C’était une occasion unique de voir Rujevica chanter l’hymne de la Ligue des Champions lors de l’automne. Malheureusement, Rijeka s’est fait sortir de la prestigieuse coupe européenne et ne réalise pas son rêve le plus cher. Manque de vision sportive selon l’entraîneur Matjaz Kek, réalité économique d’après le président Miskovic. Alors, qui a raison?

L’élimination contre l’Olympiakos n’est pas catastrophique pour Rijeka, le tirage ayant été particulièrement corsé. Après avoir réalisé une belle performance en éliminant Salzburg, le HNK a joué une autre valeur sûre européenne. Le match retour à domicile a été de bonne facture mais cette fois-ci, il a manqué quelque chose. Alexander Gorgon et Mario Gavranović ont eu des opportunités de faire basculer le match dans une autre direction mais ils n’ont pas été assez réalistes, et Marko Marin a crucifié les espoirs des Blancs.

Voilà la fin de l’histoire. Car personne n’a la volonté de faire une analyse tactique détaillée après de tels matchs et de telles défaites, bien qu’il y ait eu quelques moments clés intéressants à souligner dans le coaching des deux entraîneurs. On peut faire tous les graphiques possibles et imaginables mais du côté de Rijeka, les erreurs clés de ce match ont été faites il y a bien longtemps à écouter l’entraîneur slovène des Blancs :

« Il nous a manqué un ou deux joueurs afin que nous puissions nous confronter sérieusement à l’Olympiakos. Nous avons commis des erreurs avant le début de saison. Si vous voulez de bons résultats, vous devez disposer d’une stratégie sportive élaborée avant la saison. Vous devez vous organiser et vous préparer. Ce n’est pas mon travail, mais celui des bureaux,» a déclaré sèchement l’entraîneur Matjaz Kek en conférence d’après match.

Les bureaux ne seront probablement pas enchantés de la sortie de l’entraîneur, ce qui ne veut pas dire que ce dernier a complètement tort. Mais pour mieux comprendre la situation globale, effectuons un petit retour en arrière.

Volpi le sauveur, Volpi l’absent

Janvier 2011. Les joueurs refusent de se rendre à l’entraînement afin de protester contre les salaires impayés. Le match de reprise se conclut par une défaite 3-0 à Varazdin. Le coach Elvis Scoria, décrit comme le «Guy Roux de Rijeka » est sur le point de faire une dépression nerveuse tandis que sur le parking jouxtant le stade, le joueur Igor Cagalj se montre irrité au détour d’une conversation plutôt tendue avec un groupe de fans. Le capitaine Radomir Djalovic, vendu au Zenit pour 450 000 euros (alors que son prix du marché à ce moment-là était d’environ deux millions), fait le tour du propriétaire pour faire ses adieux. Sans ces 450 000 euros, le club ne pouvait pas payer les salaires, alors qu’aujourd’hui le revenu annuel d’un des joueurs de Rijeka avoisine ce montant.

Un an plus tard, Rijeka accueille ses magnats. Le 13 décembre 2012, le HNK passe d’une association de citoyens en une société sportive par actions. Le milliardaire italien Gabriele Volpi détient alors 70% des actions et 30% restent dans le giron de la ville de Rijeka. Les dettes sont payées, le club est réanimé. Pour construire une nouvelle aventure, le directeur sportif choisit Matjaz Kek. Contrairement à d’autres clubs croates (Cibalia, Istra), la question de savoir si la privatisation a entraîné les progrès escomptés, ou si des progrès ont été réalisés en général, la réponse est éminemment positive. La privatisation de Rijeka a entraîné un développement financier et sportif extrêmement important. A tel point qu’aujourd’hui le club connaît son âge d’or.

Oui mais voilà, Gabriele Volpi s’est depuis longtemps retiré du financement direct de Rijeka, ce qui a eu pour effet de laisser le club sans parachute financier. Et dans le football croate, sans un gros investisseur, il faut vendre des joueurs pour arriver à s’en sortir. En outre, Rijeka n’étant pas une pépinière de talents, des joueurs importants de l’équipe première doivent s’en aller pour apporter des liquidités. Kek connaissait la situation et en signant un nouveau contrat, il a accepté de travailler de la sorte.

