A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Nous continuons avec le Kazakhstan. Episode 4 : les tragédies du formidable Vladimir Lisitsyn


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Pendant les trente années (avec interruptions) du Kairat Almaty au plus haut niveau soviétique, d’excellents gardiens de but se sont succédé, chacun dans son style particulier. Mais tous, de Lisitsyn à Ubykin en passant par Belasikov, Kosenkov, Bubenets, Shvydkov, Ordabayev, ont trouvé leur place dans la mémoire des fans. Parmi tous ces noms, Vladimir Lisitsyn et Kuralbek Ordabayev étaient probablement les deux plus mémorables. C’est le premier qui a recueilli nos faveurs pour cette semaine spéciale, en raison de coups du sort qui lui ont ruiné non seulement sa carrière de joueur, mais aussi celle d’Homme.

Lisitsin

Bien que né dans l’Est du Kazakhstan, à Semei, Vladimir Lisitsyn se forme en tant que gardien de but à Moscou. Problème majeur, pendant son enfance, Vladirmir attrape une vilaine méningite qui est mal soignée et laisse de bien vilaines complications. En grandissant, le jeune homme contracte régulièrement de violents maux de tête accompagnés de profondes dépressions. Impossible pour lui d’en parler, sans quoi son avenir dans le football risquerait de s’évaporer. C’est ainsi que Lisitsyn suit une formation saccadée, avec le CSKA tout d’abord, puis le Dynamo, le Spartak et le Lokomotiv. Partout, le refrain est le même, le gardien n’est pas assez expérimenté pour jouer. Après son tour des clubs de football de Moscou, Lisitsyn comprend vite que son avenir est bouché dans la capitale et qu’il va falloir s’exiler. L’occasion en 1960 d’un retour dans sa République natale, à Alma-Ata, où le Kairat débute pour la première fois de son histoire en Classe A. Le choix du temps de jeu est le bon, la carrière de Vladimir prend une tournure bien plus intéressante. D’autant plus que le Kairat est conscient des problèmes du jeune gardien, et le gère de la sorte.

Les débuts de Vladimir Lisitsyn sont peu communs pour un gardien. Assez jeune, il apparaît dans l’équipe du Kairat au milieu de la saison 1960 contre le Spartak Trnava en entrant après la pause, en remplacement de Bashkatov. À partir de ce moment, il devient le gardien de but principal du club pour les trois prochaines années. Sorti de la prestigieuse école de gardiens soviétique, Lisitsyn est fiable, adroit et explosif. Pas particulièrement puissant, il mise plutôt sur la technique et les réflexes. Mais plus que tout, Lisitsyn a un courage extraordinaire, hérité de la manière de jouer des gardiens de l’époque, experts de sauvetages nécessitant un courage désespéré. C’est d’ailleurs pour cette raison que Vladimir Maslachenko n’a pas joué le Championnat du monde en 1962. Dans un match d’entraînement avec un club sud-américain, son geste kamikaze dans les jambes de l’attaquant lui vaut au passage un coup de pied à la tête, le blessant sérieusement pendant une longue durée.

L’accident de Minsk pour Lisitsyn

Après la saison 62, même en jouant dans une équipe peu médiatique comme celle d’Alma-Ata, Lisitsyn est inclus parmi les candidats pour le poste de gardien de l’équipe nationale. La popularité est méritée, mais le gardien est toujours victime de périodes assez troubles en raison de sa maladie. Au Kazakhstan, il est choyé, protégé par son club et il continue de protéger les buts du Kairat jusqu’à l’été 1963. Jusqu’à l’accident devenu célèbre lors d’un match contre le Dinamo Minsk. Avant celui-ci, Alma-Ata avait rencontré Minsk six fois et n’avait perdu qu’une seule fois pour 5 victoires. Ou plutôt, les Kazakhs avaient rencontré le Belarus Minsk, tout juste transféré au département de l’État « Dinamo ». Avec les privilèges qui en découlent, comparé au Belarus qui n’était pas affilié à un quelconque organe d’État.

