Temps de lecture 8 minutesFK Rostov à la découverte de la Ligue des Champions dans le flou ?

Dans le Sud de la Russie, à Rostov, on a l’habitude des problèmes au vu de ces dernières années. Mais celui-ci était le moins attendu à l’aube du match le plus prestigieux de l’histoire du club. En effet, le nom du sorcier-entraîneur qui a mené le club jusqu’aux portes de la plus grande compétition contemporaine ne figurait pas sur la liste officielle pour le troisième tour préliminaire face aux Belges d’Anderlecht. Avant d’y réapparaître miraculeusement. Un problème dont les Russes se seraient bien passés avant d’affronter les vice-champions de Belgique. Mais faisons avant tout connaissance avec cette équipe du FK Rostov.

Un peu d’histoire soviétique

Fondé au printemps 1930 sous le nom de Selmashstroy, le club deviendra plus tard Selmash, Traktor ou encore Torpedo pour adopter son nom soviétique quasiment définitif en 1957 : Rostselmash, qu’il ne quittera qu’au début des années 2000. Jamais monté au plus haut niveau soviétique, Rostov a oscillé entre le deuxième et le troisième échelon national. Le club remontera d’ailleurs au deuxième niveau en 1986 avant de connaître sa meilleure saison lors de la fin de l’Union Soviétique, en 1991, avec une quatrième place.

Retracer l’histoire de Rostov, c’est retracer celle d’un club aux joueurs emblématiques et fidèles. De nombreux régionaux de talent n’ont jamais quitté leur club local, alors même qu’il n’a jamais brillé sur la scène nationale soviétique, pas même en Coupe. Parmi ces joueurs emblématiques, nous pouvons citer Sergey Balakhinin, ou l’homme aux 442 matchs de championnat sous le maillot de Rostov, lui, l’homme présent dans le staff du club depuis des lustres. Ou encore le regretté Aleksandr Ivanov, Gennadiy Parovin (passé par la Hongrie), Aleksandr Gitselov (installé en Suède) ou Vitaliy Papadopoulos (d’origine grecque, vous pouvez lire cet article pour mieux comprendre : Les pontiques au Kazakhstan, football, URSS et espionnage)

Pas brillant, sans doute, mais suffisamment bien placé dans la hiérarchie pour prétendre à intégrer directement le premier championnat de Russie de l’histoire alors que le grand rival SKA, nettement supérieur dans le passé, ne partait qu’au troisième échelon. On n’avait connu que onze derbys de Rostov en Union Soviétique à cause de la différence de niveau entre les deux équipes, il n’y en aura que trois en Russie (deux en FNL quand ils se sont croisés en 2008 et un en Coupe). Il s’agit donc d’un derby plus présent dans l’imaginaire local que dans les faits. A part ça, le FK Rostov ne sera relégué que deux fois dans son histoire russe : lors de la deuxième saison pour remonter aussitôt en 1994, puis en 2007 pour survoler la FNL en 2008 et être de nouveau dans l’élite. Malgré cela et à cause de nombreuses difficultés, le club ne termina que quatre fois en vingt saisons dans le haut de tableau (top-8) avec en point d’orgue une sixième place en 1996 et plus récemment une septième place en 2014 accompagnée d’une victoire (enfin un titre !) en Coupe. L’équipe était alors emmenée par Artem Dzyuba.

© Epsilon/Getty Images
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D’ailleurs, leur victoire en coupe est arrivée après trois défaites consécutives en demi-finale ! Si on ajoute à ça une finale perdue en 2003 contre le Spartak de Titov, on pourrait presque considérer le FK Rostov comme une équipe de coupe. Malheureusement, elle est beaucoup moins performante en coupes d’Europe. En 1999/2000, la campagne en Intertoto fut plutôt bonne avec deux victoires contre le Sementarnitsa-55 Skopje puis le Varteks Varazdin avant de tomber 9-1 sur l’ensemble des deux matchs contre la Juventus. L’année suivante, l’Intertoto s’était arrêtée nette pour eux avec une double défaite contre Auxerre au premier tour. Rostov n’a retrouvé la scène européenne qu’il y a deux ans suite à leur victoire en coupe. Une défaite immédiate contre Trabzonspor qui laissait déjà augurer une année galère.

