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Au sortir d’une semaine tourmentée et marquée par les scandales et les accusations de corruption, la FIFA est-elle encore en mesure d’offrir une quelconque expérience positive ? Laurence Cooley et Jasmin Mujanović répondent par l’affirmative en se basant sur l’exemple de la Bosnie-Herzégovine.

La semaine passée, sans doute la plus sombre de l’histoire de l’instance dirigeante du football mondial, beaucoup d’encre a coulé sur la « culture de la corruption » en vigueur dans les halls dorés de la FIFA. Malgré la réélection de Sepp Blatter à la présidence de la FIFA pour un cinquième mandat consécutif [texte écrit avant sa démission, NDLR], des changements dramatiques semblent imminents et inévitables dans une institution que le comédien John Oliver décrivit une fois comme une « grotesque organisation comique. » Dans le « grand nettoyage » à venir, il faudra cependant prendre des précautions afin de ne pas perdre de vue l’une des réussites incontestables de la FIFA (et de l’UEFA) : la transformation quasi-révolutionnaire des institutions de la gouvernance du football en Bosnie-Herzégovine.

Entre 2002, date à laquelle les différentes fédérations de football représentant les différentes ethnies de la Bosnie d’après-guerre ont fusionné en une seule fédération, et 2011, le football bosnien a été régi par un arrangement du pouvoir qui ressemblait beaucoup aux complexes institutions politiques du pays. En vertu de cette entente, la fédération de football (Nogometni / Fudbalski Savez Bosne i Hercegovine; N / FSBiH)   était dirigée par une présidence tripartite : un président pour chacun des trois peuples constitutifs de la nation (Bosniens, Serbes et Croates) comme défini dans la constitution instituée par les Accords de Dayton en 1995. Ce qui devait être à l’origine un arrangement provisoire durera neuf ans. Période durant laquelle, comme le fait remarquer l’auteur bosnien Aleksandar Hemon, « les trois présidents pouvaient à peine supporter d’être dans la même pièce, et ce, même si la situation permettait généreusement la corruption, les pots-de-vin et la stupidité la plus baroque. »

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Cette corruption se manifeste à travers plusieurs affaires hautement médiatiques. En novembre 2009, l’ancien secrétaire général de la N / FSBiH, Munib Usanovic, et le secrétaire au marketing, Miodrag Kures, sont emprisonnés cinq ans chacun pour fraude fiscale et abus de pouvoir entre 2001 et 2006. Nouveau scandale en février 2010 lorsqu’un arbitre bosnien est identifié comme participant à ce qui est probablement le plus grand scandale de matches truqués de l’histoire européenne. L’arbitre en question avait accepté un paiement de 40 000€ provenant de la tête d’un réseau de matches truqués afin d’assurer que deux buts soient marqués lors de la seconde mi-temps d’un match de qualification pour la Coupe du Monde entre le Liechtenstein et la Finlande. Ce qu’il a permis en accordant notamment un penalty plus que douteux à la Finlande. En août 2011, trois autres arbitres bosniens sont reconnus coupables de matchs truqués. La corruption semble alors endémique dans le football bosnien et sa fédération.

A cette époque, les fans de l’équipe nationale sont déjà en guerre contre la corruption depuis un certain temps. Le groupe BH Fanaticos, fondé en 2000 afin de suivre l’équipe nationale dans ses déplacements, se positionne très clairement au niveau politique avec des messages comme « Rat savezu ! » ou « [Nous déclarons] la guerre à la FA ! » En mars 2007, ils attirent tout particulièrement l’attention sur leur combat contre la corruption à la N / FSBiH en lançant des fumigènes sur le terrain d’Oslo, retardant ainsi le coup d’envoi du match contre la Norvège d’une heure. En 2011, et « malgré l’inébranlable engagement [de la FIFA] pour la corruption, les pots-de-vin et la stupidité », selon Hemon encore, l’organisme international du ballon rond se décide à intervenir dans la lutte contre la corruption dans le football bosnien. Dès lors que la pression des fans fut secondée par celle de la FIFA, des résultats presque immédiats apparurent.

La FIFA, secondée par l’UEFA, fait ses premières demandes sérieuses pour la réforme de la N / FSBiH (et notamment le remplacement de la présidence tripartite par un président unique) en octobre 2010. Alors que ces réformes ne sont toujours pas appliquées en avril 2011, date limite imposée par la FIFA et l’UEFA, ces dernières suspendent l’équipe nationale et tous les clubs alors engagés dans des compétitions internationales avant de nommer un « comité de normalisation » sur la fédération. Ce comité, présidé par le très populaire ex-joueur Ivica Osim, est en charge de réformer la fédération. Il achève sa mission en moins de deux mois et la suspension est levée. Le comité de normalisation reste en place jusqu’à décembre 2012 et l’élection d’Elvedin Begić comme premier président unique de la fédération nationale. L’année suivante, l’équipe nationale de Bosnie-Herzégovine se qualifie pour sa première phase finale de Coupe du Monde.

