Ce dimanche aura lieu au Stade de France le quart de finale de l’Euro 2016 FranceIslande. Ces deux équipes s’étaient déjà affrontées plusieurs fois par le passé. Parmi ces rencontres, il y a eu la double rencontre qualificative pour l’Euro 2000 lorsque la France, l’Islande, l’Ukraine, la Russie, l’Arménie et Andorre étaient tous dans le même groupe.

Lors de cette campagne 1998-2000, la France faisait office de grande favorite du groupe en tant que championne du monde. La Russie (qui avait raté le train de la Coupe du Monde 1998, battue en barrages par l’Italie) apparaissait comme l’autre favorite du groupe tandis que l’Ukraine (qui avait été devancée par l’Allemagne et éliminée le Portugal aux éliminatoires de la Coupe du Monde 1998 avant d’être battue en barrages par la Croatie, future troisième) se plaçait en position de premier outsider. Pas grand monde ne s’attendait à ce que l’Islande joue un rôle et pourtant, celle-ci est restée en course jusqu’à la dernière journée où la France accueillait l’Islande tandis que la Russie recevait l’Ukraine.

À l’Euro 2016, la Russie a perdu dans les grandes largeurs. Malheureusement pour les supporters russes, c’est encore d’une défaite que l’on va parler au cours de cet article (match nul dans les faits, défaite dans la pensée collective). La France n’a pas oublié le douloureux souvenir de ce France – Bulgarie de 1993. La Russie n’a pas oublié non plus le douloureux souvenir de ce Russie – Ukraine de 1999 qui est resté dans la mémoire russe et ukrainienne comme l’un des matchs de légende de l’histoire avec un scénario incroyable, cauchemardesque pour la Russie, (vainement) miraculeux pour l’Ukraine. C’est l’occasion de revenir sur cette rencontre légendaire mais méconnue à l’étranger.

Le contexte : groupe 4 des éliminatoires de l’Euro 2000, la France peine, l’Ukraine surprend, la Russie rebondit, l’Islande joue les trouble-fêtes

On remonte le temps à 1998. Cette année-là, la France est sacrée à domicile championne du monde. Elle ambitionne de réaliser le doublé en remportant l’Euro 2000 deux ans plus tard. Première étape vers cette consécration : la qualification !

Le tirage au sort avait versé la France dans le groupe 4 en compagnie de la Russie, de l’Ukraine, de l’Islande, de l’Arménie et d’Andorre. Pour une équipe championne du monde, la qualification ne devrait pas être un problème. Et pourtant…

© Chris Lobina /Allsport
© Chris Lobina /Allsport

À cette époque, la Russie disposait d’une génération pleine de promesses. La Sbornaïa était aux commandes des talentueux Beschastnykh (Racing de Santander), Karpin (Celta de Vigo), Titov (Spartak Moscou), Onopko (Real Oviedo), Alenichev (AS Rome), Panov (Zenit Saint-Pétersbourg), Mostovoï (Celta de Vigo) et Semak (CSKA Moscou). La génération de l’Ukraine affichait elle aussi de belles promesses et comptait dans ses rangs Shevchenko (Dynamo Kiev, Milan AC), Rebrov (Dynamo Kiev, Tottenham Hotspur), Shovkovski (Dynamo Kiev), Luzhny (Dynamo Kiev, Arsenal), Maksimov (Werder de Brême) et Skachenko (Torpedo Moscou, Metz). L’Islande abordait les éliminatoires dans l’anonymat, mais bénéficiait des services de plusieurs joueurs de bon niveau tels que Eyjolfur Sverrisson (Besiktas, Hertha Berlin), Brynjar Gunnarsson (Stoke City), Helgi Sigurdsson (Panathinaikos), Larus Sigurdsson (Stoke City, West Bromwich Albion) ou Eidur Gudjohnsen (Bolton Wanderers, futur joueur de Chelsea, Barcelone, Monaco et Tottenham et sélectionné pour cet Euro 2016). Voici le déroulement des 9 premières journées de la phase qualificative :

