Créé en ce début d’année 2016, année électorale à la présidence de la Fédération Lettone de Football (FLF), Futbols 2031 est un groupe de discussion dédié au progrès du football au niveau local sur les quinze prochaines années. Le but : impliquer tous les amoureux du ballon rond du pays qui croient au futur développement du football en Lettonie et leur donner la parole afin que chacun puisse s’exprimer et apporter ses idées.

Mis en place conjointement par Girts Mihelsons (membre de la FLF où il est l’un des membres du conseil d’administration, responsable du développement du football chez les équipes de jeunes mais aussi président du club de Virsliga le FS Metta/LU Riga) et Emils Latkovskis (président de la Virsliga, lire aussi : On a discuté avec Emils Latkovskis, président de la ligue professionnelle lettone), ce groupe de travail ouvert à tous a pour but de mettre clairement la pression sur les deux candidats déclarés à la course à la présidence de la FLF, à savoir le président de toujours Guntis Indriksons (et son bras droit Jānis Mežeckis) et Krišjānis Kļaviņš, seul opposant officiel à l’ordre établi depuis 1993. Bien que membre de la Fédération, Girts Mihelsons se montre très critique et virulent à l’encontre du travail réalisé par l’équipe dirigeante et ne se gêne pas pour qualifier les deux candidats comme étant l’un comme « des blagues » et pour remettre en cause leur légitimité. Il va même jusqu’à déclarer publiquement que les programmes des deux protagonistes manquent de tout : pas de vision globale, pas d’objectifs clairement définis et encore moins de stratégie établie. Lui et Emils Latkovskis partagent un but commun, celui de faire figurer l’équipe nationale de football de Lettonie parmi les cinquante meilleures équipes du monde. Là où, au jour d’aujourd’hui, la Lettonie se classe à la 108ème position d’après le classement FIFA.

Pour y arriver, il faut selon eux axer ses efforts de changement et de développement sur plusieurs points importants que la Fédération doit favoriser :

  1. Augmenter en nombre et en qualité les infrastructures du pays
  2. Développer la formation des jeunes au sein de véritables écoles de football
  3. Améliorer la qualité de coaching des entraîneurs locaux

Selon eux, deux exemples sont à suivre :

  • L’Allemagne qui lors de l’Euro 2000 a dû faire face à la pire période de son histoire récente en termes de résultat (1 point pris seulement en phase de groupe) et qui depuis a su rebâtir son football, notamment au niveau de la formation avec les résultats que l’on connait…
  • L’Islande, pays froid de 320k habitants, qualifiée pour l’Euro 2016 et qui est passée de la 131ème place à la 23ème place au classement FIFA en l’espace de trois ans (de 2012 à 2015) en grande partie grâce au développement de ses infrastructures…

Chez Footballski nous avons assisté pour vous à plusieurs réunions et débats auxquels participaient les principaux protagonistes du football local et voici un petit compte rendu de la situation à seulement quelques semaines du vote pour la présidence de la FLF.

1. La pauvre réalité du/des terrain(s)

Le constat quant aux installations permettant la pratique du football en Lettonie est affligeant à tous points de vue.

Le stade utilisé par l’équipe nationale, qui est également celui du FC Skonto, d’une capacité de 9500 personnes, érigé pourtant en 2000, est vétuste et pas vraiment fonctionnel. Sa pelouse naturelle non chauffée souffre de l’hiver rigoureux et porte les stigmates des quatre/cinq mois de gel annuel tout au long de l’année. En outre, le stade n’est qu’au trois quarts fermé et les matériaux à bas prix qui le composent : bois, plastiques et armatures métalliques portent déjà le poids des seize années passées. Autre problème que pose ce stade est qu’il n’appartient pas à la FLF mais à une société privée qui le loue pour la coquette somme de 100k € / match à la FLF. Qui est derrière cette société me demanderez-vous ? Tout simplement Guntis Indriksons lui-même. Le président de la LFL est aussi un magnat de la construction et de l’immobilier en Lettonie et il aurait tort de ne pas profiter de sa position pour générer des profits…

