Ce mardi, le Ludogorets Razgrad rencontre un néophyte de la Ligue des Champions : le FC Milsami Orhei, tout juste auréolé de son premier titre de champion de Moldavie. Créé en 2005, il lui a donc fallu dix ans pour arriver au sommet du football national, au cours d’une progression somme toute linéaire que les dirigeants s’efforcent de perpétuer. Car l’homme fort du Milsami, c’est le nouvel homme fort d’Orhei. C’est fort, c’est Shor. Présentation.

Monsieur le président, maire d’Orhei

Le dimanche 14 juin 2015, la Moldavie n’avait pas réellement les yeux tournés vers le Liechtenstein, où les Tricolorii ont ramené un bon point dans la course à l’Euro 2016, mais plutôt vers les bureaux de vote qu’ils ont peuplé tout au long de la journée pour le premier tour des élections locales. A Orhei, le principal candidat était une personnalité hors du commun et fut élu avec 62% des suffrages au premier tour : il s’agit d’Ilan Shor, l’actuel président du Milsami Orhei.

A seulement 28 ans (!), Ilan Shor est l’un des rois du business du soi-disant pays de Tintin. Il a commencé à se débrouiller dans les affaires dès l’âge de 13 ans en gérant trois magasins de téléphones portables – puis une imprimerie trois ans plus tard. Il pouvait alors en tout temps compter sur le support de son père, businessman lui aussi, qui l’a guidé sur le chemin de l’entrepreneuriat au gré de ses affaires et qui reste la personne la plus importante à ses yeux, jusqu’à son décès en 2005. Chaîne de duty-free, chaînes de télévision, compagnie d’assurance et donc club de football avec le Milsami pour n’en citer que quelques-unes : autant dire que Shor a su diversifier ses activités. D’un naturel discret, il a néanmoins fait la une des journaux suite à son plantureux mariage avec la chanteuse russe Jasmin, donné au sein de l’ancien bâtiment du Parlement en 2011.

Cependant aujourd’hui, Ilan Shor est l’une des personnalités les plus controversées en Moldavie. Pour cause, d’aucuns le lient au scandale du « milliard de dollar » qui s’est évadé du pays l’année dernière, entraînant une dévaluation forcée du leu moldave (jusqu’à 25 lei pour 1€ à la mi-février) et une fragilisation inquiétante de trois des plus grandes banques du pays (Banca Socială, Unibank et Banca de Economii), renflouées par l’État au prix de coupes budgétaires immenses. Shor est en effet cité dans le fameux rapport « Kroll », du nom de cette compagnie privée contactée par l’État moldave pour enquêter sur l’affaire. Ce rapport indique comment des entreprises qui lui seraient liées ont pris une importance notable au sein de ces banques pour ensuite recevoir d’immenses prêts de la part de celles-ci – dès réception, l’argent était alors transféré vers le Royaume-Uni et/ou vers d’autres cieux sans que l’on puisse trouver les noms des bénéficiaires finaux (cette information n’étant pas jugée indispensable pour certaines formes de société).

Au total, près d’1/8e du PIB moldave s’est envolé à l’étranger sans que l’on parvienne à en retrouver la trace. D’après ce rapport, Ilan Shor aurait coordonné ce complexe montage financier qui aurait permis de réaliser ce détournement via des transactions et des prêts opaques par le biais de ces trois banques, alors qu’il était à la tête de Banca de Economii. De son côté, le nouveau maire d’Orhei se considère étranger à ce scandale et s’est dit prêt à coopérer avec l’enquête ainsi qu’à fournir tous les documents nécessaires. Il a par ailleurs déclaré avoir été « horrifié » lorsqu’il était arrivé à la tête de Banca de Economii puisqu’une politique de mauvais prêts y avait amené un « trou de 7 milliards de lei ».

Placé sous assignation à résidence au début du mois de mai dans le cadre de cette affaire et interrogé par le Centre National Anticorruption, après que le président de la Chambre a publié le rapport « Kroll » sur son blog personnel, Shor a cependant été libéré pour pouvoir participer à la campagne électorale pour la municipalité d’Orhei. A l’heure actuelle, Shor n’a cependant que des soupçons sur son dos mais aucune preuve n’a encore été fournie.

Un titre en pleine campagne

La semaine passée, Shor a inauguré la première de ses réalisations, un terrain moderne de mini-foot avec gazon synthétique et éclairage nocturne ; le premier d’une longue série. Dans peu de temps, un nouveau complexe sportif avec deux terrains synthétiques et un hôtel devrait également voir le jour – mais le club continuera de jouer au Complex Sportiv Raional d’Orhei jusqu’à nouvel ordre (il a d’ailleurs demandé un bail de 25 ans pour ce stade).

