On connait tous l’histoire du grand Yashin ou encore celle de Rinat Dasaev, deux grands gardiens soviétiques qui ont su marquer l’histoire du football mondial. Mais l’Union soviétique a connu de nombreux gardiens de talent. Ce dossier est l’occasion de porter l’attention sur les autres gardiens qui ont évolué à travers l’histoire de l’URSS. Vous allez faire connaissance avec l’école soviétique des gardiens de but, véritable fabrique à talents. De Nikolaï Sokolov, fondateur de la marque soviétique, à Stanislav Cherchesov, ce dossier s’annonce comme un véritable voyage dans le temps. Sortez les gants, c’est l’heure de sortir une main opposée. Richard.

La scène se passe dans un stade plein à craquer. Le match oppose la sélection russe à une équipe lambda (un certain Dapata au regard assassin joue l’attaquant). On approche de la fin de la rencontre et les deux équipes sont dos à dos au score (2-2). L’équipe adverse lance une contre-attaque et ce Dapata décoche une frappe qui prend tout droit le chemin des filets. Le gardien russe Igor Akinfeev se détend mais semble trop juste pour atteindre le ballon.

Le sort semble scellé lorsque par miracle, la scène se fige ! Entre alors dans le stade un homme à la tenue noire, portant le numéro 1 sur son maillot et une casquette noire sur la tête. Cet homme ne peut être que Lev Yashin, reconnaissable à sa tenue légendaire qui lui valut le nom de « panthère noire. »

« Notre équipe nationale a une authentique histoire, une histoire de vainqueurs. Nous souhaitons que cette histoire perdure » déclare le speaker.

Arpentant le terrain entre les joueurs, le légendaire gardien s’approche d’Igor Akinfeev et le décale suffisamment pour qu’il puisse arrêter le ballon. Le temps se met soudainement à redémarrer. La Russie s’en sort miraculeusement et Lev Yashin peut ainsi quitter le stade en toute tranquillité.

« C’est ainsi qu’aurait aidé le grand Yashin ! »

Rien de plus normal pour une banque russe que de représenter la gloire passée par Lev Yaschin, figure emblématique du Dinamo Moscou et unique gardien de l’histoire ayant remporté le Ballon d’Or (1963). Mais plus qu’une gloire, Lev Yashin est l’emblème de l’école soviétique des gardiens de but. Des gardiens tels que Rinat Dasaev, Anatoli Akimov, Vladislav Zhmelkov, Aleksei Khomich, Vladimir Maslachenko, Anzor Kavazachvili ou encore Evgeny Rudakov ont laissé leur trace dans l’histoire du football soviétique. Une trace qui a malheureusement eu du mal à traverser les frontières soviétiques. En Europe de l’Ouest en effet, la plupart d’entre eux sont méconnus. Ils sont pourtant considérés par les spécialistes russes comme les meilleurs gardiens de leur temps comme le déclara Nikolaï Starostin : « Depuis 50 ans que je pratique le football comme joueur et comme dirigeant, j’ai rencontré de nombreux gardiens qui ne doivent pas être écartés de l’histoire de notre sport. Ils ont créé la meilleure école des gardiens du Monde. »

L’école Sokolov

Avant Lev Yaschin, l’URSS a connu des gardiens de grand talent. Les spécialistes tels que Nikolaï Starostin dans son livre « Звезды большого футбола » (Les stars du football) ou encore Anatoly Akimov dans son livre « Вратарь и его роль в команде » (Le gardien et son rôle dans l’équipe) sont unanimes, Nikolaï Sokolov doit être considéré comme le fondateur de l’école soviétique des gardiens de but.

Nikolaï Sokolov est né à Moscou le 12 mai 1897. A cette époque, le football au pays des Tsars n’en est qu’à son balbutiement. Les Anglais travaillant à Saint-Pétersbourg, alors capitale tsariste, créent leur propre club de football (Le Saint-Pétersburg Football Club est fondé en 1879) mais les Russes y sont absents. C’est d’ailleurs en octobre 1897 qu’est organisé sur l’île Vasilievsky le premier match de football en Russie opposant l’équipe locale dénommée Ostrov (île), composée d’Anglais, et une équipe dénommée Petrograd composée de Russes. Le score 6-0 en faveur des Anglais montre le chemin qu’il reste à parcourir pour les joueurs russes…

A ce moment là, différents clubs commencent à émerger à Saint-Pétersbourg mais aussi à Moscou. Nikolaï Sokolov intègre l’un des tous premiers clubs de Moscou, le Замоскворецкий клуб спорта (ЗКС ou Zamoskvoretskyi Club Sporta) en catégorie jeune.

