Temps de lecture 8 minutesL’URSS et la Coupe du monde #1 : 1958, la découverte

La Coupe du Monde organisée en Russie se rapproche désormais. Pour bien nous préparer à l’événement nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire des participations des sélections soviétiques aux différentes Coupes du Monde. Nous commençons donc par le premier épisode de l’histoire de l’URSS avec la Coupe du Monde et l’édition 1958, organisée en Suède.


19 juin 1958 à Stockholm, le peuple suédois en délire applaudit un XI jaune qui réussit à sortir une équipe d’URSS fatiguée par une campagne plus que rocambolesque. Pour la première fois de son histoire, en cette année 1958, l’URSS participe à une coupe du monde suite à l’accord de la FIFA. Une grande première pour une nation cantonnée jusque là à des amicaux contre des nations autorisées comme la Turquie, et par les Jeux olympiques (les joueurs soviétiques étant tous considérés comme amateurs). Le monde entier découvre à cette occasion la sélection d’URSS qui compte bien s’imposer sur la scène footballistique.

Un parcours de qualification épique

Deux ans avant le début du mondial en Suède, l’URSS remporte sa première récompense à l’occasion des Jeux olympiques d’été de 1956. À Melbourne, les Soviétiques viennent à bout de la Yougoslavie et repartent à Moscou avec la breloque dorée autour du cou. La bonne nouvelle au sein de la fédération sera rapidement suivie par la levée de l’embargo de la FIFA sur le football en URSS. Enfin! Après de longues années à disputer des matchs amicaux contre des équipes du bloc de l’Est et la Turquie, les Soviétiques sont autorisés à prendre part aux éliminatoires de la Coupe du monde 1958. C’est l’ébullition au pays, les joueurs se frottent les mains et se retrouvent dans un groupe 6 à la portée de la sélection. Au programme, la Pologne et la Finlande dans un format aller-retour. Deux équipes qui ont l’habitude de jouer contre des équipes soviétiques, mais qui comptent bien obtenir le seul billet disponible dans le groupe pour la Suède.

La campagne débute au mois de juin 1957. Pas rassurée après un triste match nul 1-1 contre la Roumanie, l’URSS s’apprête à recevoir la Pologne au stade Luzhniki. Grande première sur la terre soviétique et grand événement avec un stade à guichets fermés pour l’occasion. C’est d’entrer un choc dans ce groupe entre deux équipes favorites pour la première place et la Pologne donne tout offensivement, mais ne pourra faire mieux que de toucher à trois reprises les montants de Lev Yashin. L’URSS quant à elle ouvre rapidement le score grâce au flottement de la défense polonaise.

En seconde période, des épais nuages font une surprenante apparition dans le ciel moscovite obligeant le parti à prendre la décision d’allumer les projecteurs (chose rare à l’époque). Manque de chance, l’allumage va faire sauter les plombs et oblige les vingt-deux acteurs à continuer le match en pleine obscurité. Sous pression du pouvoir central, les Polonais ne se plaindront jamais, l’URSS qui n’a même pas fourni une feuille de match officielle aux arbitres s’éclipse, ainsi que la FIFA qui ne retiendra de ce fait qu’un petit commentaire dans le rapport de match attestant que la poursuite du match était largement possible. Sans protestation, le match se poursuit et voit les Soviétiques s’imposer 3-0 avec des buts de Simonyan (le monsieur qui a fait le tirage au sort de la coupe du monde il y a quelques jours) et Ilyin.


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Suite à ce probant succès, l’URSS continue d’engranger de la confiance par une victoire 4-0 à Sofia contre la Bulgarie. Une belle victoire qui confirme le potentiel offensif de la sélection. Direction Moscou une semaine plus tard pour y affronter l’outsider finlandais. Largement favoris, les Soviétiques butent longtemps sur une défense scandinave plus blindée que Fort Knox, mais vont tout de même ouvrir le score grâce à Voynov. Mais les Finlandais vont réussir à égaliser en seconde période par Lakhtinen qui trompe Makarov, qui remplace Yashin blessé. Kachalin est furieux sur son banc et Netto va finalement sauver les siens avec un but de la tête en fin de match. Malgré la victoire, le coach est déçu de la prestation de son équipe et va les faire bosser sévère. Le moins que l’on puisse dire c’est que ça va payer! Mi-août le match retour à Helsinki va se solder par une victoire 10-0 des rouges! Un succès record qui est le plus large de l’histoire de l’URSS à ce moment, un déplacement également marqué par le premier déplacement à l’extérieur de supporters soviétiques.

