180 minutes, voire plus. C’est ce qui sépare la Grèce d’une qualification au Mondial 2018, en Russie. Seul obstacle, de taille : écarter la Croatie de Modric et Mandzukic de sa route, tout en devant composer avec des blessés et des suspendus. Ce qui, on en convient, n’a absolument rien de facile. Mais de voir une sélection au fond du trou quelques mois avant en être à ce stade serait déjà presque une victoire. Parce que cette Grèce-là revient de très très loin.

11 octobre 2015, il y a un peu plus de deux ans. Ce soir-là, la Grèce domine la Hongrie dans un match prolifique (4-3). Le but tardif de Panagiotis Koné, à la 86e, donne la victoire à l’Ethniki Omada. La seule de cette phase de qualifications pour l’Euro 2016 en France, pourtant ouvert à 32 équipes, que la Grèce ne verra pas. Dernière de son groupe, derrière de grandes nations comme les Îles Féroé ou la Finlande qui n’ont absolument pas volé le fait d’être devant une pathétique sélection grecque qu’on ne reconnaît plus. Trois nuls, six défaites : jamais le champion d’Europe 2004 n’a semblé aussi bas. Et pourtant, les joueurs qui composent le groupe sont de qualité. La plupart évoluent dans de grands championnats, certains dans des gros clubs, et le reste dans les grosses écuries du championnat national.

La première décision forte arrivera une quinzaine de jours plus tard. Michael Skibbe, entraîneur allemand au CV peu emballant (échecs en Turquie) malgré trois ans passés à Leverkusen, et surtout assez peu connu du grand public, prend les rênes de la sélection. La défiance était de taille, logiquement, après les épisodes calamiteux de Ranieri puis Markarian, responsables en grande partie du naufrage d’un pays habitué des grandes compétitions. Surtout qu’en engageant un technicien allemand, la Fédération allait forcément remettre sur la table la comparaison avec le grand Rehhagel, le seul teuton en odeur de sainteté en Grèce. Mais le natif de Gelsenkirchen a directement fait profil bas. Avant de s’atteler à bien observer la Superleague, histoire de combler ses lacunes (compréhensibles) de la scène locale.

Septembre 2016, début de la reconquête

Passée cette déception/humiliation/honte (chacun choisira le terme qui correspond le plus à son ressenti), tout ce beau monde s’est remis au travail. Histoire de laver un honneur largement sali, et qui avait fait le tour du monde. Perdre deux fois contre les îles Féroés, qui peut en dire autant ? Hasard du calendrier, c’est à Gibraltar (ou plutôt à Faro, au Portugal), que la Grèce version Skibbe démarre son aventure. En s’imposant 4-1, les coéquipiers de Mitroglou démarrent de la meilleure des manières, dans un groupe où on leur promet une lutte avec la Bosnie pour occuper la 2e place derrière la Belgique.

Mais là où la Grèce étonne, c’est dans sa capacité à enchaîner. À retrouver une certaine régularité. Face à Chypre (2-0), puis en Estonie (0-2, là encore), le collectif semble retrouvé. La défense, aussi, elle qui avait tant souffert face aux redoutables attaquants nord-irlandais ou hongrois quelques mois auparavant. Mais le deuxième événement marquant arrive au sortir de la victoire en Estonie, la troisième en trois journées. Quand tout semble aller pour le mieux, paradoxalement. Le volcanique José Holebas, qui a perdu sa place de titulaire, prend sa retraite internationale.

Souvent raillé pour son manque d’implication, l’Allemand de naissance avait aussi cristallisé ce qu’il n’allait pas : trop d’individualisme, et un certain manque de dépassement de soi une fois la tunique nationale enfilée. Son niveau footballistique n’était pas le problème, puisqu’il s’agit d’un latéral de fort bon niveau. Mais en préférant s’écarter du groupe, il a sans aucun doute rendu un service à tout le monde : à lui, déjà, puisqu’il souffrait de cette situation, et de devoir sans cesse se justifier sur son implication. Au groupe, aussi, qui devait gérer un élément clivant, entre ses partisans et ses détracteurs. Et à Michaël Skibbe, aussi, qui n’aura plus à gérer un joueur très (trop) caractériel pour la mission Russie 2018.

