Il y a peu de joueurs français ou même passés par la Ligue 1 dans le championnat polonais. Avant cet été, l’un des premiers était Nabil Aankour qui avait rejoint le club du Korona Kielce en provenance de Bastia dès l’âge de 21 ans. Cela fait donc deux ans et demi que le Franco-Marocain au plus de 50 matchs en Pologne nous fait admirer sa technique tous les week-ends. Mais il s’agit tout de même d’un choix étonnant et rare pour un jeune issu d’un centre de formation français, qui au début allait marcher un peu dans les pas d’un certain Olivier Kapo, passé lui aussi par les Sang et Or polonais.

Le Korona n’est pas un club très médiatique et Kielce une ville que peu placeraient aisément sur une carte IGN, mais il semblait clair à nos yeux que pour découvrir l’EkstraklasaNabil Aankour était l’ambassadeur parfait. On a donc discuté avec lui du pourquoi du comment, de ses objectifs, des terrains polonais l’hiver, d’ambiance en tribune et bien sûr de jeu lui l’amateur de la passe parfaite plutôt que du tir brossé.

Cette interview a été effectuée avant le match Korona Kielce – Pogon Szczecin du samedi 26 novembre durant lequel Nabil Aankour a marqué un superbe doublé (volée du gauche en première intention puis une tête puissante). Il compte donc maintenant trois buts et quatre passes décisives à son actif cette saison (en douze matchs) et son équipe, le Korona Kielce, est invaincue depuis trois matchs.

La première question que les gens se posent c’est certainement comment un joueur de 21 ans qui fait ses classes en France, à Bastia, se retrouve à venir jouer dans le championnat polonais? C’est un choix peu commun.

Et pourtant, finalement c’est un choix assez simple à expliquer et qui s’est fait naturellement. Tout d’abord, Agnieszka Koziarska, un de mes agents, connait très bien le championnat, car elle est polonaise et elle s’occupait déjà d’autres joueurs jouant en Ekstraklasa. Puis, mon contrat arrivait à sa fin avec Bastia, j’ai eu quelques offres de clubs de Ligue 2 ou National, mais finalement la proposition alléchante de jouer en première division en Pologne était beaucoup plus intéressante à mes yeux. Jouer en première division c’est, selon moi, une exposition plus importante (même en Pologne) et un meilleur moyen de gagner de l’expérience que de rester en France à des niveaux inférieurs. Donc finalement avec tous ces éléments puis la visite des installations, je n’ai pas hésité et ça fait maintenant deux ans et demi qu’a commencé ma belle aventure à Kielce.

Tu parles des infrastructures comme un élément important dans ton choix de venir en Pologne et à Kielce, elles sont vraiment aussi bien que ça?

Moi aussi, quand je suis arrivé, j’ai été agréablement surpris, je ne m’attendais pas à ce que ça soit aussi bien, beau et de qualité. Je pense que c’est un a priori que l’on a, car on ne connait pas bien ce football et ce championnat en France. Mais ici on est vraiment bien, particulièrement grâce à l’Euro 2012. Les infrastructures sont vraiment top. Dès les années 2000, des stades ont été construits, d’autres reconstruits, et fouler la pelouse de certains c’est extraordinaire, ce sont de magnifiques outils de travail. Et même à Kielce, malgré le fait que l’on soit un « petit club » on a un tout de même un superbe stade (Kolporter Arena) et c’est plaisant.

Les supporters polonais s’ils ont quelque chose à dire, faire passer un message ils n’iront pas par quatre chemins, que ce soit en bien ou en mal

Un beau stade c’est bien, mais l’ambiance, c’est comment?

Les Polonais sont quand même connus pour ça et je n’ai pas été déçu (rires)! Même chez nous à Kielce, l’ambiance est incroyable. Bon … cette année les supporters (ultras) ne sont pas forcément au rendez-vous à cause de problèmes avec la direction, mais quand ils étaient au complet c’était une vraie tuerie. Jouer quand il y a une ambiance comme ça c’est ce qu’il y a de mieux pour un footballeur. Dans les grands clubs comme à Poznan ou au Legia, les stades sont très souvent remplis et ça fait du bruit, on s’en rend vraiment compte lorsqu’il a un arrêt de jeu et qu’on peut se reposer. Il y a des cris, des chants, etc. c’est juste impressionnant surtout pour un jeune joueur.

Wojciech Habdas
© Wojciech Habdas

Malgré tous ces points positifs (ambiance, infrastructures, etc.) Partir aussi tôt pour un nouveau pays c’est quand même difficile, non?

