Trepca, un nom mythique au Kosovo et en ex-Yougoslavie : celui de mines et de clubs de la ville de Mitrovica. Celui d’une union passée et de dissensions présentes entre Kosovo et Serbie.

Trepca, objet de tension entre Kosovo et Serbie

La situation politique actuelle est compliquée au Kosovo. Après des mois de négociations sans succès suite aux dernières élections, la pression de la communauté internationale a abouti à la formation d’un gouvernement abscons à la tête du Kosovo alors qu’aucun parti n’était en mesure de construire une alliance assez forte pour gérer les affaires du pays. Dans cette alliance forcée, des vieux de la vieille comme l’indéboulonnable Hashim Thaci font équipe avec des habitués de la scène politique comme Isa Mustafa (ancien maire de Prishtina) mais aussi et surtout avec des membres du parti Srpska, qui comme son nom l’indique représente les Serbes du Kosovo, jouissant de liens très étroits avec Belgrade.

Une polémique fait rage ces derniers jours concernant les mines de Trepca. Situées près de la ville de Mitrovica, ces mines se partagent entre le nord et le sud du Kosovo, autour de la rivière Ibar – frontière officieuse entre la partie serbe et la partie albanaise du Kosovo. Jadis joyau de la région, les mines ont subi de plein fouet la guerre du Kosovo et le gel des relations économiques entre Serbie et Kosovo. Les autorités de Prishtina ont récemment voulu remédier à cela, amendant quelques lois afin de rendre plus facile la prochaine nationalisation des mines de Trepca.

Cette démarche unilatérale n’a pas été du goût des autorités serbes, expliquant que les mines de Trepca sont une propriété de l’état serbe. Ces discussions complexes se font également dans le contexte d’un dialogue forcé entre les deux états, sous l’oeil « bienveillant » de l’Union Européenne. Ljubomir Maric, Serbe et ministre du gouvernement kosovar, a déclaré que « la paix sociale au Kosovo et Metohija dépend de la manière dont le problème de Trepca sera solutionné. »

L’importance des mines de Trepca au Kosovo

Ces derniers jours, des Serbes du Kosovo ont manifesté pour exprimer leur désaccord avec une possible nationalisation des mines de Trepca alors que les Albanais du Kosovo font fleurir sur les réseaux sociaux des images de l’emblème des mines avec un « E Jona », les nôtres en VF.

trepca
Le complexe minier de Trepca au Kosovo

Les mines de Trepca ont longtemps été un des fleurons économiques de la Yougoslavie et un des plus grands pourvoyeurs d’emplois du Kosovo. Trepca représentait à son apogée 70% du PIB de la région du Kosovo. Ces mines d’où étaient extraits du lignite, du plomb, du charbon, du zinc, de l’argent entre autres employaient plus de 20 000 personnes à sa grande époque dans les années 1970 et 1980. Serbes et Albanais y travaillaient ensemble; faire partie de Trepca était un élément de fierté, comme le racontent aujourd’hui encore d’anciens mineurs.

Mais les mines ont été des victimes collatérales de la guerre du Kosovo. Cela avait commencé bien avant 1999, exactement 10 ans plus tôt, quand les mineurs ont décidé de faire une grève de la faim pour protester contre l’abolition de l’autonomie de la province du Kosovo dans le contexte yougoslave. Bien entendu, la guerre de 1999 et la partition de Mitrovica ont tué cette entreprise. Des installations ont été fermées, les mines ne tournent plus qu’au ralenti et faute d’investissement, tout y est aujourd’hui obsolète voire dangereux.

La grande époque du FK Trepca

Si les mines ont été et demeurent un élément d’identité pour les habitants de Mitrovica, le club de football qui portait aussi le nom des mines eut le même impact. Rafet Prekazi, joueur de la grande époque des années 70, racontait dans un documentaire : « C’était un honneur d’être de Mitrovica. Où que nous jouions, les gens venaient nous voir. Où que nous jouions en Yougoslavie, des gens de Mitrovica étaient dans les tribunes, peu importe la nationalité. Comme à Manchester, vous pouvez être autrichien mais vous aimez avant tout Manchester. »

Les grandes heures du club de Trepca Mitrovica remontent à la deuxième moitié des années 1970. A l’époque, cette équipe composée de joueurs albanais et serbes connaît la première division yougoslave, Ratomir Musekic se remémore : « En 1976-77, nous avions une bonne équipe et sommes montés dans l’élite yougoslave. La fête fut incroyable. Mitrovica et le Kosovo tout entier ont fêté cela. »

