Temps de lecture 8 minutesIgor Akinfeev, le coeur rouge

Rares sont les joueurs qui à seulement 30 ans ont acquis le statut de légende dans un pays. Igor Akinfeev, l’homme fidèle du CSKA Moscou, en fait partie. Que ce soit dans l’histoire de son club avec pas moins de 356 matchs disputés, Igor est également le meilleur gardien russe actuel depuis déjà un bon paquet d’années. Quinzième meilleur gardien au monde du XXIe siècle selon l’IFFHS, le capitaine de la Sbornaya et du CSKA est indéboulonnable à son poste. Tête de liste du club Lev Yashin (regroupant les portiers ayant réalisé plus de 100 « clean sheets ») ainsi que du club Igor Netto (pour les joueurs ayant plus de 50 sélections sous les couleurs de l’URSS, CEI ou Russie), il a également la particularité d’avoir un anti-record bien triste avec pas moins de 39 matchs d’affilés en encaissant au moins un but en compétition européenne. Portrait du type fidèle dont toutes les femmes rêvent.

Les espoirs d’une tête bien faite

Qui pouvait se douter que le 8 avril 1986, à Vidnoye, dans la banlieue de Moscou, allait naître un homme qui allait faire fureur dans une cage ? D’un père routier et d’une mère professeure de maternelle, le jeune Igor ne grandit pas dans une famille très aisée, mais a néanmoins le mérite de ne pas mal tourner comme bon nombre de jeunes de son quartier. Il faut dire que le jeune Igor reçoit une éducation stricte et sérieuse, à la russe dirons certains, lui permettant de s’éloigner des égarements de jeunesse et de se tourner rapidement vers le football.

C’est ainsi que, dès ses quatre ans, son père Vladimir l’accompagne à une journée de détection du CSKA Moscou, club alors à la recherche des talents de demain. Un talent qui apparaît sous leurs yeux et plus précisément sous ceux de Desiderius Kovač, ex-milieu de terrain du CSKA. Tandis que son père conseil son fils de jouer attaquant -la place convoitée par 90% des jeunes de son âge, en somme-, le petit Igor, lui, ne suit pas la mode et préfère enfiler une bonne vielle paire de vieux gants rugueux. La légende est en marche.

Petite trahison avec Filimonov, portier du Spartak Moscou | © Archives personnelles d’Igor Akinfeev / Sport-Express.ru

Sous les reprises de volées à bout portant de garçons pourtant plus âgés que lui, Akinfeev ne tourne même pas la tête. Fort, droit, calme et agile, le jeune garçon laisse déjà présager de belles choses et donnera raison par la suite à Kovač qui le voit déjà comme un futur très grand gardien.

Le jeune Igor passe son enfance aux jeunesses du CSKA, combinant alors football, école et autres activités de tout enfant de son âge. Évoluant la plupart du temps sur un terrain détrempé, il rentre bien souvent totalement boueux à la maison ; au grand dam de sa mère Irina. Dès ses 10 ans, il quitte pour la première fois la Russie pour participer à un tournoi en Serbie, il profite de l’occasion pour impressionner les différents entraîneurs, les joueurs plus expérimentés, mais également Miljan Miljanic, l’ex-star de l’Étoile Rouge de Belgrade, qui voit alors en lui le futur Lev Yashin. Malgré tout, bien encadré et la tête bien faite, le jeune Igor ne s’enflamme, continue de suivre sa route et va jusqu’au bout de ses études. Excellent élève, il rentre à l’Académie Moscovite de la culture physique en 2003 et soutiendra même sa thèse en 2009. Une thèse au nom évocateur, Techniques et actions tactiques du gardien de but lors d’un match de football. Le football n’est jamais loin pour l’enfant de Vidnoye, que ce soit à travers l’écrit ou sur un terrain de football.

Le CSKA pour la vie

La grande histoire d’Igor Akinfeev au CSKA Moscou commence véritablement en 2002. Cette année-là, le portier remporte son premier titre avec le CSKA, à savoir la Youth League, avec l’équipe junior. Il obtient dans la foulée son diplôme d’académie du football et en profite pour signer son premier contrat professionnel, le premier d’une longue durée. La saison du jeune gardien en Youth League ne passe pas inaperçue ; la Sbornaya décidant de le convoquer. Il en profite pour honorer sa première cape en espoir contre la Suède.

