Des Jefferson, il y en a eu beaucoup dans le football mondial. Pourtant, celui avec qui nous avons eu la chance de discuter durant de longues heures est un cas un peu particulier. Loin des strass et des paillettes, notre Jefferson à nous a connu une carrière bien longue et mouvementée. De ses débuts dans les petites divisions brésiliennes jusqu’à un transfert vers la Macédoine qui changera sa vie au point d’en faire son second pays, retour sur la carrière de l’un des premiers joueurs brésiliens à avoir posé le pied en terre macédonienne. Une terre que, 20 ans plus tard, Jefferson n’a toujours pas quittée.


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On connait la place du football dans la société brésilienne. Comment as-tu commencé à jouer au football ?

Au Brésil, à mon époque, lors de la naissance d’un garçon, sa famille lui offrait un ballon de football. Aujourd’hui, du fait de l’affirmation des autres sports dans la société brésilienne, peut-être que cette coutume a un peu disparu. Mais à l’époque, il y a 30 ou 40 ans, c’était comme ça.

Dès lors, le football m’a accompagné dès mes premiers pas. Malheureusement, avant mon arrivée, aucun membre de ma famille n’avait joué professionnellement au football ou d’un autre sport. Je pense que c’est aussi à cause de ça que je n’ai pas eu vocation à jouer dans des clubs plus huppés un peu plus tard, que ce soit au Brésil ou en Europe.

Quand j’étais jeune, il m’est arrivé d’avoir besoin de conseils plus professionnels, afin de savoir quel chemin suivre, où aller et que faire. Honnêtement, j’avais le talent. Mais il m’a manqué cet accompagnateur pour toucher réellement le monde professionnel le plus tôt possible. Malgré tout, j’ai commencé à gagner ma vie grâce au football dès l’âge de 14 ans.

Quel est ton premier souvenir footballistique ?

Je m’en rappelle très bien. C’est comme si c’était hier, même. Mon premier souvenir est assez triste, j’ai pleuré pour l’élimination de notre équipe nationale. C’était en 1982, dans le grand match entre l’Italie et le Brésil, quand Paolo Rossi, auteur d’un triplé, a éliminé les Auriverdes.

Ma mère a vu mes larmes et m’a demandé pourquoi j’étais triste. Quand je lui ai expliqué que c’était à cause de cette défaite du Brésil, elle m’a dit d’arrêter et d’aller m’entraîner. Elle m’a fait comprendre qu’avec l’amour pour ce pays et un entraînement dur, je pouvais peut-être aider le Brésil à devenir champion du monde un jour. C’est comme ça que j’ai été de plus en plus amoureux de ce sport.

Ton premier club a été l’EC Sao Joaquim, puis le Rio Branco et l’EC Catuense.

Oui, ce sont mes premiers clubs professionnels. Avant ça, j’ai joué dans différents clubs amateurs brésiliens. Au Brésil, les clubs ne donnaient pas de grands salaires avant 1994.

Justement, quel était l’état du football brésilien à cette époque ?

En fait, je pense que c’est à partir de cette année 94 et l’éclosion de la nouvelle génération emmenée par les transferts de Ronaldo Nazario, ou « El Phenomeno » comme on dit, au PSV et celui de Roberto Carlos à l’Inter Milan. Ce sont ces deux transferts qui ont fait un « boum » dans le football brésilien, ce sont ces derniers qui ont marqué le début d’une nouvelle ère dans l’industrie des transferts au Brésil. À partir de là, les clubs ont commencé à mieux payer leurs joueurs afin de les garder dans l’équipe.

Du côté des infrastructures, on ne pouvait pas trop se plaindre. Un club brésilien est organisé en tant que club social d’une région. Grâce à ça, le club possède de bons terrains, une salle de sport avec piscine, etc. À l’époque, par exemple, je me rappelle que beaucoup de clubs existaient grâce aux abonnements des membres externes.

Alors que tu étais à l’EC Catuense, tu as été repéré par le FK Pelister. Comment un jeune brésilien arrive à se faire repérer par un club macédonien à une époque où les étrangers étaient beaucoup moins présents dans les championnats est-européens ?

