Ce samedi 17 septembre, l’occasion était belle de profiter de l’été indien qui berce la Moldavie depuis une dizaine de jours. On se dirige donc vers Ghidighici pour la réception du Sheriff Tiraspol par l’Academia Chişinău, pour le compte de la huitième journée de la première division moldave. Petit voyage au cœur d’un village paisible, à deux pas de Chişinău, qui ne semble pas perturbé plus que cela par les matchs de Divizia Naţională disputés sur ses terres.

Ghidighici, un village et un stade

Comme son nom l’indique, l’Academia Chişinău joue à Chişinău, mais seulement en hiver, sur le terrain synthétique de Buiucani, récemment renommé « Joma Arena ». Lorsque les températures estivales sont là, c’est bien le gazon de Ghidighici qui accueille les Académiciens depuis la saison passée, dans un petit stade découvert de 250 places dont le nom semble être tout simplement « Stade du village de Ghidighici ».

Situé à sept kilomètres de Chişinău, Ghidighici reste donc bien desservi par les autobus et les minibus comparé à d’autres localités un peu plus lointaines de la capitale. On opte pour la rutiera numéro 106, bondée comme on les aime, pour se rendre au match. Un trajet qui devait durer une quinzaine de minutes s’avère à peu près doublé à cause d’un accident sur le pont ferroviaire juste en dehors de la capitale. Sous un soleil de plomb et où la climatisation se résume à ouvrir légèrement deux capots sur le toit, autant dire qu’on souffre tous en silence. On se retrouve rapidement dans un océan d’odeurs toutes plus agréables les unes que les autres avant de retrouver un peu d’air frais une fois passé le lieu de l’accident. D’ailleurs, savez-vous combien de personnes peuvent se trouver dans une rutiera ? Une de plus !

Se trouvant du côté droit de la rutiera avec une vue restreinte sur le monde extérieur, on n’a pas aperçu le stade qui se situe sur le côté gauche de la rue de la Victoire (un monument y est dédié juste à côté du complexe sportif), qui nous aurait permis de nous libérer un peu plus tôt de ce calvaire. Bon an mal an, ça nous permet de visiter un peu le village en redescendant vers le stade. Visiter est un grand mot, il n’y a pas un chat, peut-être quelques chiens errants et quelques badauds profitant du soleil pour s’en griller une avec leurs copains, sur les terrains vagues qui jouxtent des maisons tantôt mignonnes, tantôt désuètes, tantôt en reconstruction perpétuelle.

© Facebook page Seamile from Sporter
© 2016, Facebook page Seamile from Sporter

A proximité de la rivière Bîc et de la ville de Vatra, le village de Ghidighici est davantage connu, pour les Moldaves, de par son lac plutôt que ses calmes ruelles. En effet, au bord de la R1 qui mène à Straseni, Calarasi puis Ungheni, le Lac Ghidighici est parfois considéré comme la « mer » de Chişinău dans un pays qui en est privé d’accès. Ce lac artificiel de 8km² a été construit sous l’occupation soviétique, en 1963, et est désormais pas mal prisé durant l’été, enfumé qu’il est par la douce odeur des mici grillés à ses abords. Qui dit mer dit plage, d’un sable artificiel qui permet d’y croire et de passer une agréable journée dès que le beau temps pointe son nez – et ceux qui s’adonnent à la nage sont bien sûr avertis de l’état de salubrité de l’eau. Les nageurs aguerris peuvent d’ailleurs s’adonner à une course de natation, le « Sea Mile« , organisée depuis quelques années par Sporter sur le lac, avec des distances allant de 200 à 3704 mètres.

C’est donc dans la vallée et sur ses pentes que s’est bâti le village de Ghidighici, dont les premières traces remontent au XIVe siècle, lorsque le territoire était sous emprise ottomane et soumis aux incursions tatares. Ce n’est que quelques siècles plus tard, durant la Seconde Guerre mondiale, que Ghidighici fut le symbole de toute la complexité de l’histoire de la Moldavie au vingtième siècle, tiraillée qu’elle a été et qu’elle est toujours entre les sphères russe et roumaine. Envahie par l’Armée rouge à l’été 1940, en conséquence du protocole secret du pacte Molotov-Ribbentrop, la Moldavie est récupérée par les Roumains, appuyés par l’aviation allemande, dès l’été suivant, pour le plus grand malheur de la minorité juive présente en Moldavie et dans la capitale Chişinău (cf. notre article sur Vladimir Tincler).

