Après avoir assisté à un match de l’Irtysh Pavlodar et avoir visité Astana, je prends un avion direction Kyzylorda, dans le sud du Kazakhstan. Dans cet aéroport grand comme un hall de gare RER de banlieue, je me retrouve en un rien de temps dans le hall, mais ne trouve pas de tapis roulant pour les bagages. Je ne comprends que quelques minutes plus tard: pour récupérer son bagage, il faut présenter son ticket d’embarquement! Malheur à celui qui a jeté le sien à la poubelle.

A Kyzylorda, une mentalité de village reculé

Un soleil de plomb m’accueille dans cette ville au milieu d’une vaste steppe, si loin d’Almaty et d’Astana (plus de 1 000 kilomètres de distance des deux villes). Kyzylorda est située à 400 kilomètres de la mer d’Aral ou plus près, à 250 kilomètres de la station spatiale Baikonour. Là même où atterrira Thomas Pesquet quelques jours plus tard. Kyzylorda est capitale de la région éponyme mais ici, rien n’est éclatant. J’aurais l’occasion de découvrir assez rapidement que cette ville n’a pas usurpé la réputation que m’en ont fait beaucoup de Kazakhs du nord ou d’Almaty : un village avec une mentalité de village arriéré du Sud du Kazakhstan.

En prenant un taxi négocié à 2 000 tenge de moins que le prix proposé par un chauffeur ne parlant même pas russe, je découvre les environs de Kyzylorda. Une ville marquée par l’histoire du communisme mais aussi par l’empire mongol, et son chef mondialement connu Gengis Khan. On peut voir des champs avec des chevaux et des statues de cavaliers le long de la route, pas loin du parc Nazarbayev quelque peu en jachère. Ce bref trajet de l’aéroport au centre-ville me semblait prometteur pour les deux jours à venir. Il n’en sera rien. Kyzylorda n’a aucun intérêt touristique. Les trottoirs au mieux défoncés, au pire inexistants sont à l’image d’une ville qui ne donne qu’une seule envie : fuir loin, très loin d’elle.

Une première sortie en ville avec Mathias Coureur me met dans le bain. Les regards se tournent vers nous, les quolibets fusent et les rires affluent. Une couleur de peau différente de la leur semble dérangeante pour beaucoup d’individus du coin. Une réalité que me confirmera plus tard les autres joueurs de couleur du club avec qui j’ai pu discuter durant le week-end. Au supermarché, dans la rue ou sur leur pas de porte, tous ont leurs anecdotes de locaux les scrutant ou les touchant comme s’ils étaient des bêtes de foire.

Même en me promenant seul, je m’aperçoit à quel point les habitants de Kyzylorda ne sont pas habitués à voir des étrangers, quels qu’ils soient. Alors que je parle anglais dans un café, un employé ayant la vingtaine d’années arrive à me demander « Vous parlez quelle langue ? Cela semble être intéressant. » Une réflexion d’une de ses collègues pensant que je jouais au Kaisar me fait penser qu’il est possible que les seuls étrangers de la ville soient les joueurs de football… D’ailleurs, même le russe est difficilement compris et les habitants s’expriment en kazakh. Une grande ville de 200 000 habitants, qui vit donc comme un village reculé. Il faut dire que la position excentrée n’aide pas trop la ville et le pays s’est tout juste ouvert à l’étranger. Il faudra donc du temps pour que les mentalités changent. Beaucoup de temps.

Le Kaisar, club populaire et peu organisé

En tout cas, ce qui est sûr, c’est que les locaux connaissent leur club de foot. Les habitants mentionnent souvent le Kaisar dans les conversations quotidiennes, et le stade est plutôt bien garni. Le manque d’attractions dans la ville doit, il est vrai, bien aider. Et personne n’a envie de revoir le club en deuxième division comme cela fut le cas la saison passée après une descente mal vécue en 2015. Pour cela, le Kaisar Kyzylorda, bien que nouveau promu, a annoncé assez vite avoir des ambitions. En témoigne les recrues étrangères et locales, piochées ça et là au gré des difficultés financières d’autres clubs (ex : Atyrau). Le début de saison, passé en haut du classement, reflète bien ces ambitions nouvelles. Même si depuis, le Kaisar a enchaîné quelques contre performances et a retrouvé une place dans le ventre mou du classement.