À cette époque, je travaillais avec un agent de joueur qui avait joué en Espagne et qui était ami avec Dragan Kanatlarovski. Durant la saison 1996 – 1997, Kanatlarovski est devenu joueur-entraîneur de Pobeda. Le club avait besoin de joueurs et a commencé à appeler différents contacts en lien avec le coach, et donc mon agent. C’est comme ça que sont arrivés les premiers Brésiliens en Macédoine, avec Oliveira et Gilson. Puis, la saison suivante, moi et Alves, un autre joueur brésilien, avons rejoint l’équipe de Pelister.

C’était le début de la saga des joueurs brésiliens au pays. Durant les vingt années qui ont suivi ces quatre premiers transferts, plus de 50 joueurs brésiliens ont eu l’occasion de venir jouer dans le championnat macédonien. Mais de toutes ces personnes, je suis le seul à être resté vivre au pays.

Quelle a été ta première impression lors de ton arrivée en Macédoine ? Nous pouvons imaginer que les différences culturelles étaient assez fortes…

Malgré les différences, qu’elles soient linguistiques, culturelles, climatiques, je peux te dire que je suis tombé amoureux de ce pays dès le premier contact. Dès les premiers jours, j’ai découvert l’amour avec ce football, j’ai découvert un nouveau championnat qui m’a donné la chance de gagner ma vie grâce au football, de faire le même métier que tous ces grands joueurs qui m’ont inspiré. C’est pour ça que je suis tombé amoureux de ce pays.

Je me suis très vite adapté et je n’ai eu aucun problème dans mon déménagement vers ce nouveau pays. Pour l’anecdote, je me rappelle que, trois mois après mon arrivée en Macédoine, j’ai été interviewé dans une télévision locale, à Bitole, c’était TV Orbis. J’ai réalisé cette interview en macédonien. Bon, après, ça devait être un macédonien incompréhensible. Malgré tout, le lendemain, je voyais que les gens étaient heureux, ils étaient contents de me voir essayer de parler leur langue. D’un côté, ça m’a aussi rendu heureux de voir cette réaction vis-à-vis de ma personne.

Tu as eu des problèmes avec le racisme lors de ton arrivée ?

Je n’ai eu aucun problème de ce côté-là. Les gens doivent comprendre que nous sommes tous égaux. Même si nous avons des différences corporelles l’un et l’autre, ce n’est pas une raison de se sentir inférieur à une autre personne. En fait, peut-être que certaines personnes ont gueulé « Tzigane » ou « Singe », mais les ultras du club de Pobeda ont comme nom « Les Singes ». Alors je ne sais pas si ça m’était adressé ou pas (rires). Dans tous les cas, je ne me suis jamais senti inférieur ou supérieur aux autres. Ça fait 20 ans que j’habite dans ce pays et je n’ai jamais connu de problèmes à ce sujet.

Comment s’est passée ton intégration au sein du club et de la société macédonienne ?

Comme je le disais, je n’ai eu aucun problème pour m’intégrer. J’étais motivé et j’avais envie de m’intégrer rapidement lors de mon séjour macédonien. C’est aussi grâce à mon entraîneur Blagoja Kitanoski. Il avait eu l’occasion de jouer en Espagne et donc de parler espagnol. Quand je ne comprenais rien, il faisait toujours des efforts pour me parler en espagnol. J’étais très heureux grâce à ça. Au début, quand j’avais un problème, je pouvais toujours me reposer sur lui. En fait, quand je suis arrivé en Macédoine, avant de parler la langue locale, j’ai surtout appris à parler avec mes mains, avec des signes et des gesticulations (rires).

Après, dans ma vie personnelle, c’était aussi assez simple. La nourriture ressemble un peu aux plats brésiliens, dans le sens où l’on retrouve toujours beaucoup d’épices. J’ai fait des efforts avec la langue et j’ai rapidement appris le macédonien, c’est forcément plus facile pour s’adapter. Le plus dur, c’était surtout les salaires. Tu étais bien les six premiers mois, puis la régularité a commencé à se perdre et tu avais des retards dans le versement de ton salaire. C’est à ce moment-là que ça devient plus difficile à vivre.

Sur le terrain, lors de la saison 1997-1998, j’ai été le deuxième buteur du championnat et le meilleur joueur étranger. Mon club, Pelister, était alors en haut du classement avec de jeunes joueurs, tout le monde était impressionné.

L’équipe de Pelister en 1997/1998, avec Jefferson, Nikolče Noveski ou encore Igor Angelovski. | © Archives personnelles de Jefferson

D’ailleurs, lors de ton arrivée, l’effectif de Pelister possédait des joueurs comme Vanco Trajanov ou Nikolce Noveski.