Jour 1 : Les éliminatoires débutaient le 5 septembre 1998. La Franche, championne du monde en titre butait sur l’Islande à Reykjavik (1-1, buts de Rikhardur Dadason et Dugarry) pendant que l’Ukraine, dans une ambiance extraordinaire au Stade olympique de Kiev (plus de 80 000 personnes dans le stade !), battait la Russie par des buts de Popov, Skachenko et Rebrov tandis que la Russie, réduite à dix par l’expulsion de son gardien Dmitri Kharine, réduisait l’écart par Varlamov et Onopko (3-2). Le président de Shakhtar Donetsk Rinat Akhmetov récompense aussitôt les Ukrainiens pour le résultat obtenu.

Ukraine 3-2 Russie (1998)

Jour 2 : L’Ukraine confirme en Andorre (2-0, buts de Kosovski et Rebrov), l’Islande bute en Arménie (0-0). La Russie perd à domicile contre les champions du monde (2-3, buts de Yanovski et Mostovoï pour la Russie, Anelka, Pirès et Boghossian pour la France).

Jour 3 : La France bat Andorre par des buts de Candela et Djorkaeff (2-0). L’Ukraine poursuit son sans-faute contre l’Arménie (2-0, buts de Skachenko et Husyn). Coup de tonnerre dans le troisième match car la Russie perd en Islande sur un but gag et contre son camp de Kovtun en toute fin de match (0-1).

Lorsque l’année 1998 se termine, le classement est donc le suivant :

France-Islande1

L’Ukraine est surprenante première du groupe en ayant assuré le sans-faute alors que la Russie est d’ores et déjà en situation désespérée avec un zéro pointé au compteur. La Sbornaïa reste sur six défaites consécutives depuis qu’elle est dirigée par Anatoli Byshovets lequel est sévèrement critiqué par la presse russe pour l’instabilité du onze aligné. Il est renvoyé sur-le-champ par la fédération russe. Byshovets reste à l’heure actuelle comme le seul entraîneur de l’histoire de la Russie à totaliser un bilan de 100 % de défaites. La fédération décide de refaire appel à l’ex-sélectionneur Oleg Romantsev (qui avait dirigé la Russie de 1994 à 1996 et avait assuré le quasi-sans-faute lors des qualifications avant de tomber dans le groupe de la mort lors de l’Euro 1996) pour sortir la Russie de cette situation. Ce changement marquera un tournant important dans le déroulement des événements.

Jour 4 : L’Islande bat Andorre à Aixovall sur des réalisations d’Eyjolfur Sverrisson et de Steinar Dagur Adolfsson (2-0). La Russie obtient ses premiers points en battant largement l’Arménie à Erevan grâce à un doublé de Karpin et un troisième but de Beschastnykh (3-0). Le choc de la journée voit l’Ukraine conserver sa première place et tenir en échec le champion du monde au Stade de France pour ce qui est la première rencontre d’une longue série de France – Ukraine (0-0).

Jour 5 : La Russie poursuit sa remontée en explosant Andorre (6-1, buts de Titov, Beschastnykh (x2), Onopko, Tsymbalar et Alenichev). La France bat l’Arménie sur des buts de Wiltord et Dugarry (2-0) et prend la première place au nombre de buts marqués à l’Ukraine, tenue en échec à domicile par l’Islande (1-1, buts de Vaschuk et Larus Sigurdsson).

