Temps de lecture 9 minutesCroatie Euro 2016 : La Croatie en plein doute

Peu de ferveur et beaucoup de questions. L’ambiance morose pré-Euro en Croatie s’explique par plusieurs facteurs. Outre le taux de sympathie particulièrement bas accordé à la fédération croate, les supporters pointent du doigt les insuffisances du très impopulaire sélectionneur Ante Čačić, dont les précédents en matière de tactique et de sélection de joueurs soulèvent nombre d’interrogations. Avec ses brillantes individualités, la Croatie pourrait être le plus gros flop de l’Euro. Explications.Croatie

On peut retrouver des dizaines d’entraîneurs croates avec des CV similaires. Mais eux n’ont pas le privilège d’entretenir une relation privilégiée avec le grand manitou Zdravko Mamic. Un facteur minime, mais crucial.

A force de lire Footballski, vous savez que depuis un long moment le football croate est pris en otage par des voleurs sans lois ni scrupules. Dans ces circonstances, il est difficile de se concentrer sur une sélection concoctée par un entraîneur expérimenté… qui n’a pourtant pas connu beaucoup de succès. Alors qu’il est dans la sixième décennie de sa vie, sa colonne « trophées » n’est guère remplie. A tel point que l’on peut retrouver des dizaines d’entraîneurs croates avec des CV similaires. Mais eux n’ont pas le privilège d’entretenir une relation privilégiée avec le grand manitou Zdravko Mamic. Un facteur minime, mais crucial. La fédération avait des fonds largement suffisants pour enrôler un entraîneur bien meilleur mais Čačić est proche de l’idéologie dictée par la HNS et il est facile à contrôler, ce qui arrange bien les affaires du boss.

Il est difficile de tirer des conclusions après deux matches officiels à la tête de l’équipe – victoires minimalistes contre la Bulgarie et Malte- et trop peu de matchs amicaux. Par conséquent, son travail effectué précédemment au Dinamo de 2011 à 2012 est le seul à pouvoir servir de point de référence pertinent dans une carrière d’entraîneur de 30 ans, qui n’a pas volé bien haut. Et il est peu de dire que tous les doutes sont permis. Les médias l’ont raillé, un directeur sportif l’a publiquement désavoué, un président a bafoué son autorité dans le vestiaire même, et les joueurs ont agi comme des étudiants en vacances.

La seule constante, le changement

« De toutes les choses de ce monde, la seule constante est le changement« . Le verset du poète Petar Preradovic, écrit il y a 150 ans, reflète parfaitement la ligne directrice de la carrière d’Ante Čačić. Un homme qui avait 58 ans lors de sa signature au Lokomotiv Zagreb en Octobre 2011. Sa notoriété était alors digne de la paisible vie de chômeur qu’il menait depuis plus de quatre ans en raison de ses échecs à la tête des espoirs libyens, de Kamen Ingrad et de l’Inter Zapresic -excusez du peu-. Alors qu’il venait de coacher quatre matchs pour le Lokomotiv (ou le Dinamo B, comme vous voulez), il s’est retrouvé propulsé coach de la maison mère pour succéder à Krunoslav Jurcic. Malgré l’onde de choc que causa cette décision, Čačić devenait bel et bien entraîneur du grand Dinamo Zagreb, multiple champion croate. Après être arrivé en Décembre et avoir remporté le championnat 2011 faute d’adversaires, les premiers couacs sont arrivés dès la campagne qualificative suivante pour la Ligue des Champions. Alors que Ludogorets éliminait à la surprise générale un Dinamo cataclysmique dès le deuxième tour préliminaire de la Ligue des Champions, une erreur de l’arbitre et un coup de folie des joueurs renversèrent la situation … à la huitième minute du temps additionnel. Réussissant finalement à se qualifier pour les poules après avoir éliminé difficilement le Sheriff et Maribor, le Dinamo se ridiculisa en perdant cinq matchs avec une différence de buts de -11. Une humiliation 0-3 contre Zadar au Maksimir et un naufrage contre Rijeka en Novembre finirent eurent raison de Čačić. Pourtant, serein, il osa se montrer après la défaite contre Rijeka (3-0) en conférence de presse, montrant son iPad et affirmant que le Dinamo avait été supérieur « dans tous les secteurs de jeu.« 

