Suite de notre grande fresque sur la formation de la légendaire équipe du Steaua Bucarest victorieuse de la Coupe d’Europe des Clubs Champions voilà 30 ans, en 1986. A l’été 1983, la position d’Emerich Ienei est plus que fragile. Ilie Ceaușescu ne l’apprécie pas et convainc le Ministre de la Défense Constantin Olteanu que Florin Halagian est l’entraîneur idéal pour le club.

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Eté 84, Halagian et la connexion Scornicesti

Si Florin Halagian correspond au profil apprécié par Olteanu et Ilie, le frère du dictateur, il est surtout un entraîneur totalement extérieur au club. Il vient même du camp d’en face : formé au Dinamo Bucarest dans les années 50, il est ensuite passé notamment par le Dinamo Pitești durant sa carrière de joueur. Lorsqu’Olteanu informe Alecsandrescu de son choix, le Sphinx ordonne que son adjoint soit un homme de la maison. Un homme bien connu : Anghel Iordănescu ! Après deux années passées en Grèce, ce dernier a déjà commencé, à 32 ans, à s’intéresser au poste d’entraîneur. La proposition tombe à point nommé pour lui. Il refuse même une offre de contrat du Panathinaikos pour rentrer à Bucarest.

En cet été 1984, le principal chantier concerne l’aspect défensif de l’effectif. Après avoir échoué par deux fois face au Dinamo dans les matchs décisifs, l’équipe a besoin d’une meilleure assise défensive, de joueurs capables de résister à la pression et de serrer les rangs. Mais surtout de meilleurs défenseurs. Les jeunes Belodedici et Tătăran sont les seuls à rester au club aux côtés de Iovan et Florin Marin. La défense a ainsi besoin de renforts, et l’arrivée de Florin Halagian tombe à point nommé. L’entraîneur arrivé du FC Olt Scornicești compte bien faire venir avec lui des joueurs de son ancienne équipe. Le premier est un grand blond, Adrian Bumbescu. Venu lui aussi en provenance de Scornicești une année plus tôt, Victor Pițurcă se charge lui-même de convaincre Alecsandrescu et les dirigeants des qualités de son ancien coéquipier. Car ces derniers sont tout d’abord réticents. Passé deux ans par le Dinamo, Bumbescu ne s’y est pas imposé, au point d’être envoyé à Scornicești par le club bucarestois. Mais Pițurcă sait se rendre convaincant : Bumbescu était trop jeune à son arrivée à Bucarest. En deux années au FC Olt, il a pris, à 24 ans, une toute autre dimension. Et s’il n’est ni technique, ni buteur, même sur coups de pied arrêtés, l’homme est devenu un stoppeur hors pair, d’une détermination sans faille, capable de déposséder du ballon n’importe quel attaquant adverse.

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Le blond Bumbescu aux côtés de Belodedici – © gsp.ro

Le transfert de Bumbescu ne se fait pas sans embûche. Car les dirigeants du Dinamo savent tout en temps réel. Comme eux, les dirigeants du FC Olt sont de la Milice. Après avoir truffé les bureaux du club de micros, ils peuvent tout savoir des négociations dans les moindres détails. Ils savent ainsi exactement quand Alecsandrescu doit faire l’aller-retour pour voir Bumbescu… et envoient le joueur dans d’autres villes pour les empêcher de se rencontrer ! Ils ne peuvent cependant rien contre l’arme secrète du Steaua : l’amitié le liant à Victor Pițurcă depuis l’enfance. Lassés d’aller à Scornicești pour rien, Alecsandrescu finit par demander à l’attaquant de trouver et ramener son acolyte à Bucarest. Ce qu’il parvient à faire sans encombre. En deux jours, Bumbescu est enfin prêt à signer. Les négociations ne sont qu’une modalité d’usage, et le transfert est validé dans la journée. Il aura fallu au final un mois pour y parvenir. Désireux de rejoindre une équipe européenne et fatigué des agissements des dirigeants oltènes, Bumbescu ne se fait pas prier pour rejoindre le Steaua, où il est d’ailleurs déjà lié d’amitié avec plusieurs joueurs évoluant avec lui en équipe nationale.