Il y a toujours une petite appréhension c’est normal, pour moi c’était la première fois que je quittais la France. Mais en tant que joueur de foot tu as l’habitude de voyager, et puis personnellement grâce à mon parcours j’ai vite appris que la vie de footballeur c’était ça; j’ai commencé en classes aménagées puis sport-étude et enfin la formation en école de foot, donc des mon jeune âge j’étais loin de ma famille que je ne voyais pas tous les week-ends. En Pologne, je m’attendais à avoir un peu de difficulté, mais finalement j’ai été super bien accueilli par tout le monde, que ça soit les joueurs, le staff, les supporters. Et puis les gens sont toujours agréables avec moi, même quand ils me rencontrent dans les rues de Kielce par exemple. Bien sûr, quand tu joues à l’étranger tu es obligé de montrer plus que les autres (les Polonais dans ce cas précis), de travailler plus et ça permet de s’enrichir, d’acquérir de l’expérience et de te faire accepter plus facilement.

Outre la différence de culture, beaucoup de joueurs parlent parfois de la barrière de la langue qui peut être un frein à une bonne intégration. Tu te débrouilles comment en polonais?

La première année j’ai eu de la chance, car le coach parlait français (Ryszard Tarasiewicz, passé par le RC Lens, l’ASNL et Besançon lors de sa carrière de joueur) donc pour mes débuts c’était confortable et agréable. Après, je comprends 80% de ce qu’il se dit et même parfaitement quand ça a un rapport avec le football. C’est plus le fait de parler qui est un peu problématique, je sais dire quelques trucs que tout le monde peut connaître sans être polonais et utiliser quelques phrases basiques, mais concrètement au quotidien j’utilise l’anglais et tout se passe bien.

En même temps au Korona Kielce, pas besoin de parler polonais, c’est un peu la Tour de Babel polonaise du foot, non?

(Rires) Oui, c’est vrai on a beaucoup d’étrangers dans le groupe: un Slovaque, un Ukrainien, un Letton, un Estonien, un serbe, un Biélorusse, un Sénégalais et des Espagnols. Donc pour se comprendre dans le vestiaire et sur le terrain on parle anglais entre nous et tout fonctionne très bien.

Revenons un peu sur toi et ton style de jeu. Toi qui es un joueur plutôt technique et rapide, ça n’a pas été trop difficile de s’adapter à un championnat physique comme l’Ekstraklasa?

C’est vrai que c’est très physique, mais je n’ai pas vraiment de problème à ce niveau, je suis petit, technique, mais costaud maintenant. Au début il fallait s’habituer et s’adapter, même si j’ai pu jouer en Corse et que j’ai baigné dans ce combat physique. Les gens pensent souvent que les équipes polonaises jouent principalement sur le physique en utilisant les coups, etc., mais ce n’est pas forcément vrai, car il y a aussi des équipes très techniques qui jouent vraiment au ballon. Quand tu vois jouer le Cracovia qui ressort proprement la balle en passant par-derrière sans balancer, on est loin d’un championnat que certains pourraient voir comme un combat permanent. Je pense que c’est aussi dû à une culture dans certaines régions ou villes. À Cracovie par exemple en amateur ou professionnel les équipes vont essayer de jouer au ballon, ça fait partie de leur philosophie de jeu.

Personnellement, tu recommanderais à de jeunes joueurs français ou qui jouent en France de venir tenter l’expérience en Pologne au lieu d’aller dans des niveaux inférieurs par exemple?

Oui, car je l’ai fais et je pense qu’il ne faut pas hésiter, car ça en vaut vraiment la peine. Avec un regard extérieur, tu peux faire des groupes en te disant « cette équipe a le niveau d’une Ligue 1, celle-ci d’une Ligue 2 », mais quand tu es sur le terrain et que tu joues ici en première division, on te demandera la plus grande exigence possible comme dans tous les pays et il n’y a pas de match facile. Il faut se battre pour remporter les matchs, car au bout il y a le titre ou des places d’honneur (ce qui est moins présent en L2/Nat). Et ça, ça endurcit. C’est plaisant et agréable, car la motivation est toujours là et on peut emmagasiner de l’expérience même en étant jeune.

Mon CV est dans les mains d’Hervé Renard, c’est lui qui décidera. J’espère un jour jouer pour le Maroc, c’est un objectif, bien sûr.