Les faveurs politiques étaient donc un bon argument pour réunir à Minsk certains des meilleurs joueurs de Moscou: Malafeev, Mikhail Mustygin, Remin, Adamov ou Konovalov. Et pour faire jouer ensemble le tout, l’excellent entraîneur Alexander Sevidov venait d’être dépêché. Les joueurs de Minsk restaient d’ailleurs sur de belles performances en championnat, trustant le top 3. C’est donc en grande confiance que les joueurs s’avancent à Alma-Ata.

À cette époque, le match dure exactement 90 minutes, l’arbitre ne pouvant ajouter du temps en plus que dans des cas exceptionnels, tels qu’un filet troué ou l’arrêt de l’éclairage. Jusqu’à la dernière minute du jeu, le Kairat tient son précieux score du match nul, grâce à de belles qualités de combativité et de solidarité. Le public apprécie particulièrement la performance et le fait savoir. Quand tout à coup, dans les dernières secondes, les joueurs de Minsk interceptent le ballon au milieu de terrain, puis servent Sergey Yaromko, qui de 35 mètres, lobe un Lisitsyn étrangement passif. Et pour cause, le gardien s’était retourné pile à ce moment pour demander à un photographe combien de temps il restait…

Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’après cet incident, plus rien n’a été pareil pour Lisitsyn. Le mal est fait, les supporters retournent leur veste. À l’entrée sur le terrain des joueurs du Kairat lors du match suivant, des sifflets à son encontre descendent des tribunes, et les conversations tournent autour de lui. Même en feignant de les ignorer, Lisitsyn sait pertinemment que les fans lui ont tourné le dos, assurant haut et fort que Belasikov (le remplaçant) est un meilleur gardien. Le jeune homme est touché et retombe dans ses sombres travers. Bien que le deuxième gardien de but du Kairat, Yuri Belasikov, soit en fait bien loin du niveau de Lisitsyn, les sifflets et les conversations ne s’arrêtent pas. À la fin de la saison, Lisitsyn se rend au Spartak, pour le plus grand plaisir des fans du Kairat l’ayant pris en grippe. Un an plus tard, après 20 matchs, il doit pourtant retourner à Kairat, et les raisons de ce retour valent la peine d’être évoquées plus en détail.

Vladirmir Lisitsyn
de gauche à droite: Gennady Logofet, Sergueï Rojkov, Valery Reingold, Vladimir Lisitsyn et Vladimir Petrov

Taulier du Spartak…

Le premier match de Lisitsyn dans son nouveau club n’a pas été de tout repos. Au cours des deux saisons précédentes, le Spartak avait remporté le championnat, finit dauphin et avait aussi conquis une coupe d’URSS. Les Moscovites étaient les grands favoris pour la saison 1964. Mais le premier match à l’extérieur contre le futur champion du Dinamo Tbilissi est aussi compliqué qu’annoncé pour le Spartak. Heureusement, le nouveau gardien sort des parades incroyables, impressionnant la galerie. Lors de la deuxième journée, le Kairat accueille le Neftchi Bakou. Les Azéris perdent 4-0. Après le match, le coach Khlystov est interrogé sur les raisons de la défaite : «Leur gardien de but était infranchissable. S’il continue à jouer de la sorte, je lui garantis une place en équipe nationale. ».

Et Lisitsyn continue à jouer de la sorte et finit même par arriver en équipe nationale, la B et l’équipe olympique – Lev Yashin étant indétrônable en A -. Ce qui brisera net la carrière de Lisitsyn qui se voyait déjà concurrencer Yashin. Surtout qu’à ce moment ni le Spartak ni l’équipe nationale ne connaissaient les problèmes personnels du joueur.