Dans le même temps, le poste de latéral gauche est lui aussi en passe d’être comblé, et là encore par un ancien joueur de Florin Halagian. Ce qui n’est d’ailleurs pas forcément pour faciliter les choses. Car après avoir été lancé dans le grand bain au FC Argeș puis amené à Scornicești par l’entraîneur, Ilie Bărbulescu est loin d’être ravi par l’idée de le retrouver. Un an plus tôt, fatigué par le rythme imposé par Halagian, le latéral avait explosé contre ce dernier dans le train qui ramenait l’équipe du FC Olt après un match. Il était parti dans la foulée au Petrolul Ploiești. Lorsque le Steaua le contacte, Bărbulescu prend plusieurs jours de réflexion. Tout comme ses anciens coéquipiers Bumbescu et Pițurcă, il sait combien travailler sous les ordres d’Halagian est éreintant. Mais il sait aussi qu’à 27 ans, c’est une occasion qui ne se représentera plus. C’est Halagian lui-même qui parvient à le convaincre. Intelligemment, celui-ci reconnait sa part d’erreur et assure que leur brouille est oubliée. Un appartement, une Dacia, des études à l’Académie Technique Militaire et un grade pour son épouse plus tard, Bărbulescu signe.

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Ilie Bărbulescu, un héros discret – © fcsteaua.ro

L’équipe de Séville se dessine

Duckadam dans les cages, Bărbulescu à gauche, la paire Bumbescu-Belodedici dans l’axe et Ștefan Iovan à droite. A l’été 84, le Steaua tient la défense qui le mènera au plus haut moins de deux ans plus tard. Mais pour les joueurs, l’heure n’est pas encore à l’enchantement mais à la désolation.

Car si Halagian travaille depuis un bon mois avec les dirigeants du club pour le recrutement, personne n’a encore été informé de son intronisation. Ni les joueurs, ni même Emerich Ienei! Parti en vacances chez lui à Oradea, ce dernier devait être prévenu de la date de reprise de l’équipe. Le téléphone n’a jamais sonné. C’est par la presse qu’il apprend son remplacement par Halagian. Une méthode qu’il avait déjà connue en 1978, au terme de son premier passage sur le banc du Steaua.

Les choses sont à peu près identiques pour les joueurs. C’est par le bouche-à-oreille que ceux-ci apprennent la nouvelle, les anciens pensionnaires de Scornicești ayant informé leurs coéquipiers durant les vacances. Ils leur ont également expliqué qu’avec l’arrivée d’Halagian, tout allait changer du tout au tout. A l’inverse d’un Ienei très protecteur et humain, leur nouvel entraîneur est un mathématicien. Il prépare et calcule tout, de la tactique au programme de repos en passant par les menus des repas. Et rien ne doit dépasser. Aucune entorse, même minime, n’est tolérée. Et au retour des vacances, les dix premiers jours de préparation se déroulent… sans ballon ! Pas le meilleur moyen de se faire apprécier des joueurs, mais, plus embêtant, cette rigidité provoque des tensions avec Alecsandrescu lui-même, étant également enclin à protéger le groupe.

Malgré ces tensions, les deux hommes s’accordent sur les joueurs à faire venir. En attaque, la cible est Marin Radu II. Encore un joueur bien connu d’Halagian puisqu’il l’a eu sous ses ordres à Pitești puis Scornicești. Un transfert qui va s’avérer bien compliqué. Après les épisodes Bărbulescu et surtout Bumbescu, le FC Olt ne veut pas entendre parler d’un transfert vers le Steaua. Surtout pour un attaquant de ce niveau, déjà titré deux fois meilleur buteur du championnat. Alors que le Steaua doit partir à l’étranger pour des stages de pré-saison, les dirigeants du club de Scornicești sont bien décidés à faire capoter le transfert. Pour aller à l’étranger, tous citoyen doit recevoir l’autorisation de la Securitate. Une autorisation accordée après étude du dossier. En un temps record, la Securitate parvient à monter un dossier sur Radu II, selon lequel il pourrait vouloir rejoindre un oncle déserteur à l’Ouest. L’avis négatif étant rédhibitoire, Radu II ne peut rejoindre ses futurs coéquipiers en préparation. Le transfert se fait néanmoins. Le Ministre de la Défense lui-même le promeut au grade de capitaine. Appelé d’office dans l’Armée, le buteur est enfin libre de rejoindre Bucarest, après plus d’un mois d’attente.

