Temps de lecture 8 minutesYaroslav Rakitskiy, le vrai-faux séparatiste du football ukrainien

Yaroslav Volodymirovitch Rakitskiy, c’est 1m80 de muscles, de jeu rugueux et une technique pas dégueulasse. C’est aussi sept saisons en tant que titulaire au plus haut niveau avec le Shakhtar et une soixantaine de matches européens au centre ou à gauche de la défense minière. Bref, ça devrait être une évidence pour l’équipe d’Ukraine au moment de préparer ses bagages pour l’Euro 2016. Ca ne l’est pas pour une grande partie des fans de foot au pays.

Par contre, c’est bien le premier nom (après Srna) que couchent tous les supporters du club de Donetsk sur la feuille de match. Présentation d’un joueur clivant et plus que représentatif de l’état actuel du pays.

Un beau joueur

Ce qui est surprenant lorsque l’on checke la dégaine du gars Rakitskiy sur un terrain, c’est qu’on ne l’attend pas réaliser ce genre de passes.

https://twitter.com/finalthrd/status/966554477686870016?lang=fr

Pourtant, il les réalise de temps en temps et plus souvent que son look de gopnik* ne le laisserait présager. Le numéro 44 du Shakhtar Donetsk possède un super pied gauche et offre de séduisantes possibilités de relance dans l’axe de la défense. Des restes de ses débuts pros effectués en tant qu’arrière gauche sans aucun doute.

C’est à ce poste en 2009 que Mircea Lucescu lance ce jeune de l’académie (encore toute récente mais sur laquelle les dirigeants ont beaucoup misé) qui n’a pas voulu partir en prêt en début de saison au Metallurg Donetsk car confiant dans ses possibilités de percer dans le club numéro 1 de la ville, le Shakhtar.

Un an plus tôt, le sorcier roumain lui avait déjà offert ses premières apparitions avec le maillot orange et noir lors d’un amical d’avant-saison face au Besiktas. En ce 15 août 2009, c’est à un match officiel qu’il prend part. Face à Dniestra en Coupe d’Ukraine. Après la coupe nationale, c’est à la coupe continentale que goûte le jeune ukrainien dix jours plus tard (face à Sivasspor).

Heureux de ses performances, Lucescu voit rapidement en lui le successeur de Chygrynskyy qui vient tout juste de s’envoler pour Barcelone. Il le replace donc dans l’axe même s’il continuera à l’utiliser à gauche le cas échéant, notamment s’il souhaite sécuriser sa défense sur un match.

Car l’autre facette du jouer Rakitskiy c’est sa mentalité de défenseur né. Combatif, engagé, dynamique et prêt à mettre la tête là où d’autres ne mettraient pas le pied.

© SERGEI SUPINSKY/AFP/Getty Images
© SERGEI SUPINSKY/AFP/Getty Images

Cette première saison est un succès, les miniers récupèrent le titre et Rakitskiy devient le symbole des investissements placés dans le centre de formation. Il décroche même le titre honorifique de meilleur jeune de l’année devant la star du Dynamo, Yarmolenko.

L’enfant de Perchotravensk (dans l’oblast de Dnipropetrovsk) devient aussi international cette année-là. Sa carrière internationale suivra une ligne bien plus distendue que celle dessinée en commun avec son club. Alors oui, il est parfois remis en cause en club comme lors de ce quart de finale de Ligue des Champions face au Barça, en 2010, lors duquel sa jeunesse lui fit peut-être un peu défaut (Ischenko à ses cotés, plus âgé ne s’en était pas beaucoup mieux sorti) mais il fait tranquillement son bonhomme de chemin au Donbass. N’hésitant pas à aller au combat pendant les duels au couteau avec le Dynamo, accumulant de l’expérience en C1 et claquant ses quelques buts par saison dans une Donbass Arena l’ayant complètement adopté. Yarik’ est devenu l’emblème du club minier.

C’est alors que Maïdan éclate…

Véritable attachement au Donbass

Lorsque la révolution de Maïdan renverse les valeurs au pays, le club du Shakhtar ne sait pas très bien où se placer. Les intérêts du grand manitou du club de Donetsk, de la région de la Donbass voire du pays tout entier sont en danger. Rinat Akhmetov ne voit pas d’un très bon œil ce bis repetita de la révolution orange.