© PHILIPPE DESMAZES/AFP/Getty Images
© PHILIPPE DESMAZES/AFP/Getty Images

Jour 6 : Énorme tournant de la campagne. Alors que l’Islande et l’Ukraine ne font qu’une bouchée de l’Arménie (2-0, buts de Rikhardur Dadason et Runar Kristinsson) et d’Andorre (4-0, buts de Popov, de Rebrov, de Dmytrulin et d’Husyn), la Russie accomplit d’exploit de faire tomber hors de ses bases le champion du monde privé de Zidane après un match exceptionnel, particulièrement de la surprise Aleksandr Panov, pour ce qui est le premier revers de la France dans son Stade de France depuis son sacre mondial en 1998 (2-3, buts de Petit et Wiltord pour la France, doublé de Panov et but de Karpin pour la Russie). Les supporters russes se souviennent toujours de cette rencontre comme étant l’un des plus gros exploits de l’équipe russe. L’Ukraine bénéficie de la victoire de sa voisine russe et reprend la tête du groupe.

France 2-3 Russie (1999)

La Russie et la France, l’historique

Jour 7 : L’écart dans le duo de tête se réduit alors que la Russie poursuit sa remontada spectaculaire. L’Ukraine est tenue en échec en Arménie (0-0) et la France manque de peu de l’être en Andorre grâce à un but de Leboeuf à seulement quatre minutes de la fin du temps réglementaire (1-0). La Russie prend sa revanche sur l’Islande à qui elle inflige sa première défaite dans la campagne d’un but signé Karpin (1-0).

Jour 8 : La Russie, vainqueur de l’Arménie sans forcer (2-0, buts de Beschastnykh et Karpin), et l’Islande, facile vainqueur d’Andorre (3-0, buts de Thordur Gudjonsson, d’Hermann Hreidarsson et d’Eidur Gudjohnsen), rejoignent la France au nombre de points après la résistance de l’Ukraine, toujours première, à Kiev face à cette-dernière (0-0). La situation est indécise comme jamais avec les quatre équipes de tête qui se tiennent en un seul point !

Jour 9 : Grâce à un penalty de Rebrov, l’Ukraine défait l’Islande qui perd donc tout espoir de terminer première du groupe mais qui peut encore croire à une qualification en barrages en cas de résultat favorable dans les autres matchs. Bénéficiant de la défaite islandaise, la Russie prend la deuxième place grâce à sa victoire difficile en Andorre sur un doublé d’Onopko (2-1). La France talonne le duo est-européen en venant difficilement à bout de l’Arménie à Erevan (3-2, buts de Djorkaeff, de Zidane et de Laslandes).

On aborde ainsi la dernière journée qualificative avec trois rencontres le 9 octobre 1999 :

  • Andorre – Arménie
  • France – Islande
  • Russie – Ukraine

France-Islande2

Si le Andorre – Arménie est sans enjeu, les deux autres rencontres sont d’une importance capitale et concentrent l’attention du public. Le classement est le suivant :

Le tableau traduit instantanément le suspense de la dernière journée. On explore les différentes possibilités de scénario à l’issue de la dernière journée dans le tableau ci-dessous :France-Islande3
(Attention : Gardez à l’esprit que, dans une compétition de l’UEFA, la première règle de départage concerne les confrontations entre les équipes à égalité et que la différence de buts générale n’intervient qu’après ce qui signifie que l’Islande peut finir deuxième en battant la France et en cas de victoire de l’Ukraine sans se soucier de la différence de buts !)

L’avant-match : le passé des relations Russie – Ukraine suscitant un engouement exceptionnel

Comme on peut s’en douter et particulièrement quand on connaît les relations russo-ukrainiennes, l’affiche entre les deux pays voisins provoque un très fort intérêt du public russe. Les relations entre la Russie et l’Ukraine sont complexes. L’histoire entre les peuples russe et ukrainien date de plusieurs centaines d’années, ce passé ayant eu des répercussions inévitables sur le football. Sous l’Union soviétique, l’aspect historique a grandement contribué à générer d’importantes rivalités lors des rencontres entre clubs des deux Républiques socialistes pendant le championnat d’URSS.