Pour terminer avec sa campagne de recrutement, Halagian vise un milieu de terrain. Un homme à poigne, capable de tenir à lui seul le milieu de terrain, et surtout, grâce à son expérience, de porter ses coéquipiers dans les moments décisifs. Ce joueur, il le connaît personnellement et s’est fait une question personnelle de le faire venir. Il s’agit de László Bölöni. Un joueur qu’il s’avère compliqué de convaincre.


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Car, à 31 ans, Bölöni n’a jamais quitté sa ville natale de Târgu Mureș. Et ce malgré les sollicitations de bien des clubs au fil des ans. De plus, Loți ne veut rien. Une maison ? Il ne veut pas habiter Bucarest. Un grade dans l’Armée ? Il joue déjà dans un club militaire, l’ASA Târgu Mureș, et l’a déjà refusé. Des études à l’université ? Il est déjà Docteur en stomatologie. Mieux, il reste reconnaissant envers la faculté et son club, qui s’est toujours arrangée pour qu’il puisse suivre ses études dans les meilleures conditions. Un grand club pour arriver au premier plan ? Il compte déjà 79 capes en sélection nationale, dont il est l’un des piliers. Le Steaua n’a rien à proposer pour convaincre Bölöni de quitter sa ville et sa famille. Halagian y parvient pourtant. En faisant plusieurs fois le long trajet personnellement, en expliquant qu’il serait une pièce de base d’un effectif amené à faire de grandes choses, mais surtout en assurant que toutes ses demandes seraient exaucées. Des demandes qui ne sont pas habituelles : pour continuer à exercer son métier, Bölöni souhaite en effet qu’un cabinet de stomatologie soit aménagé au stade, et qu’il puisse être détaché à Bucarest en tant que médecin, que son contrat avec le Steaua ne soit que pour une année et que son épouse, actrice, ait un poste au Théâtre Magyare de Cluj. Gêné par des douleurs persistantes dues à une infection faisant suite à une opération du tendon, Bölöni est également conforté par la confiance que lui accorde Halagian alors que lui-même n’est pas certain de pouvoir reprendre sa carrière normalement. Au final, les rapports humains entre les deux hommes l’emportent. Bölöni signe pour une année. Un contrat qu’il renouvellera trois fois par la suite…

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Bölöni, Pițurcă, Iovan, qui a la meilleure coupe? – © libertatea.ro

Halagian pour le meilleur et rapidement pour le pire

Si c’est grâce à l’humain que Florin Halagian a tenu toutes ses promesses au niveau des transferts, c’est également ce qui va le perdre. Tout va se dégrader très rapidement. Les premières tensions avec les joueurs apparaissent avant même le début de la saison. Le contrôle total recherché passe mal auprès du groupe. Les premiers matchs ne le confortent pas dans sa position. Pour l’ouverture du championnat, le Steaua reçoit le FC Argeș devant plus de 30 000 spectateurs curieux de voir cette équipe taillée pour gagner. Las, tout ne se passe pas comme prévu. Au milieu, Bölöni et Balint sont blessés, tandis que Belodedici est absent du groupe sur décision d’Halagian qui ne compte absolument pas sur lui, et souhaiterait même le voir partir. Latéral de métier, Iovan est titularisé dans l’axe aux côtés de Bumbescu.

Mais plus que sa composition, c’est le style de jeu imposé qui déçoit. Loin du jeu court prôné par Ienei, le Steaua se contente maintenant de longs ballons envoyés par la défense vers ses attaquants. Un jeu contre-nature qui ne porte pas ses fruits. Malgré une écrasante domination et un penalty raté, le Steaua ne peut faire mieux qu’un nul 0-0. Le suite est meilleure, avec quatre victoires consécutives qui mènent logiquement le club en tête de Divizia A.

