En football, histoire et société sont indissociables. Cette dernière explique souvent les directions qu’ont pris les clubs dans leur passé, et celles qu’ils emprunteront dans leur futur. En Pologne, le football actuel est totalement différent de celui des années 90. Aujourd’hui, certains clubs de petites villes, voire même de villages, peuvent se battre dans la première moitié de tableau. Un climat que l’on ne pouvait voir il y a de cela 20 ou 30 ans quand le championnat étant alors principalement constitué de villes minières et industrielles. Parmi ces clubs importants, l’Hutnik Nowa Huta se trouve être en bonne place. Parfois appelé Hutnik Kraków, le club est situé au Nord-Est de la belle ville de Cracovie, dans un quartier qui était en passe de devenir délabré et dangereux. Zoom sur un club qui s’est fait, et défait, seul entre ses voisins que sont le Wisła et Cracovia.

Voisins et terrains vagues

Bien avant que Nowa Huta sorte de terre, il existait des petits villages symboles de la campagne polonaise paisible. Parmi eux, on pouvait retrouver Mogiła et Czyżyny. Deux villages, et un football. Chez le dernier cité, on peut ainsi trouver un terrain de football, utilisé notamment pendant la Seconde Guerre, tandis que du côté du premier, le football y est beaucoup plus présent. On y trouve ainsi le Klub Sportowy Wanda qui joue régulièrement des matchs amicaux dès 1922. Malheureusement la guerre, comme bien trop souvent, est venue rompre ce football, et des vies.

Le charme de Nowa Huta.
Le charme de Nowa Huta.

Pour comprendre comment est né le club contemporain, il est essentiel de comprendre en premier lieu ce qu’est Nowa Huta. Suite à la Seconde Guerre mondiale, le pays est à reconstruire au plus vite. Pour cela, l’acier est l’un des matériaux les plus utilisés. C’est ainsi que se monte un projet un peu fou présent dans les petits papiers du régime communiste, celui de construire une multitude d’immenses usines métallurgiques et d’habitants pour les ouvriers et leurs familles. Le terrain choisi se trouve alors à Cracovie, et plus particulièrement au Nord-Est de la ville, un lieu idéal géographiquement grâce à son terrain plat et pratiquement désert. En plus de ces caractéristiques techniques, ce site de construction n’est pas déchargé de liens politiques. En effet, construire un tel projet dans une ville comme Cracovie est alors pensé comme bénéfique pour le Parti communiste et pourrait faire taire les nombreux opposants au régime qui se trouvent bien souvent basés dans cette ville regorgeant d’artistes et d’universitaires. Une caractéristique que Cracovie garde toujours, d’ailleurs.

Les travaux de Nouvelle Fonderie, ou Nowa Huta dans la langue de Copernik, sont démesurés. Ces derniers commencent en 1949 et doivent durer pas moins de six ans. Autant dire que c’est au final assez peu, quand on sait que le but final est de construire une ville entière de pas moins de 200 000 habitants. Rien que ça. Et, faut-il le rappeler, en commençant avec une feuille totalement vierge. Pour bâtir ce projet, pas moins de 3 milliards de złoty sont investis, tandis que les habitations construites se font, elles, le plus près possible des usines afin que les ouvriers puissent s’y rendre le plus rapidement possible et repartir chez eux tout aussi rapidement, le tout avec des journées de 10 à 12 heures de travail dans la chaleur du métal fondu. Les logements, eux, sont plutôt grands pour l’époque, mais surtout disposant de sanitaires individuels, un luxe et grand changement pour tous ces nouveaux habitants dépêchés de partout en Pologne, voire d’Ukraine, des Balkans. Même de Grèce, permettant à une centaine de Grecs d’échapper à la guerre civile. Avec des prix au plus bas, un logement et une sécurité de l’emploi, le gouvernement donne la possibilité à toute cette population de pouvoir vivre, bien que le rythme, lui, soit effréné et que tout faux pas soit fortement réprimé. La statue de Lénine et la fonderie à son nom sont là pour le faire rappeler à tous les habitants.

Le charme de Nowa Huta. Episode 2.
Le charme de Nowa Huta. Episode 2.

