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Notre premier périple devait nous mener de Cluj à Targu Mures. Après une courte nuit en auberge de jeunesse à Cluj, c’est la neige qui nous surprend au réveil. A l’accueil de l’auberge, le Roumain qui bosse là semble de mauvaise humeur. Un groupe d’une vingtaine d’Italiens, très bruyants, semble être la cause de sa nuit écourtée.

Il nous prend en amitié en tant que victimes conjointes du brouhaha des Transalpins. Il nous demande la raison de notre voyage en Roumanie et la réponse le laisse coi : « nous sommes venus voir des matchs de football. » Alors qu’il s’attend à ce que nous filions directement vers Bucarest dans cette quête de ballon rond, le nom de notre prochaine destination le laisse de marbre : Targu Mures. « Je ne savais même pas qu’ils avaient une équipe en première division… » Et pourtant, c’est bien l’affiche de cette journée de Liga I qui nous attend le soir même à Targu Mures entre le club local et le Dinamo Bucarest.

Une odyssée dans la campagne roumaine

La marche vers l’autogara de Cluj nous confirme les chutes de neige ininterrompues alors que le stade du CFR trône majestueusement au-dessus du quartier de la gare. Le trajet en bus entre Cluj et Targu Mures prend trois heures. Une longue enfilade de villages roumains avec ses maisons de plein pied, ses vignes montantes et ses plaines enneigées. Car oui, le doute commence à nous assaillir : à voir la quantité de neige sur les bas-côtés, nous commençons à craindre pour la tenue de notre match. Heureusement à mi-distance entre Cluj et notre destination, le ciel se fait plus clair et la neige disparaît de notre vue.

A mesure que nous nous approchons du judet de Mures, les inscriptions en langue hongroise se font plus présentes sur les panneaux officiels, accompagnant les inscriptions en langue roumaine. Les boulangeries, les salons de coiffures, les bars sont aussi affublés d’acronymes dans les deux langues. Et pourtant, ce sont bien les drapeaux roumains, dont certains d’une taille disproportionné, qui décorent les bords de routes.

Targu Mures ne fait pas une grosse impression à première vue. Un petit aéroport. Une zone commerciale développée avec des Auchan, H&M entre autres. Comme n’importe quelle autre ville d’Europe. Descendus du bus, notre préoccupation première est de trouver le stade. En effet, impossible de commander des places sur Internet et ce match est annoncé à guichets fermés ! La page Facebook du club annonçait 7600 places vendues sur les 8000 disponibles la veille de notre arrivée. C’eut été dommage de faire tout ce chemin sans même pouvoir assister au match.

De belles installations modernes pour Targu Mures

Heureusement, après un long détour depuis le centre ville, nous trouvons le stade et notre hôtel situé à proximité. Les équipes de télévision de Digisport sont en train d’organiser le matériel pour le match du soir. Nous tombons sur un centre sportif exigu mais très moderne. Un bâtiment tout en largeur comprend la salle de presse, les vestiaires et des bureaux. La décoration murale aux couleurs du club est originale car elle regroupe à la fois des photos de l’équipe première, des équipes de jeunes mais aussi des vieilles gloires du club. Juste derrière, le stade flambant neuf fièrement coloré de rouge et bleu marque par sa modernité. Une petite enceinte de 8000 places mais qui paraît très agréable. A proximité, des équipes de jeunes s’entraînent sur un terrain synthétique.

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Le stade de Targu Mures

Après avoir laissé nos affaires, nous retournons vers le stade quelques minutes avant 16h, quand les guichets doivent ouvrir. Une trentaine de personnes sont déjà présentes. A part si chacun d’entre eux prend une quinzaine de billets, on devrait pouvoir trouver des places pour ce soir. C’est un petit bungalow blanc qui tient office de guichet de vente, une jeune femme nous reçoit après avoir dû batailler avec l’homme devant nous : il désirait des billets pour sa femme et sa fille – les places étant gratuites pour la gente féminine pour ce match – mais la jeune femme tenta tant bien que mal de lui faire comprendre que les femmes devaient venir chercher leurs billets ici-même. Toujours est-il que quelques minutes plus tard, nous voilà avec nos précieux sésames à 10 lei (environ 2€). A nous le grand match de Liga I !

