Temps de lecture 16 minutesLukasz Teodorczyk, le Chateau de ma mère ou le Sisyphe de Zuromin

Il n’aime ni les interviews, ni la lumière, son image lui importe peu, à vrai dire il s’en moque. C’est son ombre qui doit parler pour lui. Vous savez, celle qui se déplace dans les seize mètres cinquante adverses chaque samedi ou dimanche. Une ombre factice créée de toute pièce par les lumières des spots irradiants de faisceaux quasi sacrés un stade de football en Pologne, en Ukraine, en Belgique ou ailleurs. Une forme sombre créée par cette lumière crue sans atours, sans mensonges. Il aime que cette ombre qui bouscule, qui se meut telle une ombre chinoise sur fond vert, parle pour lui, à sa place, ventriloque de ses performances et son double à la fois. Parfois, lui-même la déteste mais elle est sa carapace, sa prestidigitation footballistique, son seul moyen d’expression qu’il s’accorde à utiliser avec panache ou malchance. Łukasz Teodorczyk n’est pas muet mais parle peu aux « inconnus », ceux qui font partie d’un monde qu’il ne connaît pas ou qu’il ne connaît que trop bien. Et lorsque son ombre devient muette elle aussi, alors c’est sur lui que les regards se tournent, et c’est sur sa grande carcasse que les critiques s’abattent, drues comme la pluie, acerbes, parfois méchantes.

Il ne veut pas être une idole, un exemple, un modèle. Pourtant, c’est son image qui trône fièrement dans les couloirs du Gymnazjum 1 de sa ville natale. Pas de son plein gré, certes, mais il est encadré sur un mur un peu décrépi tel un président, lui l’élève devenu sans le vouloir modèle de réussite. Il n’a pas pour but d’avoir son portrait affiché aux côtés de Lewandowski, scotché sur les murs d’une chambre d’ado à Wroclaw, sur le papier peint d’un petit studio à Ustka ou sur un calendrier dans une cuisine défraîchie de Varsovie. Un format poster A3 ou A4 retraçant ses exploits sous les couleurs blanche et rouge de la sélection ou sous ses couleurs mauves qui sont devenues une seconde peau, une nouvelle protection, un nouveau treillis de combat. Et pourtant, celui qui aime si peu la lumière dès qu’il quitte son terrain de jeu aurait tout pour devenir un exemple, un modèle et le clamer haut et fort. Car sortir des abysses sales, poisseuses, crasseuses, alcoolisées et violentes de Żuromin, c’est un peu revenir des enfers. Le football ne lui doit rien, mais si Teodorczyk est encore là, il ne le doit qu’à lui-même, à sa mère et au football.

La violence est ce qui ne parle pas

Il est rare de trouver quelques interviews sur son enfance. La raison est simple, limpide, Teodorczyk ne veut pas en parler. C’est une blessure toujours à vif exposée au vent, une cicatrice qui ne se refermera jamais vraiment. Et pour cause, si en privé le joueur d’Anderlecht est loquace, en public, il se ferme, se protège, car au fond de lui, avant la joie et la fierté, c’est la honte et la dure réalité de cet enfant de neuf ans dans le deux-pièces de Żuromin qu’il occupait avec ses deux frères et ses parents qui le rattrapent. Une famille très modeste, voire pauvre, même si lui ne vous le dira jamais, par pudeur. Une famille sur le papier, dirons-nous, car c’est plutôt un enfer qui attend Łukasz quand il revient de l’école. Son père alcoolique rentre da,s une spirale de plus en plus violente suite à la perte de son emploi, il fait vivre un véritable calvaire à Łukasz, ses frères et sa mère. Il reste toute la journée dans le petit appartement à boire de la vodka, à ne savoir que faire des ses journées. Il s’agace, tourne en rond, part acheter de l’alcool et lorsqu’il revient, c’est pour insulter et frapper violemment sa femme et ses enfants. Une famille prisonnière d’un tortionnaire qu’ils connaissent si bien.

Une sombre et triste réalité infantile qui laisse des marques profondes chez le petit Łukasz, lui qui voit de ses yeux sa mère travailler durement, se faire battre et insulter par celui qui devait être son modèle paternel et qui n’est qu’un ivrogne vulgaire et violent. A neuf ans, Łukasz est déjà dur, responsable et direct, il est entre par le côté sombre de l’existence. Et comme si le destin n’était pas fait pour sourire au petit Łukasz, encore oublié par sa bonne étoile pour quelques temps, c’est un autre modèle sur lequel il ne peut pas compter, puisque son frère Tomasz choisit le chemin de la drogue et de la délinquance pour s’exprimer après le départ de leur père, mis à la porte par la fratrie. Vous savez, dans la vie, personne ne part vraiment avec les même chances, ceux qui l’écrivent savent que ce sont des foutaises pour faire de belles phrases, Łukasz Teodorczyk savait déjà que lorsque la chance apparaîtrait il faudrait la saisir sans sourciller, à bras le corps, car cela pourrait être la seule.