À la chute de l’Union soviétique en 1991, la FIFA et l’UEFA ont reconnu la Russie comme héritière des performances passées de l’URSS. Bien que les joueurs ayant fait partie de cette sélection soviétique aient été russes pour la plupart, nombreuses ont été les équipes d’URSS à avoir un fort accent ukrainien, notamment dans les années 80 et particulièrement l’équipe de Valeri Lobanovski qui a été en finale de l’Euro 88 (sept titulaires étaient ukrainiens). L’Ukraine y a ainsi ressenti de l’injustice mais ce n’était pas tout. En effet, la FIFA a autorisé chaque joueur à choisir pour quelle nation il avait envie de jouer et beaucoup d’Ukrainiens ont choisi de représenter la Russie, la Sbornaïa offrant, selon leurs dires, plus de garanties de participer aux grandes compétitions internationales que la Zbirna. De cette façon, les Onopko, Tsymbalar, Nikiforov, Kanchelskis et Yuran, tous Ukrainiens, ont choisi de jouer pour la Russie ce qui a laissé l’Ukraine avec très peu de joueurs expérimentés.


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On attendait de la Russie qu’elle profite de cette situation, mais elle a été très loin de remplir les attentes. La Russie s’est certes qualifiée pour la Coupe du Monde 1994 mais seulement en ayant été devancée par la Grèce après une ultime défaite contre les Hellènes. L’incapacité d’organisation des dirigeants a provoqué un conflit avec les joueurs dont certains ont refusé de prendre part à la compétition et la Russie a quitté la compétition dès le premier tour malgré une victoire impressionnante contre le Cameroun. Après deux éliminations précoces dans le groupe de la mort à l’Euro 1996 et dans le barrage contre l’Italie pour la Coupe du Monde 1998, l’Euro 2000 est la compétition de la dernière chance pour cette génération talentueuse.

De son côté, l’Ukraine a vu la génération d’Andriy Shevchenko et de Sergei Rebrov doucement émerger. La Zbirna s’est offerte le luxe de battre la Croatie aux éliminatoires de l’Euro 1996 (ce que l’Italie n’a pas réussi) avant de faire mieux que jouer les trouble-fêtes pour les qualifications au Mondial 1998 face à l’Allemagne et au Portugal, parvenant à devancer celui-ci et ne terminant qu’avec deux points de retard sur la Mannschaft. Malheureusement, un barrage perdu contre la Croatie, future troisième, la prive de voyage en France mais la prestation délivrée annonce un avenir radieux.

Le sort a décidé que les rivaux seraient dans le même groupe aux éliminatoires de l’Euro 2000 et que le match décisif se jouerait à la dernière journée.

L’aspect historique entre les deux équipes, politiquement comme footballistiquement parlant, amplifie l’excitation des Russes pour le match. Aucune rencontre entre la Russie et l’Ukraine n’avait jamais eu lieu par le passé en dehors du match aller (remporté par l’Ukraine dans l’ambiance mémorable du Stade olympique de Kiev).

La médiatisation massive de la rencontre fait remonter l’affiche aux oreilles de nombreuses personnes ne possédant pas de forte relation avec le football, parmi lesquels des retraités et des adolescents. Les politiciens russes ne manquent pas de répondre présents. Ainsi, de nombreuses personnalités de haut rang sont présentes dans les tribunes parmi lesquelles Vladimir Poutine, Premier ministre à l’époque, Iouri Loujkov, maire de Moscou, Guennady Selezniov, président de la Douma, ou encore le tristement connu Vladimir Jirinovski, président du parti libéral-démocrate de Russie (nom exprimant très mal le corpus politique sur lequel il est fondé). Les politiciens ont encouragé les Russes à venir nombreux pour supporter l’équipe nationale et promis aux joueurs des récompenses supplémentaires en cas de qualification.

Près de 80 000 personnes sont présentes dans les tribunes au final lors de ce RussieUkraine, un chiffre extrêmement rare, compte tenu de la popularité du football en Russie, à côté duquel le nombre de spectateurs lors de la réception du champion du monde français dépassait à peine le quart. Même les finales des grandes compétitions atteignent rarement des pics aussi élevés (1998 est l’une des seules finales à avoir atteint les 80 000 spectateurs) ! À titre de comparaison, moins de 50 000 personnes à la finale de l’Euro 2000, moins de 70 000 aux finales des Mondiaux 2002 et 2006. Seul le Mondial 2010 a fait mieux sur les Coupes du monde et Euros récents. C’est un symbole parfait de l’excitation que l’affiche a engendrée.