Lire aussi : Rinat Akhmetov: le roi de la Donbass n’est pas mort !


Le club tarde donc à se positionner clairement contre les mouvements séparatistes à l’Est. Pire, un grand nombre d’observateurs accusent Akhmetov d’avoir financé et organisé ces dits mouvements. Son silence est pesant. Il faut dire que par l’intermédiaire de son parti (le Parti des Régions, tout est dans le nom), Akhmetov n’a jamais fait planer le doute sur ses inclinaisons régionalistes. Toute la propagande (au sens premier du terme) sur laquelle est basée l’identité régionale de la Donbass actuelle a été financée par le Parti des Régions. Bien sûr, les habitants de cette région ont toujours eu un comportement et des idées (la fameuse « mentalitet ») qui leur étaient propres dus à leurs conditions ouvrière et minière.

Mais le parti qui a instrumentalisé cette particularité régionale (et linguistique) pour en faire un argument électoral imparable face aux banderivtzi* de l’Ouest, c’est celui de Rinat. Ces arguments régionalistes « victimisants » ont eu une énorme résonance dans le cœur d’un joueur en particulier de l’effectif du Shakhtar : Yaroslav Rakitskiy. Même s’il n’est pas originaire de la région, il s’y est pleinement intégré. Donestk est devenu sa ville, sa région, son peuple. A ce titre, il représente d’ailleurs bien cette forme de prolétariat prête à s’engager loyalement si on la manœuvre bien.

Yarik’ vit très mal l’éloignement de sa Donbass chérie. Il vit encore moins bien le fait d’être relocalisé entre Kiev et Lviv, bastions des patriotes ukrainiens. Ses réactions d’après match sont de plus en plus courtes et il n’hésite jamais à clamer son soutien au peuple de sa région. Petits florilège :

« Il n’y a pas un jour où je ne pense pas aux habitants de Donetsk. »

« Mon rêve ? Rentrer à Donetsk et rejouer à la Donbass Arena »

« Il est complètement faux de dire que les rues de la ville sont en proie aux pilleurs et aux voleurs. Notre maison n’a pas été cambriolée et les habitants de la ville la protègent plus qu’autre chose »

« Je ne veux tout simplement plus jouer à Lviv. Ici, les supporters sont contre nous face au Dynamo ou au Dnipro. »

Pour être bien sûr que l’on comprenne, il a même poussé le vice jusqu’à se faire tatouer le symbole de Donestk (la rose) sur son bras gauche.

https://www.instagram.com/p/-G5cSaly7B/

La photo que vous pouvez voir plus haut postée sur Instagram est agrémentée d’une petite explication « poétique » : « Cette rose est le symbole du Donbass et de Donetsk. Cette rose et ce compas (un autre tatouage) m’aideront à retrouver le chemin de la maison. »

Jusque là, pas de problème. Sauf que dans le contexte extrêmement sensible de guerre, les positions ambiguës vis-à-vis des séparatistes ne passent pas. Encore moins lorsque l’on porte le maillot de l’équipe nationale.

Fausse Interview, blessures diplomatiques, polémique de l’hymne et like sur les réseaux sociaux

Où a commencé toute cette histoire de Rakitskiy le séparatiste ? Peut-être bien par une fausse interview relayée par un média russe.

Russia Today n’a pas vérifié ses sources (ou peut-être même les a-t-il vérifiées mais ne les a pas pris en compte) avant de ressortir un poisson d’avril au sujet de Rakitskiy. Le 23 novembre 2014 (un an plus ou moins après Maïdan), le site russe déterre une « interview » de Rakitskiy dans laquelle le gaillard de la Donbass explique pèle-mêle « qu’il ne peut pas jouer pour l’équipe des banderivtzi* », « que Donbass a été, est et restera une région liée à la Russie », etc.

Cette info est reprise béatement par tout un tas de médias ukrainiens heureux de le voir sortir du bois publiquement et affirmer des idées qui lui collent à la peau. Problème, la source de l’interview était un fake réalisé par le site ukrainien footballtransfer.com.ua dans le cadre du 1er avril. Raté. Enfin pas pour la population russe qui n’a que la version de Russia Today, de Segodnia, ou de tous les autres (1).