Crédits : © Arch Wkra

Sans repère paternel ni fraternel, c’est sa mère qui va être son point de fuite à l’horizon. Cette mère qui va tout mettre en oeuvre pour que son fils, son dernier espoir comme elle le surnomme, réussisse. Łukasz le sait, pour sortir de cette médiocrité, son salut viendra d’abord de l’école puis du sport. Il ne traîne pas comme son aîné avec de mauvaises fréquentations, il est appliqué en cours et devient même un très bon élève grâce à sa persévérance et son labeur.

Le football comme seule échappatoire

Il est franc, direct, intelligent, parfois même un peu timide mais sait montrer de l’affection à ceux qui lui font confiance et le rassurent. A l’école, il va découvrir le football comme échappatoire pour canaliser cette énergie négative qu’il a en lui. Ce n’est pas qu’une simple découverte, il met dans le football tout ce qu’il a, de ses tripes à son coeur. Disons-le, si ses études se passent bien, c’est dans le sport que Łukasz excelle. C’est un surdoué, un boulimique.

Il n’était intéressé que par le football. Il jouait, marchait, se levait avec un ballon au pied. Je le voyais toujours avec son ballon, jamais sans – Tadeusz Szulborsk, un de ces premiers coachs au Wkra Żuromin

Son physique est atypique pour un enfant de son âge, c’est une longue tige de roseau posée sur deux échasses encore frêles. Au premier abord, il est difficile de s’imaginer que ce tout jeune joueur évoluant dans les catégories de jeunes du Wkra Żuromin possède autant de talent balle au pied. Mais lorsque l’arbitre siffle le coup d’envoi, il se métamorphose, ce grand échassier au visage sculpté au burin s’envole, il dribble, utilise son corps comme rempart, file vers le but à toute vitesse avant de crucifier le gardien adversaire froidement. Il est talentueux et possède une technique bien supérieure à la moyenne de ses petits camarades. Les recruteurs ne s’y trompent pas et de toute la Pologne, ils viennent voir jouer le Wkra ou plutôt voir jouer le petit Łukasz Teodorczyk. Ils sont tous étonnés, interloqués par ce physique impressionnant pour un jeune de son âge, certains à la fin du match demandent même pour confirmation à voir sa pièce d’identité pour pouvoir vérifier son âge. Teodorczyk s’exécute alors sans broncher et les recruteurs se confondent en excuses. Au Wkra Żuromin, il y fait toutes ses classes et excelle, sur le terrain on ne voit que lui, ce grand numéro neuf filiforme et terriblement efficace. Pour « Shazza », comme on l’appelle du côté de sa ville natale, marquer quatre ou cinq buts par match avec les U16 n’est pas un exploit mais plutôt la norme.

Les jeunes années en Mazovie

De nombreux clubs et académies se penchent sur son cas, l’école sportive de Piaseczno tente alors de faire venir le jeune prodige à la suite d’un tournoi de détection de la région de Mazovie. Mais sa mère trouve Varsovie trop dangereuse pour son fils et dans tous les cas, l’option n’est même pas considerée par Teo qui promet à sa mère de rester avec elle à Żuromin jusqu’à ses dix huit ans pour l’aider, lui devenu le « seul » homme à la maison. D’autre clubs comme le Lechia, l’Arka et le Polonia vont tenter eux aussi leurs chances mais ils essuient tous le même refus catégorique du joueur, rien ne pourra rompre la promesse que lui et sa mère se sont faite. Sous le maillots du Wkra, alors âgé de seize ans, il intègre déjà l’équipe première lors de la saison 2008/09. En sixième division, il inscrit la bagatelle de 36 buts et le club est promu. La saison suivante, il inscrit dix buts avec une demi-douzaine de passes décisives en cinquième division. A 18 ans, le Wkra va devoir voir son jeune diamant partir, quitter le cocon.