© Futbols 2031
© Futbols 2031

Toujours est-il que face à la grogne des clubs, des joueurs, des supporters et de l’UEFA elle-même qui peine à maintenir le niveau de catégorie III (1) la FLF a d’ores et déjà décidé de procéder à la construction d’un nouveau stade national sur un lieu différent. Le problème c’est que le projet actuel est largement trop cher par rapport au prix du marché et qu’on ne sait toujours pas à quoi le stade va ressembler ni même si la pelouse sera hybride (ce qui fait sens ici) ou artificielle… Côté chiffre donc on parle d’un stade à la capacité réduite de 5’800 personnes pour un prix de 15 millions d’euros, financé en partie par un fonds dédié à l’UEFA, la Fédération et certainement aussi le contribuable letton (2). Soit un prix par place démesurée et largement au-dessus de ce qui se fait chez nos voisins polonais, suédois ou même allemands (3). Les questions (sans réponse) qui me viennent à l’esprit sont donc les suivantes :

  • Qui se cache derrière la société Arches qui a été choisie pour construire le nouveau stade national ?
  • Y’a-t-il encore conflit d’intérêts entre la FLF et une entreprise de construction ?

Au-delà du problème du stade national, les membres de Futbols 2031 ont tous pointé du doigt le manque d’infrastructures permettant la pratique du football de haut niveau durant la période hivernale (qui dure ici de novembre à mars). Concrètement il existe en Lettonie uniquement deux terrains de football entièrement couverts et chauffés. Les deux se trouvent à Riga et l’un d’entre eux n’est même pas aux normes UEFA au niveau des dimensions. Comment alors permettre à l’ensemble des pratiquants (on parle au bas mot de 16’000 licenciés) de pouvoir s’entraîner convenablement et surtout aux équipes professionnelles et aux écoles de football de pratiquer un sport de manière décente ? Réponse : impossible. Bien souvent les clubs professionnels décident de s’entraîner dehors malgré le froid (qui peut aller jusqu’à -20°C en journée) et les terrains enneigés, les écoles de football de Riga se partagent un quart de terrain deux à trois fois par semaine pour une à deux heures au maximum par catégorie d’âge. Les autres, les amateurs, s’entraînent soit le soir sur un quart de terrain couvert ou alors utilisent les gymnases des écoles en fin de journée pour réciter leurs gammes…

Quand on sait que les revenus -qui proviennent en écrasante majorité des contributions UEFA- de la FLF dépassent les 7 millions d’euros annuels, on est en droit de se poser la question à quoi servent-ils ? Après une analyse des comptes de la FLF, on s’aperçoit que seul un camp d’entraînement perdu à la frontière estonienne, à Staicele, appartient à la Fédération pour une valeur de 2 millions d’euros… Bref les membres de Futbols 2031 sont dans le vrai : on a besoin de terrain pour s’entraîner et la FLF doit axer ses efforts sur ce point au risque de mettre en danger le développement futur des talents lettons de demain.

2. Les écoles de football

Plutôt que de parler de « centre de formation » comme on les connaît en France ou ailleurs en Europe, j’ai décidé de rester mesuré et de parler plutôt d’école de football dans ce paragraphe. En effet, je conçois comme centre de formation une organisation qui possède des infrastructures qui lui sont propres et qui bénéficie d’un soutien du Ministère de l’Education Nationale afin d’assurer une scolarité normale et adaptée à la pratique du sport de haut niveau, comparable aux sections « sport-étude » développées en France.

On compte aujourd’hui seulement six écoles de football d’un niveau « élite » en Lettonie : (…)  Les critères pris en compte dans le système d’attribution du label « élite » sont les suivants : (…) La question qui me vient alors à l’esprit est la suivante : pourquoi la FLF, via la Ligue de Football Professionnelle (appelée Virsliga) n’oblige pas les huit clubs professionnels du pays à posséder une académie de niveau « élite » ?

Lorsqu’on parle d’école de football en Lettonie, on se doit d’évoquer le cas du FS Metta/LU Riga (cela devrait même faire l’objet d’un article à part entière à paraître prochainement), qui est de loin la plus développée du pays avec plus de 800 joueurs toutes catégories d’âges confondus, soit plus de 5% des joueurs de football licenciés du pays ! Toutefois, lorsqu’on parle avec son fondateur Girts Mihelsons, on comprend rapidement que les problèmes liés au manque d’infrastructures et d’autres économiques sont un frein à l’enseignement de la pratique du football en Lettonie et qu’un club comme le FS Metta/LU Riga ne peut pas rivaliser avec le niveau des clubs issus d’autres nations plus fortunées. Selon lui, et l’on ne peut qu’être d’accord avec sa vision élitiste du football, les équipes premières de chaque catégorie d’âge se doivent de participer à des tournois à l’étranger afin de s’aguerrir en se mesurant à des adversaires talentueux et pratiquant un football différent. Toutefois voyager à l’étranger même en bus dans des conditions précaires a un coût (4) et bien souvent les équipes de jeunes du FS Metta/LU Riga doivent se résigner à ne pas y participer car la bonne santé financière du club pourrait s’en trouver menacée. Résultat : les jeunes joueurs découvrent le haut niveau européen que tardivement lorsqu’ils intègrent une équipe sénior ou alors carrément l’équipe de football nationale.

