Temps de lecture 9 minutesL’Olympiakos ou l’éternelle déception

Jeudi 25 février 2016. Dans un stade Karaiskakis plein, le Ghanéen Frank Acheampong s’en va mettre fin, par deux fois, aux espoirs de l’Olympiakos. Ceux d’une qualification pour les huitièmes de finale de la Ligue Europa. Ceux, aussi, d’espérer faire un bon parcours européen, histoire de montrer qu’un club ultra dominateur en championnat peut aussi de réaliser de belles choses en Europe. Mais, une fois de plus, rien de tout ça ne se passera. Parce que la déception s’est encore répétée.

Un leader incontesté

Imaginez une équipe qui, lors des deux dernières éditions de la Ligue des Champions, arrive à battre l’Atletico (3-2) et la Juve (1-0) dans son stade, et à aller gagner à l’Emirates face à Arsenal, en marquant trois fois. Imaginez ensuite cette même équipe qui doit se contenter, à chaque fois, d’une qualification en Europa League, faute d’avoir su saisir sa chance au moment voulu. Voici l’Olympiakos. Ce club qui est, dans l’imaginaire footballistique européen, un paradis doré pour anciennes gloires en quête d’un contrat juteux au soleil, comme Rivaldo ou Javier Saviola par le passé, ou Esteban Cambiasso à l’heure actuelle.

Sauf que, dans les faits, ce n’est pas totalement ça. Dans un championnat où rien ne dure jamais vraiment, l’Olympiakos semble être le seul club, ou presque, à pouvoir rester en haut au fur et à mesure des années. À payer ses salaires et autres obligations en temps et en heure, aussi. Forte financièrement, l’équipe du Pirée peut se permettre de faire venir des joueurs de talent en Grèce, et surtout de réaliser des transferts payants, par exemple Ideye (West Bromwich Albion) cet été. Logiquement, cela se ressent au niveau des résultats, dans un championnat très hétérogène et fragile. 18 titres sur les 20 dernières éditions de la Super League. Si ce chiffre est, dans un premier temps, très flatteur et signe d’une très bonne santé sportive, il est aussi inquiétant.

Inquiétant, car il est le signe d’un championnat où une seule équipe domine outrageusement, ce qui en général n’est pas très bon. En témoigne ce 43e titre acquis dès la fin du mois de février 2016, avec un seul nul et une seule défaite au compteur. En face, le Panathinaïkos, dernière équipe à avoir brisé cette hégémonie à l’époque de Djibril Cissé, ne peut plus suivre, « tué » par sa mauvaise gestion et ses mauvaises performances. Idem pour le PAOK, qui, malgré ses moyens et Igor Tudor aux manettes, ne trouve pas la clé pour être régulier, en dépit de l’arrivée d’un joueur comme Berbatov à l’été dernier. Enfin, l’AEK – seule équipe à avoir fait chuter les hommes de Marco Silva – est encore trop « light » pour se mêler à la lutte pour le titre l’année même de son retour dans l’élite. Pour l’instant.

L’Europe, ce douloureux révélateur

Ne pas reproduire les erreurs de l’an dernier. Tel était, en substance, l’objectif du club cet été. Alors entraîné par Michel, le club était passé tout proche de franchir les poules de Ligue des Champions l’an passé, échouant à cause d’une défaite sur la pelouse de Malmö après un sans fautes à domicile. Reversé en Europa League, l’Olympiakos était tombé dès son entrée en lice contre le Dnipro, futur finaliste de l’épreuve. Avec des regrets, déjà. Ceux de n’avoir pas su élever son niveau de jeu et son exigence dans un rendez-vous pourtant capital. Dans une intersaison que l’on sait toujours animée dans ce club si particulier, où une quarantaine de joueurs vont et viennent (prêts, retour de prêts, arrivées, fins de contrat), les dirigeants avaient décidé de bâtir une équipe plus forte, plus solide. Apte à franchir ce palier supplémentaire sur la scène européenne, en somme.

