Temps de lecture 10 minutesEn route pour la Russie #15 : Denis Laktionov, la chance lui sourit en Corée du Sud

Notre dispositif Coupe du Monde se met en place et cette nouvelle série d’articles va vous accompagner de manière hebdomadaire jusqu’à l’ouverture de la compétition. Chaque semaine, nous faisons le lien entre un pays qualifié pour la compétition et le pays organisateur. Place ce jeudi à la Corée du Sud, peu habituée jusqu’à récemment à voir des joueurs étrangers débarquer dans son championnat. Intéressons-nous alors à la carrière de Denis Laktionov, joueur russe ayant réalisé la majeure partie de sa carrière au pays du matin frais, dans les années 1990,  jusqu’à en obtenir la nationalité en 2003.


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Au cours de l’histoire, plusieurs joueurs russes se sont expatriés en Corée du Sud, mais peu y sont restés durablement. Denis Laktionov, aussi surnommé Laku, qui signifie chanceux en russe, est un footballeur né en Russie qui a réalisé la majeure partie de sa carrière en Corée du Sud avant d’obtenir la nationalité sud-coréenne en 2003. Il se faisait remarquer pour son positionnement, sa lecture du jeu et sa vitesse d’accélération. Au cours de cet article, nous revenons sur la carrière de ce joueur peu connu qui, géographiquement parlant, n’a jamais joué au football en Europe, mais uniquement en Asie.

L’épopée asiatique entre Russie orientale et Corée du Sud

Laktionov est né en 1977 à Krasnozernskoye situé dans l’oblast de Novossibirsk,  à quelques dizaines de kilomètres de la frontière kazakhe, 3400 km à l’est de Moscou. Il est toujours resté dans la partie orientale de la Russie. De Novossibirsk, le futur naturalisé sud-coréen s’est dirigé vers l’île de Sakhalin, à Kormsk et c’est avec ce club qu’il a évolué à ses débuts. Il se familiarise avec le poste de milieu puis termine son parcours de formation en 1994 pour devenir professionnel dans son club formateur.

« Dans mon village natal, la commune ouvrière de Krasnozerskoïe, il y avait une équipe, dont mon père était l’entraîneur. Avant il travaillait pour le DSO « Ourajaï » (l’Association sportive volontaire « La Moisson »), il organisait des olympiades au village. Ensuite il s’est mis au football. On démolissait tout le monde : le « Dinamo » de Barnaul et les autres équipes de Sibérie. Puis un jour on s’est rendus à un énième tournoi, et l’entraîneur du Tchkalovets (actuel « Sibir Novossibirsk ») m’a remarqué. Il me dit « Viens participer au stage de pré-saison ». Mais quelque jours plus tard il rappelle : « On m’a appelé à Sakhalin, tu m’accompagnes ? ». Je lui dis : « Bien sûr, ça ne me fait rien ». Et c’est comme ça comme nous sommes partis pour Sakhalin. » expliquait le joueur sur sa jeunesse et ses débuts dans le monde du football.

Laktionov jouera deux saisons avec son club de Sakhalin, installé bien au chaud en troisième division russe. Il dispute la saison 1994 qu’il termine avec 27 apparitions et 13 buts marqués. La saison suivante est très similaire puisqu’il inscrit 12 buts en 32 apparitions. Pourtant Denis Laktionov et ses coéquipiers souffrent à ce moment de salaires affreusement bas (l’équivalent d’environ 100 dollars par mois). Bien qu’il soit devenu le meilleur buteur du club en 1995, Laktionov décide de partir en raison de la perte du statut de club professionnel et de salaires impayés depuis cinq mois.

« Quand on a atterri, tout n’était pas si terrible, en fin de compte : c’est une ville portuaire un peu grise, bien sûr, 60 000 habitants en tout, mais propre et les gens sont gentils. Mais pour ce qui est du football, ça craignait. On m’a proposé un salaire de 100 dollars, et encore on me payait en retard, c’est pourquoi je pensais tout le temps à ce que j’allais bien pouvoir manger le lendemain. » raconte Denis Laktionov.