Mais en interne, rien ne s’améliore. Les joueurs, qui ne veulent pas de l’autorité débordante d’Halagian, ont court-circuité leur entraîneur et sont revenus sur le terrain à leur jeu court. Avec succès d’ailleurs. Et rien n’est fait pour arranger la position de l’entraîneur. Finaliste de Coupe de Roumanie la saison précédente, le Steaua profite de la présence du Dinamo en C1 pour participer à la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe. Une compétition dont le tirage au sort lui offre dès le premier tour l’AS Rome, finaliste de Coupe d’Europe des Clubs champions quelques mois plus tôt !

Cette grande affiche, le Steaua va devoir la disputer sans Bölöni ni Balint, toujours sur le flanc, mais également sans Bărbulescu ni Stoica, suspendus. Malgré ces absences, Belodedici n’est que sur le banc. Mais, plus grave, l’entraîneur doit faire face avant le match à une grève de ses joueurs! Après une nouvelle interdiction lors du repas de midi, ces derniers haussent le ton et prennent en charge leur propre entraînement d’avant-match, laissant Halagian prendre place dans les tribunes. Ce qui ne les empêche pas de faire un excellent match. Malgré plusieurs occasions, les Bucarestois butent sur un impeccable Tandredi dans la cage romaine et s’inclinent 1-0 sur un but marqué en fin de match par Graziani.

Deux semaines plus tard, à Bucarest, les absents sont de retour, mais pas la victoire. Revenu à l’entraînement depuis une petite semaine, Bölöni ne peut faire la différence au milieu. Et au final, les deux équipes se quittent sur un 0-0 qui qualifie les Romains. Une élimination fatale pour Halagian. Ses joueurs lui sont opposés et ses relations avec Alecsandrescu sont toujours tendues. Mais, plus embêtant, les plus hautes sphères du gouvernement s’en mêlent. On raconte que Nicolae Ceaușescu lui en veut d’avoir affaibli l’équipe de Scornicești en faisant venir plusieurs joueurs à Bucarest. C’est surtout l’élimination européenne qui ne passe pas. Depuis plusieurs années, les dirigeants roumains veulent voir un club couronné en Europe, comme cela a déjà été le cas en handball ou en volley. Il faut un champion européen, peu importe le club. L’Universitatea Craiova a atteint les demi-finales de la Coupe UEFA en 1983 après avoir éliminé la Fiorentina ou les Girondins de Bordeaux. Et au printemps 1984, c’est le Dinamo qui est arrivé en demi-finale de C1, en éliminant notamment le tenant du titre Hambourg grâce à une victoire 3-0 à domicile. En dépit du statut de la Roma, la défaite est donc vécue comme une immense déception et malgré un parcours impeccable en championnat, avec cinq victoires pour deux nuls et treize buts marqués contre un seul encaissé, Florin Halagian est obligé de démissionner au soir de la 7e journée de Divizia A.

Le retour d’Emerich Ienei

Après cet épisode avorté, le Ministre de la Défense Olteanu décide de revenir aux fondamentaux : des hommes du club, des Steliști de cœur à la tête de l’équipe. Le premier nom à venir est celui d’Anghel Iordănescu. Sorti de sa carrière de joueur et revenu de Grèce pour son club de toujours, Iordănescu est tout d’abord allé se faire la main à la fédération en tant qu’adjoint de la sélection espoirs. C’est à lui qu’Olteanu propose la place d’entraîneur du leader de Divizia A. S’il a déjà beaucoup appris sur le métier, ce dernier ne se sent néanmoins pas prêt, à 34 ans, d’être capitaine d’un tel bateau.