Espérons que ça donne envie à d’autres joueurs français de venir jouer en Pologne et rejoindre les colonies portugaises, serbes ou même espagnoles. D’ailleurs l’année dernière ton association avec l’Espagnol Airam Cabrera avait fait des étincelles.

On s’entendait plutôt bien sur le terrain. Il n’a pas fait un début de saison fantastique, mais sa deuxième partie de saison a été impressionnante (16 buts au total en 25 matchs). C’est vraiment un très bon joueur et son départ cet été a créé un vide en attaque, personne ne dira le contraire. S’il était resté, notre début de saison aurait pu être beaucoup plus intéressant et bien différent.

Ça se ressent dans ces résultats en dents de scie de cette saison, non? Car le Korona est une équipe qui depuis le début de saison pratique un beau football un match sur deux et peut prendre 3-0 comme mettre 3-0, d’où vient l’inconstance?

Oui c’est vrai, c’est un peu comme ça, mais je pense qu’on est beaucoup d’équipes dans ce cas, car il y a un niveau homogène. L’envie et la prise de risque sont un moteur de résultats ce qui se traduit par des matchs avec beaucoup de buts. Par exemple, le quatrième pourra se faire battre par le quatorzième, il y a de l’incertitude et rien n’est jamais joué d’avance, c’est ça qui est bien ici. Tu as quatre, cinq grosses équipes au-dessus du lot et après tout le monde est à peu près au même niveau, tout le monde se vaut, il y a de la concurrence.

C’est d’ailleurs ce qu’on voit avec des petits clubs comme l’Arka Gdynia ou le Bruk-Bet Termalica cette saison, et des gros clubs comme le Legia qui ont eu du mal en début de saison.

Exactement, après le Legia Warszawa est quand même une classe au-dessus donc même avec un début de championnat manqué, ils se rattrapent et vont continuer de grappiller des points. De plus, le système de play-offs favorise aussi ce suspens pour la descente comme pour le titre. Les matchs les plus importants de l’année ce sont les 10-12 derniers, c’est là qu’il faut être fort, mais il faut tout de même s’être bien placé dans les matchs précédents les play-offs pour tomber dans le bon groupe avant la division des points. Par exemple avec le Korona, deux fois de suite on s’est retrouvé à la dixième place à seulement un point de la huitième place et dernière place qualificative pour le groupe de champions. Et ça, c’est rageant.

Tu la vois comment cette saison? Encore une bataille pour la huitième place, mais gagnante cette fois-ci?

J’espère qu’on va se battre encore pour accéder aux huit premières places. C’est quand même l’assurance de jouer plus tranquille, d’être bien et de moins se poser de questions. Même inconsciemment, on est meilleur quand on est tranquille dans la tête loin de la relégation. Après cela va dépendre de notre parcours, on avait bien commencé puis on a eu une série de six défaites consécutives qui nous a plombés. Depuis ça va un peu mieux. On s’est imposé lors de l’avant-dernier match durant lequel j’ai marqué mon premier but en Ekstraklasa et on s’est imposé lors du dernier match, on enchaîne.

Félicitations pour ton premier but cette saison, et d’ailleurs parfois on a envie de te dire de plus tenter ta chance, tu te rends compte de ça?

Depuis tout petit on m’a toujours dit « Nabil, il faut que tu frappes plus souvent, joue pour toi aussi ». Mais privilégier la bonne et belle passe au tir a toujours été mon style de jeu depuis gamin, c’est comme ça. Mais c’est vrai que marquer c’est important, ça rentre dans les statistiques et de nos jours c’est très important.

En parlant importance des statistiques, tu es en fin de contrat cette fin de saison, c’est quoi tes objectifs, tes envies? Rester en Pologne?

Mon objectif c’est finir l’année avec le Korona Kielce, en jouant jusqu’au bout, avoir de bonnes stats, aider le club et puis on verra. Pour l’instant je ne suis pas en négociation pour un nouveau contrat avec le Korona, mais rester en Pologne pourquoi pas! Toutes les occasions sont bonnes à prendre et je me sens bien ici, quoi qu’il en soit on regardera avec mon agent en temps et en heure les occasions qui se présentent.

Partout où tu iras, tu pourras trouver des idiots, c’est comme ça. Mais, en Pologne et plus particulièrement ici au Korona Kielce je n’ai jamais eu de problème avec le racisme.

Ta nationalité marocaine te permettrait d’être sélectionné pour les lions de l’Atlas. Tu as déjà été contacté par la fédération?