Il nous reste quelques heures à flâner et nous nous dirigeons vers le centre-ville. Peu de traces de l’ASA Targu Mures dans le centre-ville, si ce n’est une large banderole sur la façade d’un des centres commerciaux qui enjoint toute la population à se déplacer au stade. Pas d’effervescence disproportionnée liée au match en ville, tout le monde semble vaquer à ses occupations alors que les familles sont nombreuses à se promener. Le seul détail qui nous marque est la présence de policiers avec des chiens, sans doute motivée par la réputation des supporters du Dinamo Bucarest.

Bienvenue en pays sicule, chez Laszlo Boloni

La visite du centre-ville est rapide. Une forteresse datant du XVè en voie de réhabilitation, une superbe église en bois trônant au milieu d’un cimetière et quelques bâtiments dans l’hyper centre comme l’ancienne mairie ou le palais de la culture. Ce dernier fait forte impression avec sa façade gravée. Là encore, si le drapeau roumaine flotte, ce palais possède deux noms : Palatul Culturii en roumain et Kulturpalota en hongrois. Car nous sommes ici en pays sicule, une région longtemps trimballée entre la Hongrie et la Roumanie, aujourd’hui encore source de vives rancoeurs citoyennes et politiques entre les deux pays.

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Le palais de la culture de Targu Mures

Targu Mures, dont le nom en hongrois est Marosvásárhely, fait partie intégrante de cette longue histoire. Que ce soit dans l’influence culturelle, architecturale ou politique, cette ville est très marquée par cette présence passée et actuelle des Hongrois. Aujourd’hui encore, environ 45% de la population de la ville est de communauté hongroise (alors que cette communauté représentait 83% de la population en 1900). Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que Laszlo Boloni est le plus grand sportif issu de cette ville.

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Le stade Laszlo Boloni, laissé à l’abandon

C’est en retournant vers le stade, deux heures avant le match que nous découvrons les forces de l’ordre au complet : plusieurs dizaines d’hommes et femmes se mettent en place. Mais nous trouvons surtout le vieux stade de Targu Mures. Il suffit de traverser une route et un chemin de fer pour contempler le vieux stade Laszlo Boloni, aujourd’hui laissé à l’abandon. Une enceinte de 15000 places qui ne peut que laisser votre imagination jouer. Laszlo Boloni représente bien ce coin de Roumanie, puisqu’il est lui-même sicule (szekely en VO). Pendant 15 ans et plus de 400 matchs, Boloni fut le cœur de l’équipe de Targu Mures, étant élu meilleur joueur roumain de l’année en 1977 et 1983. Il quitta ensuite ses terres pour rejoindre le grand Steaua avec qui il gagna quelques titres de champion mais surtout la coupe d’Europe des clubs champions en 1986. Son visage est encore visible aujourd’hui sur les murs du club, bien que Laszlo ne soit jamais revenu pour entraîner ce club.

Un très grand match

Mais aujourd’hui, l’histoire est bien différente. Le temps des joueurs locaux comme Boloni semble bien loin. L’ASA Targu Mures est en passe d’écrire une des plus belles pages de son histoire avec une équipe de vieux de la vieille. Ainsi, l’effectif se base sur Muresan (33 ans), Voiculet (29 ans), Zicu (31), N’Doye (36 ans), Axente (28), Stanciou (34) et Sepsi (28). Une stratégie payante puisque le club de Targu Mures était avant ce match à une très surprenante troisième place, pas mal pour un promu. La venue du Dinamo (4è) devait permettre de confirmer cette belle saison alors que les locaux n’avaient toujours pas perdu sur leur pelouse cette saison, faisant notamment tomber le Steaua.

Une heure avant le match, on entend que les supporters du Dinamo depuis l’extérieur du stade. La file d’attente est dense à l’entrée des tribunes alors que les portiques automatiques où il faut insérer le code barre de son ticket ralentissent allégrement la cadence. Une petite demie-heure plus tard, nous voilà dans le stade, juste derrière un des buts. Le stade ressemble à l’image d’Epinal d’un stade à l’anglaise de division inférieure avec notamment une tribune basse sur toute la longueur du terrain. Les supporters du Dinamo sont dans un angle à une dizaine de mètres de nous alors que les Ultras de Targu Mures sont en face derrière l’autre but.