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Le tandem Iordănescu et Ienei – © romaniatv.net

Si Iordănescu n’est pas l’homme providentiel, il ne peut y en avoir qu’un autre : Emerich Ienei. Son retour n’est qu’une formalité. En effet, malgré qu’il soit retourné chez lui à Oradea, Ienei fait toujours partie de l’Armée. Il est donc toujours payé, et obligé d’obéir à son supérieur Olteanu lorsque ce dernier l’appelle pour reprendre son poste, avec le jeune Anghel à ses côtés. Un retour rapide donc, qui, s’il fait bouillir Ilie Ceaușescu (les deux hommes auront d’ailleurs de très vives discussions en public), procure un plaisir infini aux joueurs !

Libérés, les joueurs du Steaua continuent leur triomphale marche en avant en Divizia A. Si les compositions restent très proches de celle mise en place par Halagian, le jeu est lui totalement différent. En défense, Miodrag Belodedici gagne peu à peu du temps de jeu au point de devenir titulaire à part entière au côté de Bumbescu, Iovan revenant à son plus habituel poste de latéral droit. Au milieu, le duo László Bölöni – Tudorel Stoica se met bien en place, avec le premier nommé au poste de sentinelle devant la défense tandis que Stoica joue avec une grande liberté de mouvement, que ne lui laissait pas son ex-entraîneur. Bölöni-Stoica, c’est le duo d’expérience qu’il manquait jusque-là à cette équipe. Placés au cœur de l’effectif sur le terrain, les deux joueurs donnent le rythme à leurs jeunes coéquipiers, grâce à leur expérience et leurs immenses capacités physiques. Un rythme démentiel.

Malgré un nouvel échec face au Dinamo, à domicile qui plus est (1-2 après avoir mené au score), les hommes du duo Ienei-Iordănescu marchent en effet sur le championnat. Entre novembre 1984 et avril 1985, ils signent une série de 12 victoires consécutives, auxquelles viennent s’ajouter trois succès en seizièmes, huitièmes et quarts de finale de Coupe de Roumanie. Au terme de la phase aller, le Steaua est leader du championnat à la trêve, juste devant son principal rival, le Dinamo. Une avance qui est toujours de quatre points (la victoire est alors à deux points), lorsque les deux équipes se retrouvent pour la 29e journée. Pragmatique, Ienei entraîne ses hommes dans une véritable partie d’échecs. Sans prendre le moindre risque, ce qui lui vaut des sifflets de la part de ses propres supporters, le Steaua obtient le nul (0-0) qu’il était venu chercher et conserve son avance. La fin de championnat est plus moyenne, avec deux victoires pour deux nuls et une défaite. Cinglante d’ailleurs, avec un 5-2 encaissé sur le terrain de l’U Craiova entraîné par un certain Florin Halagian. Au final, le Steaua s’assure du titre avec deux points d’avance sur le Dinamo, mais surtout avec les titres honorifiques de meilleure attaque (71 buts, soit plus de deux par match) et meilleure défense (24 buts encaissés seulement, et 19 matchs sans prendre de but), et une différence de buts de +47 !

La légende est en marche

A ce succès s’ajoute celui en Coupe de Roumanie. Car si les résultats sont en dents de scie en toute fin de championnat, c’est notamment parce que l’effectif tourne lors des dernières journées en vue d’une finale très attendue face à Craiova. En demi-finale, le Steaua joue déjà une finale, face au Dinamo. Un match dont il n’existe aucune image. Depuis quelques temps, Elena Ceaușescu a en effet interdit les retransmissions des matchs du championnat. Cette décision fait augmenter en flèche le nombre de spectateurs dans les stades – parfois au mépris de toute règle de sécurité, comme lorsque 100 000 personnes remplissent lors de la phase aller le Stade du 23 Août, escaladant les barrières pour assister par n’importe quel moyen au « couplage » Rapid-Steaua et Dinamo-Sportul. Mais elle provoque surtout une lassitude des équipes vidéo, qui ne se déplacent même pas au stade pour cette demi-finale. Aucune caméra n’est donc présente en ce 12 mai 1985 pour voir le Steaua offrir une démonstration ! Une victoire 5-0, grâce à deux buts de Pițurcă et Lăcătuș, et un de Gabi Balint.

