Nice en a fait les frais, le Slavia Prague est de retour sur la scène européenne. Les supporters des Červenobílí ont encore du mal à réaliser, leur club était pourtant à l’agonie il y a encore quelques années. C’est une véritable résurrection que connaît le club pragois après un sauvetage miraculeux pour le club qui a été fondé en 1892.

Reprise et déprime

En octobre 1997, 54% des actions du Slavia Club ont été rachetées par une société ENIC. Petit à petit, à force de racheter d’autres parts, les investisseurs ont détenu 96,7%. La société avait également des parts dans les Rangers, Valence ou encore Tottenham Hotspurs. Alors que le club perd de l’argent tous les ans, sauf l’année du titre en 2007-2008, il est financé grâce à des prêts de la maison mère ENIC. On parle ainsi d’un prêt de 110 millions de couronnes en 2004 pour une perte de 17 millions de couronnes la même année.

À l’été 2006, ENIC est confronté à une situation difficile : deux de ses clubs sont qualifiés pour les éliminatoires de la Coupe UEFA, or ils ne peuvent avoir le même propriétaire – à savoir le Slavia et Tottenham. ENIC a donc vendu sa participation dans le Slavia à Key Investments. Il est apparu plus tard que ce n’était que des poupées russes. L’actionnaire destinataire restait le même… Dans le même temps, le Slavia est sans stade fixe, viré de l’ancien Eden pour des problèmes de normes, il trouve refuge au Stade Evžen Rošický à partir de 2001.

Le management prévoit alors différents projets pour la reconstruction de l’Eden, et doit revoir ses ambitions à la baisse, jusqu’ à la construction de l’Eden Arena qu’on connaît aujourd’hui. Le budget était de 1 milliard de couronnes tchèques et il a été inauguré au printemps 2008. Le club ne remporte dans le même temps que deux coupes de République Tchèque en 1999 et 2002 avant de finalement s’emparer du titre en 2008, ce qui coïncide magnifiquement bien avec l’arrivée du nouveau stade, et réalise le doublé l’année d’après. En janvier 2008, le capital du Slavia est augmenté au profit de Key Investments.

En 2011, Aleš Řebíček, ancien ministre tchèque des transports rachète le club, sans jamais avoir répondu à la question de la provenance des fonds lui permettant de réaliser une telle opération. Le Slavia a encore une belle côte après avoir été champion deux années consécutives en 2008 et en 2009. Cependant après avoir promis monts et merveilles, les résultats ne décollent pas avec le nouvel actionnaire. Le club finit 7ème en 2010 et 9ème en 2011. Après le rachat par l’homme politique tchèque, le club aux 13 titres de champion de Tchecoslovaquie ne fait que plonger davantage : 12ème en 2012, 7ème en 2013, 14ème en 2014.

L’agonie a pris fin 

C’est en 2015 que la relation entre la Chine et la République Tchèque évolue. En septembre 2015 et sans historique particulier, le président tchèque Zeman est apparu à Pékin, seul dirigeant européen à être présent à un défilé militaire pour célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il profite de sa visite pour signer une série d’investissements chinois dans des entreprises tchèques. Il annonce également nommer le président de la société d’énergie CEFC, Ye Jianming, comme conseiller personnel. Quelques mois plus tard, en mars 2016, c’est au tour du président chinois Xi Jinping de se déplacer à Prague.

Entre 2015 et 2016, CEFC annonce de nombreuses prises de participations : Travel Service (compagnie aérienne), Lobkowicz (bière), Empresa (média), Invia (agence de voyage), de l’immobilier mais également…le Slavia Prague, le club que supporte le président Zeman. Cela tombe bien. La lune de miel devait même se traduire par une prise de participation de 50% dans J&T, un des plus gros fonds d’investissement de la région…

En peu de temps, l’argent chinois coule à flot et les suspicions vont de pair. CEFC a racheté le club de football, trois semaines avant l’audience au tribunal pour une mise en faillite … Quelle décision opportuniste diront certains. Voici une icône nationale tchèque qui avait besoin d’être sauvée ; une chance pour CEFC de prouver au public qu’il peut faire de grandes choses.

