Temps de lecture 5 minutesHistoires de Derbys – Újpest vs. Ferencváros

Avec pas moins de cinq clubs de Budapest présents en première division cette saison, les derbys sont assez fréquents. Ils pourraient même, en fin de compte, perdre de leur saveur. Pourtant, il en est un qui, année après année, continue d’enflammer la capitale magyare : ÚjpestFerencváros. Une opposition qui a pris une tournure radicale pendant la Guerre froide, lorsque la Hongrie était sous le joug du communisme.

© ATTILA KISBENEDEK/AFP/Getty Images
© ATTILA KISBENEDEK/AFP/Getty Images

Certains ont les mains sur les hanches, d’autres sont affalés sur la pelouse. Tous sont dépités et regardent, médusés, leurs adversaires brandir le trophée. Nous sommes le 7 mai 2016, à la Groupama Aréna, en finale de coupe de Hongrie. Grâce à un but de l’éternel Zoltan Gera, Ferencváros a pris le meilleur sur son voisin, Újpest (1-0). Les joueurs de Nebojša Vignević restent tête basse alors que ceux de Thomas Doll n’en finissent plus de saluer leurs supporters, Magyar Kupa sous le bras. Une nouvelle ligne au palmarès, déjà bien garni, de Ferencváros. Une nouvelle page, surtout, dans la longue histoire du plus chaud derby de Hongrie, entre les deux équipes les plus populaires et les plus titrées du pays.

Une histoire qui prend racine avec la naissance des deux clubs, à la fin du XIXe siècle. Structure omnisports, l’Újpest TE voit le jour en 1885, tandis que le Ferencváros TC apparaît en 1899. Les deux équipes s’affrontent pour la première fois le 19 février 1905. Fraîchement promu en NB I, Újpest s’incline 2-0, doublé de l’international magyar Ferenc Weisz. Néanmoins, la rivalité entre l’UTE et le FTC n’en est à l’époque qu’à ses premiers balbutiements. Les Fradi sont surtout en concurrence avec le MTK Budapest qui, saison après saison, affirme sa suprématie en championnat. Seule formation à pouvoir renverser le MTK, club bourgeois de la capitale, Ferencváros attire la sympathie des agriculteurs et des ouvriers, et ce à travers tout le pays. Újpest, structure aux moyens limités et située dans la banlieue budapestoise reste, pour l’instant, dans l’ombre.

Le Ferencvaros en 1905 | © tempofradi.hu
Le Ferencvaros en 1905 | © tempofradi.hu

11-1 en finale de la Magyar Kupa 1933

L’UTE remporte son premier titre de champion de Hongrie en 1930, juste devant Ferencváros. Les Violet et Blanc récidivent l’année d’après, puis en 1933, et voient leur cote de popularité grimper progressivement. Piqués au vif après avoir laissé échapper le sacre national en 1933, les Aigles verts se ressaisissent en finale de coupe de Hongrie et infligent un indélébile 11-1 à Újpest. Les hostilités entre les deux clubs sont désormais lancées.

En octobre 1944, le parti des Croix fléchées prend le pouvoir en Hongrie. Cette formation politique, ouvertement fasciste et pro-germanique,  décide de soutenir Ferencváros et Újpest, alors les deux équipes les plus populaires du pays. Cela se fait au détriment du MTK Budapest qui, représentant le régime bourgeois-conservateur, est laissé à l’abandon. Même après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Bleu et Blanc peinent à retrouver leur lustre d’antan et doivent désormais se contenter d’un second rôle, derrière l’opposition Újpest – Ferencváros.

Le club de la police contre le club du peuple

C’est pendant la Guerre froide que se forge réellement la rivalité entre les deux principaux clubs budapestois. En 1948, à la suite d’une élection truquée, un gouvernement communiste s’installe au sommet de l’Etat. Dès lors, Ferencváros devient le « club du peuple hongrois », rassemblant ceux qui s’opposent au pouvoir en place. Désireux de mettre un terme aux revendications patriotiques des différentes équipes de la capitale, les dirigeants communistes font en sorte que celles-ci soient sous le contrôle d’un ministère. Ainsi, le Honvéd Budapest dépend du ministère de la Défense (ce qui lui permet d’attirer les meilleurs joueurs hongrois pendant la période dorée des années 1950), Vasas est sous la tutelle de celui du Commerce. Ferencváros, le club contestataire, est chapeauté par le ministère de l’Agriculture. Quant à Újpest, qui est un quartier à part entière de Budapest depuis 1950 (c’était, auparavant, une petite ville de banlieue), c’est le puissant ministère de l’Intérieur qui en assume la responsabilité.