Et à l’heure du choix, c’est avec le coeur encore ici, dans cette petite ville de 8000 habitants au nord ouest de la Mazovie, dans ce petit deux-pièces où vit encore sa mère Theresa et son petit frère, qu’il prend avec elle la décision de partir. Łukasz est alors vendu pour 25 000 zlotys au Polonia. Au départ, le club polonais ne souhaitait pas investir une si grosse somme sur un un si jeune joueur et voulait se préserver avec un prêt avec option d’achat comme solution privilégiée, mais lors des amicaux estivaux, Teodorczyk marque la bagatelle de dix-sept buts et convainc le board du Polonia d’un transfert sec, promesse tenue. La chance, elle se provoque.

A cette époque, en 2010, le Polonia Warszawa est en première division, Smolarek et Sobiech forment la ligne d’attaque du plus vieux club de la capitale. Pour Teodorczyk, les premiers pas sont plus difficiles, ils sont lents. Ce n’est pas évident de se faire une place dans l’un des clubs qui comptent en Pologne quand on vient de Żuromin, que l’on a que dix-huit ans et que devant vous, deux noms bien connus sont déjà titulaires. Il se fait tout de même un ami cher qu’il gardera, à savoir Pawel Wszolek, avec qui il mènera l’attaque du Polonia deux ans plus tard. Il joue son premier match d’Ekstraklasa le 29 octobre 2010, deux petites minutes certes, mais deux minutes qui seront suivies par treize, puis vingt, puis trente, etc… Teodorczyk se montre déjà dur, physique et agressif, éliminant sur un pas un défenseur pour se retrouver en un battement de cil en position de tir face au gardien adverse, il a déjà son jeu si caractéristique dos et face au but.

Le hip-hop m’a aidé à survivre. J’ai appris à me battre en utilisant mes coudes lorsque quelqu’un se mettait en travers de mon chemin – Łukasz Teodorczyk

Cette première saison est celle de l’apprentissage pour le jeune polonais, celle aussi des découvertes dans une ville plus de cent fois plus grande que sa ville natale. Les sorties, la boisson, Teodorczyk profite de la « grande ville » comme un adolescent qu’il est, loin du regard protecteur de sa mère. C’est lors de sa deuxième saison au Polonia qu’il marque son premier but en première division, lors de la cinquième journée pour être précis, face au GKS Belchatow. Il marque le but de la victoire. Il le sait, la route est encore longue mais le chemin parcouru est déjà remarquable, il savoure ses instants. Teodorczyk prend part à une dizaine de rencontres lors de cette saison 2011/12, marquant au total quatre buts, handicapé par l’une de ses premières grosses blessures qui le voit écarté des terrains pendant trois mois, comme un mauvais présage. Jeune, grand et fragile. Cette blessure le renforce dans son idée qu’il doit travailler encore plus dur que les autres pour réussir.

La saison suivante, il est donc attendu au tournant, à tout juste 20 ans, pour une (demi) saison qui s’avère être la dernière sous les couleurs noires, blanches et rouges du Polonia. Le truculent président Wojciechowski parti en compagnie de quelques joueurs à l’intersaison, Łukasz va pouvoir enfin prouver de quoi il est capable, même si le club ne tourne plus très rond. Ses premiers mois sont excellents, il marque cinq buts et délivre six passes décisives en treize matchs. Son entente avec Dvalishvili, Brzyski et Wszolek est parfaite, le Polonia retrouve le podium à la mi-saison, un véritable exploit. Mais en coulisses, c’est la fin du court règne de Król, éphémère président du club, les mois de salaires impayés s’accumulent, les caisses sont vides, les rats quittent le navire et les bons joueurs sont vendus pour essayer de renflouer le bateau qui coule. Teodorczyk fait partie de la première chaloupe et c’est le Lech Poznan qui le fait finalement monter à bord. Une bonne affaire pour les Kolejorz qui achète Teo pour 125 000 euros (500 000 zlotys) et aussi pour le Polonia qui le revend vingt fois plus cher que le prix d’achat initial. C’est avec le Lech, loin de sa Mazovie natale, que Lukasz Teodorczyk va se révéler, comme beaucoup d’autre attaquants célèbres l’ont fait du côté de Poznan.


