Temps de lecture 25 minutesL’aube du football Kosovar, un voyage long et compliqué de la guerre à la Coupe du Monde

Cet article est une traduction de l’anglais en provenance du Bleacher Report signé de la plume de James Montague. Ce dernier a donné son accord afin que nous nous occupions de la traduction de son travail et de la publication de son article sur notre site internet. Un grand merci à lui.


Turku, Finlande. Six étoiles blanches sont étendues sur la pelouse alors qu’un hymne national sans paroles est en train d’être joué. Les onze joueurs, habillés en bleu, jaune et doré, restent silencieux, la main sur le coeur alors que la caméra filme chacun d’entre eux, dans le Veritas Stadion. Dans la nuit tardive des derniers moments de l’été scandinave, l’air commence à devenir froid.

Les 8 000 spectateurs présents dans les gradins sont aussi silencieux que les joueurs pendant que l’hymne est joué. Non pas parce qu’ils ne connaissent pas les paroles ou que ce moment n’est pas d’une portée suffisante pour daigner les apprendre. Rien ne peut être aussi loin de la vérité. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de parole à chanter. Après deux décennies de lutte pour sa reconnaissance, l’équipe nationale du Kosovo joue son premier match officiel. Un combat qui prend fin lors de ce match face à la Finlande pour le compte des qualifications pour la Coupe du Monde 2018 en Russie.

Au moment où la FIFA a pris sa décision de reconnaître le Kosovo en mai 2016, les groupes de ces éliminatoires avaient déjà été tirés au sort. Le Kosovo ne pouvait pas aller dans le groupe H, la présence de la Bosnie-Herzégovine pouvant créer des tensions politiques. Alors, le pays a été placé dans le groupe I, ce qui pose également quelques problèmes. Jeudi 6 octobre, le Kosovo joue son premier match officiel à domicile face à la Croatie, une rencontre qui réveille les fantômes des Guerres de Yougoslavie. Un match disputé en Albanie puisque le Kosovo n’a actuellement aucun stade permettant d’accueillir les deux équipes. Trois jours plus tard, le Kosovo doit affronter l’Ukraine, mais Kiev a refusé aux Kosovars la permission de jouer dans la capitale ukrainienne. La raison étant que le gouvernement ukrainien ne reconnaît pas l’État du Kosovo.

Mais d’abord, il y a donc la Finlande, à Turku. Les six étoiles blanches sur la pelouse et le bleu, jaune et doré du maillot proviennent du drapeau du Kosovo, qui ne peut pas flotter lors d’un match de football avant la reconnaissance officielle par la FIFA. L’hymne national est joué sans paroles pour la simple et bonne raison qu’il n’en existe pas. Une décision prise pour ne pas provoquer cette colère nationaliste qui avait largement défini cette partie du monde dans son histoire récente.

Les tribunes à Turku sont principalement occupées par des Kosovars ayant fui le pays lors de la guerre de 1998 à 1999. Un conflit qui a tué des centaines de personnes et qui a finalement mené, en 2008, à la déclaration d’indépendance du Kosovo. Un pays qui se détache alors de la Serbie, même si cette dernière considère toujours ce pays comme étant une région serbe.

Les supporters, tout comme les joueurs alignés pour ce match, ont fui la guerre et ont trouvé refuge en Finlande, en Norvège, en Suisse et comme l’entraîneur de la sélection, en Suède.

Albert Bunjaki attire l’attention avec son costume sans cravate lorsque l’hymne sans paroles est joué. Bunjaki est sélectionneur du Kosovo depuis sept ans, même si l’équipe n’est alors pas encore reconnue comme une équipe internationale, emmêlée dans la politique de la bureaucratie et dans la bureaucratie de la politique. Derrière lui se tient Fadil Vokrri, le président de la Fédération de Football du Kosovo (FFK). Le plus grand joueur kosovar de l’histoire et le seul à avoir pu jouer un jour dans la sélection yougoslave. À côté de Vokrri on retrouve Eroll Salihu, son loyal secrétaire général. Malgré une carrière arrêtée par la guerre de 1998, il est à l’initiative d’une ligue de football illégale au Kosovo, lorsque l’officielle fut bannie par les autorités serbes. Pendant huit ans, ces deux hommes ont mené campagne. Une campagne parfois «donquichottesque» pour permettre au monde de reconnaître une équipe de football du Kosovo, alors que celui-ci ne le reconnait toujours pas en temps que pays.