J’ai été mis en relation avec un des dirigeants et ça s’arrête là. Maintenant mon CV est dans les mains d’Hervé Renard, c’est lui qui décidera un jour s’il veut m’appeler. La fédération suit donc certainement mes performances, mais je n’ai pas eu d’autre contact. Dans tous les cas, j’espère un jour jouer pour le Maroc, c’est un objectif, bien sûr.

Retour à Kielce. On a beaucoup et bien parlé foot, mais les gens veulent savoir: c’est comment Kielce?

Je ne suis pas du tout un fêtard, je suis quelqu’un de posé donc la ville me convient parfaitement. Il n’y a pas énormément de choses à faire, mais j’aime bien aller de temps en temps dîner au restaurant avec mes amis, aller me faire un ciné, ce genre de petit plaisir simple. C’est exactement ce qu’il me faut. Je vais à l’entrainement, je me pose, je vais manger dehors. Pas forcément de la nourriture polonaise qui n’est pas ma cuisine préférée, mais un resto italien, espagnol ou japonais, il y a le choix. Puis je rentre chez moi tranquillement et pas tard pour être prêt et me concentrer sur l’important. Et l’important, ce sont mes performances et par conséquent ma carrière dans le football.

© Paul MAŁECKI
© Paul MAŁECKI

L’hiver arrive a Kielce comme partout en Pologne, c’est dans ces moments que la France te manque?

Bien sur que ça me manque parfois, la France où sont mes amis, ma famille, mais j’aime bien aussi le fait de ne pas tout avoir, que tout ne soit pas facile. J’apprécie vraiment le fait qu’il faille travailler plus et que parfois il y ait des moments plus difficiles, car au final j’en tire beaucoup plus de mérite personnel. Ce qu’il y a de plus dur finalement, c’est peut-être le climat. L’hiver est dur, très dur. À l’entrainement tu ne sens plus tes mains. Quand tu tapes dans le ballon, tu ne sens plus tes pieds, les terrains sont gelés parfois donc il faut que les muscles s’adaptent à des appuis plus rudes, etc. C’est difficile au début, surtout quand tu viens de Corse, mais c’est comme tout, on s’y fait.

On se fait aussi au départ d’un coach? Car l’ancien entraîneur du Korona a été limogé il y a deux semaines après finalement une victoire que le club attendait depuis six matchs.

Je m’entendais très bien avec l’ancien coach, c’était un bon entraineur. Ce n’est pas à cause de lui que les résultats n’ont pas suivi pendant notre mauvaise période et d’ailleurs, les entraînements n’avaient pas changé entre notre période de victoires et celle de défaites. Mais dans le football moderne, on s’attaque toujours en premier au coach, c’est plus facile que de remettre en question les joueurs, et c’est regrettable. Maintenant, tout se passe bien et on travaille bien avec le nouveau coach. Il va apporter de nouvelles méthodes et on va travailler ensemble pour continuer de progresser.

Pour finir, en deux ans et demi passés en Ekstraklasa, c’est quoi ton plus beau souvenir?

Je n’ai pas seulement un gros souvenir, j’en ai plusieurs petits, mais marquants. Par exemple lors de ma première saison en Pologne, au bout de quelques matchs les supporters du Korona ont commencé à scander mon nom, c’était un moment fort et c’était nouveau pour moi, je n’avais pas l’habitude de ce genre de chose. Comme le fait qu’après un bon match, toute l’équipe aille remercier les supporters, c’est quelque chose qui au début était étrange pour moi ici. Ils attendent dans le stade au plus près du terrain et il y a un contact très proche avec eux, on leur tape dans la main, on donne les maillots, on leur parle, etc. C’est quelque chose qui peut arriver en France après un très gros résultat, lors d’un derby ou pour un titre, mais en Pologne c’est assez naturel de le faire simplement après un bon match et finalement c’est très plaisant et agréable.

Un énorme merci à Nabil Aankour pour sa gentillesse, sa disponibilité et son précieux temps qu’il a pu nous consacrer, à son agent pour avoir accepté cette demande d’interview ainsi qu’au club du Korona Kielce pour sa disponibilité.

Mathieu Pecquenard


Image à la une : © Wojciech Habdas

2 Comments

  1. Pingback: 2016 - Six mois de football en Pologne - Footballski - Le football de l'est

  2. pery 16 février 2017 at 13 h 16 min

    excellente interview ,
    ce jeune joueur, qui s ‘exprime tb a un bon état d’esprit,
    on aimerait connaître les niveaux de salaire en Pologne,
    bonne chance à lui,

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