Suite à ce match, l’été 2002 est radieux pour le jeune homme qui s’envole vers Israël pour disputer la pré-saison du CSKA avec l’équipe première. Dès son premier match amical terminé, le journal Sport Express titre, « un nouveau gardien de but vient de naître, mature pour son âge et qui semble bien meilleur que Mandrykin« . De quoi mettre une bonne pression des deux côtés.

D’autant que, lors de la saison 2002/2003, Igor enfile finalement les gants pour disputer le premier match professionnel de sa carrière. Enfin, le 29 mars, le portier russe remplace un Mandrykin blessé au bout de 20 petites minutes de jeu et a la lourde tâche de qualifier le CSKA en coupe contre le Zenit Saint-Pétersbourg. Une première mission remplie à la perfection sous le maillot du club de l’armée.

Continuant à faire ses gammes en Youth League, Akinfeev obtient une opportunité en or en ce 31 mai 2003. Titulaire pour la première fois en championnat contre le Krylia Sovetov Samara, il ne laisse pas passer sa chance. Avec une victoire deux buts à zéro et un penalty arrêté à la dernière minute, le jeune Akinfeev obtient le trophée d’homme du match. Son premier avec les professionnels qui ne fait que confirmer les espoirs placés en lui dès son plus jeune âge.

Progressant vite, Igor se voit le droit de soulever le trophée de champion de Russie en fin de saison, mais les choses sérieuses vont véritablement commencer lors de l’épisode 2003/2004 pour lui, l’homme considérait comme le futur de cette grande lignée de gardiens Russes et Soviétiques. Un poids pas toujours évident à supporter. D’autant qu’à seulement 18 ans, le coach de l’époque, le Serbe Dusan Ivkovic, décide l’installer en portier numéro un. La légende est en marche.

Malgré son aspect de joueur réservé, assez introverti et s’exprimant peu dans les médias, Igor reste un Russe au sang chaud. C’est ainsi que, lors d’un match de coupe, contre le Krylia Sovetov, il est expulsé après avoir frappé un adversaire au visage. Suspendu cinq matchs, il est sévèrement puni et doit accepter de payer une belle amende infligée par sa direction.

https://www.youtube.com/watch?v=da2jn-vetRU

Ce fait de jeu écarté, Igor se remet rapidement dans le bain avec, pour couronner le tout, des débuts européens. En déplacement à Skopje pour y affronter le Vardar, le CSKA ne parvient pas à passer ce tour de coupe de l’UEFA et s’incline un but à zéro. Champion en fin de saison puis première sélection avec les A, il devient alors le plus jeune gardien de but titulaire avec la Sbornaya dans l’histoire du football russe. Galvanisé par cette première rencontre, Igor enchaîne par sa première en Champion’s League. Malheureusement pour lui, rien ne se passe comme prévu, le CSKA finit troisième après une défaite contre le Celtic Glasgow et est repêché en coupe de l’UEFA L’occasion d’assister au plus grand succès de la carrière de notre jeune qui, rappelons-le, n’a toujours pas 20 ans …

Une victoire européenne pour une future légende

Éliminant successivement le Benfica Lisbonne, le Partizan Belgrade, l’AJ Auxerre et Parme, le CSKA Moscou se présente en finale de la coupe de l’UEFA comme outsider face à un Sporting Portugal jouant à domicile. Malgré une ouverture du score précoce des Portugais, le tout dans une ambiance de feu, le CSKA parvient finalement à l’emporter trois buts à un grâce à des réalisations de Zhirkov, Berezutsky et Vagner Love. Igor soulève son premier trophée européen, le seul encore aujourd’hui.

Ce magnifique succès donne des ailes à Akinfeev. Il est, à la suite de ce match, considéré comme le gardien de but le plus prometteur de la planète tandis que les comparaisons avec Lev Yashin commencent à émerger au grand jour. Les performances du jeune russe dépassent désormais les frontières, Arsenal souhaite le recruter, mais Akinfeev refuse, ce dernier voulant rester dans son club de coeur.

© Steindy

Malheureusement pour lui, son envolée est quelque peu brisée par une terrible blessure, une rupture des ligaments croisés, contre Rostov en début de saison. Censé être indisponible pour l’Euro 2008, il se bat pour retrouver la forme et être fin prêt afin de participer à la compétition en Suisse et en Autriche.