Représentant un quartier industriel et, par conséquent, rassemblant une forte population de cols bleus favorables au communisme, l’UTE est l’équipe préférée du régime. Contrairement au FTC, autour duquel se regroupe la classe moyenne, résolument hostile au gouvernement. La séparation est donc nette et irréversible entre le club de la police, symbole du communisme répressif, et celui du peuple, qui souhaite retrouver sa liberté.

Les Lilák, qui jouissent d’importantes subventions et de la présence, dans leur effectif, de nombreux internationaux (Fazekas, Bene, Dunai…) , connaissent une période faste dans les années 1970. En plus des sept titres nationaux glanés au cours de cette décennie, il convient d’ajouter une demi-finale de coupe d’Europe des clubs champions, perdue face au Bayern Munich en 1974. C’est alors au tour des Fradi de se contenter des places d’honneur.

En 2015, un derby boycotté par les ultras des deux équipes

Après la chute du régime, en 1989, l’aspect idéologique de l’opposition entre Újpest et Ferencváros s’estompe. Mais la rivalité, elle, perdure, tant sur la pelouse que dans les tribunes. D’un côté, Újpest, situé au nord de Budapest, principalement soutenu par les ouvriers qui habitent à l’intérieur ou à proximité de ce quartier. De l’autre, Ferencváros, tout proche du centre-ville et qui s’appuie sur un public issu de la classe moyenne, ainsi que sur de nombreux supporters à travers toute la Hongrie. Entraîneur de l’UTE entre 2009 et 2010, l’Ecossais William McStay s’est vite aperçu que le match face aux Aigles verts revêtait une importance particulière pour le public : « Le derby contre Ferencváros, c’est un peu comme Celtic – Rangers en Ecosse, révèle-t-il à Origo. Suite à notre victoire, les fans étaient complètement euphoriques, et ils le sont restés pendant un moment ! » Újpest s’était en effet imposé 2-1 face à un FTC qui effectuait son grand retour en première division, bien loin, donc, de pouvoir lutter pour le titre. Un an plus tard, en septembre 2010, les Violet et Blanc ont franchi un palier de plus dans l’extase en l’emportant 6-0 contre le voisin honni.

Les Fradi avant l'ère Groupama Arena | © PETER KOHALMI/AFP/Getty Images
Les Fradi avant l’ère Groupama Arena | © PETER KOHALMI/AFP/Getty Images

Lors de chaque derby, un important dispositif policier est déployé afin d’éviter les bagarres entre groupes de supporters et autres actes de vandalisme. Cependant, malgré la haine qu’ils se vouent les uns envers les autres, Fradi et Lilák peuvent parfois s’unir derrière des objectifs communs. Le 12 avril 2015, les ultras des deux clubs ont ainsi boycotté le premier derby disputé dans la Groupama Aréna. En cause : le contrôle d’identité mis en place par les autorités hongroises, particulièrement pointu à Ferencváros puisque tous les spectateurs de plus de 16 ans doivent faire enregistrer la paume de leur main pour pouvoir acheter des billets. Quand un supporter commet une infraction, ses données personnelles sont effacées et il ne peut plus, par conséquent, entrer dans le stade. Ce système doit permettre de lutter contre le hooliganisme et la violence en tribunes. C’est pour protester contre ce fichage de grande ampleur que les ultras d’Újpest et de Ferencváros ont donc boycotté ce match, préférant le regarder sur un écran géant, chacun de leur côté.

Aujourd’hui encore, bon nombre de supporters des Fradi n’ont toujours pas mis les pieds dans la nouvelle enceinte du club, à cause de cette mesure d’enregistrement des données personnelles. L’ambiance devrait malgré tout être au rendez-vous ce 24 septembre, car outre la rivalité très tenace qu’ils entretiennent, Ferencváros et Újpest auront tout intérêt à aller chercher les trois points. Les Aigles verts pour tenter de ravir la première place à Vasas, les Lilák pour rester accrochés au wagon de tête, qui commence à se dessiner. Une nouvelle page est à écrire…

Raphaël Brosse


Image à la une: © ATTILA KISBENEDEK/AFP/Getty Images

2 Comments

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