Le déroulement : la Russie vers la qualification directe, la France vers les barrages

Dans cette rencontre décisive, le sélectionneur russe Oleg Romantsev décide d’aligner un 4-5-1 avec Panov en pointe, Karpin, Khokhlov, Titov, Alenichev et Tikhonov au milieu, Drozdov, Onopko, Smertin et Khlestov en défense et Filimonov en gardien. Le sélectionneur ukrainien Yozhef Sabo aligne un 4-3-3. Shovkovski garde les cages ukrainiennes, le capitaine Luzhny est aligné en défense en compagnie de Mizin, Holovko et Vashchuk, le milieu est composé de Dmytrulin, Maksimov et Husin, et l’attaque dispose de Shevchenko, Rebrov et Skachenko.

Le coup d’envoi est donné le 9 octobre 1999, tandis qu’au même moment à Saint-Denis, le coup d’envoi de France – Islande est donné. L’Ukraine est la première équipe à se mettre en valeur et elle se procure la première occasion du match sur une percée de Luzhny sur la droite qui ne trouve pas Skachenko. Une fois passée la vague ukrainienne, le trio Rebrov – Shevchenko – Skachenko peine à trouver le ballon et c’est la Russie qui commence à presser la défense ukrainienne.

La pression monte sur les deux rivaux car la France ouvre le score face à l’Islande à la 18ème minute sur un contre son camp de Rikhardur Dadason. Si les scores n’évoluent pas, la France est directement qualifiée, l’Ukraine est qualifiée pour les barrages et la Russie est éliminée.

Pour assurer sa défense, la Russie se met en position de marquage individuel avec Khlestov marquant Rebrov, Drozdov marquant Shevchenko, Onopko et Smertin se mettant à deux sur Skachenko. Le ballon circule au milieu entre Karpin, Khokhlov, Titov, Alenichev et Tikhonov. Panov peine à être servi dans le camp ukrainien car la défense de la Zbirna, compacte, empêche le milieu de la Sbornaïa de faire la passe à sa pointe. En conséquence, ce sont directement les milieux qui ont du s’essayer au tir, particulièrement Khokhlov qui a trouvé le cadre à plusieurs reprises mais qui également trouvé le talent du jeune Shovkovski, irréprochable.

Au Stade de France, Djorkaeff double la mise à la 38ème minute contre l’Islande ce qui semble diriger le champion du monde vers une victoire aisée et l’assurance d’obtenir l’une des deux premières places du groupe.

Yozhef Sabo, devant l’impuissance de l’attaque ukrainienne et le travail auquel Shovkovski est confronté, procède à un changement tactique en faisant sortir Skachenko et en faisant rentrer le défenseur Mikitin, renforçant la défense, l’équipe de l’équipe et plus précisément la zone de Dmytrulin. Le score ne bougera pas jusqu’à la mi-temps et restera à 0-0. La France menant contre l’Islande, le champion du monde est directement qualifié et l’Ukraine en barrages à la m-temps.

Au retour des vestiaires, c’est en France que le score va évoluer en premier avec la réduction du score du capitaine Eyjolfur Sverrisson. Cette nouvelle ne change rien en soit mais relance le suspense pour l’Islande. Il faut attendre la 56ème minute pour que le séisme ait lieu. Brynjar Gunnarsson égalise ce qui renvoie la France la troisième place du groupe au profit de l’Ukraine et de la Russie.