Une période chaotique pour le FK Rostov

Paradoxalement, c’est la très bonne année 2014 du club qui va le plonger plus profondément dans les problèmes. Rostov était déjà endetté dans le passé mais cela n’avait jamais vraiment handicapé son fonctionnement. Le club avait même un résultat net positif en 2010 et ce grâce à l’aide de la région de Rostov qui avait alloué au club 300 millions de roubles supplémentaires. Aujourd’hui, à cause de la crise, il est difficile pour la région d’augmenter son aide à une équipe qui en aurait bien besoin. Le budget du club n’était pas prêt à digérer la septième place des hommes de Bozovic ainsi qu’une victoire en Coupe. Trop de primes, trop d’augmentations de salaires à concevoir et la situation s’est rapidement dégradée puisque les joueurs n’étaient plus toujours payés à temps. Guélor Kanga, que nous avions rencontré pour un autre sujet, nous disait alors que ce n’était pas à lui de commenter ça mais que le capitaine avait raison. Confirmation implicite donc.

Avec cette fois une deuxième place, le FK Rostov serait donc bien inspiré de ne pas répéter les erreurs passées qui avaient menées les Jaune et Bleu jusqu’aux portes de la relégation. La manne financière de la C1 serait d’un plus grand secours pour le club afin d’éviter de revivre leur saison galère de 2014-2015. L’équipe était dernière à la trêve pour replonger ensuite, sauvé par un bon printemps suite à l’arrivée de l’ancien sorcier du Rubin Kazan, Kurban Berdyev. Le rusé technicien turkmène a sans doute la recette. Réputé malin mais secret, assez croyant mais ayant un rapport à l’argent douteux selon certains de ses anciens joueurs, Berdyev est l’homme qu’il faut pour sortir le club de la zone rouge. Il a derrière lui douze ans au Rubin avec deux titres et une victoire retentissante contre Barcelone mais aussi des expérience à Genclerbirligi et dans son club de toujours, le Kairat, avec son mentor Bakhtar Baiseitov.

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L’homme adéquat donc ? Oui, mais ce sera plus difficile que prévu. Lors d’une dernière journée chaotique en 2014-2015, après avoir presque privé le CSKA (déjà eux) de la C1 et avoir vu la relégation à portée de main, ils se retrouvent en barrages contre l’ambitieux mais peu raisonnable club de Tosno (région de Saint-Pétersbourg). Là, enfin, la sagesse de Berdyev aura raison de la nouveauté et de la folie de Tosno. Dyakov, le stoppeur, s’offre même un triplé au match retour alors que Tosno menait 1-0 ! Il n’y a en fait pas eu match, et à quelques centimètres de la relégation en FNL, c’est là que la machine FK Rostov s’est mise en place.

Le miracle Berdyev

Après ce sauvetage miraculeux face à une équipe de Tosno visiblement pas prête à passer à l’étage supérieur, le FK Rostov est resté empêtré dans ses problèmes financiers et a perdu une bonne partie de ses joueurs importants, dont Dyakov notamment (parti ironiquement jouer le haut de tableau avec le Dinamo Moscou). Malgré le recrutement intelligent de Berdyev fait de joueurs expérimentés qu’il connaissait (Noboa et Cesar Navas) ou de prêts de jeunes en manque de temps de jeu (Mogilivets), on promettait l’enfer et la relégation à cette équipe à bout de souffle.

Mais tout cela fut différent avec un début de saison plus que correct, rapidement douché par une défaite sèche face au Zenit ainsi qu’une autre face au CSKA après avoir mené au score. C’est d’ailleurs au cours de ce match (télévisé en France) que le grand public étranger a pu découvrir le style Berdyev. Un 3-5-2 extrêmement solide avec trois défenseurs centraux de métier entourés par deux latéraux capables d’apporter rapidement le danger. Un milieu à trois composé la plupart du temps de joueurs polyvalents, avant tout solides à la récupération mais capables de contrôler le ballon et relativement rapides pour se projeter vers l’avant et alimenter un duo d’attaque complémentaire. C’est avec ce style que Berdyev s’est construit et il l’a sublimé à le FK Rostov dans un effectif sans individualité exceptionnelle. Navas, Noboa, le grand espoir Azmoun ou encore Mogilivets (reparti depuis au Zénit) étaient sans doute les joueurs ressortant du lot, mais cela n’est pas vraiment ce qui fait rêver un recruteur.

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Même le bon Alexandru Gațcan, fidèle capitaine moldave et toujours bon soldat, est devenu l’un des joueurs les plus en vue du championnat, au point qu’on le choisisse dans notre équipe-type de la saison. Pilier du milieu de terrain avec les sus-cités Noboa et Mogilivets ainsi que Kanga (parti lui aussi), il fait partie de la pièce-maîtresse du dispositif du technicien turkmène. En effet, quand on parle d’équipe défensive marquant en contre-attaque, on imagine un schéma assez simpliste de « béton ». Avec Kurban Berdyev, c’est un peu différent. Son milieu de terrain à la fois physique et technique doit être capable de conserver le ballon longtemps en phase de possession pour reposer sa défense et ainsi éviter de subir trop longtemps.

