On pourrait écrire un poème sur Dyskobolia Grodzisk Wielkopolski, un poème en vers que l’on dégusterait une bonne bière à la robe dorée dans une main, une cigarette dans l’autre, assis dans de fausses vieilles tribunes en bois, l’air un peu ailleurs en essayant de comprendre ce que vient bien faire un Discobole aux canons grecs sur le blason d’un club polonais d’une ville de 15.000 habitants, mais ce poème aurait une petite touche amère, celle de la désillusion et du gâchis, celle du malt resté trop longtemps à fermenter dans son fût de chêne.

A vrai dire, ce poème fut déjà écrit en son temps par Baudelaire dans Les plaintes d’un Icare dont voici les deux dernières strophes pouvant servir d’épitaphe au club polonais :

En vain j’ai voulu de l’espace
Trouver la fin et le milieu ;
Sous je ne sais quel oeil de feu
Je sens mon aile qui se casse ;

Et brûlé par l’amour du beau,
Je n’aurai pas l’honneur sublime
De donner mon nom à l’abîme
Qui me servira de tombeau.

Charles Baudelaire ne pensait sans doute pas au Dyskobolia Grodzisk Wielkopolski devenu Groclin Dyskobolia lorsqu’il écrivit ces vers mais la destinée du héros mythologique et celle des Dyskobole est d’une troublante ressemblance.

Nous vous emmenons donc à travers l’histoire d’une petite ville autrefois pétillante dont le club s’est hissé dans le Gotha du foot polonais et ayant touché peut-être d’un peu trop près les lumières brûlantes des stades européens avant de retomber dans les méandres du football. Une chute libre et terrible comme lorsque la grande Athènes en -404 dût capituler devant Sparte, le Dyskobolia devra lui capituler devant le football et son business sans scrupule.

Premières gorgées de bières et autres plaisirs minuscules

A l’ouest de la Pologne, si vous vous rendez en direction de Poznan en partant de Zielona Gora, vous trouverez à une cinquante de kilomètres de votre but une pancarte vous indiquant la sortie pour Grodzisk Wielkopolski, juste après une station Statoil si vous devez faire le plein et que vous avez un petit creux. La petite ville peuplée de 15.000 ames vous ouvrira alors le chemin d’une histoire riche, riche en malt, en architecture et en football. Une gare de briques rouges où l’herbe pousse doucement entre les rails ne servant plus qu’à laisser passer quelques trains en direction de Poznan, une ville ancienne s’articulant autour d’un petit Rynek, l’Eglise du Saint Esprit faite de bois datant de 1663, le superbe siège du Powiat d’un style néo-gothique post 1900 ou encore l’Eglise de Saint Hedwige de Silésie bâtie au XVIe siècle dans un style gothique qui tournera au Baroque, influence bavaroise en rococo de stucs et nef hexagonale surplombant sa coupole. On retrouve la première mention d’un village du nom de Grodisze en 1257 dans un texte notant qu’il est alors géré par une congrégation de moines cisterciens.

© « Grodzisk Wielkopolski – Zarys Dziejów » – Bogusław Polak, Grodzisk Wlkp., 1990

Les moines vont avoir une importance capitale dans la future renommée du petit village qui deviendra ville. Dans leurs traditions de moines trappistes, les Cistersiens vont commencer à brasser de la bière dès le XV-XVIe siècle mais c’est à partir du XVIIe siècle que l’on notera l’essor des brasseries dans la ville. Revenons d’ailleurs sur le petit Rynek. En vous baladant, vous observerez qu’au milieu de la cité, sur un promontoire en briques rouges, trône sur la place une petite bâtisse de bois bien entretenue aux couleurs ocres, cette petite cabane renferme en réalité une fontaine. Une fontaine de jouvence ? Une fontaine d’où sort une eau aux propriétés miraculeuses ? Certainement les deux, et cette simple fontaine St Bernard est un miracle.