Si les journalistes ukrainiens ont été si prompts à sauter sur l’occasion offerte par la fausse interview c’est que dans les milieux proches de la Sbirna*, on est au courant depuis longtemps de la préférence régionaliste du joueur. Celle-ci prend souvent la forme de blessure diplomatique avant des matches internationaux amicaux pour lesquels il est convoqué. Le tout dans le but de se préserver pour une importante échéance en club.

© FRANCISCO LEONG/AFP/Getty Images
© FRANCISCO LEONG/AFP/Getty Images

Encore une fois, lors du dernier rassemblement national, Yaroslav Rakitskiy s’est fait excusé. Blessé, il n’a pas pu prendre part aux deux matches amicaux contre Chypre et le Pays de Galles. Il a par contre pu une semaine plus tard prendre part à l’intégralité du quart de finale de Ligue Europa contre Braga. Fichtre, il sera même buteur pour une large victoire minière au Portugal et présent dans l’équipe de la semaine pour l’UEFA ! Une situation qui se répète très fréquemment dès lors que la Sbirna joue des matches sans enjeu. Pour les qualifications, il répond présent.

Ce refus de la sélection a réveillé chez les journalistes l’envie de soulever une autre polémique bidon. Tel un vulgaire KB9, Yarik s’est ainsi vu accusé de ne pas chanter l’hymne ukrainien. On vous passe les détails de l’affaire, vous les avez déjà eu en version française (« je suis concentré sur le match » « chacun fait ce qu’il veut »« « tel grand joueur » ne la chantait pas non plus »…), mais on ne saura vous épargner la conclusion de sa chanteuse de femme :

« J’ai parfois l’impression que Yaroslav et Hymne sont déjà des synonymes. »

Vous savez, parce qu’il l’incarne tellement, etc. Sacrée Olga.

Toutes ces polémiques un peu stériles et puériles démontrent bien la volonté des journalistes de démasquer un sympathisant séparatiste qui ne s’en cache guère en privé. Bien conseillé par les services de com’ du club minier, il arrive encore à passer entre les gouttes en public. Pour combien de temps ? La volonté de s’affirmer clairement semble le démanger mais il y a un Euro à jouer cet été et son nom est de plus en plus cité sur les short-lists de grands clubs ouest-européens (dernièrement le Barça) qui se verraient mal recruter un joueur à polémiques. Il s’agit donc de bien se tenir. De temps en temps, il laisse glisser un mot (de plus en plus rare), une attitude ou pire encore un click.

Le mois dernier, on l’a encore associé au mouvement pro-DNR* lorsqu’il a « liké » la vidéo de la marche de l’armée séparatiste dans le centre de Donetsk célébrant la proclamation de l’état régional il y a deux ans. Oups.

Mourad Aerts


Images à la une: © GENYA SAVILOV/AFP/Getty Images

Glossaire et notes :

Gopnik : sorte de lascars à la russe/ukrainien. Typiquement accroupis en bande décortiquant scrupuleusement leurs semitchkis (graines de tournesol) et sirotant bière et vodka. Le tout en importunant les braves gens, bien entendu.

Banderivtzi : Dénomination péjorative des nationalistes ukrainiens. Basé sur le nom de Stepan Bandera, grand leader nationaliste ukrainien (dans les années 1940) avec un tas de casseroles plus que polémiques accrochées à son nom. Collaboration avec l’occupant nazi, extermination de villages polonais, etc.

Sbirna : Littéralement l’équipe. Dénomination utilisée pour parler de l’équipe nationale ukrainienne en opposition à la Sbornaya, l’équipe nationale russe.

DNR : Ou plutôt RPD en français pour République Populaire de Donetsk. En russe, la langue principale de l’autoproclamée république ça donne Donestkaya Narodnaya Respublika et donc DNR. ДНР.

1 :  Avant de prendre pour argent comptant les informations trouvées sur Sputnik ou Russia Today, nous vous invitons vivement à les vérifier sur le site StopFake qui tentent d’apporter un peu d’éclaircissements au milieu du torrent d’information russe.