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Lech pur des sommets

Lorsqu’il arrive au Lech Poznan, sa place de titulaire n’est pas acquise, loin de là. Comme d’habitude, Teodorczyk doit se battre, travailler dur et montrer de quoi il est capable pour se faire une place dans l’équipe coachée à l’époque par Mariusz Rumak. Métaphore de sa vie, combat perpétuel tel Sisyphe roulant sa pierre jusque tout en haut de la dite colline qui retombera en bas tout en bas lorsqu’il atteint le sommet. Pour sa première apparition sous ses nouvelles couleurs, à tout juste 21 ans, il délivre deux passes décisives permettant aux Kolejorz de s’imposer et garder leur deuxième place au classement. S’en suit une période quasi semblable à celle de son arrivée au Polonia, quelques minutes par ici et quelques autres par là, le titulaire au poste d’attaquant est alors Slusarski mais Shazza profite du turnover pour se montrer et jouer des matchs entiers. Le Lech Poznan finit la saison vice-champion de Pologne, et avec quatre passes décisives et un but en quatorze matchs, le bilan du gamin de Żuromin est mitigé.

La saison 2013/14 est celle de l’éclosion et de l’envol de l’albatros polonais. Il commence la saison titulaire pour les débuts du Lech Poznan en Europa League et plante deux buts sur les matchs aller-retour lors du deuxième tour de qualification. Chirurgical, talentueux et bosseur, il réussit petit à petit à mettre Slusarki sur le banc et à devenir l’attaquant titulaire du Lech Poznan. Son adaptation est toujours quasiment la même, six-sept mois de rodage, et puis Teodorczyk prend ses aises et déploie ses ailes pour ne plus jamais atterrir à son point de départ mais beaucoup plus loin. Gamin, sa mère était son seul horizon, maintenant il est son propre horizon, lui seul sait jusqu’où il peut aller au fil des vents portants. Il marque vingt buts en championnat lors de cette saison et obtient sa première sélection en équipe de Pologne le 22 mars 2013. Accomplissement extraordinaire pour un joueur parti de si bas.

Dans ses rêves les plus fous, lorsqu’il regardait la vie grouiller sous sa fenêtre du salon maternel, Teo rêvait discrètement du maillot floqué de l’aigle. Un gamin de sa classe sociale, venant d’une petite ville pas loin de la capitale polonaise, à l’enfance rude et violente, peu de gens croyaient en sa bonne étoile, si ce n’est sa mère toujours présente et ses éducateurs du Wkra. Son cas n’est pas une généralité, et il ne disserte pas de longues heures mais son sourire et sa joie lorsqu’il revêt pour la première fois le maillot polonais parlent pour lui. Et cette joie, c’est avec ses proches, ceux qui ont cru en lui, et avec personne d’autre, qu’il veut la partager. Il dira d’ailleurs a travers ses mots simples, plus tard

Je ne m’intéresse pas à ceux qui me jugent. Pour moi, le plus important est d’avoir l’avis de mes proches et de ceux avec qui je partage ma vie chaque jour – Łukasz Teodorczyk

Il marche alors dans les pas d’un certain Lewandowski, passé quelques années plus tôt dans le même club du Lech et qui s’est lui aussi révélé aux yeux de l’Europe par ses buts et ses exploits avec le club de Poznan. Les similitudes s’arrêtent certainement là, mais la comparaison est flatteuse même si Teo la balaye d’un revers de main. Alors que Lewandowski avait choisi l’Allemagne, il choisit l’Ukraine et le Dynamo Kiev pour passer un palier dans sa carrière. Beaucoup lui disent que partir à l’Est n’est pas un pas en avant, que la crise ukrainienne couve et qu’il est peut-être dangereux de s’aventurer dans cette inconnue. De plus, c’est la première fois qu’il devra laisser sa mère loin de lui, loin de ses yeux de fils protecteur. Mais Teodorczyk sait ce qu’il veut et le Dynamo dans son esprit est le club qui lui permettra de progresser davantage et de voir encore plus loin sur son horizon. La décision est prise et, comme souvent avec lui, irrévocable. En octobre 2014, après quatre journées de championnat et trois buts en Pologne, il s’envole vers Kiev pour signer avec le grand Dynamo.

A l’Est rien de nouveau

A Kiev, rien ne se passe comme prévu pour lui. Arrivé en grande pompe, il connaît encore une fois la concurrence. Comme au Polonia, comme au Lech, il n’arrive pas en terrain conquis et cette fois il n’est plus à domicile, il est en Ukraine dans un environnement bien différent de ce qu’il a connu auparavant. Le Dynamo tourne a plein régime et se bat avec le Shakhtar Donetsk pour la suprématie nationale. Teo ne fait que très peu souvent partie de la fête pour cette première saison 2014/15. Comme il en a l’habitude lors de ses premières saisons, il joue quelques matchs, quelques minutes éparpillées sur la saison. Il marque tout de même en Europa League et ses entrées sont souvent gagnantes, mais à son poste c’est Kravets qui tient le haut du pavé dans la capitale ukrainienne et il est difficile de le déloger.