À la fin de l’hymne national, les tribunes du stade rugissent derrière une équipe inconnue. Une équipe qui, pendant des mois et des années, a tenté de se construire une identité.

Que va-t-il se passer avec des joueurs comme Granit Xhaka (Arsenal) ou Xherdan Shaqiri (Stoke City) qui ont ensemble plus de 40 sélections avec la Nati? Shaqiri est né au Kosovo, Xhaka en Suisse de parents kosovars. Ou bien pour Adnan Januzaj, de descendance kosovare, mais natif de la Belgique qui a déjà joué pour les Diables Rouges? Peuvent-ils recevoir l’autorisation de changer de nationalité et d’intégrer l’équipe nationale?

Le football international est confronté à un ensemble unique de circonstances, qui suscite un débat houleux et qui est allé très en profondeur. Ce football est devenu une question de nationalité, d’identité, d’appartenance, tout en posant des questions importantes au sujet des réfugiés: qui êtes-vous et à qui appartenez-vous vraiment?

Bunjaki est au centre de ce maelström politique. Lui-même n’a absolument aucune idée de savoir à quoi son équipe va ressembler jusqu’au dernier moment, ni même comment ses joueurs évoluent. La première fois que le sélectionneur a pu les voir s’entraîner tous ensemble, c’est quelques jours seulement avant le match contre la Finlande …

La Maison des Sports est étrangement calme malgré qu’il soit 10 heures du matin un lundi de fin août.

Situé en plein cœur de Pristina, la capitale, mais aussi la plus grande ville du Kosovo, le bâtiment est le centre névralgique du sport de compétition dans la république. Chaque étage est constitué de bureaux représentant les différentes associations sportives du pays. Une icône dessinée à la main sur les portes permet de distinguer les différents sports: judo, cyclisme, rugby et plus encore. Les bureaux et les couloirs sont silencieux et vides. Même l’agent de sécurité du bâtiment n’est pas présent à son comptoir. Mais au troisième étage, derrière une porte, se déroule une scène de chaos. Une douzaine d’hommes sont entassés dans un des trois minuscules bureaux. La pièce est remplie de papiers prêts à être signés et envoyés. Un homme essaie de placer un document à envoyer par fax, sans succès.

Depuis leur construction, les bureaux de la FFK n’ont jamais eu beaucoup de visites. Les trois petits bureaux et un secrétaire suffisaient à l’époque où il n’y avait pas de matchs internationaux à organiser, une ligue qui n’était pas reconnue et aucun marché des transferts officiel à réglementer.

Les temps ont changé. Juste à côté, Vokrri est assis derrière un grand bureau en bois qui semble prendre la moitié de la pièce. «Nous avons trop à trier» déclare Vokrri en m’invitant à prendre une chaise. Il est assis sous deux portraits de lui-même, bien mis en évidence sur le mur. À gauche, un portrait du jeune Vokrri en pleines salutations avec Sepp Blatter, l’ancien président de la FIFA, avec un grand sourire sur les deux visages. À droite une photographie plus récente. Il y est plus âgé, avec plus de cheveux gris, serrant la main à Gianni Infantino. «Quand nous avons eu notre vote, il était le secrétaire général de l’UEFA. C’était un proche», déclare Vokrri à propos d’Infantino lors de l’élection historique en mai qui admet le Kosovo en tant que membre de l’instance dirigeante du football européen. Ce vote, remporté 28-24, a ouvert la voie au Kosovo pour rejoindre la FIFA quelques semaines plus tard, juste à temps pour commencer les qualifications pour la Coupe du Monde 2018.

Il y a eu une forte opposition, notamment de la Serbie bien sûr et de son allié russe, ainsi que de plusieurs autres pays européens combattant les ambitions d’autodétermination de certaines de leurs régions, comme l’Espagne, l’Ukraine et la Grèce.

L’UEFA aussi était initialement opposée à l’adhésion du Kosovo. Alors que Blatter avait commencé à défendre la cause du Kosovo en 2012 pour être au moins capable de disputer des matchs amicaux, Michel Platini, alors président de l’UEFA avait exprimé son opposition avant d’être suspendu puis interdit de football suite à un scandale de corruption.

Infantino a été le secrétaire général de Platini, mais a joué un rôle «très favorable» selon Vokrri, «il est un partisan du Kosovo» déclare-t-il même.

