Rares sont les occasions de voir le premier match estampillé FIFA d’une nation. Ce mercredi, quelques 17 000 personnes ont pu vivre cet évènement historique pour le Kosovo. Et on y était !

De la décision de la FIFA au match

Le Kosovo est une jeune nation, indépendante depuis 2008. Depuis quelques années, la fédération de football du Kosovo, via son président Fadil Vokrri, se battait pour être reconnue par la FIFA. La reconnaissance n’est pas encore officielle mais depuis une décision du 13 janvier 2014, le Kosovo a au moins le droit de jouer des matchs amicaux. Le premier de ceux-ci se disputait donc mercredi face à Haïti à Mitrovica.

L’engouement pour le match a pris forme peu à peu ces dernières semaines au pays. Le match est devenu un sujet de discussion quotidien et les places se sont vendues en quelques heures le samedi précédant le match, malgré l’organisation hasardeuse dans les villes de province – personne ne sachant vraiment qui vendrait les places et où, le jour même du début de la vente.

Bien entendu, ce premier match a été très largement commenté. Si les supporters de Prishtina aka Plisat en ont profité pour faire une banderole « UEFA, where are you ? » à l’attention de Platini lors de leur dernier match à domicile, la Fédération de Tennis du Kosovo a organisé une journée de communication lundi dernier avec comme slogan : « Kosovo too plays tennis ».

Le match se déroulait donc à Mitrovica, le stade de Prishtina (capitale du pays) ne répondant pas aux exigences de la FIFA. Alors que tout semblait calme à Prishtina le matin du match, hormis les quelques Unes de journaux rappelant le côté historique de la journée ; nous sommes rentrés de plein pied dans le match dès la sortie de Prishtina et les premiers embouteillages vers Mitrovica. 1h30 pour faire la cinquantaine de kilomètres entre Prishtina et Mitrovica mais pas d’énervement chez les conducteurs. Alors que le Kosovar est généralement un amateur assez prononcé du klaxon, il s’est gardé de l’utiliser à mauvais escient mercredi dernier et a même semblé profiter de l’instant ; certains en profitant pour exhiber drapeaux albanais, kosovar et américain et pour prendre des photos.

L’arrivée à Mitrovica fut du même acabit. Alors que tout le monde se garait sur chaque centimètre de trottoir disponible, il n’y a pas eu d’incident notoire entre conducteurs ; chacun semblant content de partager un moment unique. Sur le chemin vers le stade, les quelques opportunistes vendaient kway et ponchos alors que la pluie redoublait. Au hit-parade des objets vendus, les casquettes et écharpes du Kosovo prenaient les deux premières places.

Le stade olympique Adem Jashari (héros albanais de la guerre de 1999) avait été retapé pour l’occasion avec un investissement de plusieurs centaines de milliers d’euros afin que tout soit conforme aux réglementations FIFA. Malgré tout, dès l’arrivée – juste quelques minutes avant le match -, il était facile de voir que c’était un doux mélange de rigueur et de bordel. Le plus bel exemple reste le feu d’artifice juste avant le coup d’envoi. Un superbe feu d’artifice a été tiré mais sans prendre en compte les plus simples règles en termes de sécurité. Ainsi les personnes arrivant au stade devaient courir sur une trentaine de mètres pour s’assurer de ne pas recevoir de résidus des feux d’artifice sur la tête, sans que cela gêne réellement les policiers kosovars, heureux du spectacle.

Avant-match

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Le grand absent: le drapeau kosovar, comme exigé par la FIFA |© Footballski

L’entrée dans le stade est bien organisée, même si les fortes pluies ont déjà inondé une partie du bloc où nous sommes. Pas de places précises mais simplement un bloc annoncé sur le ticket, il faudra faire sa place ! Le stade est plein et les 17 000 places vendues entre 3 et 10€ ont effectivement trouvé preneurs.

Tout le monde écoute religieusement l’hymne de la FIFA et de Haïti puis les pontes du Kosovo descendent sur la pelouse pour saluer les joueurs. Atifete Jahjaga, présidente du Kosovo, Hashim Thaci, premier ministre, Memli Krasniqi, ministre en charge de la Jeunesse, Culture et Sports ainsi que Fadil Vokrri, président de la FFK font le tour de tous les joueurs sous les vivats du public.