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Les gosses vont se faire plaiz’ à Orhei.

La campagne électorale d’Ilan Shor a en effet coïncidé avec la période la plus fabuleuse de la courte histoire du club qu’il préside. Avant le match décisif face au Dacia, un message de sa part était d’ailleurs passé sur le grand écran monté pour l’occasion, où il s’adressait à ses joueurs :  » Vous êtes nos champions! « . Bien lui en a pris puisqu’avec la victoire arrachée face aux Lupii Galbeni, le Milsami fêtait alors le premier titre de champion de son histoire.

Orhei est une petite ville de 30.000 habitants située à une quarantaine de kilomètres au nord de la capitale de Chişinău. La ville n’a rien d’extraordinaire à proposer aux touristes – pour l’instant ? – si ce n’est quelques heures à flâner sur le boulevard Vasile Lupu ou à renifler les odeurs de la piaţa (marché) adjacente (ainsi que le CSR d’Orhei si vous êtes footballskiste bien entendu). Dans le voisinage du chef-lieu du raion d’Orhei, cependant, se trouvent quelques uns des plus splendides coins de la Moldavie, sans oublier les paysages bucoliques de ses campagnes environnantes. Le complexe historico-naturel d’Orheiul Vechi et son village extraordinaire de Butuceni, le domaine de Château Vartely, Molovata Nouă sur le bord du Nistru, le monastère de Curchi voire même les sites de Ţipova et Saharna situé à une cinquantaine de kilomètres de là : il y a clairement moyen de se faire plaisir et d’en prendre plein la vue.

« Il est beau, jeune et riche, il fera du bon travail » s’exclame un passant lorsqu’on l’interroge sur le nouveau maire de sa ville, dont le slogan électoral était clair et limpide : « Orhei – un oraş de vis » ! (Orhei – une ville de rêve!).

« Je serai un maire investisseur » déclarait-il d’emblée, « Orhei est la ville de mon enfance, la ville qui m’est la plus chère depuis tout petit (…) [et] aujourd’hui, avec mon expérience et mes relations dans le monde des affaires, ayant la capacité d’investir mes propres ressources et d’attirer d’importants investisseurs, je peux réaliser ce rêve! Je peux transformer Orhei en une ville de rêve! »

Parmi les promesses du jeune maire, reconstruction de routes, réseau d’éclairage complet, transports en commun et wi-fi gratuits, terrains de jeux pour enfants, etc. « Tous les maires, jusqu’ici, ont promis monts et merveilles mais n’ont rien réalisé. Celui-ci arrive devant l’hôtel de ville avec des sous, il vient pour nous donner, pas pour nous prendre de l’argent. Shor est plus riche que le citoyen d’Orhei, il n’a pas besoin de nos copecs » relaie une babushka au lendemain de l’élection.

Le 12 juin, le club a fêté ses 10 ans avec un grand concert organisé au CSR d’Orhei, auréolé de la présence des stars locales et internationales, Adrian Ursu, Alternosfera, Filip Kirkorov, Conect-R et… Jasmin bien entendu ! Grâce à l’entrée gratuite et le feu d’artifice en prime, il a réuni une grande partie des habitants d’Orhei. Le club se devait de préciser dans un communiqué que l’évènement n’avait pour but que de célébrer le dixième anniversaire du club et ne pouvait en aucun cas être lié à d’autres évènements nationaux – la campagne électorale, en premier lieu. Deux semaines plus tôt, un concert gratuit avait déjà été organisé pour fêter le titre !

Du Viitor au Milsami, devenu « capitale du football moldave »

Mais revenons sur le gazon pour évoquer la jeune histoire du Milsami. C’est en 2005 que tout commence avec la création du FC Viitorul d’Orhei par l’homme d’affaires local Ion Dolgu. Après avoir gravi les échelons inférieurs, le Viitorul est promu en première division en 2009. La première saison au sein de l’élite verra le club terminer à une honnête huitième place, avec le titre de golgether dans l’escarcelle de Maximov, mais sera entachée par des retards de salaire et une grève des joueurs après la trêve. Devant son incapacité à financer le club, Dolgu passe la main à Ilan Shor à l’été 2010, qui le rebaptise alors Milsami. Shor explique son intérêt pour le Milsami par la simple passion du football, transmise par son père bien entendu, qui avait soutenu le Bugeac Comrat en son temps ainsi que quelques formations en Suède : « Je suis très proche du football et j’ai voulu fonder une équipe pour réaliser mes rêves d’enfant ».