© FERNANDO VELUDO/AFP/Getty Images
© FERNANDO VELUDO/AFP/Getty Images

Ce détail symbolise le comportement de Čačić au Dinamo: un original, jamais avare d’idées farfelues pourtant toutes inefficaces et peu fiables les unes comme les autres. Quitte à faire passer les joueurs pour des cobayes sur qui tenter des expériences tactiques. On a ainsi pu voir le Dinamo jouer sans un seul milieu défensif, ou avec trois en même temps; au Parc des Princes il mit en place un système de trois défenseurs, et il introduisit un faux neuf qui avait pourtant les qualités inverses à celles requises pour ce poste. Mais le meilleur restait à venir avec l’aile droite, qui vit défiler tous les milieux de terrain et les attaquants. Un peu plus bas, côté latéral, il n’hésita pas à placer l’arrière gauche à droite et vice versa. Un calvaire pour les deux latéraux lors de « la première boucherie de la Champions League. »Une autre de ses inventions fut la volonté d’installer un dénommé Ante Puljic au poste de stoppeur. Celui-ci évolue aujourd’hui au Dinamo Bucarest et compte comme seul fait notable d’avoir fait plusieurs aller-retour entre le Dinamo et le Lokomotiv. D’autres joueurs utilisés lors de matchs importants étaient tellement talentueux qu’ils finirent quidams dans des clubs de seconde zone de pays de troisième zone ! Une preuve supplémentaire du flair de ce bon Čačić, qui n’a en commun avec son homologue Vicente del Bosque … que la moustache.

Dans le même temps, le coach a marginalisé des joueurs tels que Sime Vrsaljko, Marcelo Brozović ou Arijan Ademi qui stagnaient, voire régressaient sous ses ordres en raison d’expériences tactiques douloureuses et de changements fréquents de système. Il décida aussi de brider le talent de Mateo Kovacic en le plaçant en milieu récupérateur, où il était contraint de faire le sale boulot. Andrej Kramaric, lui, s’est vu montrer la porte de sortie immédiatement après l’arrivée de Čačić au club. Idem pour Cop, qui fera plus tard les beaux jours du club. En bref, un gâchis de joueurs talentueux quand d’autres sans aucun potentiel honoraient le terrain de leur présence. Quant à l’autorité de Čačić, elle fut mise à rude épreuve. Sammir venait à l’entraînement directement à la sortie des boîtes de nuit, et Vida s’enquillait tranquillement des bières dans le bus du club. Voilà pour ce qui fuita dans la presse et qui montre tout sauf un homme à poigne capable d’imposer des directives et de faire respecter l’ordre.

Sa deuxième chance à Maribor, en 2013, ne fut guère plus concluante. Il se fit renvoyer au bout de quatre mois après des résultats calamiteux malgré la qualité des joueurs à disposition. En interne, le puissant Zlatko Zahovic se montrait très critique envers ses choix peu cohérents. Quelques mois plus tard, le champion slovène réussissait à passer pour la première fois de son histoire la phase de poule d’Europa League.

Pourquoi, cela se passerait-il mieux avec la sélection croate ?

L’affaire Lovren

A la veille de l’Euro, la Croatie version Čačić apparaît comme lente, sans génie et tout à fait quelconque. La tactique et la répartition des postes ne sont pas définies par un entraîneur dans lequel le public et probablement les joueurs ne croient pas. On peut le constater à travers le comportement de ces derniers sur le terrain, ou en zone mixte. Après le match amical contre la Hongrie, la plupart d’entre eux ont refusé de faire des déclarations aux médias. Lovren, lui, a carrément préféré clamer ne pas vouloir disputer l’Euro après un clash avec Čačić. Ce dernier avait fait s’échauffer les remplaçants un long moment contre la Hongrie, avant de décider de ne pas les faire entrer en jeu.