Afin de célébrer la « libération » de Chişinău, les autorités roumaines avaient alors décidé d’ériger la Tour de la Libération de la Bessarabie à l’endroit où l’opération de reconquête avait démarré le 15 juillet 1941, c’est-à-dire sur les hauteurs du village de Ghidighici. Construit d’une roche calcaire extraite des carrières de Ghidighici et Cricova, la tour principale avait une hauteur de 30 mètres, avec à son entrée un fragment de la Colonne Trajane et l’inscription suivante : « Et comme la colonne Trajane, nous sommes où nous avons été et nous restons où nous sommes ». On y trouvait à ses côtés un bloc de pierre de huit mètres de hauteur ainsi qu’un propylée. A l’inauguration du site le 1er novembre 1942, étaient présents le roi Mihail, sa mère Hélène de Grèce et le ministre de la Propagande Nationale de l’époque, Mihai Antonescu.

© Timpul.md
© Timpul.md

En 1944, l’Armée Rouge réoccupe la région et détruit le complexe monumental, tout comme des dizaines d’autres monuments, cimetières ou lieux de commémoration seront rayés de la carte par les Soviétiques, campagne de « dénationalisation » oblige…

Un stade pour le Rapid au départ

A 200 mètres de la gare des bus, on aperçoit enfin le petit bout de carré vert qu’on était venu chercher. Le match commence dans dix minutes, devant des tribunes clairsemées et bien silencieuses. Il faut dire que les ultras du Sheriff ne sont pas encore là et le fait que les tribunes ne soient pas complètement pleines ne font que montrer ou la taille plutôt restreinte de la fan-base de l’Academia, qui joue de toute façon là à « l’extérieur » de Chişinău, ou le désintérêt général des Moldaves pour leur football, ou les deux.

Le stade, enfin! © Footballski.fr
Le stade, enfin! © Footballski.fr

A Ghidighici, en effet, avait été fondé le FC Rapid Ghidighici en 2005, promu en 2007 en Divizia Naţională, en compagnie du CSCA-Steaua Chişinău. Cependant, le club se retire du championnat à son terme, après le mécontentement de son mécène par rapport à l’arbitrage d’un match contre le Zimbru. Sanctionnée par la Fédération, l’équipe n’a pas reçu sa licence pour la saison suivante. Du coup, la fusion entre le Rapid et le CSCA a lieu à l’été 2008 pour permettre au club de garder sa place dans l’élite, en tant que CSCA-Rapid Chişinău. Le club retrouvera sa dénomination de Rapid Ghidighici en 2011, avec en point d’orgue une finale de Coupe en 2011-2012 perdue face au Milsami et une 5e place en championnat la saison suivante. En 2013-2014, après qu’un investisseur italien a renoncé à aider le club avant le début du championnat, ça sentait tout doucement le roussi pour le Rapid Ghidighici, qui se retire finalement de la première division en mars. Une histoire claire comme l’eau du Bîc, tout ça.

L’Academia est lui monté en première division à l’été 2008, sous le nom d’Academia UTM Chişinău. L’UTM, c’est l’Université Technique de Moldavie (Universitatea Tehnică a Moldovei), fondée en 1964 et qui compte à l’heure d’aujourd’hui plus de 9000 futurs ingénieurs et architectes. Le club de football a quant à lui débuté son histoire en 2006 grâce, entre autres, à Igor Dobrovolski avec le but de fonder une équipe pour développer les jeunes talents moldaves, un peu similaire au Viitorul d’Hagi en Roumanie, à une époque où les clubs faisaient plutôt appel à des légionnaires ou des joueurs expérimentés.