Comme la plupart de ses camarades, Nikolaï souhaite marquer des buts mais sa petite taille le relègue dans les cages.

« – Tiens, va dans les buts. Là bas tu n’as qu’à rester debout. Comme d’habitude…

Je voulais hurler suite à l’offense faite. Mais j’ai essuyé mes larmes en silence. A l’aube du football russe, on mettait dans les cages celui qui était peu adapté à jouer sur le terrain. On était peu respecté en tant que gardien. […] Je me suis d’abord plaint, mis en colère concernant mon malheureux sort, puis j’ai senti que j’aimais me tenir tel un obstacle insurmontable sur la trajectoire du ballon, déchirant les offensives des attaquants. »

Le jeune Nikolaï doit ainsi se débrouiller seul pour apprendre les rudiments du métier, signe d’un manque total de reconnaissance du poste de gardien de but. D’autres joueurs comme Vassily Butusov, attaquant saint-pétersbourgeois et connu pour être le premier buteur de l’histoire de la Sbornaya en match officiel (défaite 2-1 face à la Finlande lors des Jeux Olympiques de 1912), ont fait le même constat : « Tout le monde voulait être attaquant. Les plus faibles se retrouvaient dans les buts. C’est pourquoi la Russie n’a pas eu pendant longtemps de bons gardiens. Favorsky, Boreysha, Matrine, Nagorsky étaient considérés comme les meilleurs gardiens, mais ne savaient pas capter le ballon fermement et le repoussaient donc. »

La seule manière de progresser, c’était pourtant de regarder ce que faisaient les autres. A cette époque, le Championnat russe n’existait pas. Les compétitions sont organisées au sein des villes telles que Moscou, Saint-Pétersbourg, Kiev, Odessa ou Kharkov. Le premier match officiel de l’équipe nationale russe se déroule le 30 Juin 1912 contre la Finlande lors des Jeux Olympiques. Les gardiens Lev Favorsky (Club Sokolniki), Aleksander Martynov (ЗКС) ou Dmitri Matrine (Union Moscou) sont alors les premiers gardiens à évoluer officiellement avec la sélection nationale. Ils n’étaient peut être pas les meilleurs, mais pour Nikolaï Sokolov, pouvoir les voir évoluer est déjà une chance immense.

L’exemple britannique

Ce sont d’ailleurs ces rencontres internationales qui vont faire prendre conscience du besoin de faire évoluer le jeu tactique des joueurs russes, gardiens y compris. Dans son livre Первый вратарь сборной (Pervei vratar sbornoy, Premier gardien de la Sbornaya), Sokolov raconte une rencontre en avril 1914 entre une équipe d’étudiants de Londres invitée par la Ligue de Moscou pour jouer quelques matchs avec des équipes de la région, et notamment le club d’Orekhovo Zuevo, équipe de la région moscovite ayant remporté le Championnat de Moscou quatre années de suite (de 1910 à 1913) :

« Ce que je regarde le plus, c’est le gardien anglais Williams. Imposant, adroit, massif, il garde magistralement ses cages. Il agit tel un gardien à l’ancienne : un gardien ne reste pas en place. Même si le danger est absent, Williams se promène d’un poteau à l’autre, facilement, avec enthousiasme. Mais dès lors que le danger approche, Williams s’arrête, se met en position et, le regard perspicace, suit les actions des joueurs. J’aimais son audace dans ses sorties. Il le faisait rapidement et devinait toujours le moment propice pour intervenir… Williams utilisait en majorité les poings, attrapait rarement le ballon mais gardait sûrement ses buts. […]

Pour nous c’était une leçon. Du grand football. Les matchs contre les anglais nous ont montré une fois de plus que le football, c’est une histoire de tactique et de stratégie. Il fallait réfléchir, apprendre et intégrer quelque chose. Ces matchs ont sans aucun doute contribué à modifier notre technique et notre tactique et pour nous, jeunes joueurs, à la nécessité de créer de nouveaux systèmes de jeu. »

Et les Russes se mettent donc à la tache. Au sein des équipes, les tactiques se développent, les défaites amenant les joueurs à réfléchir sur leur plan de jeu et les victoires les confortant sur l’idée qu’ils sont sur la bonne voie. La Première Guerre mondiale et la Révolution bolchevique de 1917 sont fatales à de nombreux footballeurs, mais ces événements n’empêchent pas les jeunes de moderniser leur style de jeu. L’Union Soviétique, à la sortie de la guerre, se passionne pour le football, créant toujours plus d’équipes à travers le pays.