« Je me suis échauffé. Après 15 minutes, j’ai commencé à avoir froid car je n’avais pas de veste donc je suis retourné sur le banc. Il est venu me voir et m’a demandé pourquoi je m’asseyais. Je lui ai répondu qu’il m’avait demandé de m’échauffer pendant 10 à 15 minutes et que c’était fait. J’ai ajouté qu’aucun entraîneur au monde ne gardait un joueur sur la touche après un échauffement aussi long. Je ne m’excuserai pas. » Expliquait le joueur.

Čačić eut beau déclarer que le comportement de Lovren était intolérable, il montra une fois de plus que son management est aux antipodes de la réalité. Penser que l’on peut traiter des stars jouant dans les plus grands clubs européens comme des gamins de 18 ans est bien entendu absolument ridicule. De plus, aucun manager ne devrait critiquer publiquement ses joueurs, qui peuvent perdre toute confiance en lui. En particulier dans cette situation, où ceux qui croient en ses qualités de coaching ne doivent pas être plus nombreux que les doigts d’une main. Bilic, qui avait des problèmes avec Pranjic et Simunic, ne les avait jamais humiliés ouvertement. Un manager avec une carrière de près de 30 ans derrière lui devrait pourtant savoir cet élément de base…

© Epsilon/Getty Images
© Epsilon/Getty Images

Une tactique destructrice

Čačić a commencé à façonner un 3-5-2 peu efficace, les défenseurs ne jouant pas avec ce système dans leur club et leurs caractéristiques n’y répondant pas. En outre, les joueurs les plus dangereux des deux dernières années jouent dans des rôles peu adéquats pour eux, à l’image d’Ivan Perisic qui occupe le poste… d’arrière droit offensif. Il semble également y avoir un problème du côté de l’arrière gauche. Ivan Strinic ne joue certes presque pas cette saison avec Naples en raison de la forte concurrence mais a tout de même été régulièrement utilisé en coupe d’Europe. Il pourrait arriver avec une fraîcheur intéressante à l’Euro mais Čačić lui a fait savoir qu’il ne lui faisait pas confiance. Avec une telle richesse au milieu du terrain, la Croatie a de quoi faire peur à n’importe quelle nation présente dans ce tournoi. Sauf si son entraîneur continue dans les intentions destructrices qu’il a montré face à la Hongrie où le milieu n’avait ni queue ni tête notamment après l’entrée de Srna en lieu et place de Kovacic. Quelle est la logique de placer un capitaine en fin de carrière à un poste qu’il ne connaît pas, surtout dans un match sans importance et alors même qu’il ressentait des douleurs ? Ce n’était pas la seule mauvaise idée de Čačić dans ce match qui titularisa Gordon Schildenfield, joueur du Dinamo de 31 ans et dépassé, à la place d’un Lovren vexé. Sans compter qu’il n’a quasiment effectué aucun changement, forçant les titulaires à jouer des minutes inutiles et ne laissant pas l’opportunité à d’autres de se montrer.

Si Čačić veut vraiment jouer en 3-5-2, pourquoi met-il seulement deux attaquants dans sa liste? Et pourquoi a t-il boycotté Andrej Kramaric qui n’est pas si mauvais à Hoffenheim? Dès son arrivée au poste de coach du Dinamo Zagreb, Čačić l’a envoyé illico au Lokomotiv. Il y a peut-être des raisons cachées qui expliquent ceci… Bien qu’il ait été convoqué dans les 23, il a peu de chances de jouer. C’est d’autant plus dommage qu’il possède un profil complémentaire à celui de Mandzukic et de Kalinic, deux attaquants peu assortis. EIvan Santini, 12 buts avec le Standard cette saison, aurait aussi mérité d’être testé. Sans compter que la Croatie a un énorme potentiel dans sa sélection U-21 – qui a humilié l’Espagne récemment. Entre les pépites qui ont joué (Jedvaj, Rog, Coric, Caleta-Car …), et celles qui étaient absentes pour cause de blessure (Pasalic, Vlasic, Radosevic …), il y a l’embarras de choix pour l’Euro. Mais, comme au Dinamo, les jeunes talentueux auront plus de chance de régresser que de progresser durant ce mois de Juin…

