Le train de nuit reliant Astana et Pavlodar n’est pas des plus confortables. C’est après une nuit peu reposante que je suis arrivé au petit matin à Pavlodar. Même peu frais, j’ai pu rapidement me rendre compte que la ville traversée par la rivière Irtysh était bien différente de la capitale. En tous points, sauf au niveau de la propreté de la ville, clean comme après un bon coup de karcher. Pour en arriver à ce résultat, la municipalité emploie des enfants à des salaires défiants toute concurrence. Pour nettoyer donc, mais aussi pour éloigner les enfants des dérives inhérentes à ceux qui n’ont pas accès à grand chose. C’est aussi pour cette raison que des terrains « city » ont fleuri un peu partout en bas des immeubles.

Pour le moins, la ville a gardé son héritage soviétique et l’Etat ne fait pas grand chose pour renouveler quoi que ce soit. Pavlodar est pourtant l’un des principaux centres industriels du pays, ce qui explique pourquoi l’air est si lourd et les cancers si nombreux. Alors que la ville génère beaucoup d’argent avec ses usines de pétrole, d’aluminium, de tracteur ou d’acier (pour ne citer que les principales), elle doit tout redistribuer au pouvoir central qui peut ainsi financer la construction de nouveaux buildings ultras modernes à Astana ou Almaty. L’Akim (gouverneur) de la région ne peut pas faire grand chose, à part visiter les usines pour vérifier si elles tournent bien. Les missions qui lui sont confiées ne sont même pas toujours respectées, comme en témoigne l’affaire des emplois fictifs qui a mené à l’éviction du précédent Akim, sans pour autant que la justice le condamne. Loin de la lumière des projecteurs braqués sur Astana et Almaty qui accueillent des événements internationaux (Olympiades, EXPO), Pavlodar semble bloquée dans les années 90 comme en témoigne un tramway hors d’âge, autant couinant que lent, dont les rails sont posés autour de chemins de terre non entretenus.

Pavlodar a tout de même ses atouts. En numéro un, sa large mosquée Mashkhur Zhusup, dotée d’une architecture exceptionnelle qui la place parmi les plus belles du pays. Les nombreux parcs, fontaines et les lits de fleurs en font une ville plutôt agréable pendant la belle saison. Et particularité, la ville n’a été construite que d’un côté de la rivière, l’autre étant destinée aux pique-niques et consommations de breuvages alcoolisés, première ville consommatrice d’alcool du pays oblige. A ce sujet, on peut penser que la forte présence de Russes (43% de la population) n’est pas totalement étrangère à ce phénomène.

La belle Irtysh © Damien F. / Footballski

Il est une heure, mes hôtes m’attendent pour le déjeuner. Le fameux beshbarmak, préparé avec de la viande de cheval, est prêt tout comme la bouteille de vodka kazakhe à l’effigie d’un léopard des neiges. Les discussions vont bon train jusqu’à ce que le sujet football soit abordé. Marat, plutôt calme jusqu’ici, devient soudainement loquace. De la corruption endémique aux quotas de joueurs locaux, tout passe au peigne fin. Marat balance : « Le football est le premier poste de corruption dans ce pays. Les dirigeants veulent attirer des joueurs étrangers et se prennent des commissions énormes. Comme ils ne peuvent pas se faire d’argent avec les joueurs kazakhs, ils le font avec les étrangers. Quand les Russes viennent chez nous, ils se frottent les mains… Regarde combien de joueurs kazakhs sont titulaires à l’Irtysh. »

Après de vigoureux débats sur les solutions à mettre en place pour pallier au délabrement du football kazakh, mes hôtes me racontent avec fierté les exploits du Neftyanik Pavlodar, l’équipe de l’usine de pétrole. La bouteille de vodka se termine, les vœux aussi. Une énième tirade sur l’accueil réservé aux Russes dans le district kazakh de Pavlodar, époque soviétique, clôt le déjeuner. Les écharpes sont de sortie, direction le stade. Les aînés vont retrouver des vieux copains alors que mon ami Niyaz m’accompagne.

irtysh pavlodar
Une file d’attente à la billetterie © Damien F. / Footballski

« Les temps changent » m’assure mon jeune camarade kazakh en voyant une file d’attente à la billetterie. Lui qui n’était plus allé au stade depuis plus de deux ans n’a pas le souvenir d’avoir un fois attendu plus de trente secondes à l’unique guichet jouxtant le stade. Confirmation de l’amie présente avec nous : « En comparaison avec des temps plus anciens, les kazakhs semblent plus s’intéresser à leur football local, notamment ici. » A l’intérieur, le stade n’est pas plein, ce qui est logique. Si tout le monde connaît l’Irtysh à Pavlodar et que tout le monde souhaite sa réussite, la culture stade (et même football tout court) n’est pas forcément très développée au Kazakhstan. La plupart des locaux se rendent au stade une fois de temps en temps, hormis les habituels irréductibles. L’adversaire, Atyrau, n’est pas non plus des plus sexy : neuf points lui ont été retirés avant le début de la compétition pour manquement aux règles. En proie à des difficultés financières, le club ne payait plus ses joueurs. Les meilleurs d’entre eux sont bien entendu partis sous d’autres cieux l’hiver dernier.