…À la honte nationale

Vladirmir Lisitsyn kairatEn remportant la première couronne du Dynamo Kiev en URSS en 1961, l’entraîneur Vyacheslav Soloviev avait soudainement pris une certaine envergure dans le football soviétique, comme en témoigne sa nomination comme entraîneur principal de l’équipe olympique. Naturellement, Soloviev avait pris comme base pour son équipe olympique celle du Dynamo Kiev. Les gardiens de but de cette équipe étaient deux Géorgiens, références de l’époque, Sergei Kotrikadze et Ramaz Urushadze. La sélection olympique de l’URSS devait affronter celle de RDA dans un match couperet pour obtenir un billet pour les Jeux olympiques de Tokyo. Mais avant ce match décisif, le Dynamo Kiev est en crise et Viktor Maslov remplace Soloviev à la tête de l’équipe ukrainienne. Soloviev qui n’a plus que l’équipe olympique à sa charge décide de tout chambouler en prenant 5 nouveaux joueurs, dont Lisitsyn qui va même passer devant les Géorgiens pour se retrouver titulaire. Alors que la RDA avait la même équipe depuis 2 ans, l’URSS se présente avec des joueurs honorant leur première cape. Le résultat est catastrophique. La RDA gagne 4-1 et Lisitsyn n’est pas exempt de tous reproches pour ses débuts. En conférence d’après match, l’entraîneur assistant n’hésite pas à ouvertement accuser le malheureux gardien, ordonnant son expulsion de l’équipe.

Après la victoire aux JO de Melbourne en 1956, l’équipe soviétique venait de manquer pour la deuxième fois consécutive sa qualification. Les Jeux olympiques ayant leur importance dans la propagande de l’État, les suites de ce match se sont avérées chaotiques. La presse et les milieux sportifs soviétiques ont fait choux gras de ce nouveau piètre résultat. Tout le monde se renvoie la responsabilité, sauf celui qui jouait au poste le plus sensible et a eu le malheur de commettre les erreurs. Seul et sans pouvoir se défendre, Lisitsyn est la cible idéale et va devoir porter le fardeau sur ses épaules.

L’homme est complètement bouleversé par son échec. Après ce match catastrophique contre les Allemands, il perd totalement la confiance, et fait bourde sur bourde en championnat. Son entraîneur le met sur le banc puis décide de le relancer contre son ancienne équipe, le Kairat Alma-Ata. C’est un échec, et le Spartak perd à Luzhniki contre les Kazakhs, ce qui est vécu comme une humiliation. Après avoir passé la moitié de la saison comme deuxième gardien, Vladimir Lisitsyn retourne à Alma-Ata, où il joue sans son lustre d’antan. En 1967, le Spartak en panne de gardien le rappelle à Moscou pour lui donner une seconde chance. Là encore, le gardien déçoit et n’arrive pas à saisir cette nouvelle opportunité. De plus, dans le match contre le Dynamo, l’attaquant adverse Igor Chislenko lui donne involontairement un gros coup à la tête. Cette blessure entraîne rapidement la formation d’une tumeur au cerveau.

Gardien de but avec un grand talent, mais un potentiel inexploité, Vladimir Lisitsyn arrête sa carrière à 31 ans alors qu’il était retourné à Semipalatinsk, sa ville natale, sous la curiosité des nombreux fans venant voir l’ancienne idole du Kairat et du Spartak Moscou. Le Spartak Semipalatinsk lui propose ensuite un poste dans le club, qu’il accepte. Mais les dépressions sont de plus en plus fréquentes, une rupture familiale en raison de l’échec de sa carrière l’isole encore plus et sa maladie devient chaque jour plus forte. En août 1971, à bout, Lisitsyn décide de mettre fin à ses jours quelques jours avant son 33e anniversaire. À Semeï comme à Almaty, les noms de ville ont beau avoir changé, l’homme ne sera jamais oublié. Et ce n’est pas demain que le football kazakh se trouvera un gardien aussi iconique que Vladimir Lisitsyn.

Damien F.


Image à la une : www.sports.ru

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