La fontaine est ainsi nommée en l’hommage du moine Bernard de Warzezno qui, selon la légende, pria si pieusement pour la petite ville que surgit au milieu du village une source d’eau potable miraculeuse, offrande du divin, qui sera utilisée pour faire la première bière d’Abbaye de Grodisze et bien sûr apporter l’eau potable à une petite ville qui en manquait et où la peste faisait des ravages. Une eau aux propriétés particulières (elle comporte un fort taux en minéraux et en charbon) qui donnerait toujours selon la légende et le palais de certains un goût incomparable à la bière. C’est cette fontaine qui va faire couler l’or sur la ville, un or liquide. Dès le XVIIIe siècle, on compte pas moins d’une soixantaine de brasseries et la ville devient l’une des plus grosses exportatrices de cette ambroisie en Europe.

© Zbiory Mariana Bochyńskiego / gmm.org.pl

Grodisze va donc produire l’une des meilleures bières de Pologne pendant près de 400 ans, sous le nom Piwo Grodziskie ou simplement Grodziskie. Sa robe dorée, son nombre de bulles important, son fumé unique venant de l’ajout de bois de chêne fumé lors de la macération en fait une bière de haute qualité à la texture particulière qui, à son apogée, sera exportée dans plus de 40 pays et obtiendra ses lettres de noblesse. La France a son Champagne, la Pologne eut sa Grodziskie. Malheureusement, la production va ralentir après la Seconde Guerre mondiale et les brasseries vont fermer les unes après les autres durant la période communiste. On peut tout de même toujours se délecter de ce divin breuvage sous le nom de Piwo z Grodziska, dégustable seulement en Pologne sous sa forme originale et seulement dans un verre conique renversé laissant place à son panache de mousse délicate. Actuellement, toutes les bières revisitant la Grodziskie et venant de Hollande ou d’Allemagne ne sont que de pâles copies qu’il vous faudra éviter. Leurs recettes n’étant pas la même que celle d’origine (tenue secrète), le fumé sera parfois trop prégnant et certains tombent même dans un sacrilège que St Bernard n’aurait pas toléré, en ajoutant du citron à l’ensemble.

De la bière au football il n’y a qu’une gorgée que nous allons franchir, mais après avoir parler d’une grande bière, il n’est pas question de parler de petites choses fades. Nous sommes en Pologne, à Grodzisk Wielkopolski, alors de la tenue et de l’élégance! Et un corps sain dans un esprit sain dit le proverbe, non ?

Mens sana in corpore sano

Zdzislaw Kozlowski a certainement dû en boire quelques unes des Grodziskie sur le Rynek en discutant avec ses compagnons après une longue journée de cours au Gimnazjum de Koscian. Et c’est certainement lors d’une de ces discussions que lui vient l’idée à lui et à d’autres élèves de créer le club de sport du Dyskobolia Grodzisk Wielkopolski pour transformer la pratique sportive en un divertissement. Cette idée va continuer de germer, il y aura d’ailleurs beaucoup de discussions sur le nom du club avant de finalement arriver à un consensus sur Dyskobolia Grodzisk Wielkopolski en 1922. Mais pourquoi le Dyskobolia ?

L’image du Discobole leur apparut être définitivement la plus adéquate pour symboliser leur nouveau club après une étude du Discobole de Myron lors d’un cours de culture classique au Gimnazjum de Koscian. Faisant référence à la culture hellénique et à ses canons de beauté, le Discobole est certainement le statuaire exprimant dans sa plus simple expression la beauté, l’agilité, la santé, la perfection et la grâce à travers l’effort physique et le sport. Cet homme aux proportions parfaites, les muscles bandés prêt à lancer son disque dans une concentration ultime est la représentation parfaite de ce que Kozlowski et ses compagnons voulaient montrer en prenant pour devise Mens sana in corpore sano (« un corps saint dans un esprit saint »). Le club allait pouvoir donc voir le jour sous le signe de la Grèce Antique et de la perfection.

Une perfection et une beauté des choses si chère à Kozlowski. Il va quitter Grodziskie Wielkopolski pour étudier la médecine à l’université de Poznan avant de travailler, après avoir eu son diplôme, en tant qu’infirmier dans l’otorhinolaryngologie à Grudziadz. Dans le même temps, il va suivre une formation à l’école des cadets de Varsovie pour être infirmier réserviste de l’armée polonaise. La guerre va rattraper le jeune Kozlowski, la sale guerre, envoyé en tant que réserviste sur le front de l’Est, à Suwalki, il va gagner son grade de Lieutenant dès 1937 avant d’être fait prisonnier par les Soviétiques lors de leur avancée dans l’est de la Pologne en 1939. Comme beaucoup de soldats polonais, il va être emprisonné, torturé par le NKVD avant de se faire assassiner en martyr de la nation comme des dizaines de milliers d’autres compatriotes officiers, dans l’horreur, la puanteur et l’obscurité de la forêt de Katyn. Abattu froidement d’une balle dans la tête par les soldats soviétiques, son cadavre jeté dans un charnier géant au milieu des bois, entrelacs de corps inertes, résultat ignoble de la laideur profonde de l’âme humaine.