Alexander Panov | © GABRIEL BOUYS/AFP/Getty Images
Alexander Panov | © GABRIEL BOUYS/AFP/Getty Images

À Moscou, les deux équipes jouent un football prudent. Filimonov est mis à contribution par un tir de Shevchenko après un centre de Rebrov. Dans le camp ukrainien, Panov ayant du mal à se démarquer, son rôle se limite à créer des espaces pour que le milieu puisse tirer. Onopko et Alenichev tirent sans succès. Au fil des minutes, la Russie pousse de plus en plus et commence à montrer un vrai visage offensif tout en créant des espaces dans sa moitié de terrain. Dans l’objectif d’apporter plus de danger, Romantsev invoque Beschastnykh à la place de Tikhonov.

À Saint-Denis, la France reprend l’avantage à la 71ème par l’intermédiaire de Trezeguet, envoyant de nouveau la France directement à l’Euro 2000 et mettant l’Islande hors course.

75ème minute au Loujniki, la Russie va bénéficier d’un coup-franc situé à 19 mètres du but et à l’entrée de la surface de réparation. C’est Karpin qui va se charger du tir. D’un tir puissant et parfait qui transperce le mur ukrainien, la légende russe débloque la situation et ouvre le score en faveur de la Russie, libérant les 80 000 spectateurs russes du stade (qui avaient eu suffisamment de chance d’obtenir des tickets) à l’image de Vladimir Poutine qui saute littéralement dans sa tribune ! Le classement est bouleversé une nouvelle fois. Désormais, la Russie est directement qualifiée, la France est barragiste et l’Ukraine est éliminée.

L’Ukraine doit changer sa stratégie. Les attaquants Kovaliov et Moroz entrent à la place de Dmytrulin et Maksimov. La Russie change également de jeu. Désormais, elle va se concentrer à bien défendre et à conserver le ballon autant que possible. Aleksandr Panov quitte le terrain et est remplacé par Semak.  La stratégie russe est en voie de fonctionner et l’attaque ukrainienne a de grosses difficultés à s’approcher du but. Le classement final qui se dessine est le suivant :France-Islande4

L’incroyable coup de théâtre : la faute de main de Filimonov, l’Ukraine offre à la France un ticket pour l’Euro 2000

88ème minute. Smertin fait faute sur Mizin loin de la surface de réparation sur le bord de la limite du terrain. Shevchenko se charge du coup-franc. Il envoie le ballon au centre, mais il se dirige droit vers le gardien du but Filimonov. Normalement, il ne devrait pas y avoir de problème pour la Russie : Filimonov devrait s’emparer du ballon aisément. Eh bien non ! Surpris par l’effort, le portier russe commet l’erreur fatale, en toute fin de match, de relâcher le ballon dans ses propres buts ! 1 partout ! « Boje moï !! » s’écrit le commentateur russe ! Les Russes ne pouvaient pas en croire leurs yeux. Après les trois défaites d’entrée de l’ère Byshovets, ils avaient réalisé des efforts incroyables pour se hisser jusqu’en tête du groupe et tous ces efforts étaient réduits à néant par une faute de main des derniers instants ! Un véritable choc, aussi bien pour les Russes que pour les Ukrainiens et aussi bien pour les joueurs que pour les spectateurs ! Avec le résultat de l’autre rencontre, la France est à l’Euro 2000, l’Ukraine est en barrages et la Russie chute en troisième place et est éliminée avec l’Islande !

© Allsport UK /Allsport
© Allsport UK /Allsport

Que s’est-il passé chez Filimonov ? Lorsque Shevchenko a tiré son coup-franc, le gardien s’était avancé sur la trajectoire apparente du ballon. Cependant, celui-ci avait une trajectoire curviligne qui déviait vers le but et Filimonov a mis du temps à s’en rendre compte ! Il recule alors pour se saisir du ballon, mais sa position défavorable le fait glisser des mains ce qui entraîne l’égalisation ukrainienne. Aleksandr Panov a également mis sur le devant l’excuse des projecteurs, disant que Filimonov a été gêné par la lumière et a mis du temps à voir le ballon.