Au détour d’une conversation, le joueur russe parle alors de ce qu’était Sakhalin dans ces années 90, une période intéressante, folklorique et remplie d’anecdotes, une période où des « mafieux descendaient directement des tribunes pour rentrer dans les vestiaires, et ces « gens respectables », comme on les appelait à l’époque, distribuaient des enveloppes à leurs préférés. »

Ajoutant  qu’ « il y avait des billets en milliers et en millions de roubles en ce temps-là. Même si avec tous ces millions on ne pouvait s’acheter qu’une dizaine de snickers, c’était considéré comme une bonne prime. Et puis, à chaque match à l’extérieur, on emportait une petite valise de billets, parce que sans elle rapporter un point, voire gagner, était impossible. Partout on rencontrait des gars qui pouvaient nous dire des choses ou essayer de nous faire peur. Mais à domicile on se sentait en sécurité. Nous aussi on avait notre « protection », en quelque sorte, des gars en veste couleur framboise (La veste couleur framboise est le vêtement symbolique de l’homme d’affaires véreux des années 90 en Russie, NDLR.) plein la tribune. En deux ans, on n’a pas perdu un seul match à la maison ! Je ne dirais pas que l’on achetait nos matchs, c’est juste qu’on jouait bien, sans doute. Et aussi l’homme-pénalty Viktor Rybakov nous aidait pas mal. […] Mais ce mec, c’est un génie ! La situation en arrivait parfois jusque là. On joue à domicile. Le score est nul et vierge. On a besoin de gagner, mais ça ne veut pas. Lui, il attrapait un joueur adverse par le maillot, il le poussait dans la surface de réparation, où il le faisait tomber avec lui. Pénalty. Le fait est qu’il tombait bien et de manière réaliste, tu n’y vois que du feu. Même aujourd’hui dans les tournois de vétérans il joue ce genre de tours. C’est qu’il a été à l’école de « Borman », vous savez, Ovtchinnikov (Valeri Ovtchinnikov dit « Borman », entraîneur pittoresque du Lokomotiv Nijni-Novgorod dans les années 90, NDLR.) . Il en connaissait un rayon sur le football. Il m’a donné un tas de conseils, comment se faire respecter, comme se fixer un but et y arriver. »

L’arrivée en Corée du Sud aux Suwon Samsung Bluewings

C’est en 1996 que Denis Laktionov change pour la première fois de club et son choix peut sembler pour le moins étonnant, car il décide de quitter la Russie non pas pour aller vers un plus grand club en Europe, mais pour s’en éloigner, en signant en Corée du Sud (qui avait à l’époque un tout autre statut qu’aujourd’hui puisque nous étions six ans avant que celle-ci n’atteigne les demi-finales du Mondial). Plus précisément en rejoignant les Suwon Samsung Bluewings qui demeurent l’un des clubs phares de ce pays. En réalité le choix s’explique plus facilement par sa position géographique. En se déplaçant dans le pays voisin, la Corée du Sud, il reste assez proche de l’île de Sakhalin, située juste au nord du Japon.

« Ils (Les Coréens, NDLR.) se tous empressés autour de moi tout de suite, ils voulaient m’aider. D’ailleurs je me souviens qu’au bout de deux-trois semaines, j’en avais vraiment marre, j’avais envie de leur dire : « Mais foutez-moi la paix ! ». C’était tous les jours : d’abord un premier te demande « Besoin d’aide ? », puis un deuxième, puis un troisième, puis un quatrième, puis tous. « J’ai besoin de rien, je me débrouille ! ». Pour ce qui est des traditions, je me souviens qu’en fin de saison on dansait sur les tables et on faisait un strip-tease au moment du banquet. Pour eux, le comble de la classe, c’était de s’allumer un cigare et d’aller dans la chambre des entraîneurs. Ça les étonne beaucoup les entraîneurs, ils te regardent avec des yeux comme ça, qui n’arrêtent pas de cligner. Et toi tu leur dis « Ça va, on est champions, c’est cool ». Et tu te barres en courant. » se souvient le joueur sur son accueil en Corée du Sud.

