Le Dnipro Dnipropetrovsk est dans un rêve éveillé. Finaliste de l’Europa League après une victoire face au Napoli de Marek Hamsik, le club de Dnipropetrovsk réalise aussi une très belle saison en championnat se battant les yeux dans les yeux avec le Shakhtar Donetsk pour la seconde place qualificative en ligue des Champions en ayant longtemps suivi le train infernal de l’inarrêtable Dynamo Kiev. Sans oublier une demi-finale de Coupe d’Ukraine contre le Shakhtar. Rien que ça.

Si le Dnipro est aujourd’hui en train de passer un cap, après avoir révolutionné en profondeur le club il y a 5 ans, il le doit en grande partie à son coach Myron Markevych. Amoureux du football, il va puiser dans ses gènes sa science du football qu’il a su appliquer avec succès au Metalist Kharkiv puis au Dnipro Dnipropetrovsk. Ainsi, pour continuer notre semaine spéciale Dnipro nous revenons sur les racines et la vie de cet entraîneur longtemps méconnu du grand public.

Dnipro Footballski

Bogdan Markevych, la source d’inspiration

Myron Markevych est né le 1 Février 1951 à Vynnyky, petit ville de 6 000 habitants dans la banlieue de Lviv. C’est dans cette ville d’Ukraine que le jeune Myron fait ses premiers pas dans le football en suivant son père, Bogdan Markevych, alors joueur dans l’équipe locale, le FC Rukh Vynnyky. Ce père joueur, dans la ville qui l’a vu naître en 1925, eu un destin qui aurait pu être tragique mais que le football a éclairé.

Au début de la seconde guerre mondiale, Bogdan Markevych fut déporté dans un camp de travail en Allemagne où il survit jusqu’à la fin de la guerre. Libéré par l’armée rouge, ils l’envoyèrent dans la foulée en exil dans l’Oural comme beaucoup d’Ukrainiens. C’est là-bas que sa passion pour le football prit le pas sur ces moments difficiles. Joueur-entraîneur d’un petit groupe d’expatriés, il reçut rapidement un bon du NKVD l’autorisant à rentrer au pays pour bonne conduite et participation active à la communauté.

De retour à Vynnyky et père du petit Myron, il reprit le football dans le club de la ville, le Rukh, où il gagna notamment en tant que joueur la Coupe de Ville de Lviv en 1954. Au début des années 60 il commença sa petite carrière d’entraîneur dans le second club de la ville de Vynnyky puis parti dans un petit club de Lviv avec lequel il se fit remarqué en accrochant chaque équipe qu’il affronta.

Après une confrontation avec le grand club de la ville, il fut recruté à la fin des années 60 par le Karpaty Lviv qui lui donna les clés de l’équipe réserve. Ce fût sa dernière expérience en tant qu’entraîneur. C’est dans cette équipe réserve du Karpaty Lviv qu’il fît entrer un jeune milieu de terrain fluet mais intelligent, Myron Markevych.

Markevytch 1
Bogdan Markevych au premier plan avec l’équipe du Rukh Vynnyky en 1954 

 

Une carrière de joueur abrégée pour la passion du coaching

Sous la direction de son père, le jeune Myron montre de belles choses avec la réserve du Karpaty, mais y reste bloqué à cause de la forte concurrence en équipe première qui venait de faire coup double, gagner la Coupe d’URSS 1969 et une remontée en 1ère division soviétique dans la foulée.
Un ami d’enfance qui joua avec lui au Kaparty raconta :

« Myron jouait milieu de terrain. Il était très technique et se chargeait d’organiser les attaques. Pour lui le football était basé sur les attaques construites et chaque offensive devait aboutir sur une occasion. La balle ne circulait pas aussi vite que maintenant, la technique et la précision étaient sa carte de visite. Sur le terrain, Myron était très discret et intelligent. […] Myron n’était pas un partisan du jeu en puissance et le fait de balancer le ballon, il avait besoin d’organiser le jeu au milieu avec un attaquant de pointe et des ailiers rapides qui déboulaient sur les cotés et entrecroisaient leurs courses ».

Comme un avant-goût de son coaching d’aujourd’hui.