Oui, à cette époque, Noveski et Trajanov étaient encore très jeunes. Je peux te dire avec certitude que j’étais leur idole, je les ai beaucoup aidés dans leurs progrès en tant que joueur. J’étais très proche de ces deux joueurs, je parlais beaucoup avec eux et j’avais l’occasion de leur donner beaucoup de conseils sportifs. Encore aujourd’hui, ils me respectent parce que j’ai été un facteur important dans leur carrière.

Je peux aussi te citer Zdravevski, qui a eu l’occasion de jouer quelques saisons en Turquie. J’étais aussi très proche avec l’actuel sélectionneur de l’équipe nationale de Macédoine, Igor Angelevski. À cette époque, le championnat était de bas niveau, mais il y avait le futur du football macédonien. C’était des joueurs nationaux très intéressants. Ils ont été dans les 50 meilleures équipes nationales dans le classement FIFA, ce que l’on ne trouve plus aujourd’hui.

Quand on jette un œil à ta carrière, on s’aperçoit que la stabilité n’était pas forcément ton fort étant donné que tu as changé de club tous les ans. Pourquoi ce choix ? C’est quelque chose que tu regrettes aujourd’hui ?

Ça a été le principal problème de ma carrière. La raison de tous ces changements, c’est que je n’ai jamais eu l’occasion de jouer dans un grand club. J’avais le talent, la volonté, mais les clubs étaient instables, j’étais chaque saison dans l’obligation de partir. Un joueur, malgré son talent, s’il n’a pas de stabilité dans le club où il est, n’est plus dans une situation où il ne pense qu’au jeu, et seulement au jeu. Quand tu n’as pas ton salaire tous les mois, ça te pèse et quand tu n’étais pas dans un bon club européen, c’était ton quotidien. C’est à cause de ces problèmes financiers que j’étais obligé d’être transféré quasiment tous les six mois ou tous les ans. C’est aussi pour ça que j’ai stoppé ma carrière à 29 ans, ça use à la fin.

Un après ton transfert en Macédoine, tu signes au NK Primorje, en Slovénie, lors de la saison 1998-1999, une époque où le club joue le haut de tableau du championnat slovène.

Cette période, ce transfert, ce pays, je considère que c’est la plus grande faute de ma carrière. Lors de la saison précédant ce transfert, j’étais deuxième meilleur buteur du championnat et meilleur étranger de Macédoine. Suite à ça, je devais être le transfert de la saison du Sloga Jugomagnat, un club de Skopje. Un club avec lequel j’ai fait quelques entraînements. À ce moment, un agent, M. Hodic, est venu avec plusieurs offres venant de clubs slovènes, dont celle du NK Primorje.

C’était une époque où je parlais très mal la langue macédonienne et j’ai donc demandé à plusieurs de mes amis des avis sur le championnat slovène. Ils m’ont conseillé d’y aller sans réfléchir, car la Slovénie était d’un meilleur niveau que la Macédoine. Au final, c’était la pire décision.

Je n’ai rien contre Primorje, c’était une équipe fantastique, mais au même moment, Sloga Jugomagnat a remporté le championnat à trois reprises, de 1999 à 2001 …

Je me rappelle qu’avant de partir en Slovénie, l’administration du Sloga et son président, Rafet Muminovic, ont essayé de me convaincre de rester dans le club pendant plusieurs heures. Ils m’ont dit que j’allais être le meilleur joueur de l’équipe, mais je n’ai pas écouté et ai signé en Slovénie.

J’ai dû faire face à la concurrence d’un joueur de la sélection nationale slovène qui, comment dire, « devait »  jouer tous les matchs et que dans tous les cas l’entraîneur préférait jouer avec lui. Après six mois, j’ai stoppé mon contrat et je suis rentré en Macédoine.

 

Un retour au pays et une suite de carrière que nous verrons prochainement dans la seconde partie de cette interview avec Jefferson.

Pierre Vuillemot / Tous propos recueillis par P.V pour Footballski / Un grand merci à A. Kamchev pour son travail de traducteur.


Image à la une : Jefferson sous les couleurs du Bahia Catuense. À ses côtés, avec le maillot de Flamengo, un certain Bebeto, qui ira jouer au Deportivo La Corogne en 1992. |  © Archives personnelles de Jefferson

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