D’autant plus que le président Damir Miskovic a répété plusieurs fois que «tous les joueurs de Rijeka sont en vente». Même après l’enthousiasme du titre en championnat, le businessman de Rijeka n’a pas changé son discours. Comme nous allons le voir plus bas, ses messages sont compréhensibles. Mais pour un club qui attendait le titre de champion depuis 71 ans et qui a la possibilité d’entrer en phase de groupes de Ligue des Champions, la réalité économique n’est pas la plus belle des mélodies pour les oreilles.

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Tableau 1 : Compte de résultat du HNK Rijeka

A la lecture de ce tableau, il est évident que, malgré la privatisation et les participations à la phase de groupe de la Ligue Europa lors des saisons 2013/2014, 2014/2015 et la conquête de ses premiers trophées nationaux après huit ans de disette, Rijeka n’a pas réussi à réaliser de profit à cette époque. En revanche, le profit a été atteint en 2015 et 2016, alors qu’il n’y avait pas de résultat européen significatif et pas de trophées nationaux. Cela nous amène au fait que le rendement économique des clubs croates dépend davantage de la politique de transfert que des résultats sur le terrain.

On pourrait diviser les revenus des clubs croates en trois catégories. La première serait le produit des transferts sortants, la deuxième serait les prix de l’UEFA pour les participations européennes et la troisième catégorie (la plus viable) serait constituée des revenus marketing, de billetterie, droits TV, produits dérivés, sponsors etc.

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Tableau 2 : Recettes de catégorie 3

En analysant la structure des revenus de Rijeka, on constate qu’en 2016, le club n’a réalisé que 18% des recettes provenant de la troisième catégorie, ce qui ne permet de couvrir que 19% des dépenses. Forcément, cela rend le club dépendant des transferts sortants et des prix de l’UEFA. Mais en 2015 et 2016, Rijeka n’a pas participé à la phase de groupes de la Ligue Europa, ce qui le rend encore plus vulnérable et dépendant des transferts sortants. A titre de comparaison, Rijeka pourrait se rapprocher de la structure du Dinamo Zagreb qui, en 2015, ne possédait que 17% de ses revenus provenant de la troisième catégorie contrairement à l’Hajduk pour qui la part était de 56%. La comparaison s’arrête ici, Rijeka ayant un potentiel sponsor très largement inférieur à celui de l’Hajduk. Et l’Académie de Rijeka n’est en aucun point comparable avec celle du Dinamo, qui peut revendre ses pépites pour des prix exorbitants.

En réalité, la structure économique de Rijeka se situe entre celle du Dinamo et de l’Hajduk. Le fait est que Rijeka n’aura probablement jamais le potentiel de commercialisation de l’Hajduk ou celui du Dinamo (le dernier étant malheureusement inexploité). Cependant, sa liquidité est à un niveau exceptionnel. Bien que cela dépende des transferts de joueurs, on constate qu’après l’injection financière initiale du propriétaire, Rijeka a pu se financer, comme le prouve le bénéfice au cours des deux dernières années. Compte tenu de l’environnement macroéconomique dans lequel Rijeka opèrent, les dirigeants du club peuvent se féliciter de ce qui a été fait de 2012 à 2017.

Une gestion sportive qui laisse à désirer

L’analyse froide des résultats ne doit pas masquer le manque d’ambition des dirigeants. En ayant mis toutes les chances de son côté, Rijeka aurait pu atteindre la phase de groupes de la Ligue des Champions, ce qui aurait été une opportunité unique pour renflouer les caisses du club. Une opportunité unique pour deux raisons. La première est que Rijeka ne sera pas champion chaque année avec des concurrents tels que le Dinamo, l’Hajduk ou Osijek. La deuxième est que les règlements de la Ligue des Champions vont changer et il va être plus dur pour les champions des petits pays d’accéder au Graal.

© Roberta F.

Dans ces circonstances, le manque d’ambition sportive irrite profondément Matjaz Kek et les fans. Comment comprendre qu’un élément clé comme le latéral Stefan Ristovski ait été vendu une semaine avant une double confrontation cruciale, les deux matchs les plus importants de ces dix dernières années pour le club ? Non seulement la vente oblige Kek à modifier tout son dispositif mais cela a aussi pour conséquence d’envoyer un signal très négatif à l’équipe. En ayant mis toutes les chances de son côté, Rijeka aurait pu se qualifier pour une compétition qui aurait rapporté un beau pactole financier, aurait augmenté la valeur du club, l’aurait rendu plus attirant pour les sponsors. On peut aussi mentionner le prestige sportif et l’opportunité de recevoir le gratin européen. Avec un technicien comme Kek, on aurait même pu penser que Rijeka aurait pu faire quelque chose d’intéressant, au contraire du Dinamo Zagreb et sa somme d’individualités incapables de jouer en équipe. Mais il semble que cette vision des choses n’ait pas effleuré l’esprit des bureaux.