La « première » saison du Milsami voit le recrutement de Boghiu, Ademar ou encore Osipenco, qui deviendra trois ans plus tard l’entraîneur du titre de champion. Le Roumain Ştefan Stoica arrive sur le banc en cours de saison pour couronner celle-ci d’une très belle troisième place, synonyme de qualification pour la Ligue Europa – Boghiu rapporte de nouveau le titre de meilleur buteur au club avec un total affolant de 26 buts. En Europe, le club, en manque d’expérience, s’inclina trop facilement face au Dinamo Tbilisi.

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Boghiu (au centre), serial buteur lors de sa période Milsami.

Les deux saisons suivantes, le club s’est temporairement dénommé Milsami Ursidos suite à la fusion avec un club de deuxième division afin d’y faire jouer une équipe junior : « mon idée n’était pas de fonder uniquement une équipe qui lutte pour le titre, mais une formation qui permet aux enfants de grandir et à leurs rêves de devenir réalité » déclarait Shor. En 2012, le club termine quatrième mais gagne son premier titre, sous les ordres de Serghei Clescenco : une Coupe de Moldavie acquise aux tirs aux buts face au Rapid Ghidighici. Les Vulturii Roşii (« Vautours rouges ») remportaient également la Supercoupe face au Sheriff quelques semaines plus tard, aux tirs aux buts toujours. En Ligue Europa, le club n’a joué que le second tour qualificatif, éliminé par le FC Aktobe en remportant toutefois leur première victoire européenne (4-2 à l’aller, défaite 0-3 au retour).

En 2012-2013, le club finira de nouveau au pied du podium – avec un nouveau titre de golgheter pour Boghiu – mais se qualifia pour la C3 grâce à la victoire du FC Tiraspol en Coupe. Et sous la direction de Ştefan Stoica, revenu au club entre-temps, ce fut leur plus belle saison européenne, puisqu’ils élimineront successivement Dudelange et le Shakhtyor Soligorsk avant de tomber face à Saint-Etienne au troisième tour qualificatif. A l’instar du Zimbru la saison dernière, les efforts consentis sur la scène européenne se sont fait sentir en championnat puisque l’équipe termine alors à une décevante sixième place. Cela a incité la nomination d’Osipenco comme entraîneur et à recruter Surdu, Bud, Antoniuc et ensuite Racu lors de la saison dernière, qui fut finalement celle d’un titre de champion très disputé.

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Milsami, campionii Moldovei !

Jusqu’où le Milsami peut-il aller ?

On le voit, le club d’Orhei n’a brûlé aucune étape et ce titre de champion n’est que la suite logique de l’évolution du club sur les cinq dernières années. En Europe aussi, la progression s’est faite graduellement et jouer le deuxième tour qualificatif de la Ligue des Champions n’est à coup sûr qu’une étape supplémentaire dans l’histoire du Milsami.

« Nous désirons créer une équipe forte, qui va arriver dans les groupes de la Ligue des Champions, ou au moins dans les groupes de la Ligue Europa. C’est un rêve immense, mais nous nous projetons vers cela. » (Petru Jardan, vice-président du Milsami).

Doté d’un stade correct qui attire jusqu’à 3000 spectateurs à chaque prestation (une affluence très élevée pour la Moldavie) et d’installations qui ne vont qu’en s’améliorant et guidé par une direction qui parvient à mettre les moyens de ses ambitions, le Milsami semble avoir posé les bases pour rester au top de la hiérarchie nationale afin d’enquiquiner le Dacia et le Sheriff. De quoi écrire quelques beaux chapitres sur la scène continentale.

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Le CSR et ses environs.

Moderne et tourné vers l’avenir, le club maîtrise d’ailleurs assez bien l’art des réseaux sociaux : l’équipe s’est adonné au fameux #IceBucketChallenge l’année dernière ou encore au Harlem Shake il y a deux ans, sans oublier un karaoké-chorégraphie mémorable sur une chanson de Jasmin, que la chanteuse a découverte en direct sur un plateau télévisé.