Vous me direz, oui, mais le néo-international polonais a toujours montré qu’il arrivait petit à petit par le travail et l’abnégation à grignoter du temps de jeu pour se montrer, puis grignoter la place du titulaire pour finir grâce à sa détermination par l’évincer et être calife à la place du calife. Certes, mais à Kiev, cela se passe différemment pour la première fois de sa carrière. En 900 minutes de jeu sur 23 matchs, il marque une dizaine de buts, l’une de ses premières meilleures saisons dans un nouveau club. Il est champion d’Ukraine et de Pologne en ayant participé aux deux championnats remportés respectivement par le Lech et le Dynamo, mais il finit prématurément blessé, une fracture de la jambe qui va gravement compromettre son évolution.

Si généralement ses deuxièmes saisons sont celles de l’envol, sa grave blessure l’empêche de jouer pendant quatre mois. Une période durant laquelle son moral est en berne, les journées rythmées par les séances de kiné, la rééducation et les coup de fils à ses amis, à sa mère. Quatre mois, d’une longueur infernale dans un pays qui est maintenant en guerre, mais Teodorczyk ne pense pas à quitter le Dynamo durant cette période, son but étant de revenir encore plus fort, comme il l’a toujours fait. Il ne lâchera pas sans « mourir » les armes à la main. Par la suite, il dira encore une fois que très peu de choses sur son expérience mitigée et parfois lourde en Ukraine, admettant seulement qu’il a gardé de bons contacts avec certains de ses coéquipiers, mais ça sera tout, l’homme est avare de mots. Il revient finalement après cette longue période, mais sa place est bien sur le banc. C’est Junior Moraes qui a la confiance de Rebrov, le Polonais a manqué l’occasion ou plutôt sa blessure lui a fait manquer l’occasion. Beaucoup se demandent si sans blessure, Teodorczyk aurait pu viser encore plus haut, s’il aurait pu pleinement réussir au Dynamo?

Crédits : © Marcin Kalita

Malheureusement, dans cette vie, dans la sienne, il n’y a pas de seconde chance et les supputations resteront de doux mots s’envolant dans le ciel où les lourdes fumées épaisses et noires côtoient maintenant la blancheur céleste des nuages flottant sur les grandes plaines. Mais cette nouvelle épreuve, Teodorczyk l’utilise pour s’endurcir, sans relâche il travaille encore plus dur pour être prêt, le jour J, celui où on l’appellera, celui où il pourra montrer à des milliers de supporters amassés dans un stade que sur quatre-vingt-dix minutes, il est bel et bien le joueur que beaucoup ont vu comme le futur crack de la Pologne.  Lors du dernier match de la saison, il est titulaire et signe un triplé magistral face au Metalist en guise d’adieu aux supporters du Dynamo. Ils ne reverront plus l’international polonais porter les couleurs Bleu et Jaune du double champion ukrainien.

Ses deux saisons, malgré des stats très honorables, sont le premier échec de Teodorczyk, sa blessure y est pour beaucoup mais le Polonais n’est pas du genre à s’attarder sur le passé, encore moins lorsqu’il est douloureux. N’étant plus dans les plans pour la saison 2016/17, il doit trouver un nouveau point de chute, son regard se porte à l’Ouest cette fois. C’est finalement le plat pays qui l’appelle pour le relancer. Anderlecht le veut et c’est maintenant outre-Quiévrain, après ce difficile passage en Ukraine, qu’il doit montrer avec son talent et sa rage naturelle qu’il est un grand attaquant et qu’il n’est pas perdu comme beaucoup semblent le penser.

Joie, bières et épilogue

En Belgique, Teodorczyk retrouve les terrains, retrouve le jeu, retrouve les buts, retrouve l’amour, celui du public et de son coach. Arrivé seulement en prêt, il brille comme une étoile sur la Jupiler Pro League. Son double footballistique dégaine de son pied gauche, de son pied droit, de sa tête, Lukasz s’amuse et Teodorczyk plante but après but, match après match. Il se plaît au plat pays comme rarement sur un terrain de football, à part peut-être à Żuromin ou au Polonia avec son ami Wszolek. Il marque la bagatelle de vingt buts en vingt-huit matchs de championnat et devient meilleur buteur du championnat pour sa première saison dans un grand championnat européen. Du jamais vu dans sa carrière. Le taureau dans son dos, symbole de sa première place au classement des meilleurs buteurs, semble comme rentrer à l’intérieur de sa cage thoracique, l’animal ne faisant plus qu’un avec le joueur. Conquis, Anderlecht lève son option d’achat de cinq millions d’euros, l’histoire d’amour est à son apogée, solstice mauve d’un géant aux pieds de bronze et au coeur d’argile.

