idée de la pensée de la population chypriote face à cette polémique.

Et du côté des Chypriotes turcs ?

On aurait pensé que les Chypriotes turcs allaient réagir et montrer leurs sentiments mais, finalement, pas tellement. Cette nouvelle n’a pas fait grand bruit, si ce n’est quelques articles de journaux chypriotes turcs qui ont rapporté les faits sans trop donner un avis aussi tranché que l’on a pu le voir du côté de la partie grecque de l’île. Une situation finalement compréhensible, cette polémique peut surtout être considéré comme une polémique « chypriote grecque », dans la mesure où la « RTCN » n’est pas concernée par ce vif débat.

La réponse de l’intéressé

Face à ces nombreuses accusations, le président de le Fédération Chypriote n’a pas mis trop de temps à répondre. En quelques paragraphes, postés sur son compte Facebook, il a expliqué qu’ « en portant le maillot, il montrait la supériorité et la liberté » de son pays. De plus, il a évoqué son geste comme « une déclaration envers les Turcs, que leurs symboles et leurs valeurs » ne le touchaient pas. Il s’est justifié en affirmant que « s’il s’était caché pour ne pas porter la maillot que tout le monde aurait porté (les autres présidents de fédérations) » il aurait alors donné « à la Turquie une importance qui ne le mérite pas. » Sa réaction a, elle aussi, été mal prise. Sa publication n’est d’ailleurs plus visible, elle a été supprimée de son compte quelques heures après.

Pour rassurer Kostas Koutsokoumnis, cette polémique n’a pas fait de vif débat en dehors de Chypre et de la Grèce. Mais il pourrait avoir des conséquences sur son avenir dans la Fédération Chypriote de Football.

Stéphane Meyer


Image à la une : apoel.net

2 Comments

  1. Pingback: On a vécu Omonia Nicosie vs.Beitar Jérusalem - Footballski - Le football de l'est

  2. True Grit 17 février 2017 at 14 h 57 min

    Et bien voilà un beau brûlot anti-turc, ultra-orienté et même propagateur de mensonges, qui révèle bien la mentalité des Chypriotes grecs concernant la possible réunification de l’île.

    Comment considérer que revêtir le maillot turc, lors d’un match amical sensé justement rapprocher les voisins de la Turquie, peu importe leur origine ? Au contraire, ce geste va dans le sens même d’une réconciliation envers les Turcs : je ne peux qu’espérer qu’un Chypriote turc en fasse un jour de même.

    Dès l’introduction, l’auteur se force à montrer que les Turcs sont les « méchants » : invasion turque de 1974 oui, mais vous êtes-vous demandé pourquoi au juste ? Peut-être ne l’avez-vous pas précisé volontairement car il est vrai que les raisons montrent un tout autre visage des Chypriotes grecs que celles que vous voulez sournoisement montrer…

    En effet en quoi l’invasion constitue-t-elle un prétexte ? L’intervention turque a été expressément demandée par les Chypriotes turcs, victimes de pogroms des milices et appuyées par la junte chyprio-grecque, qui ont causés pareillement la déportation de dizaines de milliers de Chypriotes turcs vers le Nord. N’oublions pas donc, que le premier élément déclencheur de cette division est le fanatisme des Chypriotes grecs qui, non contents de s’être déjà accaparés des îles de la côté égéenne turque, désiraient en plus de s’octroyer Chypre !

    Plus loin, la propagande de cet article se révèle encore plus explicite : comment peut-on oser dire que l’attitude turque est « arrogante » et ne montre « aucune volonté » concernant la réunification ? Il s’agit là de la pure diffamation : rappelons que la résolution de l’ONU porté par Kofi Annan en 2004 sur la réunification de l’île a été acceptée du côté turc et… refusé du côté grec ! Qui sont dès lors les réfractaires à la réconciliation ? Dans le même sens, alors que les négociations ont de nouveau reprises depuis 2015, le parlement chypriote grec a eu la brillante idée de voter une loi instaurant l’enseignement et la célébration du référendum de 1954, durant lequel la majorité des Grecs se sont prononcés favorables au rattachement à la Grèce. Dans ce contexte de négociations, là encore n’est-ce pas une preuve ultime de mauvaise foi et de mauvaise volonté de la part des Grecs ?

    Plus loin, les réactions effarantes et haineuses des clubs et supporters chypriotes grecs montrent bien le problème latent qu’ils ont à l’égard de tout ce qui est turc : comment envisager la paix avec un voisin qui depuis le berceau vous diabolise, vous considère comme le pire des maux, et fait tout pour vous nuire à l’échelle internationale ? Côté turc, le manque de réaction illustre bien que les attitudes sont plus matures et pleines de recul : surtout elles prouvent que les Chypriotes turcs ne basculent pas dans la haine aveugle de leurs voisins, qui eux pourtant ne s’en privent pas.

    Rien que dire que porter le maillot turc est une honte est une révélation criante encore une fois sur l’état d’esprit des Chypriotes grecs : il n’est pourtant pas rare de trouver des drapeaux grecs dans les stades sud-chypriotes, et des drapeaux de Chypre-Sud dans les stades grecs, et pourtant les Chypriotes turcs ne s’étranglent pas à ce point alors quand bien même ils ont été souvent discriminés avant d’être déportés de force par les milices grecques !

    De nouveau encore, l’auteur se contredit en accusant la partie turque d’être de mauvaise foi, alors qu’il précise l’affinité des supporters et des clubs de l’APOEL Nicosie et de l’Anorthosis Famagousta (la ville de Gazimağusa se porte très bien aux dernières nouvelles au passage) envers la Grèce : une attitude nonobstant la partie turque et prouvant une nouvelle fois qu’ils ne soutiennent pas de réconciliation avec celle-ci ! Bien sûr ils peuvent se vanter d’avoir reçu une belle fessée de l’armée turque, mais il faudrait aussi ajouter que ceux qui ont échoué face à celle-ci, s’en prenait d’abord aux civils turcs : c’est déjà moins glorieux !

    Enfin, n’oublions pas qu’en revêtant ce maillot turc, Kostas Koutsokoumnis aurait tout simplement pu s’en féliciter, car heureux est celui qui se dit Turc !

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