Pour les Soviétiques c’est sûr, ce match contre la Pologne sera le dernier avant une fabuleuse Coupe du monde. L’URSS est première de son groupe avec trois points d’avance. Malgré un goal average largement en sa faveur elle se doit de ne pas perdre afin d’éviter un match d’appui. Sûre de sa force, la sélection débarque à Slansk avec la tête déjà tournée vers la Suède, mais rien ne va se passer comme prévu! Poussés par 100.000 spectateurs chauds bouillants, les Polonais renversent la montagne rouge et s’offre un match d’appui! Les coéquipiers de Yashin ont du mal à y croire … Cette défaite 2-1 fait mal au crâne, il faudra se racheter.

Un mois plus tard, la sélection soviétique se rend à Leipzig pour y disputer ce terrible match d’appui. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les choses commencent bien mal! En effet Ivanov et Streltsov manquent à l’appel à la gare de Moscou, le train doit partir, tant pis pour les retardataires. Kachalin est embêté, Streltsov reste sur de bonnes performances. Heureusement pour lui, les joueurs n’étaient pas les seuls à louper le train; Antinopok, un haut fonctionnaire devait se rendre en RDA pour le match, mais a lui aussi loupé le coche. Les trois compères se lancent à la poursuite du train en voiture! Le chef de gare appelle le ministère du chemin de fer pour faire arrêter le train, mais lancée à pleine vitesse la voiture dépasse la locomotive à Mojaisk. Demi-tour et tout fini bien avec une arrivée de toute la sélection à Leipzig. Le lieu, choisi bien évidemment par les fonctionnaires soviétiques, portera chance aux hommes de Kachalin. Pourtant le match est très tendu, Streltsov se blesse en début de match, mais décide de poursuivre pour se racheter après sa fameuse histoire de course poursuite avec le train. Une décision qui s’avérera décisive, un but et une passe décisive, une victoire 2-0, l’URSS ira en Suède!

La découverte du haut niveau

Début 1958, Moscou recouverte par un monticule de neige n’est pas propice à la préparation d’un événement planétaire. Les dirigeants de la fédération décident alors d’envoyer la sélection … en Chine! Les camps d’entraînements s’effectueront dans des endroits isolés pendant un mois. Au programme, travail physique et collectif ainsi que de nombreux matchs amicaux contre des équipes locales afin d’affiner la cohésion du groupe. Un travail qui se poursuivra pendant quelques semaines à la base d’entraînement du Spartak Moscou avec notamment une victoire 4-0 contre la RDA et un match nul 1-1 contre l’Angleterre, un adversaire que les Soviétiques rencontreront quelques semaines plus tard lors du mondial.

Les joueurs utilisés au cours du mondial et des qualifications:

  • Gardiens: Makarov (Dynamo Kiev), Belyaev (Dinamo Moscou), Yashin (Dinamo Moscou), Maslachenko (Lokomotiv Moscou)
  • Défenseurs: Ogonkov (Spartak Moscou), Kesarev (Dinamo Moscou), Krizhevski (Dinamo Moscou), Kuznetosv (Dinamo Moscou), Ostrovsky (Torpedo Moscou), Erokhin (Dynamo Kiev)
  • Milieux: Paramonov (Spartak Moscou), Maslyonkin (Spartak Moscou), Voinov (Dynamo Kiev), Netto (Spartak Moscou), Tsaryov (Dinamo Moscou)
  • Attaquants: Tatushin (Spartak Moscou), Streltsov (Torpedo Moscou), Isayev (Spartak Moscou), Fomin (Dynamo Kiev), Kovalyov (Dynamo Kiev), Fedosov (Dinamo Moscou), Ivanov (Torpedo Moscou), Simonyan (Spartak Moscou), Ilyin (Spartak Moscou), Salnikov (Spartak Moscou), Ivanov (Zénit Léningrad), Apukhtin (CSKA Moscou),  Falin (Torpedo Moscou), Bubukin (Lokomotiv Moscou), Gusarov (Torpedo Moscou)

En ce 1er juin 1958, c’est toute une nation qui voit son équipe s’envoler vers la Suède. L’URSS s’envole pour sa première coupe du monde, à son bord une sélection confiante, mais trois éléments manquent à l’appel. Coup de tonnerre dans le football soviétique : Ogonkov, Tatushin et Streltsov sont accusés de viol sur une jeune femme lors d’une soirée bien arrosée. Les trois hommes ne verront jamais la Suède. Streltsov totalement mis de côté par cette histoire manquera terriblement à son équipe et passera de longues années en prison. Cette mauvaise nouvelle n’est pas la seule pour les hommes de Kachalin ! Pour sa grande première, l’URSS évoluera dans le « groupe de la mort » avec le Brésil, l’Angleterre et l’Autriche.