Enfin, si l’on revient à nos moutons, c’est-à-dire d’avoir pour objectif final l’amélioration du niveau de l’équipe nationale, on peut également avoir comme idée d’une certaine manière à « délocaliser » la formation des talents de demain. Ayant constaté que le système actuel souffre de carences qui malheureusement ne peuvent pas être résorbées au seul niveau des clubs (j’ai en tête le problème des infrastructures pour lequel une réelle volonté politique doit voir le jour), alors pourquoi ne pas favoriser le départ pour l’étranger des joueurs les plus talentueux ? Bien sûr cela existe déjà et de nombreux joueurs encore en phase d’apprentissage scolaire quittent la Lettonie pour intégrer les centres de formation d’équipes huppées. Je peux par exemple citer Andrejs Ciganiks, tout juste âgé de 19 ans et qui a intégré les équipes de jeunes du Bayer Leverkusen depuis près de trois ans déjà. Résultat : il brille en Bundesliga des moins de 19 ans (14 buts en 22 rencontres cette saison) et représente également dignement l’équipe nationale de football lettone chez les U19. Espérons qu’il continue sa progression et qu’il intègre un jour l’équipe nationale A et qu’il y brille tout autant. D’autres joueurs lettons âgés de 16 ans (un âge clef en matière de développement de talent footballistique selon les experts) ont un talent certain et bénéficieraient à coup sûr d’une expatriation de leur formation. Aussi, les clubs locaux avec lesquels ils sont liés pensent avant tout à leurs intérêts propres et demandent des prix de mutations mirobolants pour leurs jeunes pépites encore vertes. Le meilleur exemple que l’on peut citer est Janis Grinberg (16 ans) auquel l’AS Roma fait les yeux doux. Seulement voilà, malgré la volonté du joueur de succomber aux sirènes italiennes, son club le FC Skonto Riga demande pas moins d’un demi-million d’euros au club de la Louve pour libérer sa jeune pépite. Résultat : Janis végète en deuxième division lettone suite à la relégation administrative de son club et affronte des amateurs tous les week-ends…

Bref, trop peu nombreuses, sous équipées, mal structurées et financièrement à la peine, les écoles de football lettones manquent à leur rôle fondamental que l’on pourrait nommer « l’assistance à l’éclosion des talents locaux ». Le nouveau président de la FLF devra s’attacher de manière prioritaire à ce sujet afin que s’arrête enfin le fléau footballistique auquel on assiste ici : le refus des clubs d’accueillir de nouveaux pratiquants par manque de places et de moyens (5).

3. Le niveau des entraîneurs locaux remis en question ?

A plusieurs reprises durant notre entretien, nous avons évoqué un point fondamental qu’est le niveau de la formation dispensée par les entraîneurs présents localement. Au-delà même des clubs professionnels qui sont tous, à l’exception du FK Ventspils avec Paul Ashworth, coachés par des locaux, toutes les équipes nationales (seniors, sélections de jeunes, féminines…) sont elles aussi aux mains d’anciennes gloires locales (6). Et la question que l’on s’est posée est la suivante : est-ce que ces entraîneurs pour la plupart peu expérimentés et généralement pas diplômés sont à même de former les espoirs de demain?

© skysports.com
© skysports.com

Bon, j’avoue la réponse est dans la question, mais c’est tellement devenu un secret de polichinelle, qu’ici, en Lettonie, tout le monde à voix basse remet en question les méthodes et les habitudes des coachs locaux qui ont très peu évolué depuis l’époque soviétique. A grande majorité russophone, ils axent leurs séances sur le développement de la force physique et le redoublement de passes courtes. Il faut dire qu’il est difficile d’apprendre à des gamins le basculement du jeu par une passe transversale quand on s’entraîne sur un quart de terrain… Bref difficile donc de leur jeter la pierre et de leur faire porter le chapeau à eux seuls mais quand même, il y a une place à l’amélioration sans non plus tout révolutionner. Voici les principaux axes de développement que nous avons retenu :