De l’évolution du poste

Le poste de gardien n’est pas en reste. Nikolaï Sokolov est de ceux qui contribuent durant les premières années de l’URSS à travailler la technique des gardiens. Il est notamment le premier à relancer le ballon des deux mains quand la tactique consiste alors à balancer le plus loin possible vers l’avant afin d’atteindre au plus vite les attaquants, le premier qui propose à ses défenseurs de lui faire une passe, chose impensable auparavant. Ces derniers ont même trouvé ça bizarre. Fedor Seline, alors partenaire de Nikolaï Sokolov se souvient : « Au commencement du football russe, le jeu était plus ou moins direct, seulement vers l’avant. Ainsi, quand Nikolaï Sokolov nous proposa de lui faire des passes en arrière, nous ne l’avons pas compris. Nous lui avons même ri au nez. Mais la vie nous a fait comprendre qu’il avait raison et nous tort. »

Grâce à cela, « il put diriger les actions de ses défenseurs, unifier ainsi les efforts de sa défense et améliorer l’ensemble du système défensif » souligna Nikolaï Starostin. Nikolaï Sokolov développe aussi une méthode d’entraînement pour les gardiens, travaille sur les sorties aériennes et les réceptions du ballon. Sa grande technique et sa réactivité font de lui un maître des tirs au but. Évoluant au sein du ZKS jusqu’en 1922, il joue pour deux autres clubs moscovites (le yacht Club Raykomvoda et le MSFK) puis, de 1925 à 1931, porte les couleurs du Dinamo Leningrad. Il remporte de nombreux trophées avec ses différents clubs et apporte aux gardiens la reconnaissance qu’ils méritaient.

Le maitre et ses élèves

Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Anatoly Akimov, un des grands gardiens soviétiques des années 30 sur lequel nous reviendrons un peu plus tard. Dans son fantastique livre Вратарь и его роль в команде (Le gardien et son rôle dans l’équipe), Anatoly Akimov détaille les gardiens qui ont suivi les traces de Nikolaï Sokolov.

FEDOR TCHULKOV

Joueur du KFS (Krujok futbolistov Sokolniki) à partir de 1922, il est célèbre pour être un des organisateurs de la première équipe du Dinamo Moscou et est considéré comme le fondateur de l’école des gardiens du Dinamo. Il remporte trois fois le championnat de Moscou et deux fois le championnat soviétique. Il est à sept reprises gardien de la sélection soviétique.

Caractéristiques : Il est l’un des plus grands gardiens de sa génération. Sa grande taille lui permet de s’imposer dans sa surface et de récupérer les ballons dans les airs.

IVAN RYZHOV

Gardien de but au TsDKA Moscou (ancien nom du CSKA) de 1928 à 1934, il participe à la victoire de l’équipe de Moscou contre l’équipe tchécoslovaque Zidenice Brno (actuellement Zbrojovska Brno), équipe professionnelle. Évoluant par la suite au Spartak Moscou avec lequel il remporte le championnat d’automne d’URSS en 1936, il termine sa carrière professionnelle au club Pishchevik dont il fut par la suite l’entraîneur.

Caractéristiques : De grande taille, physique, il s’impose dans sa surface de réparation. Aux cotés d’hommes tels que Ivan Ryzhov et Ivan Filippov, le Spartak se dote d’une excellente formation de gardiens. Anatoly Akimov le confirme en ayant assisté à ses entraînements : « Homme charismatique, il ne quittait le terrain qu’à partir du moment où les partenaires, éreintés, levaient la main pour supplier de cesser l’entrainement. »

VALENTIN GRANATKIN

Pour tous ceux qui souhaitent connaître la vie de Valentin Granatkin, Footballski vous a déjà retracé l’histoire d’un sportif de talent (à la fois footballeur, hockeyeur et joueur de bandy) et d’un homme soucieux de faire évoluer le système du football soviétique.