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CEFC, une énorme entreprise énergétique réalisant alors un revenu annuel de 40 milliards de dollars, a commencé par acquérir 60% du club en septembre 2015, ce qui avait bien soulagé économiquement le club en difficulté financière. La participation montera progressivement jusqu’à ce que CEFC possède le club en entier en novembre 2016. Autant dire que cet investissement correspond à une goutte d’eau pour eux. C’est surtout de la communication. La gestion du club est alors confiée à Jaroslav Tvrdík, ancien ministre de la Défense en disgrâce, tête de proue des investissements chinois en République Tchèque, proche du chef de l’État et fervent partisan…du Slavia.

L’Empire de l’Europe centrale

Ce changement de propriétaire entraîne également un changement dans la façon de travailler et le Slavia connaît un big-bang en interne. Réalisant les nouvelles opportunités s’offrant au club, un homme, Jakub Dobias, ex-joueur professionnel de poker reconverti en tant que trader en énergie, supporter du Slavia, décide alors de contacter la nouvelle direction et d’offrir ses services. Son idée ? Moneyball. Utiliser les données pour repérer les joueurs mais également analyser les autres équipes. C’est ainsi que Jakub a créé 11hacks, une entreprise dédiée à l’analyse quantitative pour le football. Son témoignage de l’intérieur nous permet de mieux comprendre l’évolution du club.

J’étais en vacances quand les chinois ont racheté le club et j’ai alors arrêté mes vacances pour préparer un document montrant comment ils pouvaient éviter de perdre de l’argent et pouvaient reconstruire le club pour redevenir le grand club qu’ils étaient. Ils ont un grand stade, une histoire, il y avait quelque chose à faire. Je devinais que les chinois n’avaient pas acheté le club pour en faire un club de milieu de tableau. Sans changement de propriétaire, le Slavia n’aurait pas pu changer de stratégie.

Jakub Dobias pour Footballski

Au début, il n’y avait presque pas de scouts, le club devait avoir un budget de 6 millions d’euros j’imagine, puis a grandi petit à petit. J’ai travaillé avec trois directeurs sportifs différents. Ils ont compris que la donnée leur donne un avantage car peu de clubs l’utilisent.

Jakub Dobias pour Footballski

La professionnalisation du club ou la mainmise des chinois passe également par l’obligation d’obtenir l’accord des dirigeants chinois pour chaque transfert. L’idée est aussi d’éviter de servir la soupe aux agents et d’avoir un grand chambardement à chaque mercato pour rincer les amis.

Arrivé comme entraineur en mai 2015, Dušan Uhrin Jr est démis de ses fonctions le 29 août 2016 après une défaite de trop face au champion en titre Plžen. Il est alors remplacé par Jaroslav Šilhavý qui venait d’arriver sur le banc du Dukla six matchs plus tôt. L’un des joueurs les plus remarqué cette saison est le défenseur camerounais Ngadeu, et celui qui est derrière son arrivée n’est autre que Jakub Dobias…

Le changement de personnes au sein du club a permis d’avoir des personnes qui pensaient différemment et étaient prêtes à nous tester. C’est ainsi que par exemple dès la première année on a trouvé pour eux Michael Ngadeu Ngadjui. On a fait des fichiers excel. On était surpris de voir un jeune africain de 23/24 ans, capitaine d’une équipe qui joue la relégation en Roumanie. Sur son profil psychologique il répondait de façon très intelligente aux questions, on voyait qu’il avait une bonne mentalité, etc. Le joueur s’est bien intégré et le Slavia a refusé de le vendre après six mois pour près de cinq millions d’euros. Il avait été ramené pour 500 000€.

Jakub Dobias pour Footballski

Mai 2017, c’est la délivrance, le Slavia regagne le titre, son premier depuis 2009. Surprise, le club ne peut pas le fêter dans son stade de l’Eden Arena mais est de retour à Evžen Rošický, l’Eden ayant été réservé pour un concert du groupe allemand Rammstein… Les difficultés financières sont dans toutes les têtes. Le titre en poche, la direction mise sur des noms ronflants pour aller chercher la qualification européenne.