Comme la plupart des choses concernant le Kosovo et l’ex-Yougoslavie, plus vous regardez en profondeur et plus la réalité devient complexe. En 1974, Josip Tito, le charismatique dictateur communiste de la Yougoslavie a accordé l’autonomie au Kosovo. Même si elle n’a pas été l’une des six républiques constitutives de la Yougoslavie (Croatie, Serbie, Macédoine, Monténégro, Slovénie, Bosnie-Herzégovine), le Kosovo jouissait d’une mesure d’égalité avec ses voisins, comprenant même une assemblée législative et judiciaire.

À côté de la majorité ethnique albanaise, il y a une minorité serbe importante et le Kosovo fait partie intégrante de l’histoire de la Serbie, considéré comme le berceau de son identité. Des cathédrales et monastères orthodoxes serbes se trouvent sur son territoire, entourés par les communautés serbes qui se sentent aujourd’hui menacées au Kosovo.

En 1980, la mort de Tito a engendré une longue décroissance de dix ans qui a finalement conduit à la guerre de Yougoslavie. Lorsque Slodoban Milosevic fut élu chef du Parti Communiste de la Serbie en 1986, celui-ci commença à reprendre le contrôle sur le Kosovo avec comme mot d’ordre l’ultra-nationalisme. À l’époque, Vokrri était un talentueux milieu de terrain du FC Pristina en Premier League Yougoslave.

«Tout le monde au Kosovo était derrière le club, il était devenu un symbole de résistance» m’avait-il dit lors de notre première rencontre en 2012. «C’était la seule sphère dans la vie dans laquelle les Albanais pouvaient exprimer leur amour pour le football et pour d’autres choses».

Vokrri fit une poignée d’apparition avec la sélection de Yougoslavie, mais il a toujours affirmé que les préjugés contre les Albanais de souche ont coupé court à sa carrière internationale. Plus tard, il évolua au Partizan Belgrade où il est toujours considéré comme un grand joueur.

"Traitez-nous équitablement" - Slogan référence à la frontière entre Kosovo et Albanie. | © Agron Beqiri
« Traitez-nous équitablement. » – Slogan référence à la frontière entre Kosovo et Albanie. | © Agron Beqiri

La guerre du Kosovo en 1998-1999 voit finalement de nombreuses questions émerger. Une répression serbe dirigée contre une insurrection séparatiste lancée par l’Armée de Libération du Kosovo, elle-même financée et équipée par l’Albanie, dégénère alors en guerre totale.

Les forces yougoslaves sont accusées d’un nettoyage ethnique qui mena l’OTAN à envoyer ses bombardiers dans le ciel de Belgrade comme menace. Près de 14000 personnes sont tuées, des civils en grande majorité, tandis que 90% de la population albanaise du Kosovo est déplacée, créant des centaines de milliers de réfugiés kosovars répartis dans toute l’Europe.

La guerre de Yougoslavie prit officiellement fin en 2001, période à laquelle l’ensemble des anciennes républiques constituantes de la Yougoslavie sont déjà des nations souveraines. Le Kosovo a quant à lui été laissé dans l’incertitude. Autonome, mais faisant techniquement partie de la Serbie, son chemin vers la reconnaissance se trouve être bloqué par la Russie et la Chine au conseil de sécurité de l’ONU.

En 2008, le Kosovo déclare unilatéralement son indépendance. Quelque mois plus tard, la FFK, sous l’égide de Vokrri, demanda à rejoindre la FIFA, mais cette décision fut repoussée pendant des années jusqu’à la décision de permettre au Kosovo de disputer des matchs amicaux puis son adhésion totale à la fédération. La Serbie a quant à elle maintenu son opposition, désignant même l’adhésion du Kosovo comme un acte politique allant à l’encontre des règles de la FIFA et de l’UEFA.


Lire aussi : Kosovo, le jour d’après


Pourtant, l’adhésion est juste le début d’une histoire longue et compliquée. Maintenant, le Kosovo doit se construire une équipe et la question qui occupe tous les esprits est de savoir si des joueurs de haut niveau, comme Shaqiri et Xhaka seront autorisés à changer de sélection. Les règles de la FIFA sur les changements de nationalités et de sélection ont été érigées pour faire face à l’éclatement de la Yougoslavie et de l’URSS. Mais jamais il n’y avait eu une situation de ce type auparavant.