Le début de match est conforme au style de l’Irtysh. L’équipe mise sur la possession de balle, les qualités techniques des milieux et la percussion des ailiers. Un style défendu bec et ongles par l’entraîneur bulgare Dimitar Dimitrov, rescapé d’un cancer et faiseur de miracles dans la ville au taux de cancer par habitant le plus important du pays. Des miracles ? Oui car Dimitrov a repris un club en position de relégable et l’a emmené en Europa League en l’espace d’un an et demi. L’objectif pour 2017 est de tenter de faire aussi bien malgré une véritable saignée au mercato hivernal, comme chaque année. L’Irtysh Pavlodar a de sérieux problèmes financiers marqué par des retards de paiement, entre autres. La région ne fait rien non plus pour arranger les choses, en montrant un clair désintérêt pour l’équipe de football locale. Et vu que le modèle économique des clubs kazakhs repose en grande partie sur les subventions accordées par les régions…


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L’Irtysh Pavlodar domine donc complètement la partie (avec seulement trois joueurs kazakhs alignés au coup d’envoi), étouffant une équipe d’Atyrau regroupée en défense. Les minutes passent et les situations offensives intéressantes mais inexploitées par les attaquants s’empilent. Tout à coup, une faute d’un joueur d’Atyrau, non sifflée bien qu’évidente, provoque la fureur du sanguin Dimitrov qui se met à hurler sans vergogne sur l’arbitre. Les vertes réprimandes de ce dernier ne font que déclencher des slogans à la gloire de Dimitrov descendant des tribunes. Les fans de l’Irtysh vouent un soutien indéfectible à leur entraîneur qui maintient le club à flots à lui seul. Et ils le lui montrent à chaque occasion.

A la 26ème minute, Aleksandr Kyslitsyn délivre tout le stade d’une frappe lointaine contrée. Le dernier quart d’heure, largement à l’avantage des joueurs de Pavlodar, ne se concrétise pas en occasions. A peine un panda étrange a-t-il eu le temps de nous distraire à la mi-temps que le deuxième acte repart de plus belle. L’Iivoirien Ismaël Fofana (ex-Saint-Lô et Cherbourg, entre autres) fait le show à l’entrée de la surface et décoche une belle frappe de peu à côté. C’était l’occasion à ne pas manquer côté Irtysh. Sur un corner mal dégagé par les défenseurs et mal repris par les attaquants, le défenseur croate Jure Obsivac trouve le moyen de placer une tête gagnante. 1-1, le coup au moral est dur.

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© Damien F. / Footballski

La fin de match se fait plus tendue, les centres arrivant de tous les côtés dans la surface d’Atyrau, qui va finalement tenir bon. Irtysh pourra regretter ces deux points de perdus, notamment au vu de la domination et des occasions. L’abus de jeu sur les ailes finissant par des centres repoussés par la défense adverse semble aussi être la cause de cette défaillance. Cette non-victoire permettant au quatuor de tête (Astana, Ordabasy, Kairat, Tobol) de s’éloigner coûte très cher. Surtout que ce n’est pas la première fois de la saison qu’Irtysh perd bêtement des points après avoir sur-dominé un match.

Tout le monde est déçu et se dirige vers la sortie. Je le suis d’autant plus que les dirigeants du club refusent froidement une demande d’interview adressée quelques jours plus tôt. Un joueur français du club, m’ayant donné au préalable son accord pour une rencontre dans le centre, ignore mes messages et me fait faux-bon. Je n’aurais donc pas l’occasion d’en savoir plus sur le fonctionnement de ce club important du championnat (cinq fois champion) qui arrive à s’en tirer sportivement malgré un contexte difficile. Un Irtysh Pavlodar à l’image de sa ville : quelque peu abandonné par les pouvoirs publics et soumis au système débrouille.

LES NOTES FOOTBALLSKI

Standing du stade 2/5

Avec deux tribunes non couvertes sur trois et une piste d’athlétisme autour du terrain, il était difficile de donner la moyenne au Stade Central. De plus les tribunes sont assez vétustes, sans qu’un charme particulier ne s’en dégage.

Disponibilité des billets 5/5

La billetterie sur place est facilement accessible. Le stade n’est jamais plein donc vous trouverez des billets sans problème. Il est toutefois recommandé d’arriver en avance lors d’un gros match.

Tarifs 5/5

5000 tenge, soit moins de 2€, pour s’asseoir dans la tribune couverte. C’est un prix très convenable pour un match de football kazakh.

Ambiance 3/5

Un petit groupe assure l’ambiance au milieu de la tribune principale et tous les spectateurs sont des supporters qui vibrent avec leur équipe. Il est difficile d’en demander plus dans ce pays sans grande culture football et sans véritable groupe ultra. La moyenne est donc dépassée en tenant compte des normes kazakhes, nous insistons bien sur ce point.

Risques 5/5

Difficile de trouver ne serais-ce que l’ombre d’un risque autour ou dans le stade situé dans un quartier très calme. La présence policière est en plus déployée en nombre comme toujours dans les stades au Kazakhstan. Histoire de se sentir en sécurité.

Quartier 4/5

Quartier mignon et calme du centre ville. Il manque peut-être quelques commerces et un peu plus d’attractions. Cependant, il n’y a pas besoin de marcher longtemps pour retrouver un peu d’animation en ville ou la rivière Irtysh pour se relaxer (et se faire piquer par les moustiques) en cas de beau temps.

Boissons 2/5

Le minimum pour une buvette. Rien de bien folichon…

Damien F.


Image à la Une © Damien F. / Footballski

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