Le partenariat avec l’UTM a permis, notamment, à l’Academia de jouer ses matchs dans le stade de l’université, situé à côté du campus de Rîşcani. Le premier match dans cette arène, un certain Academia-Sheriff, a eu lieu en mai 2010. Autrement, l’Academia partageait le stade Dinamo avec le Politehnica Chişinău, avec qui il fusionnera entre 2008 et 2011. Ce stade, d’une capacité de 2700 places, plutôt vétuste et situé en plein cœur de la capitale, malgré qu’aucun Dinamo Chişinău n’ait jamais perduré au plus haut niveau, avait pour habitude d’accueillir différentes équipes en fonction de leur besoin – le Dacia y a joué quelques fois également, mais est aujourd’hui propriété de la Fédération moldave de Rugby, d’où la nécessité pour l’Academia de chercher un nouveau domicile.

Le club végète traditionnellement dans le ventre mou de la première division, réussissant de temps à autre à embêter les plus gros, mais son but principal est de sélectionner « les footballeurs les plus prometteurs et les éduquer dans la perspective qu’ils deviennent de véritables stars, et qu’ils soient promus dans des clubs de renom à l’étranger « . Parallèlement à sa fonction de lancer des jeunes, le club s’efforce aussi de relancer des joueurs en manque de forme qui n’ont pas leur chance ailleurs. Parmi les joueurs passés chez les Académiciens, citons leur meilleur buteur de l’histoire, Radu Gînsari, actuellement au Sheriff et titulaire en équipe nationale, ou Adrian Cascaval, Denis Calincov, Nicolae Milinceanu, Alexandru Suvorov ou Eugeniu Slivca.

Le Sheriff supérieur, mais l’Academia n’a pas peur

L’enjeu de cet AcademiaSheriff est d’accrocher une victoire de prestige pour les hôtes, et de conforter sa place de leader pour les visiteurs. Après une défaite initiale face au Zaria, le Sheriff a remporté ses six matchs suivants pour pointer en tête de la Divizia Naţională à la veille de ce match. L’Academia quant à lui a emporté la mise face à Ungheni et à Nisporeni, mais reste bloqué dans le ventre mou avec 6 points au compteur.

En face du du Sahara Banquet Hall qui a une allure luxueuse dans ce décor bucolique, on entre donc dans un stade qui n’a pas de stadier et encore moins de tickets à vendre. Quelques jeunots tapent la balle sur le terrain de five qui jouxte la pelouse principale, pendant qu’on prend place dans la tribune de droite à la visibilité entravée par la terrasse construite au milieu des deux blocs de trois rangées qui bordent le côté du terrain. Les corners côté gauche, on se les repassera sur youtube. Peu de bruit lors de l’entrée des équipes sur le terrain, mais ce silence n’empêche pas de n’entendre que vaguement l’hymne de la Divizia Naţională joué au début des matchs, tant la sono semble bien pourrave. La bonne nouvelle est qu’on aperçoit l’esthète Valeriu Andronic avec le brassard de capitaine, signe de gestes techniques onctueux à venir de sa part.

Susic et Andronic se serrent la pince. © 2016 fc-sheriff.com
Susic et Andronic se serrent la pince | © 2016 fc-sheriff.com

Dès le début du match, le talentueux gardien du Sheriff, Koselev, ne cesse de haranguer les siens et de leur indiquer comment procéder sur le terrain, entre russe et anglais. A la septième minute, deux policiers se dirigent vers l’entrée du stade pour accueillir le bus des ultras du Sheriff, sans doute passé par le même pont que notre rutiera. Une quarantaine de t-shirts noir et jaune à la gloire du « FCST » se dirige vers le côté gauche des tribunes qui leur est réservé. A défaut d’avoir leur image, elle aussi bloquée par ce bloc de béton sur le méridien de Greenwich, on peut cependant capter leur son grâce au mur de publicités qui entoure le stade en face de nous et qui nous sert d’écho.