Je demande alors à Vokrri pourquoi l’équipe pour le match contre la Finlande n’est toujours pas annoncée. «Nous ne pouvons rien annoncer, car nous n’avons pas d’équipe!» me répond-il honnêtement. «La date limite était hier.» La FIFA, explique-t-il, a dit que les décisions sur les changements de nationalités doivent être prises au cas par cas. Des fédérations, comme la Suisse et l’Autriche, sont bien sûr en colère, car elles peuvent perdre des dizaines de joueurs avec ces changements .

«Nous devons obtenir des permissions» dit Vokrri avec lassitude, retournant alors travailler pour préparer le premier match du Kosovo. «Nous allons attendre jusqu’au dernier moment. »

Malgré des années de travail acharné aboutissant au plus beau jour de sa vie, Eroll Salihu a le regard triste.

À quelques minutes de marche de la maison des sports, le secrétaire de la FFK est assis à un café, cravate et costume bleu marine, pensant à combien de joueurs vont être autorisés par la FIFA à changer de nationalité et pouvant ainsi disputer ce premier match historique avec le Kosovo.

Zéro.

«Nous avons un droit naturel sur les joueurs provenant du Kosovo» dit-il sombrement. «Un droit naturel!» Il se plaint combien c’est injuste de n’avoir toujours aucune idée à quoi va ressembler l’équipe nationale contre la Finlande.

Salihu, Vokrri et moi-même nous sommes rencontrés pour la première fois en 2012 dans un restaurant au bord d’une autoroute à Zurich. C’était quelques jours avant le match opposant la Suisse et l’Albanie pour le compte des qualifications pour la Coupe du Monde 2014. Parmi les joueurs susceptibles de commencer la rencontre, au moins neuf, y compris Shaqiri, Xhaka, Behrami et le capitaine de l’Albanie, Lorik Cana, sont nés au Kosovo ou ont des origines kosovares.

«C’était quelque chose de très spécial pour moi de regarder un match entre deux équipes nationales différentes avec des joueurs nés au Kosovo. C’était comme voir le Kosovo A contre le Kosovo B», avait plaisanté Vokrri à l’époque.

Salihu est assis juste à côté de Vokrri. Comme Vokrri, c’est un ancien footballeur, mais la situation géopolitique s’est détériorée dès le début de sa carrière, l’empêchant alors de jouer à un niveau élevé. Après un bref passage en Turquie, il retourna au Kosovo pour aider à mettre en place une ligue de football locale illégale dans les années 90, risquant alors l’arrestation, voire pire…

Lorsque Vokrri fut élu président de la fédération après la déclaration d’indépendance en 2008, Salihu rejoignit alors la fédération avec pour objectif de devenir, un jour, membre de la FIFA. Il était le bras droit du président.

Ce jour-là, en 2012, les deux attendaient un appel téléphonique pour commencer une mission audacieuse : recueillir les signatures des joueurs suisses aux origines kosovares pour une pétition soutenant le droit de jouer au football international au Kosovo. L’appel est venu et nous nous sommes dirigés vers l’hôtel de l’équipe suisse où les joueurs attendaient et ont tous signé.

Shaqiri disait à quel point il était fier de jouer pour la Nati après tout ce que le pays avait fait pour lui. Behrami partageait le même sentiment. «Tout ce que j’ai aujourd’hui, c’est grâce à la Suisse» disait-il.

Xhaka, de son côté, était le plus ouvert pour jouer avec le Kosovo. «Je ne sais pas quand le Kosovo aura une équipe nationale. Peut-être dans deux, trois ou cinq ans. Maintenant nous jouons avec la Suisse, mais nous verrons dans le futur ce qu’il se passera.»

La Suisse gagna le match et Shaqiri marqua un but. Mais le fait qu’une pétition soit la meilleure option pour la FFK faisait sentir que la reconnaissance d’une équipe nationale du Kosovo était encore bien lointaine.

Quatre ans plus tard, le problème est similaire. Comme Salihu l’a découvert auparavant, convaincre les joueurs de changer de nationalité est tout aussi politique que l’obtention de l’adhésion. Le pire pour le Kosovo est que personne ne sait si la FIFA va autoriser ce changement. Ces derniers ont en effet retardé la décision jusqu’à la fin de l’Euro en France, compétition dans laquelle de nombreux joueurs apparaissaient pour la Suisse et l’Albanie, peut-être le dernier tournoi majeur avec une colonne vertébrale de joueurs kosovars dans ces sélections.