Dans le Dédale des divisions inférieures

Durant la guerre, le Dyskobolia Grodzisk Wielkopolski a suspendu toutes ses activités, son stade étant réquisitionné par les jeunesses hitlériennes et l’occupant nazi n’étant pas disposé à  accorder quelque divertissement que ce soit à un « sous-peuple », simple « colonie » allemande. Mais revenons un peu en arrière, après sa fondation en 1922, le club joue son premier match la même année contre les voisins de l’Unita Wolsztyn dans un match amical qui les verra sombrer 10 buts à 1. Dure entrée en matière. Le club va s’installer en 1925 dans le stade de l’Ulica Powstancow Chocieszynskich, un complexe sportif autrefois mis sur pied pour permettre aux soldats et réservistes revenus de la Grande Guerre de s’entretenir physiquement. On y compte un beau stade d’un millier de places, des cours de tennis, une piscine olympique et une piste d’athlétisme encerclant le terrain de foot. C’est dans cet écrin de verdure et à la pointe pour l’époque que le Dyskobolia va jouer en Klasa C (dernière division régionale) jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Fait marquant, en 1948 le Dyskobolia croit obtenir une montée historique en Klasa A (première division régionale) après une victoire contre Zielona Gora sur le score de 6 buts à 1. Mais les autorités souhaitant faire de Zielona Gora la deuxième ville phare de la région derrière Poznan, voient d’un mauvais oeil que le club de leur future grande ville n’accède pas à la première division. Ils vont donc demander et obtenir de la ligue que le match soit rejoué et comme de bien entendu, les joueurs de Zielona Gora vont remporter ce second match sur le score de 2 buts à 1 et obtenir par la même occasion leur place en première division, un sauvetage de face in extremis sous couvert de manœuvres politiciennes et économiques, soit le cancer du foot polonais.

 

© KrystianMadur

Apres cette désillusion, le club reste bloqué comme Icare dans son propre labyrinthe de 1949 à 1956. Il y a bien sûr des tentatives d’expansion avec la fusion des cheminots de Grodzisk Wielkopolski et du Dyskobolia puis celle avec le KS Sparta mais cela ne prend pas et sur le terrain, l’apprentissage est toujours dur, rugueux, le club ne décolle pas. Mais le ciel va finalement s’ouvrir pour laisser paraître les rayons de lumières qui mèneront le club vers les sommets, lumière divine qui enveloppa St Bernard lors de ses prières et qui, traversant les branches de la forêt de Katyn, se posa sur le visage de Zdzislaw Kozlowski avant la mort.

De l’ombre à la lumière, l’arrivée du roi Groclin

Le KSD (KS Dyskobolia) joue en Klasa A cette saison 1956/57. Une saison pleine, l’une des meilleures depuis la naissance du club. Le club remporte son championnat du groupe II et doit rencontrer en barrage pour la montée en D3 nationale la réserve du Lech Poznan (autrefois Kolejorz Poznan II). Les Biało-Zieloni vont remporter le match et accéder pour la première fois de leur histoire à un échelon national.

En 1960, le club va même jusqu’à se battre pour obtenir sa place en deuxième division mais, le 11 juillet, dans le stade du Warta Poznan et pour la grande finale du championnat, un Gornik Konin soutenu par plus de 10 000 fans va venir à bout des espoirs des Dyskobole sur un score finalement signe dans son histoire de déception et trahison de 2 buts à 1. Après cela, le club va végéter en troisième division polonaise jusqu’à descendre dans les abîmes du football polonais pendant plus de 20 ans, sans que personne ne s’en émeuve. Après tout, le Dyskobolia n’est pas un grand club polonais et ne l’a jamais été jusqu’à présent. Il a toujours évolué en eaux troubles entre les divisions régionales et la troisième division nationale. Il a alors 70 ans d’existence.