Résultat des courses, de retour avant l’Euro, il se paye le luxe de disputer son centième match professionnel pour le CSKA contre le Krylia. Suite à cela, direction l’Europe centrale pour sa première compétition avec la Russie. Un véritable succès puisque les Russes vont finir troisième de la compétition, inattendu après sa défaite inaugurale 4-0 contre l’Espagne. Malgré huit buts encaissés lors de la compétition, Akinfeev permet aux siens de glaner la médaille de bronze. Malheureusement, la suite de sa carrière internationale sera beaucoup plus terne.

Non qualifié pour le mondial 2010 en Afrique du Sud, il rentre tout de même dans le club Igor Netto, à savoir les joueurs ayant plus de 50 sélections au compteur. L’arrivée de l’Euro 2012 est lui censé signifier le retour de la nation qui marchait sur l’Europe des années 60. La victoire impressionnante d’entrée 4-1 contre les Tchèques semble pourtant confirmer que la Russie est de retour, mais, au final, comme bien souvent, les Russes sont éliminés.

2014 et ce mondial au Brésil reste le pire moment de la carrière d’Igor. Auteur d’une énorme boulette contre la Corée du Sud, il fait perdre deux points à sa sélection. Quelques jours plus tard, éblouit par un pointeur laser, il encaisse un but et permet à la Belgique de l’emporter 1-0. Malgré 0 point et deux matchs, la Russie a encore une petite chance de se qualifier. Malheureusement, une sortie loupée contre l’Algérie ramène la Russie directement chez elle. Très touché par ces tristes performances, Akinfeev présente des excuses nationales, mais le mal est fait et divers médias mondiaux lui collent alors l’image de passoire de service, loin du futur Yashin que l’on espérait. Le joueur se voit gratifier d’être présent dans le top flop du mondial selon la Gazetta dello Sport.

La suite n’est pas plus joyeuse, pour les qualifications de l’Euro 2016, il est atteint par un fumigène en plein visage. Si es brûlures et la commotion cérébrale n’empêchent pas Igor de voir la France et son Euro, la Russie, pourtant dans un groupe abordable, termine dernière. Si les prestations collectives n’étaient pas au rendez-vous, au moins, le portier russe peut toujours se rassurer en se disant qu’il a su faire le spectacle. Auteur d’un match de feu contre l’Angleterre, nul doute qu’avec une charnière centrale plus efficace, la Russie aurait pu atteindre le stade suivant de la compétition.

© Steindy

Mais ce qu’il faut bien comprendre, même si certains médias continueront toujours à le voir comme cet homme capable de faire des boulettes sur la scène internationale, dans son club, au CSKA Moscou, Igor reste et restera un titulaire indéboulonnable. Une véritable légende. Une légende qui, en 2014, a le culot de battre le record d’un certain Lev Yashin avec 204 clean sheets ainsi que le record de temps sans encaisser de but (761 minutes). Très populaire en Russie, Igor est malheureusement devenu depuis quelques saisons la risée des journalistes européens pour son fameux contre record en Champion’s League, à savoir 39 matchs d’affilés en encaissant au moins un but. Peu aidé par une charnière centrale vieillissante aussi rapide qu’une Lada avec 300 000 kilomètres au compteur, on peut néanmoins se douter que l’arrivée de Goncharenko sur le banc du CSKA devrait certainement faire bouger les choses.

Sous contrat jusqu’en 2019 avec le CSKA, Akinfeev vient tout juste de fêter ses 26 ans de bons et loyaux services dans son club de coeur. Club avec lequel il a remporté six titres de champion, six coupes de Russie, une coupe de l’UEFA et un titre de footballeur de l’année. Un beau palmarès pour un joueur qui a encore un bel avenir devant lui. Et ce n’est pas Ovchinnikov, ancien gardien de la Sbornyaya, qui dira le contraire : « Je ne veux pas appeler les gens des héros. Les héros sont les hommes qui se sont battus lors de la Grande Guerre patriotique. Mais Igor est un grand homme. Malgré les deux graves blessures qu’il a subies, il est toujours debout. Être au top niveau pendant dix ans avec le CSKA Moscou et la sélection nationale, ce n’est pas rien. C’est une personne très courageuse, un modèle pour les jeunes. » Un modèle qui, malgré le peu de considération de certains, continuera de ravir les supporters du CSKA Moscou. Et après tout, c’est bien là le principal.

Antoine Jarrige


Image à la une : Dmitry Golubovich / Anadolu Agency via AFP Photos

1 Comment

  1. Jsand 29 mars 2017 at 23 h 53 min

    Je crois que l’histoire du pointeur laser, c’était contre l’Algérie et non pas la Belgique.

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