Kostas Mitroglou, buteur grec à Bruxelles. (Dean Mouhtaropoulos/Getty Images)

Le déclic en Belgique ?

Et, avec le recul des mois, il est dur de ne pas voir en cette décision un des moments forts du renouveau de la sélection. Le nul arraché face à la Bosnie à la 95e, celui obtenu héroïquement en Belgique (et qui aurait mérité d’être une victoire) sont autant de signes qui montrent les progrès effectués par cette bande. Solides, agressifs, concentrés, combattifs : difficile de les reconnaître, tant on semblait avoir perdu trace de ces valeurs sur les dernières sorties. Le 25 mars dernier, après ce nul au Stade Roi Beaudoin de Bruxelles, on se dit que toute autre issue qu’une 2e place serait une déception.

Parce que le potentiel a toujours été là. Manolas, Sokratis, Papadopoulos en défense, Torosidis à droite, Samaris, Fortounis, Mantalos, Donis au milieu, Mitroglou devant : il y a, et il y a toujours eu, de quoi faire. Sans proposer un jeu très flamboyant, Michael Skibbe a bien compris comment ramener la Grèce à sa place. En la rendant très chiante à jouer, tout simplement. Regroupée derrière, pleine de vice pour faire déjouer des adversaires plus talentueux, profitant de ses rares occasions pour marquer (comme ce but de Mitroglou en Belgique au retour des vestiaires) : un air de 2004, non ? Proposer du jeu n’a jamais été le fort du Bateau Pirate, de toute façon. Et ça ne le sera sans doute jamais. Question d’ADN, il faut croire.

À tout cela, il a fallu rajouter une force mentale indéniable. Celle-là même qui permet d’aller chercher un 0-0 en Bosnie dans un stade bouillant et revanchard après l’accueil en Grèce, et où l’entraîneur-adjoint de Mécha Bazdarevic, Stéphane Gili, s’en était pris physiquement à Gianniotas. On a vu une équipe unie, faisant front. On a aussi vu un Zeca, pourtant naturalisé en cours d’année, se battre pour l’écusson, défendre ses camarades attaqués comme n’importe quel Grec de naissance l’aurait fait, puis donner 130 % pour un maillot qui, malgré les débats légitimes qui entouraient sa venue en sélection, semble lui aller à merveille. D’autres, comme Sokratis, se sont découvert des âmes de leader. Le capitaine de Dortmund, irréprochable sur et en dehors du terrain, illustre parfaitement le retour aux affaires de la Grèce.

Une frustration légitime

Quand bien même il est légitime de se satisfaire de ce retour aux affaires, cette campagne de qualifications qui s’achève a aussi laissé quelques regrets. Ou du moins, quelques frustrations. Qui se sont sans doute cristallisées le 31 août dernier, au terme d’un insipide et scandaleux match nul 0-0 face à l’Estonie, où on a, pour une fois, retrouvé le pire de la Grèce. Un faux pas qui aurait pu coûter très très cher, si la Belgique n’avait pas fait le travail en allant gagner en Bosnie par la suite. Frustration de voir qu’en l’absence de Mitroglou devant, la Grèce n’a aucun vivier en attaque. Vellios ? Tricard à Nottingham, où il ne joue plus. Diamantakos ? Peine à marquer dans la terrible D2 allemande. Karelis ? Gravement blessé avec Genk. Et Skibbe, dans tout ça, qui se refuse à choisir des joueurs peut-être moins talentueux (comme Ioannidis ou Vergos en Hongrie), mais qui, au moins, jouent et marquent régulièrement.

Ce qui illustre aussi un autre point important : bien qu’en progrès indéniables, la Grèce n’en demeure pas moins très fragile. Ce secteur offensif de qualité, mais peu quantitatif a, jusque-là, tenu le coup. Face à la Croatie, il sera amputé des précieux Donis et Mantalos, touchés pour un certain temps, mais comptera sur, finalement, celui qui peut réellement influer sur le sort de la rencontre : Kostas Mitroglou, fraîchement débarqué à l’OM où il doit affronter un flot de critiques pas toujours justifiées, mais où il semble peiner à prendre pleinement ses marques. Quoi qu’il en soit, l’ancien de Benfica et de l’Olympiakos a souvent répondu présent dans les grands événements, et il n’en demeure pas moins un attaquant de grand talent, sur qui beaucoup d’espoirs reposent.