Ce n’est pas le roi Minos qui va venir en aide à notre Icare mais le roi du siège pour voiture en Pologne : Zbigniew Drzymala, petit-fils du fondateur de Inter Groclin Auto, géant national et international dans la fabrication de pièces automobiles et basé à Grodzisk Wielkopolski. En 1996, Drzymala va racheter le club, devenir actionnaire principal et sponsor unique du Dyskobolia comme le fera vingt ans plus tard un autre industriel à Nieciecza. Drzymala va opérer de profonds changements dans le club. Pour lui, le KSD se doit de faire partie de l’élite du foot polonais et il va y mettre les moyens.

Le club va obtenir trois promotions en trois saisons, parti de la troisième division il va atteindre pour la première fois de son histoire la première division polonaise en 1997/1998. Un petit tour et puis s’en va, il retombe tout de suite dans la division inférieure mais Drzymala n’est homme à abandonner aussi vite, c’est un entrepreneur qui a un plan et veut le mener à bien. La saison 1999/2000 va être le tournant et la machine voulue et rêvée par son créateur va pouvoir prendre son envol en direction des lumières des sommets.

Le Dyskobolia déploie ses ailes

L’une des premières décisions du nouveau président va être d’acter le changement de nom du club pour y intégrer le nom de son entreprise, le Dyskobolia Grodzisk Wielkopolski devient alors le Groclin Dyskobolia SSA ou plus communément appelé Groclin. C’est d’ailleurs sous ce nom que beaucoup de fans en dehors de la Pologne connaissent le club des suites des multiples campagnes européennes qu’il va mener. Ce changement de nom, comme le Bruk Bet Termalica Nieciecza vingt ans plus tard, n’est pas un hasard. Maintenant que le club est en première division et va bientôt voyager dans toute l’Europe, ce changement est primordial pour Drzymala qui va pouvoir faire de la publicité pour son entreprise via le nom du club et le sponsoring sur le maillot à travers tout le continent.

De plus, le vieux stade de 1925 est réaménagé (après une première rénovation en 1996) pour convenir aux normes de la ligue. Sa vieille tribune qui en fait l’un des plus beau stade polonais est conservée et rafraîchie. On reconstruit alors la tribune opposée en la coiffant d’un toit bas et moderne mais en gardant piliers en métal d’origine pour accentuer son style à l’anglaise, elle est basse dans un style Craven Cottage moderne. Une grande baie vitrée est ajoutée permettant aux VIP de dîner à la table du président tout en regardant le match. Ce réaménagement créé une ambiance particulière, une atmosphère que l’on trouve peu dans les stades polonais, un atypisme so British qui donne un certain cachet, un singularité plaisante. A 50 kilomètres de Poznan, on s’attend plus à un stade à la polonaise, à l’ancienne, bordée par une piste d’athlétisme aux virages en arc de cercle comme le vétuste stade du Ruch Chorzow et non un stade comme celui-ci ou le public flirte avec les lignes du terrain, si proche des joueurs dans une ambiance de kermesse du Sussex.

Le Groclin Dyskobolia est donc un club différent dans le paysage du foot polonais, un peu précurseur et OVNI aux multiples influences, un club à l’histoire mince comme du papier à cigarette, une créature à l’image de son nouveau propriétaire qui va devenir en l’espace de six ans un poids lourd du football polonais.

De 2000 à 2002, la machine se met en marche doucement, phase ascendante mais douce. Lors de sa deuxième saison en première division, le club va se classer à une très honorable dixième place, possédant un effectif de joueurs expérimentés et rodés au combat qu’exige le championnat polonais mais aussi promoteur de jeunes joueurs comme Grzegorz Rasiak, attaquant alors âgé de tout juste vingt ans qui deviendra international polonais et finira comme dans la mémoire collective comme un bon attaquant de Championship mais dont l’échec au plus haut niveau à Tottenham puis Bolton laissera un gout d’inachevé. Cette place va permettre au club de toucher du doigt son rêve d’Europe, la petite Europe de l’Intertoto. Lors de la saison 2001/2002, le club va se faire éliminer dès le premier tour de cette dernière par le Spartak Moscou. Mais Drzymala le sait, son fruit n’est pas encore mûr et l’Intertoto n’est pas son but, c’est une petite étape car le roi des accessoires automobiles voit plus grand, plus haut, plus grandiloquent.