Le classement n’a pas été aidé par les matchs à domicile. Le Kaisar a déjà joué dans trois stades cette saison en raison de l’état inacceptable de la pelouse du Stade Central, qui contraint à jouer sur des pelouses en synthétique. Avec une seule mini-tribune sur un côté. Le match contre le Kairat, décalé du samedi au dimanche trois jours avant, n’y échappe pas. Une mauvaise nouvelle étant donné l’engouement suscité à Kyzylorda par la venue de la grosse écurie d’Almaty. L’autre mauvaise nouvelle concerne le capitaine Maksat Bayzhanov, propulsé star des journaux télévisés après avoir frappé son voisin, un alcoolique qui avait menacé sa famille. Mais visiblement, il s’entraîne normalement et il devrait donc être aligné le lendemain.

Le Stade Central, où ne se passera pas le match | © Damien F. / Footballski

Etant donné la chaleur, l’entraînement la veille du match est programmé à 18 heures. Surprise, les joueurs arrivent avec un équipement constitué d’un tee-shirt blanc (acheté au marché aux puces) et de shorts utilisés les années précédentes pour les matchs. Un joueur me confirme que ce sont bien les tenues d’entraînement quotidiennes. Les tenues que devaient délivrer l’équipementier auraient été perdues à Moscou selon les explications du club. Alors que le Kaisar donne des salaires équivalents à ceux de bons joueurs de Ligue 2 française, le club n’a aucun équipement pour l’entraînement, pour les avant ou après matchs, et la pelouse du Stade Central est laissée à l’abandon. La gestion dans son ensemble semble frôler l’amateurisme le plus complet.

Notre arrivée au stade ne se fait pas sans fracas. Le taxi prétexte ne pas avoir de cash pour ne pas nous rendre la monnaie. Il nous pose devant une épicerie afin que l’on récupère du liquide. Pas de chance, le caissier refuse de nous échanger des billets. Nous prenons une bouteille de soda en tendant le billet avec lequel nous voulons payer. Nouvelle déconvenue, il refuse de nous l’encaisser pour ne pas avoir à rendre la monnaie. Il faudra s’énerver pour que l’énergumène accepte que l’on achète l’article. Enfin arrivés au stade, personne ne veut nous donner les tickets promis la veille par un responsable. Après avoir insisté, nous sommes escortés vers la main courante et éviterons ainsi de nous masser derrière les grilles comme un bonne partie des personnes n’ayant pas pu trouver de places. La tribune étant trop petite, les invités doivent regarder le match derrière la barrière à côté des policiers, tout comme les familles des joueurs et ceux qui sont blessés pour ce match. Ce qui ne change pas tellement de d’habitude et notamment au Stade Central où ils sont invités à se placer aléatoirement au milieu du public.

Main sur le cœur et but de Coureur

Comme prévu, le public vient en masse pour assister au match. Outre les personnes se massant derrière les grilles, d’autres plus malins montent sur le toit du grand bâtiment surplombant le mini stade. De ce bâtiment où sont situés les vestiaires sortent justement les joueurs du Kairat. Il est amusant de voir un joueur comme Andrey Arshavin ouvrir la porte du grand bâtiment et marcher 300 mètres sur le chemin au milieu du public pour accéder au terrain. Il sera aussi amusant de le voir plus tard remplacé et s’asseoir sur le banc étroit et « 0 étoile » des remplaçants. L’Akim de la région (sorte de gouverneur local) n’est pas venu contempler Arshavin. Lui qui vient habituellement au Stade Central se faire accueillir en grande pompe. En effet, à chaque fois qu’il entre au stade, tous les spectateurs se mettent debout pour l’applaudir. Quelque chose d’inimaginable pour nous, Français. En revanche, le traditionnel hymne national est bien présent dans la sono bricolée du stade. Tout le monde se lève, main sur le cœur.