Les effets ont été, il faut le reconnaître, incontestables. Du moins, en championnat. Avec notamment les arrivées d’Ideye et de Cambiasso en provenance de la Premier League, et celles de joueurs en provenance du Portugal (Seba, Hernani, Pardo), l’Olympiakos avait en effet une équipe plus forte. Peut-être même la plus complète depuis des années. Et, logiquement, personne, ou presque, n’a pu résister à O Thrylos cette saison sur la scène locale. Kostas Fortounis, par exemple, s’est révélé, devenu l’homme fort du dispositif de Marco Silva en inscrivant (à l’heure actuelle) 16 buts en championnat. Même lorsque le technicien lusitanien fait tourner, l’équipe alignée est encore largement au-dessus des autres, avec des joueurs comme Kapino, Fuster ou Zdjelar. Un luxe. Collectivement, l’équipe impressionne. L’écart est trop grand. Beaucoup trop grand. La Super League est pliée très vite. Trop vite.

Le vrai objectif, au-delà d’un doublé devenu presque banal à force d’être répété, était de s’offrir une épopée européenne. En échouant de justesse devant Arsenal, et derrière un Bayern bien trop fort, l’Olympiakos nourrissait logiquement quelques espoirs de parcours intéressant en Europa League. Mais le club du Pirée venait d’échouer, déjà, pour la première fois. Dans un match décisif face aux joueurs d’Arsène Wenger, à domicile qui plus est, les joueurs n’avaient pas été à la hauteur, comme dépassés par l’événement. Comme si le match aller n’était qu’un accident. Même les cadres, comme le gardien Roberto, n’étaient pas irréprochables. Le 3-0 du soir, sévère mais logique, est alors un révélateur de l’écart qu’il y a entre une bonne équipe dans son championnat, et une écurie européenne rodée. Bien sûr, l’écart absolu entre les deux équipes est incontestable, mais sur un match avec autant d’enjeux, la prestation proposée fut bien trop décevante.

© Dean Mouhtaropoulos/Getty Images
© Dean Mouhtaropoulos/Getty Images

En tirant Anderlecht, on se disait alors que l’Olympiakos avait là un adversaire à sa portée. Difficile, certes, mais jouable. Du 50-50, en gros, ou pas loin. Une équipe qui, pour l’anecdote, avait subi quelques années plus tôt la furia d’un Kostas Mitroglou qui s’était offert le luxe d’inscrire un triplé à l’extérieur, en Ligue des Champions. Surtout que, dans le même temps, Marco Silva pouvait profiter de l’avance en championnat pour axer sa préparation et la forme de ses joueurs sur ce double rendez-vous crucial. Mais une fois de plus, les limites de l’équipe sont apparues au grand jour. Aux yeux de l’Europe tout entière, même. Celle qui voyait pour la première fois, ou presque, cette équipe ultra dominatrice d’un championnat peu réputé.

À l’aller comme au retour, l’Olympiakos n’a jamais été capable de prendre le contrôle du ballon, ni la mesure de son adversaire. Les rares occasions ont été gâchées, notamment par Ideye ou Seba qui se révèlent, comme d’autres, bien trop limités lors de ce genre de rencontre. Cet état d’esprit de guerrier, qui avait permis de ramener la victoire de Londres, semble avoir disparu. Le match retour sera encore pire. Malgré un arbitre très laxiste, pour ne pas dire mauvais, et une ouverture du score sur pénalty, l’équipe se sabordera elle-même en concédant une égalisation sur une série d’erreurs défensives, de Masuaku à Milivojevic en passant par Elabdellaoui. Limité. C’est le mot qui semble le mieux correspondre à ce collectif-là, habitué à dominer de la tête et des épaules la plupart de ses rencontres. Et si, finalement, l’équipe ne pouvait pas faire mieux ? Les succès qui s’enchaînent en championnat sont venus donner une image biaisée d’une équipe sûre d’elle, dominatrice, mais incapable de faire face à l’adversité dès lors qu’elle est mise en danger et poussée dans ses retranchements. Physiquement, aussi, l’écart s’est ressenti. Peu habitués à vivre 90 minutes intenses tous les week-ends, les joueurs ont semblé peiner dans ce domaine-là face à Anderlecht, notamment dans la prolongation où ils se sont petit à petit éteints, avant de sombrer.