Le Groclin Dyskobolia va alors jouer des matchs de championnat aux allures de matchs de gala dans son nouveau-vieux stade face au Legia Warszawa, au Lech Poznan, au Wisla Krakow ou participer aux derbys contre le frère ennemi l’Amica Wronki, mais au club on veut rêver plus grand, toujours plus grand. Malheureusement malgré de meilleurs résultats globaux en termes de victoires et matchs nuls, la saison s’achève à une triste 12ème place, après l’euphorie du retour en première division le soufflet retombe un peu, quoi que le doute ne va pas s’installer longtemps.

Inexorable envol

La saison 2002/2003 commence tambour battant par un bon match nul contre le Legia avant d’enchainer les victoires comme Rasiak enchaine alors les buts. A la mi-saison, pour renforcer son effectif bien parti pour faire la nique au grands clubs polonais ou tout du moins se mêler à la lutte pour les premières places, le Groclin Diskobolia va attirer le serial buteur du Gornik Zabrze, Andrzej Niedzielan, et un milieu de terrain qui fera une très belle carrière et un beau capitaine du Wisla Krakow, un certain Radoslaw Sobolewski. Avec ses renforts et l’apport de joueurs comme Wieszczycki et Moskala, le Groclin Dyskobolia marche sur la concurrence. Après une série d’invincibilité incroyable jusqu’en mai, le club de Grodzisk Wielkopolski est arrêté net par le Wisla Plock de Jelen. Un coup d’arrêt bref mais ces quelques points ajoutés à ceux perdus en début de saison vont sonner le glas de l’espoir d’arracher le titre à l’ogre du Wawel, le Wisla Krakow. Le club se voit récompenser de cette saison quasi parfaite par le titre de Vice Mistrz Polski (second) et par une qualification pour la coupe de l’UEFA. Les années dorées et la conquête de titres peuvent commencer. 

La saison suivante, le Dyskobolia entame dès l’été par un deuxième tour de qualification de la Coupe de l’UEFA contre les Lituaniens de l’Atlantas Klajpeda. Une victoire large à l’aller et au retour, les Dyskobole s’ouvrent les portes du premier tour face à un adversaire plus coriace, le Hertha Berlin.

Lors du match aller en Allemagne, les Polonais parviennent à contenir les assauts des Berlinois et arrive même à porter le danger sur la cage adverse. La bonne opération va donc être pour Groclin qui revient d’Allemagne avec un match nul et aucun but dans les valises. Devant plus de 4500 personnes, le match retour en Pologne est tendu, indécis. Le Hertha maîtrise les soixante premières minutes sans jamais trouver la faille, sans jamais tromper le portier du Dyskobolia. Les coéquipiers de Mila vont finalement sortir du bois dans les dernières minutes. A la 83e minute, sur un centre venant de la gauche, Rasiak s’impose et oblige Simunic et ses grands compas à dévier le ballon dans son propre but. Le Groclin Dyskobolia s’impose sur le score de 1 à 0 et se qualifie alors dans un ambiance folle pour le deuxième tour. La machine à rêves est en marche.

Pour le deuxième tour, une montagne s’élève devant les voisins de Zielona Gora, Manchester City attend tranquillement de croquer du Diskobole ce 6 novembre 2003. Une équipe anglaise qui sur le papier est certainement bien mieux armée que les « petits » polonais de Grodzisk Wielkopolski. Mais quand deux jeunes stars comme Anelka et Mila se rencontrent, c’est le football qu’il faut laisser parler, l’instinct et le talent faisant le reste. Nicolas Anelka va ouvrir le score rapidement, partant à la limite du hors jeu, d’un subtil et délicat piqué. Ce qui va pousser les Polonais à sortir et à se découvrir. Sans un grand Mariusz Liberda et un manque de réussite de Fowler ou Wright-Phillips, Groclin auraient coulé. Puis, c’est la chance mêlée au talent qui va illuminer la 65e minute d’une lumière divine.

Grâce à cette oeuvre d’art, ce chef d’oeuvre intemporel de Sebastian Mila, le Groclin Dyskobolia va pouvoir jouer la qualification chez lui avec un gros avantage, ce but à l’extérieur.