A l’été 2017, le Slavia voit débarquer Miroslav Stoch du Fenerbahce, et un trio de joueurs libres : Halil Altintop (ex Augsburg), Ruslan Rotan qui a impressionné l’europe avec le Dnipro et enfin Danny du Zenit. Mais la mayonnaise ne prend pas. Un parcours européen moyen, des recrues phares qui ne répondent pas présent, la trève hivernale est l’occasion de rectifier le tir. L’entraîneur et le directeur sportif sont remerciés et la direction ramène le tandem Jindřich Tripišovský – Jan Nezmar qui officiait jusqu’alors au Slovan Liberec. C’est trop tard pour récupérer le titre en 2018 mais une nouvelle dynamique est lancée.

Tripišovský. Source: 04.10.2018. Россия, Санкт-Петербург, стадион «Санкт-Петербург». Лига Европы УЕФА 2018/19, 2-й раунд, «Зенит» — «Славия».

En deux ans et demi dans le nord de la République Tchèque, le duo a pris un club de milieu de classement pour faire une troisième place en championnat, deux participations eu Europa League – dont une victoire face à Bordeaux – et un gros travail de recrutement avec un petit budget. Ils emmènent également dans leurs bagages le gardien Ondrej Kolar et le joueur de champ Ondrej Kudela.

Changement de dimension

Au printemps 2018, le club est pris dans une tempête internationale. Le président du conseil d’administration de CEFC, Ye Jianming se retrouve arrêté par les autorités chinoises pour une sombre histoire de “crimes économiques”. L’immense groupe énergétique commence alors à tousser et c’est l’économie tchèque qui s’inquiète de s’enrhumer.

Il faut dire que le groupe possède quand même selon le quotidien économique Hospodářské noviny près de 35 milliards de couronnes d’actifs en République Tchèque soit près de 1,4 milliard d’euros à l’époque. Au terme d’une crise politique internationale forte, le groupe para-public CITIC récupère les activités tchèques dont le Slavia. CITIC, cela vous dit peut-être quelque chose, c’est un fond d’investissement public chinois qui en décembre 2015 avait racheté 13% de Manchester City.

Il existe un temps la tentation d’intégrer le Slavia à la galaxie du “City Football Group“ mais le projet n’aboutit pas. Le temps d’assainir la situation, et de régler la situation en interne, CITIC revend la majorité de sa participation au groupe chinois Sinobo en novembre de la même année ce qui a donné la Sinobo Arena. Le club a bien été aidé il faut le dire par ses investisseurs qui ont racheté le stade flambant neuf, et investi près de 50 millions d’euros pour le racheter et le renommer. En parlant de stade… celui-ci est collé à un centre commercial.

Sur le terrain, Tripišovský imprime sa marque. Il devient le “Klopp tchèque”. Comme le technicien allemand, le pragois est sympathique, docile, humble, poli, intelligent et parfois drôle. Il crée un collectif, écarte les joueurs qui ne jouent pas pour l’équipe même s’ils ont un statut important. Il met en avant l’approche, la façon de travailler. Il ne faut pas plus travailler mais mieux travailler.

Lors d’une interview, il reconnaît également son respect pour la façon dont Vrba a façonné le football tchèque dans les années 2010. Le Viktoria Plzen de Vrba c’est la rigueur défensive avant tout. On retrouve donc un football rapide et vertical avec des transitions rapides. Les latéraux ont un rôle important et le jeu est physique. Derrière, c’est du solide. Le tout dans un 4-2-3-1. Avec de rares changements tactiques cela a été particulièrement évident en Ligue Europa, où ils apprécient le rôle des outsiders.

Toujours dans l’idée de mieux travailler, il continue de travailler avec Jakub Dobias pour analyser des matchs mais également le recrutement

Ils voulaient un ailier, avec la stratégie du Slavia, il fallait un joueur avec du rythme, qui courre beaucoup mais également qui défende bien. Il voulait également quelqu’un qui puisse marquer, donc les xG -buts attendus- étaient importants. Il fallait un joueur qui puisse soulager l’attaquant, quelqu’un qui convertisse l’essentiel de ses occasions. C’est comme ça qu’on a trouvé Peter Olayinka. Aujourd’hui c’est un des joueurs qui épouse le mieux le style de jeu de l’équipe.