Des choix en question

Alors, forcément, des questions se posent. Celles du recrutement, par exemple. En faisant venir des « deuxièmes choix », à l’image de Brown Ideye, voire Seba et Hernani, le club n’a pas réussi à attirer (ou conserver) les joueurs qu’il voulait. Ceux qui sont arrivés sont des joueurs talentueux, certes, mais qui ne viennent pas totalement combler les manques d’un effectif à la recherche d’un buteur de haut niveau depuis que Mitroglou s’en est allé l’été dernier, et d’un défenseur central solide depuis que Kostas Manolas fait les beaux jours de la Roma. Était-ce vraiment le mercato dont le club voulait ? Même l’arrivée d’un joueur comme Cambiasso, qu’on ne présente plus, ressemble plus à une opportunité saisie qu’un réel choix. Marco Silva, pourtant brillant jusque-là, semble progressivement perdre pied. Ses choix, comme celui de se passer de Chori Dominguez ou d’Alan Pulido, sont de plus en plus remis en question. Il n’est qu’une question de temps avant que son avenir, lui aussi, soit remis en question, tant le poste qu’il occupe est fragile et soumis à l’intransigeance du président Marinakis.

© ARIS MESSINIS/AFP/Getty Images
© ARIS MESSINIS/AFP/Getty Images

Celles, aussi, du niveau réel de certains joueurs. Si Kostas Fortounis marche sur le football grec, son influence est plus discrète en Europe. Ses nombreux buts en Super League, dont beaucoup sur pénalty, ne signifient pas encore qu’il a l’étoffe pour être un leader sur la scène européenne. Pas encore, du moins. Idem pour Omar Elabdellaoui et Arthur Masuaku, deux latéraux très offensifs et courtisés qui sont à la peine en Europe. Comme les autres. Même Roberto, le capitaine, a semblé plafonner. Et l’on pourrait rajouter le reste de l’équipe là-dedans. Des joueurs talentueux, souvent jeunes, mais trop tendres pour ce genre de rendez-vous. Comment être habitués à ce genre de matches couperet quand l’adversité est inexistante en championnat ? Beaucoup semblent être tombés dans un certain confort, qui leur empêche presque de se surpasser dès lors que le niveau de l’adversaire s’élève.

Celles, enfin, de la politique réelle du club. Être le meilleur club grec ? C’est déjà le cas. Ça semble même parti pour durer. Mais pour progresser en Europe, il faut du temps. Et le club est bien trop instable pour ça. Les entraîneurs, par exemple, se succèdent beaucoup trop vite. Jardim, Michel, Vitor Pereira : tous ont « sauté » avant d’avoir pu vraiment imposer leur patte et leur style à l’équipe. Marco Silva, en ne parvenant pas à durer en Europe, s’est mis en danger. Mais son talent et ses principes sont susceptibles de faire progresser le club, au moins à moyen terme. Idem pour les mouvements de joueurs, qui sont bien trop nombreux chaque été pour que le club puisse travailler sereinement. Par exemple, ils étaient presque 40 l’été dernier lors du premier stage de présaison. Ce projet « Udinese », où les prêts s’enchaînent dans tous les sens, n’est pas forcément synonyme de progression. Surtout quand certains éléments, comme Mathieu Dossevi par exemple, sont vendus sans aucune logique sportive.

La grande lessive ?