Avec le départ de son père en 1972, Myron décida lui aussi de quitter la réserve du Karpaty. S’en suivra une carrière anecdotique avec une saison dans l’armée au SKA Lviv (qui déménagea à Lutsk) en 3ème division d’URSS, une saison en Russie au Spartak Ordjonikidzé (maintenant Alania Vladikavkaz) où il ne jouera pas un seul petit match. Finalement, il reviendra à Lutsk, au Torpedo, qui lui proposera un poste d’entraîneur adjoint-joueur à seulement 26 ans ! Il n’y jouera seulement qu’une saison, une saison malheureusement gênée par une blessure récurrente au genou.

En 1978, il décidera d’arrêter sa carrière de joueur à seulement 27 ans pour se concentrer sur le coaching. Il passera alors 2 ans au Torpedo Lutsk en tant que coach adjoint où il endossera tour à tour presque toutes les responsabilités dans l’encadrement du club. Par la suite, il s’envolera pour Moscou où il passera son diplôme d’entraîneur qu’il obtiendra en 1983.

 

L’équipe réserve du Karpaty Lviv 1971 avec Bogdan Markevych en entraineur avant dernier à droite, et Myron Markevych tête basse rang du bas dernier à droite
L’équipe réserve du Karpaty Lviv 1971 avec Bogdan Markevych en entraîneur avant dernier à droite, et Myron Markevych tête basse rang du bas dernier à droite.

 

Des débuts d’entraîneur agités

A son retour de Moscou, il prit la direction de différentes équipes d’Ukraine dans les divisions inférieures d’URSS: Podillya Khmelnytskyi (1984-1987), Kryvbas Kryvyi Rih (1988-1989) pour ensuite un retour au Torpedo Lutsk, qui changea son nom en Volyn Lutsk la même année. En 1992, après l’éclatement de l’URSS, il participa avec le Volyn à la première saison du championnat d’Ukraine (Vyshcha Liha) où il terminera à la 8ème place.

Après ces 3 ans passés à Lutsk, il rejoint son club formateur pour prendre en charge l’équipe première du Karpaty Lviv, le début d’une histoire d’amour agitée. Avec le Karpaty, l’histoire fut belle mais tumultueuse. Markevych effectua 4 mandats en 12 ans (92-95’, 96-98’, 01-02’, 02-04’) pour des résultats somme toute bons avec une finale de Coupe d’Ukraine (perdu contre le Dynamo Kiev 2-1) et des classements honorables lors de son deuxième mandat (5ème puis 3ème) mais sans jamais parvenir à rivaliser avec l’hégémonie du Dynamo Kiev ou des gros outsiders qu’étaient le Tchornomorets Odessa , le Dnipro Dnipropetrovsk ou le Shakhtar Donetsk. Avec ce même Karpaty, il se qualifia en Coupe UEFA mais échoua lors du premier tour de barrage contre Helsingborg en 1998, ce qui pesa relativement lourd dans son départ quelques semaines plus tard.

Entre ses passages à Lviv, il retourna dans deux clubs de ses débuts avec en 1995 une pige de 6 mois au Podillya Khmelnytskyi où il échoua à faire remonter le club en première division puis en cours de la saison 95-96’ il retourna au Kryvbas Kryvyi Rih qu’il sauva in extremis de la descente en seconde division. En 1999, il rejoignit le Metalurg Zaporizhya avec qui il obtint des résultats assez bons compte tenu de l’envergure du club (5ème et 8ème) et inculqua sa philosophie de jeu dans le club, qui par ailleurs se qualifia pour la Coupe UEFA lors de la saison qui a suivi son départ.

Sa seule expérience étrangère fut en 2002 avec l’Anzhi Makhatchkala en Russie où il passa quelques mois dans le club sans réussir à le sauver de la relégation, qui recycla trois autres entraineurs en plus de Markevych cette saison-là.

Lors de son dernier passage à Lviv en 2004, il connut des soucis avec son vestiaire et sa direction. Englué dans des conflits d’intérêts et des soucis financiers, le club fût relégué à l’issue de la saison 2003-2004 avec seulement 1 petit point de retard sur le dernier relégable. Une saison qui marqua le clap de fin de l’histoire entre Markevych et le Karpaty Lviv.

 

 Myron Markevych à l’entrainement avec le Karpaty Lviv portant une Vyshyvanka , chemise traditionnelle ukrainienne.
Myron Markevych à l’entrainement avec le Karpaty Lviv portant une Vyshyvanka , chemise traditionnelle ukrainienne | © fckarpaty.com

 

La reconnaissance au Metalist Kharkiv

Il signe en 2005 au Metalist Kharkiv, club promu l’année précédente, qui connut sa période dorée à la fin des années 80’ – début 90’ avec une Coupe d’URSS en 1988 et une Coupe d’Ukraine en 1992.