Une semaine après son arrivée en terre suédoise, les rouges disputent leur premier match contre l’Angleterre à Göteborg. Devant un public en nombre, les Soviétiques dominent le début de rencontre et vont rapidement mener 2-0 grâce à Simonyan qui coupe un coup franc d’Ivanov, ce même Ivanov qui remportera son face à face avec le gardien quelques minutes plus tard. Tout se passe comme sur des roulettes pour l’URSS, mais voilà. Un homme, Derek Kevan, va en décider autrement. L’avant-centre anglais va être l’homme de cette fin de rencontre. Il réduit le score à l’heure de jeu avec un but de la tête et va littéralement démonter Yashin sur un contact en fin de match. La fin de rencontre est tendue et dans les derniers instants, Haynes trébuche dans la surface soviétique et obtient généreusement un pénalty sifflé par Zsolt. Yashin est furieux, à tel point qu’il balance sa casquette suite au coup de sifflet. L’Angleterre ne va pas louper cette occasion et ramène le point du nul. L’URSS remporte son premier point et le lendemain du match, la presse moscovite critique ouvertement la décision de l’arbitre, annonçant que Zsolt (qui est hongrois) a sifflé pénalty en réponse à la répression soviétique de 1956 en Hongrie …

 

L’URSS est malgré tout  en position favorable avant d’affronter l’Autriche qui reste sur une grosse déconvenue 3-0 contre le Brésil. La rencontre est âpre et disputée, mais les rouges vont s’en sortir grâce à Ilyin et Ivanov pour une victoire finale 2-0. Une sélection qui peut remercier son portier qui sauva un nouveau pénalty en début de match! Une victoire qui met le moral au beau fixe avant un match crucial contre le Brésil. Avec deux points d’avance sur l’Angleterre, l’URSS doit faire mieux que les Britanniques pour rejoindre les quarts de finale. Mais voilà, en face c’était le Brésil, le Brésil de Pelé. Largement dominée, l’URSS ne peut rien face à l’armada offensive de son adversaire. Le Brésil touche trois fois la barre dans les deux premières minutes et marque à la troisième grâce à Didi. Contrôlant totalement la rencontre face à des Soviétiques inexistants, le Brésil va se balader et s’impose finalement 2-0. Une défaite significative d’un match d’appui contre l’Angleterre!

Revanche à Göteborg

C’est l’heure de la revanche en Suède! Les Soviétiques n’ont pas oublié les déboires du premier match, mais la fatigue se fait ressentir sur le terrain. L’Angleterre croit ouvrir le score en fin de première période, mais le jeune Brabrook expédie le ballon dans les nuages alors qu’il était seul à trois mètres du but! Le jeune Britannique va s’en mordre les doigts, car Ilyin ouvre le score dans la foulée et marque le seul but de la rencontre. Yashin brille dans sa cage, l’URSS tient son premier quart de finale! Un quart qui ne s’annonce pas facile pour les coéquipiers de Netto qui manqua plusieurs matchs du mondial du fait d’une blessure au genou. Ce sera le pays organisateur au programme! Un match compliqué en prévision, surtout que le sort s’acharne sur la sélection. Avec un seul jour de repos (contre quatre pour les Suédois), les Soviétiques apprennent que leur vol pour Stockholm est annulé ! Un long voyage en bus s’ensuit donc, suivi d’une nuit dans un hôtel situé juste à côté d’un gigantesque chantier de nuit. Fantomatique, l’URSS ne pourra rien faire face à des Suédois poussés par tout un stade à Solna. Hamrin ouvre le score suite à une erreur de Kuznetsov et Simonsson assure la qualification avec un but en fin de match. 2-0 l’URSS est renvoyée chez elle.

Un quart de finale pour une première participation, c’est plutôt pas mal! La presse nationale quant à elle est très critique envers sa sélection qui aura tout de même réussi à sortir d’un groupe très relevé. Nation la plus suivie du mondial avec une affluence de 121 515 spectateurs cumulés à ses matchs, l’URSS fera taire la presse deux ans plus tard en remportant l’Euro 1960 en France. Mais ça, c’est une autre histoire …

Antoine Jarrige


Image à la une : © PHOTO/PRESSENSBILD / AFP PHOTO / SCANPIX SWEDEN / STAFF

2 Comments

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  2. Sergueï 18 février 2019 at 21 h 13 min

    En fait c’était 2 points d avance sur la Pologne en éliminatoires car c’était l’époque de la victoire à 2pts et non 3.

    Super article!

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