Bien sûr, le tableau n’est pas tout noir, loin de là. Champion, le club était en lice pour réaliser son traditionnel doublé annuel avant que le ministère annule la compétition suite aux incidents du 2 mars sur la pelouse du PAOK. Un moindre mal, pourrait-on dire. Forcément, ces deux échecs consécutifs en Europa League donneront des envies d’ailleurs à certains joueurs. Pajtim Kasami, Omar Elabdellaoui, Arthur Masuaku, Kostas Fortounis, Luka Milivojevic : autant de joueurs que l’on sait courtisés, et qui disposent d’une certaine valeur marchande. Pour l’Olympiakos, il sera difficile d’aller à l’encontre de la volonté de joueurs qui ont semblé plafonner cette année, faute de vraie adversité, et qui veulent se frotter au haut niveau pour progresser. Même le grand Chori Dominguez semble être sur la fin, ou du moins plus aussi décisif qu’avant. Sachant que dans tout ça, le club pourrait récupérer une belle manne financière, dans un contexte où très peu de clubs grecs parviennent à vendre leurs meilleurs actifs. Malgré sa situation économique solide, difficile de rester insensible face à certaines sommes, surtout dans le marché grec. Les exemples récents (Manolas, Holebas, Mitroglou) montrent que le club sait vendre. C’est pourtant un virage important que devra prendre l’équipe dirigeante cet été. Renouveler une grande partie de son effectif n’est jamais une chose facile. Mais on semble bien être arrivé à cette fameuse « fin de cycle », ce moment où les têtes ont besoin de changer.

© -/AFP/Getty Images
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Surtout que derrière, le talent est là. En s’étant lancé dans une phase de nationalisation de son effectif depuis quelques années, l’Olympiakos possède la plupart des talents grecs de demain. Qui n’attendent qu’une chose : jouer, et avoir leur chance dans le plus grand club du pays. Masuaku parti ? Kostas Tsimikas (19 ans) peut le remplacer au poste de latéral gauche. Botia ? Vouros (20 ans) ou Goutas (21 ans) sont là pour l’axe de la défense.  Et à tout ça s’ajoutent les noms de Kapino (21 ans), Tzandaris (22 ans), Giannotas (22 ans), Kolovos (22 ans) ou Bouchalakis (22 ans). Autant de joueurs, prêtés un peu partout pour la plupart, qui pourraient redonner un peu d’influence grecque à un effectif très cosmopolite. Trop ? C’est peut-être d’ailleurs ce qui manque à cette équipe-là, des jeunes joueurs locaux morts de faim qui se battent pour une place de titulaire. Mais les dés semblent pipés d’avance, avec des entraîneurs qui préfèrent souvent des étrangers. Sans réelle concurrence à certains postes, difficile d’éviter les relâchements indirects à l’entraînement, que l’on peut voir ensuite dans les matchs européens. Mais en n’ayant jamais eu véritablement leur chance, mis à part en Coupe, ils ne sont logiquement pas prêts pour ce genre de matches. C’est tout le symbole de ce foot grec, où les gros clubs préfèrent utiliser des noms pas foncièrement meilleurs plutôt que de lancer dans le grand bain la jeunesse talentueuse.

Sans être réellement en crise, l’Olympiakos se retrouve pourtant dans une situation délicate. Incapable de progresser en Europe sur la durée, il est victime de sa domination outrageuse en championnat, qui ne semble pas prête de s’arrêter au vu de la saison actuelle et de la forme affichée par ses concurrents. Les dirigeants vont devoir prendre des décisions s’ils veulent que ce club qui joue l’Europe chaque année puisse viser autre chose que de la figuration. Parce que les ingrédients (argent, talent, infrastructures, public) sont là pour y parvenir. Parce qu’un grand club sait aussi se relever et repartir après un échec.

Martial Debeaux


Image à la une : © LOUISA GOULIAMAKI/AFP/Getty Images

1 Comment

  1. Vincent A. Koulos 8 mars 2016 at 23 h 24 min

    Très bon Martial… juste la dernière phrase qui est complètement à côté de la plaque mais c’est le vert qui est en moi qui parle la! :p

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