Maintenant, la FIFA a décidé que la situation de chaque joueur souhaitant le changement serait étudiée au cas par cas.

«Imaginez», dit Salihu. «Chaque joueur doit déclarer qu’il veut quitter sa sélection nationale. Que se passera-t-il si la FIFA refuse ce changement ? Il ne pourra pas faire marche arrière. Nous devons penser avant tout au bien-être des joueurs».

Plusieurs joueurs, Shaqiri en particulier, mais Xhaka également, ont fait couler beaucoup d’encre de manière négative dans la presse suisse, celle-ci mettant en doute les allégeances faites vis-à-vis de la sélection et du fait qu’ils ont été ingrats envers le pays alors que la Suisse avait toujours été la pour eux dans les moments difficiles. Plutôt que de mettre les joueurs dans une situation délicate, Salihu attendait.

Et attendait.

Et maintenant, un jour après la date limite de la FIFA pour soumettre une équipe initiale pour le match contre la Finlande, il attend encore la décision de 13 joueurs susceptibles de changer de nationalité. La plupart ont joué pour l’Albanie, y compris le gardien Samir Ujkani, qui fut le capitaine du Kosovo avant l’adhésion à la FIFA.

Le meilleur buteur Albert Bunjaku (à ne pas confondre avec l’entraîneur Albert Bunjaki) a représenté la Suisse lors de la Coupe du Monde 2010. Le milieu de terrain Perparim Hetemaj, le seul Kosovar de l’équipe finlandaise, a quant à lui refusé de participer au match mettant en avant ce «choc de loyauté».

Une des demandes les plus controversées est pour le milieu de terrain Milot Rashica, qui a joué quelques fois pour l’Albanie à seulement 20 ans et qui sort d’une saison exceptionnelle avec le Vitesse Arnhem en Eredivisie. Après des années où elle offrait la possibilité d’évoluer au niveau international pour des joueurs kosovars, l’Albanie est alors en train de perdre ses meilleurs joueurs.

Le milieu de terrain Valon Berisha est également un cas compliqué. Valon joue pour le Red Bull Salzbourg en Autriche et avec son frère Veton, qui évolue à Greuther Furth en D2 allemande, ils jouent tous les deux pour la sélection norvégienne. Alors que Veton a décidé de rester, Valon, lui, a demandé le changement de nationalité, malgré le fait qu’il a déjà eu l’occasion de jouer 18 matchs avec la Norvège.

Mais tout cela reste immatériel si le Comité de la FIFA sur les statuts de joueurs n’approuve pas ces changements. Dans ce cas, le Kosovo aura seulement 11 joueurs à mettre sur le terrain! «Nous pouvons gagner si nous allons au CAS» dit Salihu, se référant à la Cour d’Arbitrage du Sport. «Mais nous n’avons pas le temps».

Il part précipitamment pour vérifier s’il n’y a aucune nouvelle provenant de Suisse.

L’entraîneur de l’équipe nationale du Kosovo a souvent senti le monde extérieur au football empiéter sur son travail.

Les équipes annulaient brusquement les matchs après avoir découvert que le gouvernement ne reconnaissait pas le Kosovo. Mais, au moins, Albert Bunjaki savait approximativement quelles équipes choisir pour effectuer un match amical.

«Je connais mieux l’équipe de Finlande que ma propre équipe. C’est vrai!» déclare ainsi l’entraîneur de 45 ans dans le hall d’un hôtel situé dans la périphérie de Pristina. C’est la veille de sa conférence de presse dans laquelle il doit annoncer sa liste de joueurs.

Le plus gros problème est avec le gardien et capitaine, Samir Ujkani. C’est la position pour laquelle le Kosovo est le plus démuni. Sans l’ancien joueur de Palerme, évoluant désormais à Pise en Serie B, les chances d’être compétitif diminuent fortement pour le Kosovo.

«Nous serons à 50%, ce ne sera pas une équipe solide» déclare Bunjaki. «Il est avec moi depuis 2014. Je ne peux pas imaginer qu’ils disent non. Je ne peux pas l’imaginer.»

Bunjaki est l’entraîneur du Kosovo depuis 2009. La plupart du temps, il est impossible d’organiser des matchs amicaux, à l’exception d’un match contre l’Albanie en 2010. Mais en 2014, après une longue bataille avec la FIFA et l’UEFA, et surtout deux ans après le début du soutien public de Blatter, le Kosovo est finalement autorisé à disputer des matchs amicaux.