Jakub Dobias pour Footballski

C’est ainsi que pour sa première saison entière sur le banc, Tripišovský a guidé le Slavia vers son premier doublé en championnat et en coupe nationale depuis 1942. Cette saison 2018 a marqué les annales. Le parcours européen a attiré les projecteurs sur le club praguois. Ils ont éliminé Séville lors des 16èmes de finale de la Ligue Europa et se sont battus courageusement lors de leur défaite 4-3 lors du match retour en quart de finale à Chelsea. Maurizio Sarri a alors félicité le club rouge et blanc, soulignant des qualités physiques qu’il n’avait pas vu depuis 20 ans.

Le physique, encore et toujours mis en avant lors des compétitions européennes. En 2019, en Ligue des Champions, le Slavia se retrouve dans le groupe de la mort avec l’Inter, Barcelone, et Dortmund. Lors du match d’octobre face à Barcelone, les tchèques ont couru 115.2km contre 100.4 pour les espagnols. Valverde a déclaré que Slavia « était comme des loups ». De Jong a couru le plus côté Barcelone mais n’était que le quatrième joueur du match… Même le gardien, Ter Stegen a reconnu que leurs adversaires mettaient plus d’intensité et couvraient plus de terrain qu’eux. Ce qui n’empêcha pas la défaite des locaux 1-2…

Jan Nezmar a quitté la structure du Slavia à la fin de l’été 2020, sa famille étant restée à Liberec, il faisait les A/R tout le temps, produisant une certaine fatigue chez lui. Liberec était devenu un vivier de joueurs pour le Slavia, les bonnes relations entre dirigeants aidants. « Je te prends tes jeunes joueurs prometteurs et en contrepartie, je t’envoie mes jeunes qui ont besoin de temps de jeu. » On ne compte pas moins de 24 mouvements entre les deux clubs depuis l’arrivée du duo à Prague. Rien que cet été, le Slovan a récupéré sept joueurs en prêt du Slavia alors que quatre joueurs ont fait le chemin inverse.

La nouvelle empreinte chinoise

Les propriétaires ont acheté le club de Beijing Guoan en 2017 et ont forcé un partenariat entre le club tchèque et son homologue chinois. On est loin de la relation footballistique entre la Chine et la diplomatie du football comme en Serbie. Cette saison, le Slavia joue l’Europa League. Cela fait quatre années consécutives que le club joue l’Europe depuis le rachat par les propriétaires chinois.

Pas mal pour un club qui avait disparu des radars européens depuis 2010 et qui était au bord de la faillite en 2015. Ce retour en force se traduit également par l’évolution du coefficient UEFA. Depuis la saison 2016/2017, le club a investi 36,5 millions d’euros pour 63,5 millions de vente. En pleine crise du COVID en Chine en février 2020, les joueurs avaient un t-shirt en mandarin et en anglais avec l’inscription « Stay strong Wuhan », de son côté Jaroslav Tvrdik n’a jamais été avare d’un bon mot pour défendre et soutenir la Chine.

Photo by Martin Mach/Xinhua

On est alors loin de l’image de «Poulidor du football tchèque », «toujours second », Věčně Druzí. Pendant longtemps le Slavia a été le Arsenal Tchèque, mais avec cette nouvelle façon de travailler, et les résultats, on se rapproche du grand Arsenal d’Arsène Wenger. La balance des transferts largement positive, un blason redoré avec 3 titres nationaux pour ce club historique et les participations européennes en fait une des rares «succes story » d’investissement chinois dans le football européen. Le fameux soft power

Lazar van Parijs

Tous les propos de Jakub Dobias ont été recueillis par l’auteur pour Footballski

1 Comment

  1. Jm 19 mars 2021 at 6 h 30 min

    Et après avoir éliminé Leicester en Angleterre, ils éliminent un autre ressuscité, les Glasgow Rangers qui plus est à Glasgow !! Une grande équipe, et une petite pensée aussi pour l’Olympiakos vainqueur à Arsenal mais éliminé quand même..

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