  • La spécialisation par catégorie d’âge : il est de monnaie courante de voir en Lettonie le même et unique entraîneur être en charge de la formation de l’ensemble des équipes de jeunes d’un même club. Or il est évident que l’enseignement du football est spécifique à une catégorie d’âge donnée et que par conséquent les coachs doivent devenir des spécialistes pour un âge donné.
  • Le recrutement d’entraîneurs étrangers qualifiés : trop peu, voire aucun étranger avec une véritable expérience dans le monde du football exerce en Lettonie. Et pourtant quelle chance pour l’avenir des jeunes footballeurs locaux que de côtoyer des entraîneurs étrangers enseignant une autre culture du football et proposant des méthodes d’entraînement différentes !
  • La mise en place d’un système de DTN: à l’instar de ce qui se fait dans les grandes nations du football européen, la Lettonie gagnerait certainement à mettre en place un système de DTN donnant une direction claire et un style au jeu pratiqué par l’ensemble des équipes nationales (seniors, jeunes, féminines…). Aussi, le rôle de cet organe serait d’assurer une formation continue des coachs officiants dans le pays.
  • La formation à l’étranger : l’une des idées lancées pendant une séance de discussion de Futbols 2031 fut la formation des entraîneurs des équipes nationales des différentes catégories d’âge de jeune de Lettonie à l’étranger auprès de coachs aguerris durant les périodes de match de championnat. Ces sortes de périodes courtes d’immersion leur permettraient de développer leurs compétences rapidement et d’emmagasiner des connaissances en provenance de divers horizons. Seulement la mise en place pratique et le coût d’une telle proposition restent en suspens.

D’une manière générale, il semble être acquis que le niveau des entraîneurs locaux doit être amélioré afin d’influencer de manière positive l’enseignement du football dans le pays. Reste maintenant à savoir si l’heureux élu à la tête de la FLF partagera cette opinion et surtout s’il la priorisera par rapport aux autres axes de développement qui s’offrent au football letton. Espérons au moins que les responsables des clubs locaux professionnels comme amateurs prendront le taureau par les cornes et essayeront avec leur moyen de faire avancer les choses.

 

En conclusion, nous constatons que le bilan dressé par les différents protagonistes de Futbols 2031 semble aller dans le bon sens car ils listent, sans en oublier, les principaux maux auxquels est confronté le football letton en 2016, au lendemain d’une non qualification pour l’Euro 2016 et un dernier match soldé par une terne défaite 0-1 à domicile face à une modeste équipe du Kazakhstan. Souhaitons donc que le futur président de la LFL s’entoure de personnes compétentes et qu’il œuvre de manière totale, constante et impartiale au développement de ce sport planétaire qui n’est ici pourtant pas roi (7). Puisse l’Islande servir d’exemple à la Lettonie et que moi aussi je puisse représenter Footballski lors d’une phase finale de l’Euro ou de la Coupe du Monde !

Maxime Bonnet


Image à la une : © Futbols 2031

(1) Ces standards sont délivrés et régis par l’UEFA elle-même. Pour ceux que ça intéresse, voici quelques détails : https://fr.wikipedia.org/wiki/Classement_UEFA_des_stades

(2) Au jour d’aujourd’hui, « seuls » 8,5 millions sont promis par l’UEFA via leur programme Hattrick et la FIFA

(3) On peut citer par exemple les nouveaux stades du Piast Gliwice (Pologne), du Bravina Goteborg (Suède), de Paderborn et Offenbach (Allemagne)

(4) Girts Mihelsons a évoqué durant notre entretien les chiffres de 250 € / joueur pour un tournoi en Suède et 350 € / joueur pour un tournoi en Italie

(5) En ce début de saison, le FC Metta/LU Riga a refusé plus de 200 enfants par manque de terrain

(6) L’équipe nationale est entraînée par Marians Pahars (129 matchs en Première League anglaise avec Southampton) et par exemple l’équipe des U17 est elle aux mains d’Igors Stepanovs (ex Arsenal)

(7) En termes de licenciés, le football n’est que le quatrième sport du pays après le Hockey sur glace, le basketball et le floorball

 

 

2 Comments

  1. Nowak 25 avril 2016 at 21 h 53 min

    Bravo a toi. Continue a partager et esperant te lire prochainement sur FC Metta

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  2. Fares 7 août 2016 at 23 h 08 min

    Article très complet, on voit que les informations sont vérifiées et bien recherchées. En espérant que les choses changent bientôt en Lettonie et de ce que j’ai vu, c’est parfaitement possible. Merci pour l’article!

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