Depuis des années, le football croate a dû compter sur des talents provenant de sa diaspora. Les plus connus d’entre eux sont bien entendu les frères Kovac (Allemagne), Josip Simunic (Australie) et Ivan Rakitic (Suisse). L’équipe nationale féminine n’est pas en reste. La taulière de la défense Helenna Hercigonja-Moulton, 23 ans, de parents jamaïcano-croates, a été élevée aux États-Unis avant de rejoindre la Croatie à 18 ans pour pratiquer sa passion.

État du football féminin croate

Il est probable que si elle avait été élevée en Croatie, Helenna Hercigonja-Moulton n’aurait jamais joué au football. Comme la jeune femme a pu le remarquer en arrivant au pays, la Croatie mise peu sur le football féminin. Sans que personne n’ait vraiment l’air de s’en soucier. Avant la catégorie U12, aucun tournoi n’est organisé pour les filles qui doivent se joindre à leurs congénères de sexe masculin pour pouvoir jouer. Souvent sous les railleries où le ton désapprobateur de leurs parents pensant que « le football est pour les hommes ». Rares sont les filles assez courageuses pour aller jouer seules au milieu des garçons. Quand bien même elles le sont, leurs parents leur conseillent vigoureusement de choisir le volley-ball ou un autre sport plus catégorisé « de fille ». Compliqué à ce moment-là de développer la technique et la coordination, chose essentielle chez les enfants.

HelennaHelenna Hercigonja-Moulton
Helenna et les parents | © croatiaweek.com

Les Croates regardent traditionnellement le football comme un sport masculin. La grande majorité des licenciés sont masculins et personne ne pense à mettre en place un système qui permettrait de développer le football féminin. Trop peu d’argent est investi et les entraîneurs, malgré leur bonne volonté, ne sont pas forcément qualifiés pour faire ce travail. La couverture médiatique est quasiment nulle et aucune personnalité ne se dégage pour effectuer un travail de reconnaissance, comme peut le faire Jean-Michel Aulas en France ou Baurzhan Abdubaitov au Kazakhstan. Même si la Fédération croate de football a récemment commencé à consacrer plus de temps et d’argent au football féminin, cela ne suffit pas. Dans tous les cas, il est difficile de demander plus d’efforts à une fédération corrompue menée par des personnalités ouvertement machistes.

Helenna Hercigonja-Moulton : Jamaïque, Youtube et diplômes

Si une personne veut s’impliquer pour permettre aux filles croates de s’accomplir dans le football, c’est bien Helenna Hercigonja-Moulton, née à Los Angeles et ayant grandi en Jamaïque, en Caroline du Nord, au Canada et en Floride. Dans un pays où un grand nombre de filles pratiquent le football, la passion d’Helenna n’a rien de surprenant. Partout où elle allait vivre, la jeune femme pouvait trouver des infrastructures adaptées à la pratique, avec des entraîneurs et éducateurs qualifiés. Pour assurer l’égalité des sexes, une loi prévoit aux États-Unis de créer dans toutes les universités une équipe féminine pour chaque équipe masculine. Le système américain lui a ainsi permis de se former et d’être compétitive rapidement grâce aux académies dédiées au football féminin. D’où un certain choc en découvrant l’état du football féminin croate lorsqu’elle obtint sa première convocation en U19 croate à tout juste 16 ans.

Il n’est pas courant pour tous les lycéens de parcourir 8345 kilomètres quasiment tous les mois. C’est pourtant la distance que devait traverser Helenna Hercigonja-Moulton pour continuer sa scolarité à Miami tout en jouant pour l’équipe nationale croate. Sa mère lui donna alors l’idée de vivre en Croatie et après quelques hésitations, elle stoppa ses demandes au post-bac américain. A 18ans, son diplôme en poche, elle déménagea définitivement en Croatie, autant pour l’aventure que l’expérience.

Durant ses premières années en Croatie, elle joue pour le ZNK Dinamo Maksimir tout en étudiant à l’Université des Sciences politiques de Zagreb où elle finit son Bachelor en Journalisme et Relations publiques. Malgré ses connaissances de base en croate (grâce à sa mère qui lui parlait dans cette langue à un jeune âge), elle est contrainte d’améliorer sa compréhension et son expression à l’écrit comme à l’oral pour accomplir toutes les tâches requises. Loin du melting-pot de Miami, Helenna s’adapte et réussit là où beaucoup auraient échoué.

Helenna Hercigonja-Moulton
© croatiaweek.com

En plus de son activité au ZNK Maksimir (soccer), au MNK Alumnus (futsal) et à l’Université, Helenna Hercigonja-Moulton lance sa chaîne youtube nommée Hella Offsides, en coopération avec Maxima Film Productions qui a pour but de promouvoir le football féminin en Croatie. Une youtubeuse ne cherchant donc pas à faire des tutos beautés ni à jouer à Minecraft.

Le programme de la chaîne est vaste. Dans les 75 épisodes, on peut autant voir Helenna donner des cours de squat (plus sympa que Tibo InShape), des cours de cuisine, des techniques d’entraînement ou des conseils pour éviter les blessures. On  la voit aussi interviewer des entraîneurs, des joueuses, donner ses avis pour faire progresser le football féminin croate ou parler du piètre niveau du journalisme en Croatie. Une vidéo est même consacrée au cul attrayant de son préparateur physique Luka.

Après avoir brièvement connu le football professionnel en Pologne, la jeune Jamaïcano-croate est retournée à Zagreb et joue désormais en semi-professionnelle pour la meilleure équipe slovène, le ZNK Teleing Pomurje. À côté de ça, elle a également obtenu la licence UEFA B et entraîne désormais des enfants ainsi que le … NK Zagreb 041, club dont nous vous avions fait la présentation il y a peu. Avec tout ce qu’elle réalise, le but d’Helenna est de faire progresser le football féminin croate :

« Je prévois de continuer à contribuer au développement du football féminin en Croatie, car il est négligé et sous-estimé. Je peux continuer à entraîner et contribuer au football féminin pour que les petites filles en Croatie puissent jouer et progresser. Je ne suis pas inquiète. Dans cinq ans, j’espère qu’une académie s’ouvrira à Zagreb où les filles pourront développer leur technique et s’amuser. Beaucoup plus de filles joueront. Cela contribuera au changement de mentalité et les gens s’apercevront que le football n’est pas un sport que pour les garçons. J’espère aussi que cela fera progresser le niveau du football féminin croate. »

Pour cela, il faudrait que les institutions croates et le gouvernement s’intéressent au football féminin et investissent dans des clubs, des académies et un savoir-faire reconnu. Le combat d’Helenna Hercigonja-Moulton sera long et fastidieux, mais après tout ce qu’elle a fait en 23 ans, ce n’est pas ce qui lui fait peur.

Damien Goulagovitch


Image à la une : © HNS

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