Outre les rugissements des usines, Nowa Huta se voit aussi agrémenté de nombreux parcs accueillant enfants, familles, mais aussi vaches et poules qui n’avaient vraisemblablement pas eu le temps de fuir cette urbanisation des plus rapides. Avec ce projet de nouvelle ville et l’arrivée massive de tous ces ouvriers, il fallait bien trouver des occupations autres que se promener dans un parc. Mais les directeurs des travaux se concentraient essentiellement sur la construction des habitations et usines, et ont préféré mettre en second plan, voire complètement oublier, de construire un cinéma, théâtre ou encore mieux, un terrain de football. Mais qu’importe. Dès 1950, quelques ouvriers forment le Stal Nowa Huta et se voient obligés de s’entendre avec le Cracovia afin de disputer ses matchs sur le terrain de l’autre club de Cracovie. Le premier match officiel se déroule alors devant 3000 spectateurs et fait place à une victoire deux buts à un contre l’OWKS Lublin. Le début d’une longue aventure.

Dans le même temps, les métallurgistes commencent à en avoir un peu assez de squatter le terrain du voisin Cracovia. Après avoir essayé de fusionner les deux clubs se soldant par un échec durant les négociations, c’est en 1953 qu’un accord est passé avec les chefs de chantier afin d’emprunter des bulldozers pour aplatir un terrain vague de Suchy Stawy (Etangs Secs, en VF), tout proche du centre-ville de Nowa Huta, et d’y construire un stade. Leur stade. Un an de travaux plus tard, en 54, le stade est en place et les résultats ne tardent pas à suivre. Quatre montées en six ans, de quoi faire pâlir pas mal de clubs qui ont déjà 50 ans d’existence derrière eux à ce moment-là.

Pile ou face ?

En 1960, après une saison très disputée en troisième division, l’Hutnik et l’Arka Gdynia finissent à égalité de points en seconde et troisième place. Le premier, le Lublinianka Lublin, est directement qualifié, il faut donc départager les deux clubs suivants pour la seconde place qualificative à la montée en II Liga. Plutôt que regarder le goal average ou les rencontres passées, le règlement dit alors qu’il faut organiser un match de barrage sur terrain neutre. Après 90 minutes; le score est nul et vierge, les prolongations sont donc de mise, mais là non plus personne ne parvient à faire trembler les filets. Jusqu’ici, rien de bien folichon, certes. Mais attendez. Il y a un problème dans le règlement de l’époque. Un point qui n’est pas éclairci et qui va alors poser problème. Car oui, à l’époque, le règlement ne dit absolument rien sur ce que doit advenir un match après 120 minutes de jeu et un score toujours nul et vierge. Du coup, que fait-on ? On attend.

En effet, les deux clubs et les instances décident alors de reporter le jugement pendant quelques jours et organisent une rencontre à venir à Varsovie. Mais pas n’importe quelle rencontre. Le 27 novembre, la montée pour laquelle tous ces joueurs et fans se sont tant battus se décide enfin. Sur un terrain de football ? Non, non. Cette montée ne se fait pas par le jeu ni à travers un bon vieux 15 v. 15 avec ses poings. Non, la montée, elle, se fait à travers d’un jeu vieux comme le monde : pile ou face! C’est ainsi que les dirigeants de l’Arka choisissent pile pendant que ceux de l’Hutnik, eux, misent sur face. La pièce vole, retombe et envoie l’Arka en seconde division. L’Hutnik, lui, doit attendre encore un peu avant de passer au niveau supérieur.

Battre le fer alors qu’il est encore chaud !

Lech Wałęsa lors d'un meeting organisé au milieu du Stadion Hutnik | © Leszek Biernacki / Solidarność
Lech Wałęsa lors d’un meeting organisé au milieu du Stadion Hutnik | © Leszek Biernacki / Solidarność

1989. Lech Wałęsa est en pleine tournée à travers le pays. Il passe naturellement rendre une petite visite au plein cœur du symbole du communisme, entre cheminées et blocs. Le chef du syndicat vient remplir un stade d’ouvriers et de familles tourmentées. Déclic ou non, suite à cette rencontre, le club accède à la première division, 30 ans après sa création. Après une ascension fulgurante, il faut donc attendre 1990 pour que le club accroche le Graal et l’accès à cette première division tant convoitée. Une première saison dans la cour des grands avec le voisin du Wisła Cracovie, alors que le Cracovia baigne en III Liga.

Les premières saisons sont quelque peu compliquées avec des places en milieu de tableau, voire même au bord de la relégation. Mais une place en haut de tableau se libère 5 ans plus tard, l’Hutnik obtient la médaille de bronze grâce à une troisième place et décroche, par la même occasion, une place qualificative pour la Coupe UEFA. Ils affrontèrent notamment l’AS Monaco des Barthez, Henry, Petit, Benarbia et Sonny Anderson, entraîné alors par Jean Tigana. Malheureusement, les Polonais échouent à se qualifier lors de ce 32e de finale après des défaites 0-1 et 3-1 au Stade Louis II. Cela reste néanmoins le titre le plus honorifique du club, et, 20 ans plus tard, on en parle encore dans les rues de Cracovie.