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La FIFA enfin au Kosovo | © Footballski

Dans la tribune Nord en face de nous, je constate la présence de nombreux groupes de supporters de diverses villes du Kosovo. Les groupes de Peja (Shqiponjat), Mitrovica (Torcida), Gjilan (Intelektualet et Skifterat), Ferizaj (Ujqit) sont notamment représentés. Le groupe de Prishtina (Plisat) est le grand absent. Pour l’occasion, le groupe des Dardanet a été créé comme groupe officiel des supporters du Kosovo (Dardania étant le nom romain de la région où vivaient notamment les Ilyriens, ancêtres du peuple albanais). Un tifo est réalisé, représentant le drapeau du Kosovo, lors du coup d’envoi.

Les drapeaux kosovars sont relativement nombreux dans le stade. Il y a également quelques drapeaux des Etats-Unis et de l’Albanie mais ces derniers sont quand même beaucoup moins nombreux que ce à quoi je m’attendais. Il faut rappeler qu’au Kosovo, chaque manifestation publique est l’occasion de rappeler l’attachement à la « mère patrie » albanaise.

Les 90 minutes

Le match commence sur un rythme pépère. Les joueurs du Kosovo semblent, logiquement, un peu inhibés par le contexte. Haïti place deux-trois attaques rapides surtout sur son côté gauche avec Jean-Eudes Maurice, comparé par les supporters kosovars à Aruna Dindane à chaque fois qu’il touche le ballon.

Cependant, peu à peu, le Kosovo reprend le ballon et construit quelques belles actions. L’inhibition des premières minutes laisse place à une équipe joueuse avec le capitaine Rashkaj à la baguette. Les conditions de jeu sont difficiles, le ballon étant arrêté à de nombreuses reprises dans les flaques d’eau au milieu de terrain. Malgré tout, le Kosovo se procure 3-4 belles occasions dans les vingt dernières minutes de la première mi-temps. Ces actions proviennent bien souvent des pieds d’Ilir Azemi, sorte de Christophe Dugarry local, qui loupera une énorme occasion juste avant la mi-temps, butant à quelques mètres du but sur le portier haïtien.

© Footballski
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La seconde mi-temps a été beaucoup plus pénible, l’état du terrain se dégradant et peu à peu les changements ont ruiné le petit rythme du match. Malgré cela, on sentait bien  l’impatience de tous les remplaçants kosovars, voulant faire partie de ce match historique. Un des plus excités était sans doute le jeune Bersant Celina, de Manchester City, dont on pouvait réellement palper l’impatience et le désappointement à chaque fois que le sélectionneur Bunjaki appelait un autre de ses coéquipiers pour rentrer.

Finalement le plus grand spectacle de la seconde mi-temps a eu lieu en dehors du stade avec un parapentiste qui a fait son apparition avec une toile aux couleurs de l’Albanie. Son vol stationnaire, qui a duré une dizaine de minutes, a été fortement salué par tous les supporters kosovars. Malgré tout la fin de match a été plus animée également avec deux belles opportunités de chaque côté sans que le cadre ne soit jamais trouvé.

Le Kosovo fait donc 0-0 pour son premier match estampillé FIFA contre une frileuse équipe d’Haïti. Si le match n’a pas été des plus réjouissants, l’harmonie dans les rangs kosovars et la bonne prestation d’ensemble sont à souligner pour une équipe qui jouait pour la première fois ensemble. Une épine dorsale s’est même déjà distinguée avec Lorent Sadiku derrière, Anel Rashkaj au milieu et Ilir Azemi devant. De quoi construire assez sereinement comme les mecs ont respectivement 22, 24 et 22 ans.

L’ambiance

 

© Footballski
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Globalement, la fête a été réussie. Il était palpable que tous les supporters avaient le sentiment de vivre quelque chose d’historique. Les olas débutées avant même le coup d’envoi prouvaient la volonté commune de célébrer cet évènement historique. Bien entendu, cette volonté n’a pas complètement trouvé écho dans les actions sur le terrain ; du coup, les spectateurs ont applaudi tout et n’importe quoi, que ce soit le parapentiste ou encore l’officiel en charge de la sécurité pour la FIFA. Les joueurs d’Haïti ont également eu le droit à leur salve d’applaudissements en fin de match, tout le monde étant reconnaissant de leur venue.