Kek a même dû complètement improviser après l’expulsion de Leonard Zuta au match aller contre Le Pirée. Au retour, Marko Vesovic qui remplaçait Ristovski a dû s’exiler sur le côté gauche tandis qu’Ivan Martic, un remplaçant l’an dernier et en début de saison, a pris le côté droit. L’analyse des deux matchs prouvent d’ailleurs que les latéraux ont porté l’équipe vers le bas, ce qui est rédhibitoire à ce niveau. L’exemple parfait est le but de Marko Marin au retour. Absolument seul sur le côté droit de Rijeka, il se fait servir et tire tranquillement, sans être gêné. En général, quand on laisse à un joueur de la trempe de Marin 20 mètres d’avance dans le couloir, ça ne peut déboucher que sur un but. Evidemment, personne ne peut savoir ce qu’il se serait passé si Ristovski avait joué mais le Macédonien a prouvé qu’avec lui, de telles erreurs ne se produisaient quasiment jamais. Et Kek semble être clair quand il annonce qu’un joueur ou deux auraient suffi pour s’opposer à armes égales avec Olympiakos… A ce moment là, le club s’est probablement tiré une balle dans le pied quant à la qualification pour la suite.

Business is Business

Rijeka fait arriver et partir un nombre conséquent de joueurs. L’été dernier, lors de la préparation d’avant-saison, le club avait vendu son gardien de but, son capitaine, son meilleur joueur et son meilleur buteur. Cinq joueurs avaient joué plus de 3000 minutes la saison précédente, dont trois avaient marqué plus de dix buts. Seules des recrues libres avaient rejoint le club pour compenser. Malgré tout, Kek a réussi à remporter un trophée historique avec une toute nouvelle équipe qu’il a pu préparer pour en arriver au parcours incroyable qui a été réalisé.


Lire aussi : HNK Rijeka, retour sur un doublé historique


Cependant, les flux aussi fréquents de joueurs vont forcément de pair avec l’entretien de relations avec les agents. Et le football est une entreprise. Parfois il faut retourner un service donné.

Cet été, Rijeka a engagé Tomislav Gomelt et Damjan Djokovic qui ne sont pas au niveau physique adéquat. Dommage, quand on sait que la phase cruciale de la saison du club est en Août. Les deux joueurs recrutés pour être des éléments importants de l’effectif en étaient encore à une préparation physique individuelle au moment où Kek mettait en place son système. Dans le collimateur de l’entraîneur slovène, l’arrivée tardive de Matej Jelic pour remplacer le meilleur buteur et joueur de la saison dernière, Franko Andrijasevic. Les jeux d’agents, eux, ont surtout amené des joueurs pas forcément désirés par Kek.

Et c’est là que le bât blesse à Rijeka. Depuis le retrait de Volpi, la direction semble plus déterminée à maintenir des relations avec des tierces parties pour vendre des joueurs que montrer une ambition et une stratégie pour l’avenir sportif du club. L’homme clé de l’an dernier, Franko Andrijasevic, est parti dès le premier jour du mercato à la Gantoise pour 4.25M€. Si l’arrivée de Matej Jelic était prévue pour remplacer Andrijasevic, pourquoi ne pas l’avoir engagé à temps pour faire la préparation avec l’équipe ? Quant à Ristovski, si les dirigeants décident de le vendre, ils devraient penser comment le remplacer à temps, ce qui n’a pas été fait. L’organisation et la préparation en amont pour arriver à de tels résultats n’a pas été correctement étudiée. Et désormais, tout le monde sait que la communication entre Kek et sa direction est en train de s’effriter.

Cette opportunité historique de participer à la Ligue des Champions a non seulement été manquée mais a aussi été un révélateur de la nouvelle direction que prend le club. Après des débuts en fanfare, l’ère Volpi devient bien plus pragmatique, voire frileuse. Et attention, si le magicien Matjaz Kek venait à quitter le navire…

Damien F.


Image à la une : © Roberta F.

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