Néanmoins, l’équipe de Rostov aura toujours été handicapée au moment de faire le jeu et va faire peur à ses supporters en fin de saison avec des défaites contres les lanternes rouges Mordovia et Anzhi qui vont lui coûter le titre mais qui auraient pu s’avérer beaucoup plus dommageable sans les fins de saison ratées des « gros » du championnat. Ainsi, ce cocktail « défense-possession » a apporté aux Sudistes une deuxième place avec la meilleure défense du championnat (20 buts encaissés en 30 matchs dont sept seulement à la maison) et une attaque pas si ridicule : la sixième du pays avec 41 buts, pas si mal quand on est étiqueté « ultra-défensif ».

Mais où est donc passé l’espoir ?

Tout juste auréolé de cette deuxième place inespérée qui aurait pu se transformer en exploit majuscule sans un double miracle d’Igor Akinfeev à Kazan lors de la dernière journée, on osait imaginer que Rostov allait oublier quelque peu les déboires passés pour sauvegarder son effectif et peut-être même le renforcer intelligemment. Tout allait même dans ce sens avec la prolongation de Kurban Berdyev pourtant annoncé avec insistance du côté du Spartak Moscou. Réelle volonté ? Ou choix des Miaso de renouveler leur confiance en Dmitry Alenichev ? Ça, nous ne le saurons peut-être jamais.

Toujours est-il que sans Berdyev, les Jaune et Bleu auraient sans doute pu paraître perdus dans l’arène européenne alors qu’avec la présence du sorcier turkmène, tout semble différent et les espoirs les plus fous sont permis. En plus de sa science tactique, on avait aussi en tête sa capacité d’attirer des joueurs pour un projet plus ambitieux, l’année de la confirmation étant toujours la plus difficile. Personne, d’ailleurs, ne leur demande de renouveler leur exploit, mais seulement de ne pas sombrer en championnat et de ne pas être ridicules sur la scène européenne. Oui, mais aujourd’hui et à quelques heures de la rencontre face à Anderlecht, le recrutement est au point mort ! Enfin, il y a tout de même une arrivée importante et c’est le Tribunal Arbitral du Sport qui l’a approuvée vendredi dernier. Ainsi, Sardar Azmoun, l’attaquant iranien, grand artisan de la belle fin de saison du FK Rostov, a pu rester au club grâce à la levée d’une de ses options contractuelles, ce à quoi le Rubin Kazan, qui détenait le joueur, s’opposait alors. Cesar Navas et Bastos ont eux re-signés, permettant au club de garder sa charnière centrale (avec le jeune Novoseltsev). Sont donc partis parmi les artisans de l’exploit : l’espoir Mogilivets, le Coréen Yoo Byung-Soo, le fameux Rotenberg ainsi que Guelor Kanga parti à Zvezda.

fk rostov, azmoun
© Epsilon/Getty Images

Assez peu de pertes finalement, mais un effectif minuscule pour se battre sur tous les fronts : dix-huit joueurs sont sur la liste européenne. Ce qui détonne le plus, c’est l’absence temporaire de l’entraîneur en chef sur cette liste, où figuraient pourtant tous ses adjoints ! Il aurait donc pu ne pas être présent lors de ce match et les rumeurs de départ sont revenues au galop. Voudrait-il partir à cause des problèmes financiers du club qui ne sont pas réglés et qui l’empêchent de recruter ? Il vient tout juste d’obtenir la signature d’Azmoun qu’il espérait pourtant… Ou aurait-il des informations quant à sa future nomination comme sélectionneur de la Sbornaya ? Il est en effet sur la short-list de quatre noms aux côtés de Semak et Cherchesov, mais c’est pourtant ce dernier que la rumeur envoie avec insistance présider aux (délicates) destinées de l’équipe nationale en vue de la Coupe du Monde 2018 à domicile. Berdyev, lui, assurait en conférence de presse qu’il ne s’agissait que d’un point mal imprimé sur son contrat qui a du être corrigé avant de pouvoir l’inclure dans l’équipe pour la C1 et s’est montré rassurant devant la presse.


A lire aussi : A Rostov, le football est roi (08/03/2017)


Toujours est-il que ce n’est pas la meilleure des façons de préparer le premier match de l’histoire du club en Ligue des Champions. Espérons en tout cas que l’équipe se souvienne des préceptes du vieux sage pour son entrée en lice face aux vice-champions de Belgique. En attendant, le 3-5-2 devrait bien être fidèle au poste contre Anderlecht ce mardi mais le FK Rostov se présentera légèrement handicapé avec certains cadres blessés et un effectif extrêmement juste en quantité.

Adrien Laëthier


Image à la une : © Epsilon/Getty Images

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