Il fait froid en ce 27 novembre à Grodzisk Wielkopolski, les fans anglais ont commencé à investir la ville tôt dans la journée, les bars sont pleins à craquer, ça sent la bière, l’haleine peu fraîche des bouches pâteuses et les noms d’oiseaux volent parfois au détour d’une rue. Le stade s’illumine avant que le soleil ne se couche aux alentours de 17 h, on ne distingue alors que les nuages de vapeurs sortant de la bouche des supporters, silhouettes noires et bleus, blanches et vertes se dirigeant vers le lieu de la bataille. Les Anglais sont nombreux, leur virage est rempli et ce stade n’est pas sans leur rappeler le théâtre de leurs déplacements dominicaux. Ce match va rester dans les annales du club, un match stratosphérique, un match en dehors du temps. Suspendu au milieu de l’histoire dans un panache et une explosion de joie lorsque l’arbitre portera à la bouche son sifflet libérateur. Un feu d’artifice d’émotions concentré en sept petites minutes, pour le match qui a construit un peu plus la légende d’un club qui cinq ans plus tôt n’était presque rien,

Apres cette tonitruante victoire, c’est un club français qui va se dresser sur le chemin des invincibles Dyskobole. Et le Bordeaux de Ramé, Planus, Jurietti, Riera, Chamakh va finalement mettre un terme aux doux et fous rêves des Polonais. Marouane Chamakh crucifiant le KSD dès le match aller avec un but à la dernière minute, à la dernière seconde alors que le plus dur avait été fait par les hommes de Kaczmarek. Le retour sera lui une simple formalité pour le club français rompu aux joutes européennes. Une défaite 4 buts à 1 à Bordeaux, une bise à Alain Juppé et la fin d’une belle, très belle épopée. Lors de cette saison 2003/2004, le Groclin Dyskobolia aura fait sa meilleure saison européenne de l’Histoire et aura permis de faire vibrer ce si joli petit stade rempli de fans aux étoiles dans les yeux prises dans le ciel nébuleux de l’ouest polonais un soir de novembre. Groclin s’est fait un nom en Europe, son président aussi. Maintenant qui pourrait arrêter la progression de cette équipe qui cinq ans auparavant bafouait encore le football en troisième division?

L’apogée, période solaire

Cette victoire populaire, ces victoires européennes et nationales sont pour le nouveau propriétaire du club la réponse la plus crue et franche à ceux qui ne croyait pas dans se projet. Malgré l’absence de centre de formation et une politique de recrutement agressive et quantitative, la mayonnaise prend et les presses polonaise, anglaise, française, allemande écrivent article sur article sur le Groclin Dyskobolia.

Cette politique voulu par Drzymala va d’ailleurs ramener d’autres bons résultats et même des titres au club qui n’avait jamais rien gagné depuis sa création. La saison 2004/2005 aurait pu être l’apothéose la plus totale et la plus belle ligne du palmarès de Groclin. Le club va finir le championnat encore une fois à la deuxième place et encore une fois derrière le Wisla Krakow mais la Puchar Polski sera sienne. Son premier grand titre qu’il va remporter en battant en finale le Zaglebie Lubin 2-0. Ce succès sera dix ans plus tard remis en question par la juridiction polonaise dans une affaire de pot de vin que l’arbitre du match aurait touché pour favoriser les Dyskobole. Mais son titre ne lui sera finalement pas retirer malgré de fortes présomptions de corruption.

Le club après ce succès en Puchar Polski ne quittera plus les haut du classement du championnat pendant les trois années suivantes, finissant 7e en 2006, 5e en 2007 et 3e en 2008. La vitrine viendra aussi se garnir d’une deuxième Puchar Polski en 2007 ainsi que deux Coupe de la Ligue polonaise en 2007 et en 2008. Les petits hommes en blanc et vert de Grodzisk Wielkopolski n’auront rien gagner pendant près de 90 ans avant de se rapprocher des lumières crues et scintillantes du Gotha du foot polonais et et de remporter ses quatre titres majeurs en seulement quatre ans sous la présidence d’un entrepreneur, homme d’affaire et de réseaux, le bien (ou mal, c’est selon) aimé Zbigniew Drzymala. Un homme aux méthodes qui détonnent, parfois troubles, un homme qui ne se fera pas que des amis dans le milieu du football loin de là.

