Tout le passé de l’Hajduk Split est une histoire de défi. Dès le début, le club a été nommé en référence aux bandits romantiques qui ont combattu la domination des turcs ottomans. Selon le professeur Josip Barac, qui a eu l’idée du nom, les Hajduk symbolisaient «le meilleur du peuple croate : la bravoure, l’humanité, l’amitié, l’amour de la liberté, le combat contre la puissance et la protection des faibles. Les brigands se sont insurgés d’une manière ou d’une autre contre les régimes autoritaires, les dictateurs et l’injustice.» Par conséquent, il était tout à fait approprié de refuser de jouer le derby contre ce Dinamo qui est aux manettes du football croate d’aujourd’hui.

Corruption et clientélisme, cancer du football croate

Beaucoup de fans de football en Croatie, et pas seulement les ultras, sentent qu’ils deviennent une espèce en voie de disparition dans un environnement entièrement contrôlé par la Fédération croate de football, et en particulier par le président du Dinamo Zagreb, Zdravko Mamic. Les fans de l’Hajduk en particulier, estiment avoir été ciblés intentionnellement par la Fédération – où Mamic alias le ‘Puppet Master’ exerce une grande influence – qui les punit sévèrement pour des incidents quand, pour les mêmes faits, les autres clubs ne s’en tirent qu’avec de petites amendes ou rien du tout. Récemment, leur équipe a reçu une interdiction de stade d’un match, après avoir purgé une peine précédente de 2 matchs pour des faits (pas dramatiques) qui ont eu lieu lors d’une rencontre… à l’extérieur.

Les incidents au sein de la Fédération – comprenant des condamnations pour des matchs arrangés et même une agression physique sur le président de l’Hajduk par un haut gradé de la fédération – sont rangés sous le tapis, comme le sont toutes les irrégularités évidentes dans le football national. Quant à l’équipe nationale, beaucoup estiment qu’elle est devenue une vitrine afin que les joueurs du Dinamo soient transférés à l’étranger à des prix très importants. Les fans de l’Hajduk sont également amers parce que, ces dernières années, l’équipe nationale a plus souvent joué à Londres qu’à Split.

Hajduk Split, bandits romantiques
Réception de gala à Poljud pour acclamer des joueurs ayant refusé de jouer un match (c) Paun Paunovic / CROPIX

Les rebelles en lutte pour la liberté 

Pour les huit mille personnes s’étant déplacées à Poljud afin de recevoir les joueurs rebelles, ainsi que pour la majorité des fans, et même pour beaucoup de fans de clubs rivaux, l’action du club de Split est sans aucun doute justifiée et se présente comme une étape importante dans la lutte pour la liberté du football croate. En se positionnant du côté de leurs fans, l’Hajduk a impulsé la révolte contre les autorités du football croate. Le combat contre la puissance et pour la protection des faibles. Le mécontentement s’est accumulé depuis des années. L’épisode de la liste noire peut être l’étincelle qui va allumer le feu rebelle, allié de la résistance.

L’Hajduk Split est un grand club qui mérite le respect. Il a construit son identité sur le sentiment d’appartenance. Alors, quand certains de ses membres n’ont pas pu entrer dans le stade en raison de leur présence sur une liste noire complètement arbitraire composée par Mamic himself, et que d’autres étaient arrêtés tout aussi arbitrairement par la police de l’autre côté de la ville, tout le monde décida de boycotter le match. En étant trop longtemps refoulées, les émotions peuvent exploser. C’est exactement ce qui s’est passé, comme en témoigne la réception de feu à Poljud après le refus des joueurs de fouler la pelouse de Zagreb. En célébrant cette action, les supporters sèment le chaos dans les élites et en sont fiers. La Torcida –comprenons dans ce terme les parents, grand parents, ultras, intellectuels et tous les fans ordinaires- considère que l’ordre existant ne doit plus être préservé. Depuis ce fameux samedi après midi, cette attitude a été partagée avec les joueurs et gestionnaires du club. L’Hajduk est une fois de plus le club rebelle.

Certaines personnes vont prétendre que l’Hajduk est pris en otage par ses fans. Cette thèse est absurde, car elle considère les fans comme un élément extérieur plutôt que comme partie intégrante du club. Or, le propriétaire majoritaire, la ville de Split, a transféré certains droits et les choix des gestionnaires aux adhérents de Naš Hajduk (Notre Hajduk, projet d’initiative civile des supporters pour améliorer le fonctionnement du club). Ces supporters, qui sont l’âme du club, font l’Hajduk et prennent soin de son bien être. Les politiques n’ont pas été capables de gérer le club et leur comportement irresponsable l’ont conduit tout droit vers la faillite. Par là même, l’Hajduk et le Dinamo sont des cas endémiques. En effet, le Dinamo, bien qu’association publique, se voit géré par un seul homme qui n’est même pas son propriétaire. Tout cela avec la bénédiction du maire de Zagreb, Milan Bandic, qui prend soin de ne pas organiser de scrutins démocratiques à la tête du Dinamo. Ce même Bandic qui a été arrêté le 19 octobre dernier pour corruption et détournement de fonds.

Collectivisme ou individualisme, identité contre entreprise, fierté miséreuse contre pouvoir économique et d’influence, l’Hajduk et le Dinamo sont devenus deux mondes que tout oppose. Les néo marxistes analyseront une lutte des classes quand d’autres y verront le choc de deux gestions de club de football. Les affaires pour l’un, le concept social pour l’autre. Certains soutiennent massivement leur club parce qu’il continue d’exister avec son identité et se montrent patients à l’égard des résultats sportifs ; d’autres sont mécontents et malheureux malgré leur domination car le club a été séparé de sa base.

Dinamo, Hajduk, Derby, Croatie
« Il n’y a qu’une seule équipe sur le terrain » (c) index.hr

Seuls contre tous

Dans de telles circonstances, qui va soutenir l’insurrection montante de l’Hajduk contre l’ordre établi ?

Personne, car tous les clubs –à l’exception de Rijeka qui est en pleine euphorie et ne se soucie pas de grand-chose, quand le RNK Split connait un petit succès temporaire sans soutien de masse – se contentent de survivre et sont fortement tributaires de la situation actuelle. L’Hajduk Split prend ainsi beaucoup de risques en lançant une révolte, car il est peu probable qu’il soit soutenu par qui que ce soit. Il sera durement puni en conséquence avec une déduction de points, une amende, etc… Les autorités du football croate ont maintenant un prétexte parfait pour réprimer les brigands rebelles qui vont à l’encontre des inégalités et de la dictature d’un clan.

Cependant, la révolte est lancée et nous verrons bien si l’histoire se confirme. Après les périodes de lutte, l’Hajduk est toujours revenu plus fort qu’avant !

 

Damien Goulagovitch

5 Comments

  1. Monertov 29 novembre 2014 at 18 h 44 min

    En écho à cette excellente analyse ,je me permets de démentir la note pessimiste qui finit l’article ,quant au fait que personne ne va soutenir l’action de Hajduk.Je reviens à l’instant d’une manif ,ici à Split,qui a réunie 30 000 personnes ,Torcida et autres groupes de sup,et citoyens « ordinaires » tous unis pour dire STOP à Mamic et ses sbires.Cette action est en train de déborder du cadre purement « sportif » et s’adresse également à la classe politique, tout aussi corrompue que les dirigeants de la fédé .C’est un mouvement de révolte sociale qui prend forme et j’espère qu’il continuera .Salutations et bravo pour l’excellent boulot que vous accomplissez.

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