© FRANCK FIFE/AFP/Getty Images
© FRANCK FIFE/AFP/Getty Images

L’Espagne a Vicente del Bosque et les Turcs ont Fatih Terim, souvent considéré comme le meilleur entraîneur turc de l’histoire. La République Tchèque possède Pavel Vrba, qui a transformé le Viktoria Plzen de nain à géant, élu cinq fois de suite meilleur entraîneur tchèque. La quatrième équipe du groupe, la Croatie, a donc à sa tête Ante Čačić , renommé pour ses échecs dans la gestion humaine, ses tactiques inadéquates ou sa façon de placer des joueurs clés dans des mauvaises dispositions… .

Un adjoint très controversé

Nous savons que la Croatie est dans l’œil du cyclone en raison du racisme et des chants discriminatoires de ses fans (huis clos contre l’Italie, croix gammée sur le terrain). Comment se fait-il alors que Josip Simunic, directement rattaché à un de ces incidents, se soit fait embaucher par la fédération en tant qu’adjoint de Čačić ? Connu pour avoir récolté trois cartons jaunes en un seul match contre l’Australie, son pays de naissance, Simunic est de nouveau apparu dans l’actualité pour des faits moins légers. A savoir des chants fascistes entonnés au micro pour haranguer la foule après la qualification pour la Coupe du Monde 2010. Fatiguée par une énième polémique causée par les Croates, la FIFA lui a infligé une lourde suspension qui mit fin à sa carrière internationale. Au moment de recomposer le nouveau staff après le départ de Kovac et de ses adjoints, la fédération et Čačić n’ont pas hésité à contacter Simunic, sans se poser trop de questions. Les déclarations dithyrambiques au sujet de l’ancien défenseur ont même fusé. Davor Suker, président de la fédération, s’est ainsi justifié : « Nous nous appuyons sur les cerveaux croates. » Des louanges également dressées par Čačić, qui s’est fendu d’un magnifique : « Il est l’incarnation de l’honnêteté, l’intégrité et du professionnalisme dans le football. » Rien que ça.

© Charlie Crowhurst/Getty Images
© Charlie Crowhurst/Getty Images

Aussitôt, la nomination de Simunic a fait les choux gras de la presse croate très critique envers les nouveaux arrivants au sommet de la pyramide proposée par la famille féodale au pouvoir. Bien qu’il se soit fortement justifié et qu’il ait tenté de laver son honneur par tous les moyens possible, de la Cour européenne des droits de l’homme au documentaire qu’il a produit sur le sujet, les journalistes n’ont pas omis de mentionner les propos malheureux du nouvel adjoint.

Malgré son exceptionnelle génération de joueurs, la Croatie risque de ne pas révéler à l’Euro le quart de son potentiel monstrueux. Et il ne faudra pas s’en étonner.

Damien Goulagovitch


Image à la une : © ATTILA KISBENEDEK/AFP/Getty Images

4 Comments

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  2. Anonyme 3 juin 2016 at 22 h 39 min

    Pas pu lire en entier j’ai eu envie de vomir dégouté comment peut-on avoir un tel sélectionneur,triste pour cette belle et jeune génération

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  3. Zorro 5 juin 2016 at 1 h 43 min

    Je lis ta prose, je la comprends lorsqu’elle adresse des critiques circonstanciées vers les copains de Mamic, mais je ne peux pas te suivre sur Simunic, sali pour un chant entonné par tous les croates du monde et qui, pour l’immense majorité d’entre eux, n’a rien d’oustachiste (même si ces enc… de nazi l’avaient aussi repris)

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  4. Czerny 6 juin 2016 at 11 h 48 min

    Cacic sélectionneur, est à l’image de ce qui se fait partout dans le pays.A savoir les plus incompétents aux postes les plus élevés.Le schéma est le même dans toutes les structures de l’état .Pour le plus grand bonheur de ceux qui tirent les ficelles ,plus ou moins dans l’ombre.Une petite digression pour finir et rappeler au passage l’appui constant que Michel Platini,président de l’Uefa a toujours apporté à la plus grande crapule du football européen ,j’ai nommé Z.Mamic .De quoi se poser des questions,non ?

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