Sur la scène polonaise, Groclin a donc fini par remporter quatre titres mais, sur la scène européenne, le club ne fera jamais mieux que sa saison 2003/2004 et son incroyable parcours. En 2005/2006, ils se feront arrêter au premier tour par un club français, encore. Le RC Lens emmené par un Daniel Cousin de gala stoppera les Polonais après notamment un épique 2-4 au Stadion Dyskobolii Grodzisk Wielkopolski. Même chose un peu plus de deux ans plus tard en se faisant stopper par l’Etoile Rouge de Belgrade au deuxième tour de la coupe de l’UEFA après avoir éliminé précédemment le FC Tobol et le MKT Araz Imishli.

A vouloir se rapprocher du soleil, on se brule et on chute

A la fin de la saison 2007/2008 Zbigniew Drzymala annonce qu’il est rentré en contact avec les dirigeants du WKS Slask Wroclaw et le maire de Wroclaw pour une fusion des deux clubs afin de créer un « super-club » panrégional, utilisant la popularité et l’expérience européenne du Groclin Dyskobolia et le bassin de population ainsi que le futur nouveau stade de la troisième ville de Pologne. Mais il ne faut pas être dupe, si le président du Groclin veut cette fusion, c’est aussi pour récupérer une bonne partie de l’argent investi dans le club dix ans plus tôt.

Contre toute attente, la fusion entre Groclin et Wroclaw va capoter et c’est finalement un scénario encore plus improbable qui va se produire. Drzymala va vendre la licence Ekstraklasa (licence qui permet à un club de jouer en première division) à Wojciechowski, président fantasque du Polonia Warszawa. Si Drzymala vend, c’est qu’il a besoin d’argent suite au cours du zloty qui dégringole et sa fortune qui se réduit à vue d’œil. Le football a toujours été pour lui un business, un théâtre pour se mettre en scène et en lumière, le sport passant un peu au second plan. Cet accord avec Wojciechowski est simple, le Polonia récupère la place du Groclin Dyskobolia en première division malgré sa septième place en seconde division et Groclin reprendra le championnat en cinquième division avec un nouveau président, de nouveaux joueurs, le club n’est plus alors qu’une triste coquille vide.

Drzymala s’est vu trop beau, trop grand, trop vite, sans jamais vraiment vouloir comprendre les bases du football (centre de formation etc..). Il l’a quitté ruiné (il s’est bien refait la cerise) après avoir fait toucher du doigt l’inaccessible aux habitants de Grodzisk Wielkopolski, après avoir fait venir Manchester City, Bordeaux, le Partizan et compagnie dans ce petit stade extraordinaire, dans cette petite ville autrefois seulement connue pour sa bière. Il a finalement vendu son âme et celle du club au plus offrant. Mais, ce club qui tel Icare a voulu toucher le soleil, atteignant quasiment son but ultime dans les lumières aveuglantes du succès s’est brûlé les ailes. Une chute tragique mais prévisible, une chute rapide et violente comme le fut sa montée jusqu’aux Champs-Elysées du football polonais.

Apres être redescendu en cinquième division puis sixième et enfin septième division, le Groclin Dyskobobia SSA va finir par totalement disparaître en juillet 2016. La fin de la chute et la mort d’un mythe qui a fait rêver beaucoup de fans et de Polonais. Mais personne n’oubliera jamais cette courbe parfaite comme on imagine la trajectoire du disque du Discobole de Myron, chef d’oeuvre intemporel à l’esthétique parfaite. Kozlowski était peut-être présent en fantôme heureux dans les tribunes à Manchester lorsque Sebastian Mila, à la 65e minute, enroula son coup-franc dans la lucarne de Seaman.

Aux dernières nouvelles, comme les mythes sont faits pour perdurer, le Dyskobolia va renaître de ses cendres pour la saison 2017/2018 en Klasa B (8ème division) et peut-être, qui sait, ressortir une nouvelle fois des limbes ?

Mathieu Pecquenard


Image à la une : ©  Dyskobolia Grodzisk Wlkp. – Lechia Gdańsk (3.11.1996) | dyskobolia.boo.pl

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