En finale, le Steaua retrouve donc l’U Craiova de Florin Halagian. Déjà titré, après une longue attente de sept années, le Steaua a fait tourner en championnat face à cette même équipe une semaine plus tôt. De leur côté, les Oltènes sont privés de son buteur Cămătaru, blessé. Un an après avoir raté ses objectifs sur le fil, le Steaua ne craque pas cette fois-ci. Lăcătuș et Pițurcă marquent tous deux. Le Steaua s’impose au final 2-1 et s’offre un doublé coupe-championnat qu’il n’avait plus connu depuis 1976.

En une petite saison, une équipe à la dérive est devenue championne. Solide, pressante, rapide et presque imbattable. Loin d’être raté, le court passage de Florin Halagian a permis à cette équipe de connaître les ajouts nécessaires aux postes où elle en avait besoin. En quelques mois, l’équipe de Séville est née. Il ne manque plus qu’un seul élément: Lucian Bălan. S’il n’arrive qu’à l’été 1985, l’arrivée de ce dernier est en fait réglée… dès décembre 1983 ! A cette époque, Ienei a encore pour adjoint Victor Stănculescu, un homme qui connaît depuis presque dix ans un petit milieu de terrain infatigable. Après l’avoir suivi durant ses années lycéennes, il l’amène avec lui à Baia Mare, dans le nord du pays. Lucian Bălan n’a alors que 17 ans. Six années plus tard, Stănculescu, revenu à Bucarest, n’a pas oublié son milieu de poche (1,70m) et n’a de cesse d’en parler à Ienei. Au fil des ans, Bălan est devenu la pièce maîtresse du FC Baia Mare, promu en Divizia A. Lorsque les deux équipes se rencontrent en décembre à Bucarest, le match tourne à la démonstration. Le Steaua s’impose 7-0. Malgré la déroute de Baia Mare, Ienei est impressionné par le travail abattu par son milieu. Stănculescu n’avait pas menti. Les deux hommes l’attendent à la sortie du vestiaire pour lui proposer de « revenir » à Bucarest. Mais Bălan n’est plus Bucarestois. Marié, il est chez lui à Baia Mare et ne se sent pas de jouer dans la capitale. Ce n’est qu’après plusieurs jours de réflexion qu’il accepte l’offre, non sans une condition : terminer ses études à Baia Mare. Les dirigeants acceptent. C’est ainsi que Lucian Bălan, diplômé, quitte à l’été 85 son club, relégué, pour le nouveau champion.

Avec son arrivée, l’équipe de Séville est désormais au complet. Le Steaua est à l’aube de la plus belle page de son histoire. Moins de deux mois après leur succès en coupe, le capitaine Tudorel Stoica et ses coéquipiers sont de retour sur les terrains. Et de nouveau avec la victoire. Le 18 septembre, les Bucarestois sont au Danemark pour y affronter Velje au premier tour de Coupe d’Europe des Clubs champions. En pleine confiance, ils ont remporté leurs six premiers matchs de championnat, attendant la cinquième journée pour enfin encaisser un but. Quatre jours plus tôt, son dernier adversaire, le Petrolul Ploiești, est reparti de Ghencea avec une sévère défaite 6-1. Tout est prêt. La plus belle aventure européenne d’un club roumain peut débuter…

L’effectif au grand complet un soir de printemps sévillan: (haut) Bölöni, Belodedici, Iovan, Pițurcă, Bumbescu, Duckadam, (bas) Majearu, Lăcătuș, Bălan, Balint et Bărbulescu. © Getty Images

La majorité des sources sont issues des travaux titanesques d’Andrei Vochin, qui a beaucoup écrit sur l’histoire du football roumain en général, et du Steaua en particulier. Ses écrits sont particulièrement recommandés !

Pierre-Julien Pera


Image à la Une © Facebook – Retro Tikitaka

Article 1 : Semaine Spéciale Steaua 86 : Les 30 ans d’un incroyable sacre européen
Article 2 : Semaine Spéciale Steaua 86 : La naissance d’une équipe de légende (Partie 1)

Article 3 : Semaine Spéciale Steaua 86 : La naissance d’une équipe de légende (Partie 2)