Un nouveau pays dans lequel ce dernier se sent bien malgré quelques différences cultures notoires, notamment cet épisode, au restaurant, où la tradition était de manger du chien, comme il le raconte lui-même, « Le chien ils en mangent déjà toute l’année. On avait un rituel dans l’équipe : avant chaque match on allait au restaurant pour manger de la viande de chien. Les étrangers n’en mangeaient pas, bien sûr, nous on était plus sur le poulet. Il avait encore huit personnes environ qui ne voulaient pas en manger. Mais le reste, soient 20-25 Coréens, ils mangeaient du chien avec plaisir. Ensuite on sortait du restaurant, on s’asseyait en premier dans le bus, et dès que les Coréens commençaient à monter, on criait « Ouaf ! Ouaf ! Ouaf ». Ça les faisait rire et ils disaient des trucs. […] Chez nous le chien, c’est un ami pour l’homme, chez eux, c’est de la nourriture. Les Coréens sont absolument convaincus que la viande de chien leur donne des forces, qu’ils deviennent des guerriers. C’est ce qu’ils me disaient après avoir mangé du chien : « Maintenant je suis tellement fort que je suis prêt à entrer sur le terrain et à démolir n’importe qui. »

Epoque Suwon -sports.chosun.com

« Ils (les Coréens, NDLR.) savent juger les gens à leur juste valeur et faire preuve d’empathie. Pendant la crise des années 97 et 98, tout le pays donnait son or, tout ce qu’il y avait. Nos footballeurs apportaient leurs bagues, les boucles d’oreilles de leurs femmes, les pendentifs. Ou par exemple, s’ils voient que tu es quelqu’un de normal, un type bien, alors ils feront tout pour toi. Mais s’ils sentent qu’il y a un truc qui cloche, alors ils ne te parlent plus, ils te tournent le dos. Moi non plus je n’aime pas les gens « pourris ». La lâcheté, la trahison, je ne supporte pas. J’ai la chance d’avoir toujours été entouré des bonnes personnes. Même si ma femme me dit souvent que je devrais ouvrir les yeux, que tout n’est pas si rose. Et c’est vrai, je me suis brûlé les doigts plusieurs fois. » – Denis Laktionov

Laktionov devient rapidement l’un des meilleurs joueurs de K-League sud-coréenne. Il forme un trio redouté des autres équipes avec les joueurs Ko Jong-su et Sandro. Il participe au triomphe de son club en 1997 puis est nommé dans le XI type du championnat pour les saisons 1999 et 2000 et se démarque par un triplé contre les Jeonnam Dragons en octobre 2000. En six ans, il totalise 107 apparitions et 31 buts marqués avec Suwon qui venait de connaître les meilleurs instants de son histoire. En 2002, le CSKA Moscou manifeste son intérêt pour le joueur, mais aucun transfert n’a abouti. En conséquence, Laktionov a poursuivi sa carrière en Corée sans jamais avoir connu le plus haut niveau russe. Au niveau international, il est appelé à l’entraînement avec l’équipe nationale russe en préparation à la Coupe du Monde 2002 coorganisée en… Corée du Sud. Bien que la Russie a joué tous ses matchs chez l’autre organisateur japonais – car le Japon était l’un de ses adversaires dans sa poule – le symbole aurait pu être beau. Non sélectionné au final pour y prendre part, il n’a joué que deux petits matchs avec la sélection. Un contre la Biélorussie avant la Coupe du Monde (1-1), puis un autre contre la Suède (1-1). Il avait auparavant joué pour l’équipe olympique en 1998-1999 (sept matchs joués, deux buts).

« Je me souviens que c’est mon ami Vladimir Abramov qui a commencé à faire parler de moi en Russie, comme quoi il y aurait un gars en Corée qui est arrivé en finale de Ligue des champions asiatique, et ainsi de suite. D’abord on m’a appelé en sélection olympique pour le match contre les Turcs, ensuite j’ai été pris avec les « espoirs ». J’ai même fait le championnat d’Europe en Roumanie. En revanche, notre entraîneur en Corée était toujours mécontent de me voir partir jouer avec la sélection. Une fois on est même entrés en conflit. Mais après je lui ai apporté des cadeaux, de la vodka, et tout s’est arrangé. […] J’ai moi-même été très surpris par ma sélection. En 2002 la Coupe du Monde était organisée en Corée du Sud et au Japon, et juste avant le début du tournoi on m’a appelé en sélection. C’est Mikhaïl Guerchkovitch qui m’a appelé et qui m’a dit : on fait comme ça et comme ça. Je n’ai même pas pensé à comment j’allais me comporter en sélection. J’ai simplement décidé que je montrerais tout ce dont j’étais capable, et qu’ils fassent leur choix eux-mêmes. Dans l’équipe je connaissais Solomatine, Semchov et Rolan Goussev, mais Goussev n’a pas été pris à l’époque. Et je suis parti pour une semaine environ. » – Denis Laktionov