L’équipe fera long feu en D1 yougoslave après une seule saison ratée mais l’exercice 1977-1978 sera surtout marqué par une épopée historique en coupe de Yougoslavie. Cette magnifique aventure conduit les Rudari (les Mineurs) aux quatre coins de la Yougoslavie, Trepca bat Napredak Krusevac puis l’Olimpija à Ljubljana avant d’aller gagner en Serbie à Cacak. En demi-finale, Trepca se retrouve face à l’ogre Dinamo Zagreb, l’un des quatre grands du football yougoslave.

A Mitrovica, le Trepca des Dragomir Mutibaric, Fikret Grbovic et Fisnik Ademi s’appuye sur un énorme soutien populaire et une défense de fer. Comme lors des trois matchs précédents, Dragomir Mutibaric parvient à ne prendre aucun but. Trepca se qualifie en finale après la séance de penaltys. Cette finale, jouée à Belgrade devant 45 000 personnes, est perdue face à Rijeka avec un but de Milan Radovic, qui passa par le Stade Brestois plus tard. Un but intervenu à la 91è minute; encore une fois Trepca avait failli réussir à rester invaincu.

Rijeka-Trepca
Trepca en vert lors de son unique finale de coupe de Yougoslavie

Bien entendu, le club du FK Trepca a également subi les évènements de 1989 puis de 1999. Prekazi se souvient :« Nous vivions dans une atmosphère superbe. Jusqu’à 1989, tout était parfait. » De son côté, Musekic partage aussi cette nostalgie : « Tout le temps où nous avons joué ensemble au football, nous étions de très bons amis. Nous sommes toujours amis mais certains sont partis vivre dans le sud et nous sommes restés dans le nord. Nous n’avons plus de contact, nous ne nous rencontrons plus. »

Et aujourd’hui, que reste t-il de Mitrovica et de Trepca ?

La première chose qui vous marquera si vous allez un jour à Mitrovica est ce pont séparant les deux côtés de la ville. D’un côté, les drapeaux albanais, les évocations de l’UCK (armée de libération albanaise du Kosovo) sur les murs ; de l’autre, les drapeaux serbes et les inscriptions en cyrillique. C’est cela aujourd’hui Mitrovica, une ville séparée en deux où les échanges sont limités au strict minimum. Elle est bien loin la ville qui faisait la gloire économique du Kosovo, son aura culturelle en a aussi pâti. Elle n’est même plus la première ville du Kosovo, délaissée au profit d’une Prishtina plus centrale.

Parc paix Mitrovica - Footballski
Le « parc de la paix » sur le pont séparant les deux côtés de Mitrovica

L’histoire des mines de Trepca est symbolique de ce que fut Mitrovica du temps de la Yougoslavie et de ce que le Kosovo est devenu aujourd’hui, englué dans un dialogue pas vraiment souhaité entre Prishtina et Belgrade. Les grandes victimes de cet immobilisme politique restent les mineurs qui ne peuvent plus travailler qu’à un rythme très en-deçà de la grande époque voire plus du tout. Quand on sait que ces mineurs faisaient généralement vivre des familles entières grâce à leur seul salaire, on comprend l’ampleur de la catastrophe économique (le chômage serait proche de 50% au Kosovo) qui pousse des dizaines de milliers de Kosovars à choisir l’immigration illégale chaque année.

Le FK Trepca est aujourd’hui représenté des deux côtés de l’Ibar par divers clubs. Le FK Trepca Kosovska Mitrovica évolue en division régionale serbe alors que le FK Trepca et FK Trepca 89 évoluent en première division au Kosovo. L’héritage de la génération des années 1970 est glorifié par le club serbe actuel mais les Kosovars ne le renient pas, de même que le stade dans lequel le FK Trepca kosovar joue actuellement est le stade historique du FK Trepca yougoslave.

Aujourd’hui, Trepca est l’histoire d’une Mitrovica et d’un Kosovo divisés. Une division voulue par beaucoup. La nostalgie reste bien souvent enfouie et pourtant les habitants de Mitrovica sont fiers de ce que fut leur ville. Espérons que l’intelligence prévale et que Trepca redevienne un élément de vie à Mitrovica dans les années à venir, à défaut d’union.

 

Tristan Trasca

5 Comments

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