© Footballski
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Les Ultras Dardanet ont en revanche été assez décevants. L’amalgame de divers groupes de supporters n’a pas vraiment pris, aucun d’entre eux ne chantant réellement ensemble, si ce n’est quelques chants à la gloire de l’Albanie et du Kosovo. Il semblerait qu’aucun capo n’ait été choisi pour ce match et il a donc été difficile de faire chanter tout le monde ensemble. Une polémique a également eu lieu dans le milieu ultras du Kosovo concernant ce match. Quelques groupes sont venus à Mitrovica pour supporter le Kosovo mais d’autres – dont les influents Plisat de Prishtina – sont partis en Albanie pour suivre le match amical Albanie-Malte, promettant fidélité au Kuq e Zi (Rouge et Noir).

Car finalement il ne faut pas oublier que ce match était également une première pour les supporters kosovars. Ils sont habitués à suivre des matchs internationaux par procuration selon leurs communautés d’appartenance (albanaise, bosniaque, turque…) mais encore jamais il n’avait eu la chance de voir un match de leur équipe nationale kosovare sur leur sol. Cela peut également expliquer le manque d’organisation et de chants lors du match, d’autant plus que pendant le mois avant le match, les médias n’ont parlé que de Januzaj, Shaqiri, Xhaka, Behrami alors que les joueurs qui ont porté le maillot kosovar étaient finalement des gars que personne n’avait jamais vu jouer au Kosovo et ne connaissait réellement. Il faut aussi le temps de créer ce lien entre joueurs et supporters.

Historique ?

Il faut sans doute avant tout rendre hommage au groupe de joueurs du Kosovo. Ces hommes ont écrit une page d’histoire avec ce premier match. Comme écrit plus haut, l’importante attente des médias et des supporters – évoquant sans cesse les glorieux Kosovars qui pourraient jouer pour la sélection – a dû être très dure à supporter pour ces jeunes joueurs. La plupart d’entre eux évoluent en Scandinavie ou en D2 allemande. Nombreux sont ceux qui n’ont vécu que quelques mois au Kosovo, fuyant la guerre de 1999 mais malgré tout, ils avaient à cœur de porter ce maillot. Ces jeunes hommes représentent une partie importante du peuple kosovar, qui vit aujourd’hui en dehors du pays suite aux départs massifs pendant la guerre, mais qui reste très attaché à la terre de leur famille. Bien que n’ayant jamais joué ensemble auparavant, ils ont démontré une unité dans le jeu qui laisse plutôt optimiste pour le futur de la sélection.

Samir Ujkani, Shpetim Hasani, Lorent Sadiku, Avni Pepa, Ilir Azemi, Anel Rashkaj, Albert Bunjaku, Kristian Nushi, Fanol Perdedaj, Enis Alushi, Ardian Gashi

Si ce match a été une réussite, sa bonne organisation est à mettre au crédit de deux hommes Fadil Vokrri et Eroll Salihu, les deux hommes clés de la fédération de football du Kosovo. Réussir à organiser ce match en un mois et demi sans qu’il y ait de réels accrocs est une véritable prouesse; d’autant plus que le match se déroulait à Mitrovica, ville symbole du Kosovo avec une partie nord serbe et une partie sud albanaise. Malgré tout il n’y a eu aucun incident majeur à signaler, bien que quelques supporters du Kosovo ont essayé d’attiser les passions côté serbe le matin du match, en brûlant notamment des drapeaux serbes.

Au deuxième plan: Mitrovica Nord et un drapeau serbe | © Footballski
Au deuxième plan: Mitrovica Nord et un drapeau serbe | © Footballski

C’est un sentiment très étrange de voir des gens se souder grâce à un match de football. Le pays Kosovo reste une notion vague même pour les Kosovars qui y habitent. Nombre d’entre eux se définissent avant tout par leur communauté, avant de se définir comme Kosovar. L’espace d’un match, l’union de tous ceux qui étaient présents était palpable, l’union derrière ce drapeau kosovar et ces onze types en blanc. Après le match, dans le bar/restaurant proche du stade, le match de l’Albanie contre Malte débuta. Le premier but albanais ne fut pas célébré comme d’accoutumée. Peut-être que certains se sont sentis un peu plus Kosovars après cette après-midi de football.

Tristan Trasca


PS: Toute histoire avec le Kosovo serait incomplète sans la polémique avec la Serbie. La fédération serbe a exigé que la FIFA annule sa décision d’autoriser les matchs amicaux du Kosovo à cause du drapeau serbe brûlé et de l’omniprésence des drapeaux kosovars alors que les emblèmes du Kosovo ne devaient pas figurer dans le stade. Une photo avec quelques joueurs kosovars portant des flingues est également sortie au lendemain du match; une bien piètre image dans le contexte ambiant…

Photo à la une : © Footballski