Naturalisation et poursuite à Seongnam

Heureux comme un brésilien – Yonhap News

Laktionov quitte finalement les Suwon Bluewings et est transféré dans le club de Seongnam Ilhwa Chunma. Il reste deux ans au club. Sa première année est marquée par l’obtention de la citoyenneté sud-coréenne. En effet, après plusieurs années vécues en Corée du Sud, il acquiert en 2003 le nom de Lee Sung-nam (qu’il n’utilisera cependant que temporairement). Évidemment, le prénom « Sung-nam » a été choisi en l’honneur du club dans lequel il évolue qui est aussi le nom de la ville, située non loin de Séoul.

Après une première année 2003 prolifique qui voit Seongnam remporter le championnat, et neuf buts marqués en 38 matchs par Laktionov, le niveau du Russo-Coréen décline progressivement. Sa seconde année, en 2004, voit moins d’apparitions avec quatre buts en dix-huit matchs. Néanmoins, son club remporte la Coupe de K-League et termine en finale de la Ligue des champions de l’AFC. En revanche, la saison 2005 marque une vraie régression. Il n’inscrit aucun but en neuf matchs et est prêté au Busan I-Park.

Nouveaux rebondissements

Le Russe naturalisé sud-coréen retourne dans le club qui l’avait accueilli pour la saison 2006 : les Suwon Samsung Bluewings. Son club termine vice-champion de la saison et finaliste de la FA Cup. Malheureusement, sa saison 2007 est vierge.

Désireux de défendre les couleurs de son lieu de naissance, il effectue son retour en Russie lors de la saison 2008 où il rejoint le Sibir Novossibirsk, club de deuxième division russe et accessoirement le plus prestigieux de la zone où Laktionov est né. Il y retrouve un meilleur temps de jeu et participe à dix-huit matchs en 2008. Libéré comme agent libre pendant l’été 2008, il signe à nouveau au Sibir pendant l’hiver qui suit. Il dispute neuf matchs en 2009. Son club connaît plusieurs réussites, comme une place de vice-champion 2009 et surtout surprenant finaliste de la Coupe de Russie la même année. Lorsque son contrat expire, il désire mettre fin à sa carrière après avoir joué pour le club de sa terre natale.

Avant de reprendre sa carrière de joueur en 2011, Laktionov avait reçu une formation en 2010 en Moldavie. Il semblerait que Suwon ait été intéressé par le joueur à cette période, mais cela est resté sans suite. Néanmoins, le footballeur reprend sa carrière deux ans après. En janvier 2011, il est ainsi recruté par le Tom Tomsk afin qu’il puisse servir d’interprète au milieu de terrain Kim Nam-Il, avant de rejoindre le club en tant que joueur durant l’été et découvre, enfin la première division russe ! Il ne disputera qu’un seul et unique match face au Spartak Nalchik avant de quitter à nouveau la Russie. Laktionov termine sa carrière de joueur de football dans le pays où il a le plus évolué : la Corée du Sud. Il rejoint alors Gangwon, inscrit un dernier but en 2012 et met un terme à sa carrière en 2013.

Depuis, de retour en Corée il met à nouveau sa passion du ballon au service des Coréens en entrainant de petites équipes locales. Une transmission russo-coréenne qui ne semble pas prête de s’arrêter puisque son fils, Nikita Laktionov, joue pour les équipes de jeunes du Suwon Samsung Bluewings depuis 2014.

Philippe Ray / Tous les propos de Denis Laktionov ont été recueillis par Alexander Belyaev pour sports.ru, traductions du russe au français réalisées par Adrien Morvan pour Footballski


Image à la une : YURI KADOBNOV / AFP

1 Comment

  1. Anonyme 18 février 2018 at 0 h 48 min

    Je ccrois quil entraine en russie desormais

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