Sans doute galvanisés par la venue des leurs, le Sheriff obtient à la 13e minute un coup-franc excentré que l’homme en forme Brezovec se charge de tirer. A la retombée, le joueur burkinabé Wilfried Balima reçoit l’offrande et sa tête permet au Sheriff de mener assez tôt dans le match. Comme prévu, le Sheriff a la maîtrise technique et régale de transversales vers ses deux joueurs excentrés sur les côtés, Cyrille à gauche et Kvrzic à droite. Du côté de l’Academia, on remarque assez rapidement qu’Andronic est un peu en-dedans et a du mal à imprimer sa patte dans la création des offensives de l’Academia. Du coup, les jeunes balancent de longs ballons vers Tibuleac, qui multiplie les courses et les duels mais reste trop esseulé devant pour inquiéter Koselev.

Sur son banc, Bruno Irles paraît plutôt décontracté, pompes colorées, lunettes de soleil sur le museau, admirant l’emprise de son équipe sur le match. Toutefois, à la 26e, une action bien construite par l’Academia se finit par une demi-volée d’Andronic, à l’entrée de la surface, qui termine juste à côté du but, histoire de réveiller un peu les quelques dizaines de supporters présents dans le stade.

Le jeune coach Viorel Frunze et le coach du Sheriff, Bruno Irles | © 2016 fc-sheriff.com
Le jeune coach Viorel Frunze et le coach du Sheriff, Bruno Irles | © 2016 fc-sheriff.com

La mi-temps se termine sur ce score de 0-1 et signe de sa méforme, voire d’une blessure, Andronic est remplacé par Celeadnic au retour des vestiaires. La mi-temps, dans un stade comme celui de Ghidighici, ça permet aussi de se rendre à l’alimentara du coin pour se procurer ses propres snacks et siffler tranquillement sa bouteille de Baltika pour les 45 minutes restantes.

L’Academia revient avec de meilleures intentions et parvient à recroqueviller le Sheriff en défense durant quelques minutes, mais les attaques sont trop peu incisives pour constituer un réel danger pour les champions en titre. Le Sheriff se charge de gérer son avance et Irles de redynamiser sa ligne offensive par quelques changements, qui nous permettent de revoir enfin Jo sur la pelouse, lui qui avait été gravement blessé en avril dernier, ou encore Subotic et son look chaussettes basses.

Au Sheriff, le gardien Koselev inspire la confiance tandis que Jabbie est intransigeant à la récupération et dirige le jeu juste devant la défense. Dans le dernier tiers du jeu, le trio offensif est bien alimenté par l’excellent Brezovec, qui se balade dans sa zone et confirme sa grande forme en ce début de saison. A la 80e, un coup franc bien tiré de Subotic est détourné en corner par Avram, dans un temps fort du Sheriff, dont les changements offensifs ont fait le plus grand bien. Des changements annoncés par une sonorisation qui peine à couvrir le brouhaha venant et du terrain et des tribunes, quand ce n’est pas le chien du voisin qui aboie.

© 2016 ."F.C. ACADEMIA CHIŞINĂU"
© 2016 . »F.C. ACADEMIA CHIŞINĂU »

L’Academia finit par s’incliner par le plus petit écart face au leader du championnat, sans avoir été outrageusement dominé – le Sheriff a plutôt maîtrisé son sujet et s’est attelé à gérer son avance rapide au score. Satisfait des trois points, le club de Tiraspol aura toutefois vent de la grosse perf’ du Zaria, vainqueur 1-2 au Dacia, là où ils se déplacent ce mardi pour le compte de la 6e journée reportée. Le club de Balti continue ainsi à lui coller aux basques, deux points derrière avec un match de retard.

C’est donc le moment de reprendre la rutiera vers Chişinău, avec place assise et sans accident cette fois-ci. Un bel après-midi moldave où on a pu voir le grand Sheriff Tiraspol pour seulement 8 lei (l’aller-retour Chişinău-Ghidighici, environ 35 centimes d’euro), ça reste peu cher, n’est-ce pas ?

Le but du match, considéré comme auto-goal de Jalba après-coup :

La galerie photo de l’Academia

La galerie photo du Sheriff

Thomas Ghislain


Image à la une : © Footballski.fr

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