 

Ivica Osim, le président du comité de pilotage
Ivica Osim, le président du comité de normalisation

Outre cette série de réformes, le cas bosnien fournit également une réponse sur une partie des problèmes rencontrés avec les aides financières apportées par la FIFA pour les projets d’infrastructures pour le développement du football dans les pays les moins riches. Dans le scandale de corruption qui ébranle actuellement la FIFA, les médias comme l’opinion publique se sont surtout focalisés sur la manière dont Sepp Blatter s’est bâti une « base de pouvoir » au sein des états en développement en achetant le soutien des fédérations africaines ou asiatiques par le financement de nouvelles infrastructures dédiées au football grâce au programme Goal lancé en 1999. En Bosnie, les fonds du projet Goal ont contribué à la construction d’un nouveau centre technique régional, ouvert en octobre 2013 à Zenica. Le besoin d’amélioration des infrastructures est évident en Bosnie, surtout en ce qui concerne la formation. L’équipe nationale bosnienne dont on a tant chanté les louanges lorsqu’elle s’est qualifiée pour la Coupe du Monde 2014 était, selon les mots du journaliste footballistique Jonathan Wilson, « une équipe de la diaspora ». Mais pour succéder à cette génération de joueurs déplacés durant leur jeunesse par la guerre, la Bosnie ne pourra pas se reposer uniquement sur des joueurs nés à l’étranger de parents bosniens et désireux de jouer pour leur pays d’origine. A l’avenir, le pays devra être capable de former (et retenir) des joueurs de classe mondiale pour rester compétitif. La construction du centre d’entraînement de Zenica était également une récompense importante attribuée par la FIFA et l’UEFA à la Bosnie pour ses progrès dans la réforme de sa fédération nationale et la lutte contre la corruption.

Les initiatives telles que le programme Goal sont un important contrepoint au caractère plus que néo-libéral de la FIFA, mais sont également évocatrices du « caractère social-démocrate » de l’UEFA, en démontrant son engagement pour l’égalitarisme, la redistribution et la solidarité internationale. Comme l’a expliqué David Goldblatt, « la FIFA, par toutes ses fautes, a cherché à transférer une partie des richesses du football au monde riche » et il est important que la redistribution ne devienne pas victime de la transformation de la nouvelle équipe dirigeante certainement amenée à bientôt prendre le pouvoir. En fait, comme l’a suggéré un ancien président de la fédération zambienne de football, les programmes tels que Goal ne devraient pas être abolis mais plutôt retirés des mains d’individualités au pouvoir et mieux institutionnalisés. L’étroite association entre Blatter et ces programmes de financement offre des opportunités significatives de soutien, et les associations nationales bénéficiant de Goal ont peur de perdre cet apport d’argent s’il devait être remplacé. La solution, comme Goldblatt et d’autres l’affirment, n’est pas la réaffirmation de la domination européenne sur la gouvernance du football mondial ni un retrait des aides pour l’internationalisation, mais plutôt une réelle démocratisation du jeu.

Partout où le changement constructif est souvent trop long à se matérialiser, et notamment en Bosnie-Herzégovine, la vision démocratique de la FIFA était justement ce qui a aidé à transformer de manière fondamentale l’économie politique du sport pour le meilleur. Il reste néanmoins plusieurs défis à relever en Bosnie, où le nationalisme, la violence et l’homophobie continuent à entacher le football local. Jusqu’ici, l’implication de la FIFA en Bosnie a été un véritable modèle pour le développement du jeu et s’est révélée assurément positive, tout comme les pratiques de bonne gouvernance l’ont sans doute été plus généralement dans les états en développement et en transition partout dans le monde. La FIFA qui émerge de l’actuel scandale de corruption doit suivre ce modèle en soutenant les efforts des fans pour réformer la gouvernance du football et en apportant un soutien transparent pour le développement du jeu en dehors des puissances traditionnelles d’Europe de l’Ouest.

 

Laurence Cooley enseigne au Département du Développement International de l’Université de Birmingham. Il est titulaire d’un Master à la Queen’s University de Belfast et d’un doctorat à Birmingham, où sa thèse étudiait l’approche de l’Union européenne pour la résolution du conflit dans l’Ouest des Balkans. Ancien volontaire au Centre pour la Paix, la Non-Violence et les Droits de l’Homme d’Osijek, ses recherches actuelles sont axées sur la promotion du partage du pouvoir et la gouvernance du sport dans les sociétés divisées. Retrouvez-le sur Twitter à @laurence_cooley.

Jasmin Mujanović est postulant au doctorat en Sciences politiques à l’Université d’York et intervenant à l’Institut Harriman de l’Université Columbia. Attaché à l’EmergingDemocracies Institute et fréquent analyste de la question des Balkans, son travail est apparu dans le New York Times, Al Jazeera, openDemocracy et Balkan Insight entre autres organes de presse. Son compte Twitter est @JasminMuj.

Texte paru sur Balkanist.net. Traduit par Pierre-Julien Pera et Mourad Aerts.

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