Dès le début du match, on peut sentir une vraie excitation dans les tribunes et sur le terrain. Les supporters du Dinamo sont debout et le resteront pendant tout le match. La première mi-temps est plutôt à l’avantage du Dinamo Bucarest qui gère tranquillement son match et construit patiemment ses actions avec la doublette Grigore – Elhamed à la mène. C’est d’ailleurs sur un centre de ce dernier que le très élégant Bilinski ouvre la marque de la tête avant la mi-temps. A la pause, le Dinamo mène 1-0 contre une équipe locale qui s’en est surtout remis aux qualités de percussion du Valbuena local, Claudiu Bumba, récemment appelé en sélection.

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Nous étions plutôt bien placés, non ?

Dans les tribunes, le match est aussi à l’avantage des quelques centaines de Dinamovisti. Le chambrage entre tribunes est bon enfant avec des supporters visiteurs qui applaudissent les locaux, à chaque fois que ceux-ci daignent se lever sur une action. Mais la deuxième mi-temps repart sur d’autres bases sur le terrain et dans les tribunes. Le public local, plus spectateurs que supporters, commence à donner de la voix. L’expulsion du défenseur Machado, côté Dinamo, aide bien à créer l’atmosphère. Il reste alors une demie-heure de jeu. C’est le moment choisi par le mythe Gabriel Muresan pour entrer en scène. Jusqu’alors discret avec N’Doye au milieu, il décide de prendre le match en main. Le milieu défensif devient alors omniprésent: devant, derrière, sur les côtés. A la 66è, il est là à 30 mètres pour reprendre de demie-volée un ballon mal dégagé. Frappe pure, ficelle. Le gardien macédonien du Dinamo ne peut rien y faire. Six minutes plus tard, le stade explose. Muresan est sur le côté droit, il tente vraisemblablement un centre de son mauvais pied, le gauche. Le ballon semble rester un temps indéfini en l’air puis plonge invariablement vers la lucarne de Naumovski. 2-1. Le stade est en fusion, c’est au tour des supporters locaux de chambrer les Dinamovisti. L’ambiance nous emporte également.

L’expérience des joueurs de Targu Mures leur permet de bien gérer la fin de match même si Dorin Rotariu, entré en jeu, se montre dangereux à une ou deux reprises. Bien aidé par l’expulsion logique, Targu Mures s’offre le scalp d’un autre grand de Roumanie. Les supporters du Dinamo chantent malgré tout jusqu’à la fin du match. Si Targu Mures a fait une forte impression, notamment avec sa doublette Muresan-NDoye (on peut se demander où était ce dernier pendant toute sa carrière au vu de ses qualités) et l’excellent ailier Bumba, la prestation du Dinamo a laissé un goût amer alors que le talent ne manque pas dans chaque ligne, notamment devant avec Alexe, Matei ou Bilinski.

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Très impressionnants supporters du Dinamo, jusqu’au bout malgré la défaite

L’illusion d’une saison ?

Après match, nous sortons joyeux du stade. A la recherche d’un snack, nous finissons sur le parking des joueurs, ouvert à tous les supporters. La communion entre joueurs et supporters continue sur le parking, dans une ambiance bon enfant. Les interviews se font à quelques centimètres des supporters. Certains joueurs se prêtent de bon cœur au jeu des autographes et des photos. La scène nous semble assez irréaliste pour un club en passe de se qualifier pour une coupe d’Europe mais tout semble se passer très naturellement sans même qu’il y ait besoin de stewards ou policiers.

Targu Mures est donc bien parti pour revivre une coupe d’Europe, quarante ans après la génération Boloni. Malgré tout, comme nous l’expliqua le journaliste Emanuel Rosu, il se pourrait que cette saison ne soit qu’une illusion, beaucoup de joueurs n’ayant signé que pour un an. Toujours est-il que si l’ASA Targu Mures se qualifie pour l’Europe, le club devra sans doute jouer à Cluj, faute de stade aux normes UEFA. Cela permettra peut-être au réceptionniste de l’auberge de jeunesse de Cluj d’apprendre qu’il y a bien une équipe de football à Targu Mures et une belle…

Tristan Trasca, accompagné par Damien Goulagovitch à Targu Mures

2 Comments

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