Puis, les play-offs ne se passent pas comme prévu, son ombre reste muette pendant huit matchs, une éternité. Les critiques commencent à poindre et les observateurs découvrent un autre Teodorczyk, râleur, agressif et parfois désespérant. Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’il joue sous de puissants antalgiques depuis le début des play-offs. Blessé, il a décidé avec son coach de continuer à jouer pour des questions techniques, car même diminué, lorsqu’il est sur le terrain, c’est lui qui aspire les défenseurs adverses et permet à son équipe de trouver des espaces. Stratégie payante car les Mauves gardent la tête du championnat jusqu’à la fin, n’étant battu qu’une seule fois par Charleroi. Et devinez qui va mettre le but gravant le titre de champion de Belgique pour Anderlecht lors du dernier match ? Je ne vous fais pas un dessin.

Durant ces play-offs difficiles, Teodorczyk ne s’épanche pas dans la presse pour expliquer ses contre-performances et se chercher des excuses, il se moque du qu’en-dira-t-on et des rumeurs, il laisse son ombre parler pour lui quand le temps est venu. Le temps des galères est passé. Comme un gamin, qu’il est encore un peu, il fête le titre avec ses coéquipiers sur le terrain, comme un adolescent avec son trophée de meilleur buteur de la Jupiler à la main. Étrange paradoxe d’ailleurs pour celui qui, quelques mois plus tôt, se retrouvait quasiment à la porte de la sélection après s’être murgé à la bière jusqu’au petit matin dans l’hôtel de l’équipe nationale polonaise en compagnie de quelques autres, juste avant le match contre l’Arménie. Des très hauts et des très bas, des montagnes russes Teodorczykienne.

Teo est comme ça. Gamin pauvre de Żuromin battu par son père, adoré par sa mère comme une Idole. Il revient de loin, et si lui-même refuse d’en parler ou s’il n’aime pas les conférences de presse et préférerait prendre sa voiture pour rendre visite à sa mère, c’est qu’il a ses raisons, ses propres blessures. L’épisode du doigt d’honneur aux supporters de Bruges n’est pas anodin (outre le choc et l’indignation so british dans la presse belge), il est l’exacte expression de cet être prêt à réagir comme un animal blessé lorsqu’il est attaqué et qui depuis ses neuf ans a décidé de plus jamais se laisser faire et d’en assumer les possibles conséquences. Mais il est vrai qu’il est difficile de comprendre Teodorczyk quand on ne connait pas l’histoire du petit Łukasz.

En tout cas, sachez que si vous l’aimez, il vous le rendra au centuple ; si vous l’ignorez, il vous ignorera car il s’en fout comme vous ; si vous l’insultez, il vous insultera en retour. Il est franc et est un peu comme nous tous, humain. Avec ses différentes facettes, les cachées et les montrées, les dures et les tendres, les avouables et les secrètes. Dans un monde où le football est devenu une image de marque, où les joueurs hyper connectés via twitter, facebook, snapchat, instagram et consorts ont besoin de Community Managers pour gérer leur communication et leur image, Teodorczyk a décidé de rester lui-même, en dehors de tout ça mais avec une parole libre et non aseptisée. Certains pensent qu’il devrait se calmer, se ranger, s’apaiser en dehors et/ou sur le terrain, mais le peut-il, le veut-il vraiment ? Serait-ce alors vraiment Teo ? Certainement pas et ce que l’on aime ou déteste chez Łukasz Teodorczyk c’est aussi ça, son naturel, cette petite part de vérité qui nous ressemble, à des années lumières des footballers top-models posant pour des campagnes Armani et snappant leurs vacances sur un yacht au large de Capri ou d’Honolulu.

Teo est comme la vérité, parfois difficile à dire, difficile à tenir, dure à assumer, dure à regarder. Teo, c’est un peu Sisyphe, César et Néron. Teo c’est un peu vous, c’est un peu moi. Teo, c’est un peu d’espoir pour tous ceux qui ne sont rien et qui rêvent de tout. Teo, c’est un joueur à part, à la trajectoire à part dans un monde à part mais qui ne nous laissera jamais indifférent.

Mathieu Pecquenard

 

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