Au Metalist, Markecych trouve un club qui lui fait confiance et où on lui laisse le temps de travailler et mettre en place sa philosophie de jeu. Possession de balle, gros travail du milieu de terrain et attaques placées, voici les éléments clés de cette philosophie. Les résultats furent tout de suite concluants avec une très belle 5ème place malgré des difficultés d’adaptations dans une Premier League Ukrainienne très physique et privilégiant les attaques rapides, ce qui plaça l’équipe en 14ème position (sur 16) au classement des défenses.

Au fil des saisons, l’équipe s’imposa comme une place forte du football Ukrainien avec une régularité incroyable en finissant 6 ans de suites à la 3ème place et en atteignant même la seconde place en 2013 derrière le Shakhtar Donetsk. Cette réussite du Metalist est essentiellement due à un homme et à sa philosophie de jeu, le bien nommé Markevych. N’oublions pas aussi les investissements d’Oleksandr Yaroslavsky, magnat ukrainien de la finance, qui a toujours injecté de l’argent pour que Markevych réussisse à se maintenir à un haut niveau national.

Sur le plan européen, le Metalist passa à trois reprises le stade des phases de groupe de la Ligue Europa:

  • Huitième de finale en 2008-09 perdu face au Dynamo Kiev après avoir notamment réussi à se sortir d’un groupe très relevé (Galatasaray, Hertha Berlin et Olympiakos).
  • Quart de finale en 2011-12 perdu de justesse face au Sporting Portugal après avoir éliminé Salzburg et l’Olympiakos.
  • Seizième de finale en 2012-13 perdu contre Newcastle après avoir encaissé le seul but de la confrontation à domicile.

 

Markevytch 3
Markevych sous le Metalist | © san-karpaty.com

En parallèle Myron Markevych a accepté en février 2010 la place de sélectionneur de l’Ukraine tout en assurant son rôle d’entraîneur au Metalist Kharkiv. Poste d’où il démissionna en août 2010 après l’explosion d’un scandale au Metalist Kharkiv.

En effet, le 19 avril 2008, le Metalist se déplace sur la pelouse du Karpaty Lviv et s’impose sur le score de 2-0. Deux ans plus tard, une enquête de la Fédération Ukrainienne mettra en lumière des preuves de trucage et prendra des décisions sévères sans que Markevych ait pu être impliqué dans cette affaire avec son ancien club. En août 2010, la Fédération annonce que le Metalist sera sanctionné de 9 points en moins lors de l’exercice 2011-2012, et, comme signe de protestation, Myron Markevych soumettra sa démission du poste de sélectionneur. Dans le même temps la Fédération Ukrainienne recevra une pétition demandant l’éviction de Markevych à la tête de la sélection. Sa démission sera donc logiquement acceptée.

Suite à cette affaire, l’UEFA prit la décision d’exclure le Metalist Kharkiv de la Ligue des Champions lors de la saison 2013-2014. Malgré tout, l’aura et la reconnaissance de Myron Markevych restent intacts et son passage de 9 ans au Metalist est jugé par beaucoup comme une énorme réussite, que ce soit dans les résultats autant que dans le jeu. Par ailleurs, il reçut la médaille d’honneur de la ville de Kharkiv pour services rendus à celle-ci.

La Gloire au Dnipro ?

En mai 2014, le Dnipro annonce avoir engagé pour 3 ans Markevych au poste d’entraîneur.

Avec son nouveau club, Markevych va rapidement trouver sa place et continuer sur la bonne dynamique de la saison passée. Avec la star Konoplyanka et des joueurs de devoir comme Rotan, Kankava, Zozulya, Douglas ou Bezus il réussit à faire passer sa philosophie de jeu tout en utilisant savamment ses armes.

En championnat le parcourt du Dnipro est très bon avec seulement 4 défaites (2 fois contre le Zorya Louhansk et 2 fois contre le Dynamo Kiev) ainsi qu’un beau jeu développé. Longtemps dauphin d’un Dynamo Kiev intouchable, le Dnipro a très mal terminé l’année 2014 avec 5 matchs sans victoires (2 défaites et 3 nuls) ce qui l’a privé de l’espoir d’un titre. Ayant très bien redémarré après la trêve, les hommes de Markevych sont pour l’instant à la lutte avec le Shakhtar Donetsk pour la 2ème place synonyme de tour préliminaire de Ligue des Champions tout en ayant assuré une place en Ligue Europa pour la saison prochaine.