Première étape : le Ludogorets, un gros poisson

Toutefois, les Vulturii Roşii ne s’y trompent pas : il s’agit d’un gros morceau qui se présente pour leur première participation à la Ligue des Champions. « Lundi : un jour difficile » titrait le site internet du club après le tirage. Face au quadruple champion bulgare en titre, la double confrontation qui attend le club d’Orhei risque de s’avérer fort difficile. Moldfootball a vécu le tirage en compagnie du coach Osipenco, qui a d’ailleurs prolongé son contrat d’une année au club : « Argh ! Il y avait deux équipes que je ne voulais pas… Dinamo Zagreb et Ludogorets » avant de directement naviguer sur soccerway pour consulter l’effectif des Bulgares. « On va s’y préparer, on va analyser l’adversaire et on espère en sortir avec un bon résultat (…) Je crois que le premier match sera décisif, il est important de bien y jouer défensivement, ça ne veut pas dire qu’on défendra tout le match, mais on jouera en contre-attaques« .

« Je désirais rencontrer le Steaua » avouait Romeo Surdu après le tirage, « mais nous avons tiré Ludogorets, une équipe très forte et ça va être très très difficile (…) On va avoir beaucoup à apprendre ; surtout que l’année dernière ils ont privé le Steaua d’accéder à la phase de groupes de la Ligue des Champions dans un match dramatique. Pour nous, cela va être un examen très important« .

Revenus sur les terrains d’entraînements une vingtaine de jours seulement après le sacre du 20 mai, les hommes d’Osipenco ont dès le départ vécu une préparation dont l’objectif est ce match du deuxième tour préliminaire. Ce qui explique peut-être la difficile entrée en matière en amical (défaite face au Saxan) et en Supercoupe (défaite 3-1 face au Sheriff). Ensuite, le club s’est imposé au Zimbru et a remporté un tournoi amical à Odessa où il a rencontré Illichivets, Desna et Chernomorets. Le Milsami semble sur la pente ascendante mais ne rassure pas pour autant.

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Bonne ambiance en prépa’ au Milsami (Negai, Mîţu et Rhaili).

Au niveau des transferts, le club s’est séparé de 8 joueurs le mois dernier, mais le gardien Negai et Alexandru Antoniuc sont depuis revenus : Negai gardera probablement les cages ce soir suite à la blessure du jeune Mîţu tandis qu’Antoniuc a eu une conversation franche avec la direction du club quant à son implication. La principale recrue est Vadim Bolohan, international moldave, qui retourne donc au sein de son ancien club. Il arrive en provenance du défunt FC Tiraspol, tout comme l’ukrainien Evgen Zarichnyuk et Valentin Bîrdan. Ils ont également signé le jeune Iurie Cebotari qui évoluait l’année passée chez le vainqueur de la Divizia B Sud, Spicul Chişcareni.

Toutes les places sont donc doublées voire triplées au milieu mais on verrait plutôt la nécessité d’un attaquant pour épauler Surdu et le vétéran Bud. Le club a cependant raté Milinceanu, qui était à l’essai le mois passé mais a finalement filé au Petrolul Ploieşti.

Sur le terrain, le Milsami évolue le plus souvent en 3-5-2 (modulable en 4-5-1), avec captain Romeo Surdu à la baguette sur le plan offensif. En défense, l’indéboulonnable Petru Racu s’associe le plus souvent à Ovye Monday et Adil Rhaili avec deux ailiers très mobiles – Patraş et Gheţi, voire Erhan. Cristian Bud joue le rôle de supersub : il a totalisé 11 buts en seulement 3 titularisations et 20 entrées en jeu la saison passée ! Le milieu est très solide avec Cojocari devant la défense et Andronic un peu plus haut ; et à leurs côté Antoniuc ou Belak. En fonction des matchs, Surdu est associé à Rassulov ou Iavorschi pour le côté offensif.

Ce soir, on parierait plutôt sur une formation défensive avec le seul Surdu en pointe et un renforcement soit des ailes par le doublement d’ailiers défensifs soit du milieu pour empêcher les Bulgares de développer leur jeu. On notera plusieurs absences du côté bulgare (dont le buteur Marcelinho) tandis que le Milsami doit se passer de Mîţu dans ses cages.

Thomas Ghislain

4 Comments

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  2. Thomas Ghislain 8 août 2015 at 11 h 31 min

    Note : depuis le début de la saison, le Milsami évolue le plus souvent en 4-5-1, avec la paire Rhaili-Monday en défense centrale (Racu sur le banc), Cojocari en pare-choc accompagné de Belak (ou Bolohan/Banovic). Andronic en 10, avec Patras et Zarichniuk/Antoniuc sur les ailes. La blessure de Surdu a contraint Osipenco à titulariser Bud en pointe depuis la victoire à Razgrad. Cristian a fait un gros match face au Ludogorets mais n’a pas la caisse pour tenir un match complet.

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