Pour les dernières minutes restantes, la Russie a quatre minutes pour aller chercher le but qui l’enverrait à l’Euro. Elle fait le siège de la surface ukrainienne et Alenichev n’est pas loin de redonner l’avantage à la Russie après une passe de Khokhlov mais le ballon passe au-dessus de la barre. Shevchenko obtient un nouveau coup-franc et Filimonov réalise une superbe parade pour ce qui était son plus gros effort à réaliser pendant le match. L’arbitre siffle la fin de cette rencontre sous les yeux de dizaines de milliers de spectateurs russes dépités, incompris et marqués à vie ! L’une des plus grandes légendes de l’histoire du football russe et ukrainien venait de se dérouler !France-Islande5

Russie 1-1 Ukraine (1999) | France 3-2 Islande (1999)

Les suites : le désespoir russe, les barrages ukrainiens, la France vers la victoire finale, la fierté islandaise

La réaction des Russes traduit instantanément le ressenti des locaux. « C’est une tragédie ! Je ne veux tout simplement pas discuter de ce match. Nous aurions dû gagner. » a déclaré Karpin en larmes. « Quand Shevchenko a marqué, j’étais tout près d’avoir une attaque cardiaque. » a confié Vyacheslav Koloskov, président de la fédération russe de football. « S’il vous plaît, ne me posez pas trop de question parce que je suis débordé de sentiments horribles. Le sort a été contre nous. Comment un gardien de but peut ne pas rattraper un ballon comme celui-là ? Maintenant, j’ai l’envie de quitter le football à tout jamais, mais je sais que ceci n’est que temporaire et que je vais continuer de travailler avec l’équipe. » s’est expliqué Romantsev. Selon des rapports ultérieurs, Filimonov, coupable de l’erreur fatale, a fondu en larmes dans les vestiaires et ses coéquipiers, au lieu de le blâmer, ont fait de leur mieux pour le réconforter.

Du côté ukrainien, Sabo s’est montré très émotionnel lors de la conférence de presse et a surpris tous les observateurs en déclarant : « Je suis triste et désolé que la Russie soit éliminée » et en évoquant les sentiments d’un de ses amis russes avant d’ajouter « C’est malheureux de ne pas avoir terminé premier après avoir été en tête du groupe pendant si longtemps, mais c’était un groupe très relevé. »

Au cours de la rencontre, un petit incident s’est déroulé, un incident qui n’a été dévoilé que plusieurs années après la rencontre. Le président Boris Eltsine, qui regardait la rencontre à la télévision, a demandé à son porte-parole de contacter le directeur de la première chaîne de télévision russe : Konstantin Ernst. Le président russe voulait que le commentateur Viktor Gusev félicite l’équipe pour sa victoire et sa qualification à l’Euro. Ernst aurait répondu que le match n’est pas encore terminé ce à quoi le porte-parole aurait répliqué que c’était sans importance. Ernst aurait conclu en répondant qu’il verrait ce qu’il peut faire.

© PATRICK KOVARIK/AFP/Getty Images
© PATRICK KOVARIK/AFP/Getty Images

La presse ukrainienne a dans l’ensemble célébré l’événement. Certains journaux ont évoqué le passé russo-ukrainien comme le journal Den qui a écrit : « Justice a été faite quand l’Ukraine a empêché la Russie de se qualifier pour l’Euro 2000. On a attendu ça depuis huit ans, pendant que les Russes jouissaient de l’héritage de l’Union soviétique dont nous avions construit les résultats ensemble. On doit se souvenir du goût amer qu’a été, après avoir voté l’indépendance en décembre 1991, le fait de regarder la Russie participer au tirage au sort de la Coupe du Monde à nos dépends. Pourquoi est-ce que les choses se sont passées ainsi ? Pourquoi est-ce que des joueurs ukrainiens ont représenté la CEI, une équipe sans drapeau ou sans hymne, à l’Euro 1992 [après la chute de l’Union soviétique, c’est l’équipe de la CEI qui a participé à l’Euro 1992 auquel l’URSS s’était qualifiée] et sont alors devenus Russes et partis jouer pour la Russie ? Nos politiciens ont été trop prudents et nous en avons payé le prix. Maintenant, nous avons triomphé sur un terrain de football et pas dans les bureaux de la FIFA. »