Frustration, aussi, de voir un sélectionneur qui ne souhaite absolument pas, ou peu, changer de formule (qui fonctionne plutôt bien il est vrai) pour utiliser ses ressources du mieux possible. Mantalos, brillant à l’AEK, en a longtemps été l’illustration, avant de se blesser gravement. Sans doute le meilleur milieu relayeur de Superleague, il a été gâché sur l’aile, où ce n’est pas son poste et où ses qualités ont bien du mal à être exploitées. Lazaros a aussi mis un temps fou à être rappelé, quand bien même il marchait sur l’eau à l’AEK. Au niveau de la défense, la forte présence de défenseurs centraux de qualités pourrait inciter l’entraîneur à adopter à système à trois, avec Sokratis, Manolas et Papadopoulos, histoire de libérer Stafylidis et Torosidis sur les ailes, mais le réservoir sur le flanc droit n’est pas forcément emballant quand le taulier de Bologne n’est pas de la partie.

Ainsi se retrouve-t-on face à un constat délicat : Skibbe fait du bon boulot, et on doit s’en satisfaire. Là-dessus, rien à redire. Mais beaucoup estiment qu’il pourrait faire encore mieux, surtout au niveau du jeu produit. La question est : le peut-il réellement ? Le début de saison de Fortounis à l’Olympiakos, le maître à jouer de la sélection, est-il suffisant pour qu’il puisse enfin porter la sélection ? Clairement, non. Pourquoi s’entête-t-il à aligner Tziolis et sélectionner Maniatis ? Parce que ce sont deux joueurs essentiels au bon fonctionnement d’un groupe, même si leur niveau décline et que Tziolis évolue en Arabie Saoudite. Idem pour Karnezis dans les cages, même si Kapino a souvent assuré quand il en a eu l’opportunité. Parce que trop de gens, sans aucun doute, oublient vite l’état dans lequel était l’Ethniki Omada quand Skibbe l’a reprise en mains. Et il ne peut pas écarter des tauliers qui ont participé à toute la phase éliminatoire.

Deux dernières batailles face à la Croatie

Voilà donc la Grèce à la porte, bien blindée il faut l’avouer, du Mondial 2018. Deux guerres acharnées à livrer face à une Croatie qui croule sous les joueurs de renom. L’avantage n’est clairement pas dans le camp grec, mais, au final, ce n’est pas une si mauvaise chose. Quiconque connaît un peu le foot grec (voire le foot chypriote, surtout sur la scène européenne) sait que ces formations performent beaucoup plus quand elles sont dans le rôle du petit à qui on ne donne pas beaucoup de chance. Il suffit de voir les visages sur les réseaux sociaux, ou même lire les déclarations dans la presse. Jamais le niveau de détermination et de concentration n’a semblé aussi haut dans les rangs de la sélection. « C’est le match le plus important de ma carrière », glissait même Retsos à Sport24.

Mais cette première bataille, ce jeudi à Zagreb, avant un retour à la maison qui pourrait bien être décisif, se fait sans quelques éléments clés, ou importants. Manolas est suspendu, Donis et Mantalos forfaits, Torosidis et Sokratis sont incertains. D’autres, comme Karnezis à Watford, ou Stafylidis à Augsburg, n’ont que très peu vu le rectangle vert dans leur club. Mais une chose est sûre : peu importe le onze aligné, il donnera tout pour l’écusson. Quitte à, parfois, être à la limite dans l’engagement ou les fautes, comme ont pu le pointer les adversaires belges ou bosniaques croisés lors de la phase de poule. Parce que ces 23 hommes-là sont en mission : celle de ramener la Grèce à une place qui correspond un peu plus au standing d’un vainqueur de l’Euro. La Coupe du Monde, tout simplement.

Martial Debeaux


Image à la une : © facebook.com/ethnikiomada

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