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Les personnes sans tickets peuvent suivre le match derrière les grilles | © Damien F. / Footballski

Du côté des locaux, on retrouve sur le terrain un seul Français : Mathias Coureur. L’Avignonais Abdelaziz Lamanje est blessé. L’ancien pensionnaire de Ligue 1, le Burundais Saidi Ntibazonkiza, passé par le Stade Malherbe de Caen, est lui sur le banc des remplaçants. Le début de match commence fort : après une incursion dans la surface du Kaisar, l’attaquant à la lutte avec le gardien s’écroule. Pas de faute, selon l’arbitre. Peu importe, quelques minutes plus tard, à la huitième, Mathias Coureur est à l’origine d’une action qu’il se charge lui-même de convertir après un bon relais avec Altynbekov. La roulette un peu manquée surprend Suryumbayev et du coup de pied, Coureur place le ballon hors de portée du gardien pour son premier but sous les couleurs du Kaisar !

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Bien placé pour voir le but de Mathias | © Damien F. / Footballski

Après le but, le Kaisar recule beaucoup trop. Le Kairat se procure des occasions bien repoussées par Islamkulov, le portier kirghiz de Kyzylorda. Jusqu’au moment où Arshavin entre dans la surface et provoque une main du défenseur Muldarov. Pénalty ! Islamkhan ne tremble pas, 1-1. Dans la foulée, un coup-franc d’Arshavin lobe tout le monde, sauf le géant Gerard Gohou. 2-1, le Kairat reprend l’avantage. Pas pour longtemps pense-t-on lorsqu’un centre parfait arrive sur la tête de Coureur absolument seul aux cinq mètres. Mais c’est au-dessus ! La mi-temps est sifflée.

A l’heure de jeu, c’est au tour de Gohou de louper le coche seul aux six mètres après un service parfait d’Islamkhan. Ce dernier, intenable, effectue un grand nombre de tirs sans jamais marquer. Mais le Kaisar aussi a quelques occasions sur coup de pied arrêtés ou par l’intermédiaire de Saidi Ntibazonkiza, très remuant après son entrée en jeu. Rien n’y fait, le score ne changera pas. Le Kairat prépare de la meilleure des façons la réception d’Astana, match remporté 3-0 auquel j’assisterai trois jours plus tard. En revanche, le Kaisar a des regrets et garde sa place dans le ventre mou. Ce qui sera confirmé lors du match suivant à Kostanay, terminé par un score de 0-0 face au Tobol.

A priori le Kaisar Kyzylorda réussira à se maintenir cette saison. Il faudra quand même devenir plus professionnel si le club veut aspirer à plus dans le futur. Sur ces considérations, je commence mon trajet de train qui dure 25h en direction d’Almaty. En espérant voir un Kazakhstan bien différend…

LES NOTES FOOTBALLSKI

Standing du stade 0/5

Ce n’est pas la minuscule tribune sur un côté du terrain qui va me faire mettre un point à ce stade. Rassurez-vous, si vous allez voir un match à Kyzylorda, vous aurez plus de chances de vous retrouver au Stade Central qui est un stade correct. Enfin, pour ça, il faudra que quelqu’un s’occupe de la pelouse.

Disponibilité des billets 0/5

Encore un zéro mais oui, ce n’était pas possible de trouver un ticket pour ce match. Si vous voyez un match au Stade Central, cependant, vous ne devrez pas avoir trop de problèmes même si le stade est généralement bien garni.

Tarifs 5/5

300 tenge, soit moins d’un euro. Un tarif abordable, même pour les habitants de Kyzylorda.

Ambiance 2/5

Alors oui, le stade est presque toujours rempli pour voir jouer le Kaisar. Un groupe de jeunes avec tee-shirt à l’effigie du club et tambours chantait de temps en temps mais ils n’avaient même pas le droit d’entrer dans le stade et suivaient le match derrière les grilles. Cependant, les longs moments de silence angoissent le spectateur habitué aux ambiances chaudes. Ce n’est pas propre au Kaisar mais au football kazakh en général, hormis Kairat et Aktobe.

Risques 5/5

Comme partout dans les stades kazakhs, les policiers sont très nombreux. Ce n’est pas à cet endroit que des gens tenteront quelque chose de répréhensible. Il n’y a absolument aucun risque.

Quartier 3/5

Quartier avec des infrastructures sportives à une extrémité de la ville. De rares commerces assurent un peu de vie dans le quartier. Sinon, il n’y a rien mais le centre n’est pas non plus très loin.

Boissons 3/5

A l’entrée un mini-marché où l’on peut acheter gâteaux et beignets faits maison ainsi que des boissons de 1,5 litre avec lesquelles on peut entrer dans le stade.

Damien F.


Image à la une : © Kaisar Kyzylorda

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