La presse russe s’est divisée en deux catégories : les émus et les sans-merci. Parmi les sans-merci, l’aspect politique ressort à nouveau comme le montre la publication de Moskovski Komsomolets « C’était notre second cadeau à l’Ukraine. Le premier a été la Crimée. » Moskovskïé Vedomosti a traité Filimonov de « tueur de but » et ajouté « la seule consolation serait que l’Ukraine perde son barrage. Mourrons ensemble comme éternels rivaux. »

Malheureusement pour l’Ukraine, le sort donnera à Moskovskïé Vedomosti la consolation que les rédacteurs voulaient. Avant le tirage au sort, les Ukrainiens ont déclaré vouloir éviter l’Angleterre et tirer la Slovénie. Les footballeurs de la Zbirna ont eu leur souhait d’être tirés contre la jeune sélection d’ex-Yougoslavie qui était à l’époque emmenée par leur génération dorée des célèbres Darko Milanic et Zlatko Zahovic. L’Ukraine apparaît comme la claire favorite du barrage.Toutefois, le destin jouera contre elle à cette occasion. Malgré l’ouverture du score fabuleuse d’Andriy Shevchenko au match aller à Ljubljana, les événements se dérouleront de la pire des manières. Ironie du sort car, après l’égalisation slovène, Shovkovski réalisera à son tour une erreur terrible sur un très mauvais dégagement qui donnera la victoire à la Slovénie. Au match retour, disputé sous la neige, l’Ukraine ouvrira le score sur penalty mais concédera l’égalisation à la Slovénie en fin de match ce qui entraînera son élimination cruelle.

Seule la France sera donc parvenue à se qualifier pour l’Euro 2000 qu’elle remportera finalement. Dans ce succès, elle doit quelques remerciements à l’Ukraine ou à Filimonov pour l’égalisation choquante du Loujniki.

L’Islande a joué les trouble-fêtes et a même fait mieux. Elle a cru à la qualification jusqu’à la dernière journée. Cette bonne prestation était le prélude d’un parcours encore meilleur lors des éliminatoires de l’Euro 2004 où la sélection islandaise n’a raté les barrages que d’un seul point !

Les dirigeants du stade décideront de pulvériser les cages que gardait Filimonov en tout petit morceau et d’en envoyer les restes à la déchetterie.

Filimonov quant à lui est passé à deux doigts de voir sa carrière détruite, perdant notamment sa place de titulaire en sélection russe, mais il prouvera son mental fort et surmontera la crise, remportant le championnat national avec le Spartak Moscou avant de quitter le club en 2001 et de signer au Dynamo Kiev. En 2011, il représentera la Russie à la Coupe du Monde de football de plage et aidera son équipe à remporter le titre à l’encontre de tous les pronostics. Il retournera ensuite dans le football et défendra les couleurs de l’Arsenal Tula pendant trois ans, entraîné par son ancien coéquipier Alenichev, tout en étant entraîneur de gardiens au club. En bon portier, Filimonov contribuera à deux promotions successives permettant au club de découvrir la première ligue russe pour la première fois en 2014. L’homme de maintenant 42 ans évolue depuis 2015 en Zone Ouest de la troisième division russe (ou deuxième division dans le langage russe) au FSK Dolgoprudny. Il est à l’heure actuelle le seul joueur russe de cette sélection fatidique de 1999 à encore jouer sur un terrain de football et bien peu de gens l’aurait cru en octobre 1999.

À l’approche du quart de finale de l’Euro 2016 FranceIslande, c’est bien avec une petite pensée pour ce scénario incroyable aux éliminatoires de l’Euro 2000 que la rencontre se déroulera, plus particulièrement en Russie et en Ukraine.

Philipe Ray


Image à la une : © Chris Lobina /Allsport

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