9 Comments

  1. Czerny 5 mai 2016 at 13 h 12 min

    Sputnik et Russia today font donc de la propagande mensongère alors que le Monde et Libé font de l’information ? J’ai bon ?

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  2. nicolas 5 mai 2016 at 16 h 29 min

    J’aime bien votre site mais je trouve ça insupportable que même pour évoquer du foot, on retouve cette partialité dans le conflit. La propagande est aussi présente dans nos pays…

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    1. Adrien Laëthier 6 mai 2016 at 2 h 56 min

      Pourquoi vous comparez avec les médias français ? L’article parle de certains médias et donne son avis dessus. Je n’ai jamais compris cette irréfrénable passion de faire des comparaisons partout…

      Enfin, on est traité de pro-ukrainiens ? Ca change un peu, d’habitude on est traité de pro-russes ; ce qui montre la futilité de ce genre d’accusations… qui ne sont sans doute que des visions personnelles erronées. Puis en lisant l’article, puis le glossaire, j’ai du mal à voir de la partialité là-dedans.

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  3. Rémy Garrel 5 mai 2016 at 17 h 16 min

    Mais oui ils ont raison, pourquoi taper sur Sputnik et la Russie, qui est un des pays les plus démocratique du monde. Que ce soit dans son passé soviétique ou dans le présent, la Russie n’a jamais menti à ses citoyens, jamais ! Tout est parfaitement transparent, aussi clair que les résultats électoraux. Et puis Russia Today ne se laisse jamais dicter sa ligne éditoriale par le gouvernement, jamais ! La liberté de la presse est le cheval de bataille de Poutine, au même titre que les droits de l’homme et le droit international.
    Messieurs de footballski vous n’êtes donc pas de fidèle trolls du Krem…. euh pardon je voulais dire de sérieux journalistes.

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    1. nicolas 7 mai 2016 at 12 h 36 min

      Non il y a vraiment comme une impression qu’il y a les bons et les méchants. C’est beaucoup plus complexe que ça. Le documentaire de Paul Moreira est éclairant à ce sujet. Quant à la Russie, je suis d’accord que les médias d’état relaient la même information. La population russe soutient en majorité le rattachement de la Crimée à l’Ukraine mais cela ne veut pas dire qu’il n’ya pas de liberté d’expression en Russie. Rien que sur les sites de foot, on remarque que les commentaires les plus aimés sont très virulents notamment contre les autorités et Poutine!

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      1. Mourad Aerts 7 mai 2016 at 13 h 06 min

        Salut Nicolas,

        Si je peux me permettre, je pense que tu mélanges un peu tout. Ici sur footballski, on prend le football dans sa globalité symbolique. Encore plus lorsque l’on essaye de faire découvrir les enjeux autour d’une personnalité du sport le plus populaire.
        Après c’est assez embêtant de toujours tomber dans une vision pro ou anti ceci ou cela. Comme tu l’as dit, la situation est plus complexe que ça. Dès qu’une critique est faite sur un média russe qui a, à de maintes reprises, prouvé son penchant propagandiste, il y a une armada de défenseurs de la sainte russie qui nous tombe dessus. Et inversement dès lors que l’on traite de sujet comme le championnat de Crimée par exemple, on devient pro-moskals.

        Il faut arrêter tout ça. Ici on ne juge pas du mouvement séparatiste. On explique qu’il est très compliqué de le soutenir actuellement en Ukraine, que la tolérance pour cette idée est extrêmement minime. D’où les éventuelles problèmes autour de la personnalité de Rakitskiy dans l’opinion publique dans le reste de l’Ukraine.
        Si on recopie les polémiques stériles qui accompagnent l’ensemble des médias russes et ukrainiens, on a pas fini…

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  6. Salgado 2 octobre 2018 at 19 h 21 min

    Vous critiquer Russia Today ? Seul média Francophone qui laisse encore la parole à Frederic Taddeï. Il n’y a pas plus de désinformation sur RT ou Sputnik que dans nos tres chères chaînes Françaises (BFM, FR2). Je dirais même qu’il y en a moins sur les chaînes d’origines Russes.

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