Mais c’est bien connu, le fer ne reste jamais chaud bien longtemps ; et les métallurgistes ne disputent finalement que sept saisons en Ekstraklasa, soit un total de 234 matchs, dont 75 victoires, 78 défaites, et 81 nuls. Le tout pour 299 buts marqués et 284 encaissés. Ce qui fait de l’Hutnik la 35e équipe de tous les temps en Ekstraklasa. Et puis, la chute. Tandis que le régime communiste tombe, que les usines ferment et que les rues se délabrent, le club de Nowa Huta descend, descend et descend. Un barrage perdu en 1997 et le club dit définitivement adieu au retour à l’élite du football polonais. 10 ans plus tard, en 2007, l’Hutnik est officiellement en quatrième division. Les machines sont fermées, les usines ne crachent plus grand-chose.

Le renouveau de l’Hutnik

On se dit alors que ça ne peut pas aller plus mal. Et puis, il y a 2010. Le club annonce alors officiellement un déficit de 6 millions de Złoty (soit 1,5 million d’euros). Les supporters de Nowa Huta se cotisent et récoltent des fonds nécessaires pour sauver leur club de la banqueroute. Avec les dirigeants, ils parviennent à convaincre la fédération de leur donner une place en IV Liga (5e division). Le club et les joueurs, pour la plupart, restent fidèles à leur maillot. Deux montées en deux ans, puis plus rien.

Le club redevient progressivement un « club formateur » et, dans un premier temps, afin de ne pas prendre de risque, peut-être, le vit plutôt bien. Cette situation permet de ne pas dépenser des sommes astronomiques et permet surtout une certaine attache des jeunes du cru au club de la ville. Car ici, à l’Hutnik, les joueurs viennent quasiment tous des blocs du quartier, ou parfois de la ville en elle-même. Alors qu’à une époque les métallurgistes venaient tâter le ballon après des heures de boulot, aujourd’hui, ce sont toujours les habitants de ces quartiers qui permettent de faire vivre le club. Ainsi, aujourd’hui, seulement trois joueurs ont plus de 24 ans, tandis que le club, lui, évolue en IV Liga, se confrontant souvent aux anciennes gloires des années 90 ou aux réserves des deux autres clubs de la ville, le Wisła et Cracovia.

Célébration de la montée en III Liga (4eme division) | © nh2010.pl
Célébration de la montée en III Liga (4eme division) | © nh2010.pl

Et les supporters dans tout ça ?

Qui dit Pologne, dit supporters ; en feu souvent. C’est d’autant plus vrai dans les régions fortement ouvrières. Autant dire que le quartier de Nowa Huta ne déroge pas à la règle. Ajoutez à ça que ce quartier a vu le chômage exploser littéralement lors de la chute du communisme, et vous avez là un cocktail explosif.  Les supporters de l’Hutnik sont fiers. Très fiers. Fiers de ces racines, de ce quartier, de cette histoire. Ces derniers figurent parmi les plus actifs et les plus violents de la région. Nombre de leurs déplacements, notamment dans les années 90, se voient entachés « d’aventura », comme l’on dit en Pologne, qui consistent à partir agresser les supporters adverses dans leur parcage. Aujourd’hui, les hooligans se font moins présents, mais la fan base ultra reste très solide et très présente lors des matchs des seuls bleu et blanc de la ville. Symbole de la force et l’importance des biało niebiescy, ces derniers se sont liés d’amitié avec les ultras de Magdebourg, du Dynamo Kiev et du Stomil Olsztyn. Quatre clubs, pour des cœurs remplis de bleu et de blanc.

Kévin Sarlat

1 Comment

  1. Christophe 26 septembre 2017 at 9 h 02 min

    Bonjour Kevin,
    Photographe amateur, je séjourne deux semaines par an à Cracovie dans le cadre d’un projet Erasmus et me suis passionné pour ce quartier de Nowa Huta que je photographie à chaque voyage en espérant bien en monter une expo un de ces jours.
    Sans être un grand passionné de foot, je voulais saluer la qualité de votre article qui raconte la vie du quartier par le prisme Hutnik. Bravo! (Au passage, qu’elles sont vos sources?)
    Bien cordialement,
    Christophe

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