Caractéristiques : Doté d’un réflexe incroyable, il n’est pas moins excellent dans ses sorties face à l’adversaire. Doté d’une force de caractère impressionnante, Anatoly Akimov raconte que lors d’un match entre la sélection moscovite et celle de Leningrad, il s’est cassé le doigt en plein match mais que cela ne l’a pas empêché de terminer le match. Une force de la nature…

EVGENY FOKIN

Maitre des Sports d’URSS, Evgeny Fokin passe la majorité de sa carrière au Dinamo Moscou. De 1930 à 1944, il remporte avec le club moscovite quatre championnats de Moscou, deux Championnats d’URSS (1937, 1940) et une Coupe d’URSS (1937).

Caractéristiques : Homme au tempérament calme et timide, il est un gardien travailleur, sérieux et appliqué dans tout ce qu’il fait, y compris dans sa préparation à l’entrainement, selon Anatoly Akimov. Ses sorties face à l’attaquant sont très souvent couronnées de succès.

ROMAN NOROV

Né à Nikolaev dans la région de Kherson dans le sud de l’Ukraine, Roman Norov joue d’abord de 1913 à 1922 dans le club de Nikolaev, l’Union. Il atteint les demi finales du championnat ukrainien contre l’équipe de Kharkov, Shturm (défaite 4-0) avec laquelle il évolue les quatre saisons suivantes. Il remporte en 1924 le championnat d’URSS face à l’équipe de Leningrad. Il finit sa carrière au Dinamo Kharkov en 1930.

Caractéristiques : Considéré comme le fondateur de l’école ukrainienne des gardiens de but, son style de jeu est différent des gardiens de Moscou et de Léningrad. Il tache de contrer le ballon des pieds lorsque l’attaquant adverse se présente en un contre un et fait en sorte de tomber le moins possible. Un gardien talentueux qui influence ses compatriotes.

ANTON IDZKOVSKY

Gardien ukrainien de renom, il effectue la majorité de sa carrière au Dinamo Kiev de 1928 à 1945. Il joue 73 matchs de Championnat d’URSS et remporte en 1931 le championnat d’Ukraine. A la suite de sa carrière de joueur, il travaille comme entraîneur au Dinamo Kiev jusqu’en 1955 puis au sein de la Fédération ukrainienne de football.

Caractéristiques : Rigoureux dans son travail, Anton Idzkovsky s’impose une discipline de fer. Développant des exercices spécifiques favorisant le développement des réactions, de la coordination, de l’agilité, et de la flexibilité, il crée ainsi un programme d’entraînement personnel. Même durant ses temps de loisirs, il ne peut s’empêcher de s’entraîner à attraper n’importe quoi. L’acharnement au travail pour combler sa faible taille (1,74m).

ALEKSANDER BABKIN

Il passe la majorité de sa carrière au sein de l’équipe de l’usine de construction de locomotives de Kharkov de 1928 à 1934 puis au Lokomotiv Kharkov de 1936 à 1937. Sa carrière est assez courte puisqu’il se consacre par la suite à un rôle dans le Comité sportif de la ville de Kharkov. Son match face aux turcs en 1932 avec l’équipe nationale est l’un de ses faits de gloire. Dans son livre, Nikolaï Starostin regrette cette courte carrière…

Caractéristiques : Doté d’un sens du placement incroyable, sa technique et son style de jeu ressemble plus à l’école russe des gardiens…

L’Union Soviétique reconnait de plus en plus le rôle essentiel du gardien de but et les portiers soviétiques se font une place de plus en plus importante dans la reconnaissance des fans soviétiques mais à l’extérieur des frontières de l’URSS, le niveau de jeu des Soviétiques reste méconnu. Les tournées internationales changent très rapidement cette perception. Elles permettent de faire connaître au monde le développement sportif de l’URSS et l’importance de son vivier de joueurs. Nous nous focaliserons sur ce qui me semble être les principales tournées internationales effectuées par la Sélection nationale soviétique ou par les clubs en ciblant les réactions internationales sur les gardiens de but.

Vincent Tanguy

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