Du côté de l’Europe justement, le club était engagé dans le tour préliminaire de la Ligue des Champions. Malheureusement, Dnipropetrovsk ne connaitra pas les phases de groupe de la coupe aux grandes oreilles après une défaite 2-0 face a Copenhague. Le club sera donc renversé en Ligue Europa. Une C3 qui, comme vous le savez, réussira pour le mieux à Markevych et ses hommes.

Dans la phase de poules, le Dnipro éprouve de grandes difficultés mais finit par sortir 2ème du groupe derrière l’Inter Milan grâce à des victoires étriquées face à Qarabag et Saint-Étienne. S’ensuit un parcourt remarquable.

Éliminant dans un premier temps l’Olympiakos en 16ème de finales après 2 performances abouties, en 8ème de finales ils sortent l’Ajax Amsterdam tout juste éliminé de la Ligue des Champions grâce à une victoire 1-0 à domicile. En quart de finale c’est au tour des belges de Bruges de faire les frais de la puissance des ukrainiens.

S’ensuit l’exploit que le monde connait face au Napoli en demi. A l’aller, après avoir subi la domination de Naples, qui n’aura percé qu’une seule fois la muraille Denys Boyko, le Dnipro égalise en fin de match grâce à ce diable de Seleznyov que Markevych venait de faire entrer en jeu. Le match retour est très engagé et équilibré mais le Dnipro s’impose grâce à devinez qui ? Yevhen Seleznyov d’un but de la tête et un Boyko encore impérial sur sa ligne. Une victoire pour une place en finale historique !

A l’issue de la qualification, il dédia cette victoire à toute l’Ukraine et en particulier aux soldats qui se battent sur le front de l’Est. Un fort sentiment patriotique s’était fait ressentir au match retour face au Napoli avec un Stade Olympique de Kiev rempli de 70 000 supporters. Myron Markevych a toujours montré son amour pour l’Ukraine, lui qui a subi lors de son passage dans la réserve du Karpaty Lviv beaucoup d’incidents anti-ukrainien avec notamment un match à Erevan (Arménie) contre la réserve d’un club moscovite qui aurait pu mal finir lorsque des spectateurs sont entrés sur le terrain avec des couteaux et ont poursuivi les joueurs jusqu’au vestiaire.

Dans le jeu, Markevych a su faire perdurer sa philosophie en championnat avec une domination au milieu de terrain et des ailiers très actifs. En Ligue Europa, cette vision du jeu n’a pas porté ses fruits face à des adversaires mieux préparés tactiquement. Devant cette situation, il n’hésitera pas à changer du tout au tout sa tactique, se basant désormais sur une défense solide et bien regroupé, des milieux centraux bas et des joueurs offensifs qui explosent pour profiter des brèches dans les défenses adverses.

Cette adaptation tactique en compétition européenne permit au Dnipro de battre de très bonnes équipes en se montrant rarement fragile, tandis qu’en ayant persisté dans sa philosophie de jeu en championnat le Dnipro a développé et maintenu un niveau de jeu élevé qui les placent en haut du classement.

Markevytch 4
Markevych sous le Dnipro | © fcdnipro.ua

Grâce à une jeunesse baignée dans le football et un parcours atypique qui l’a mené à la tête de nombreuses équipes, Myron Markevych est un coach aujourd’hui reconnu pour avoir apporté un nouveau souffle dans le paysage du football ukrainien. Avec un jeu tactique et agréable il a su hisser ses équipes là où peu de monde les attendaient sans jamais oublier de remettre en question sa philosophie de jeu afin d’atteindre ses sommets. On peut le dire, le football coule dans les veines de Markevych.

Bastien Cosquer


Photo à la une : © fcdnipro.ua

3 Comments

  1. Pingback: Dnipropetrovsk, du rêve à la réalité - Footballski

  2. Pingback: Ruslan Rotan, le "Pirlo de Dnipropetrovsk" - Footballski

  3. Pingback: Du paradis à l’enfer, la chute du Dnipro - Footballski - Le football de l'est

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.