Lire aussi : On a vécu un Kosovo vs. Haiti


Le Kosovo a accueilli Haïti à Mitrovica, dans le nord du pays, au stade olympique Adem Jashari. Ce match a provoqué un tollé en Serbie, et pas seulement pour sa reconnaissance partielle du Kosovo. Mitrovica est une ville particulière, divisée par la rivière Ibar. Le sud est majoritairement albanais et contrôlé par les autorités kosovares. Le nord est serbe, se référant au territoire du Kosovska Mitrovica.

Bien que le stade était le seul au Kosovo capable d’accueillir un match international, les Serbes ont vécu ça comme une provocation. Le nom du stade faisait référence au chef de l’Armée de Libération du Kosovo, considéré comme un héros pour les Kosovars et un terroriste pour les Serbes. Le drapeau du Kosovo n’était pas autorisé à flotter dans le stade, mais les 17000 spectateurs qui sont arrivés au stade, ont rempli les gradins de jaune et bleu à côté du rouge et noir albanais. Dans le froid, sous une pluie battante, un terrain atroce et boueux, le match s’est terminé sur un 0-0.

«Si je compte parmi toute ma famille, 36 personnes ont été tuées»

Pourtant, même à l’aube de l’adhésion à la FIFA, les matchs sont difficiles à organiser. «En 2016 nous avons disputé une rencontre» déclare Bunjaki, se référant à la victoire du Kosovo 2-0 contre les Iles Féroé en juin. «La Finlande a joué sept matchs

Il souligne que la Finlande a pu se tester contre les meilleures équipes et a réussi à décrocher le nul contre la Belgique. Le lendemain de la conférence de presse, il s’envole pour le dernier match amical de la Finlande avant le début des éliminatoires, contre l’Allemagne.

«Nous nous rencontrons la semaine prochaine» dit-il. «J’y pense tout le temps, nous savons comment ils jouent. Le problème est notre équipe. Je reste positif, ce sera bien. Mais ne me demandez pas aujourd’hui.»

Bunjaki est né et a grandi à Pristina, et comme Vokrri, il a joué pour le FC Pristina. Mais en 1991, alors qu’il était âgé de seulement 20 ans, il reçut une lettre de l’armée yougoslave. La guerre avait commencé et Bunjaki du rejoindre l’armée.

«J’ai dit non», se souvient Bunjaki. «J’ai décidé de tout quitter et de partir. Je pensais que j’allais revenir dans un mois, que l’Europe n’allait pas accepter cette guerre et que tout allait se terminer. Mais non.»

Il débarque alors en Suède où il obtenu l’asile. «Si je compte parmi toute ma famille, 36 personnes ont été tuées» déclarait Bunjaki. « Tout le monde a perdu quelqu’un dans cette guerre. »

Samir Ujkani (gauche) avec Milot Rashica à ses côtés. | © James Montague
Samir Ujkani (gauche) avec Milot Rashica à ses côtés. | © James Montague

Incapable de rentrer à la maison, il construisit alors sa carrière en Suède. «C’était une vie difficile» dit-il. «Je ne connaissais personne en Suède, neuf ans sans voir mes parents. Tu te sens seul». Par la suite, il passa des examens pour devenir entraîneur et fut promu comme assistant en première division suédoise du côté de Kalmar. C’est en Suède qu’il rencontra Tord Grip, l’adjoint de longue date de Sven Goran Eriksson.

À maintenant 78 ans, Grip est devenu le mentor de Bunjaki. Il est assis sur le banc à ses côtés lors du premier match amical officiel du Kosovo à Mitrovica, contre Haïti. Il est également présent en Finlande, mais de façon non officielle.

Bunjaki dit qu’il a accepté le poste de sélectionneur du Kosovo, car «je veux mieux connaître ma famille ainsi que mon peuple.» Mais c’est finalement devenu une affaire compliquée.

Alors que la diaspora des réfugiés du Kosovo est derrière l’équipe, le soutien à domicile a été très difficile à construire. Beaucoup de gens restent ambivalents envers l’équipe, et plus important encore, son drapeau.


Lire aussi : Les Ultras au Kosovo


Quelques jours avant de rencontrer Bunjaki, je me suis rendu dans la ville de Prizren avec le groupe d’ultras du FC Pristina, Plisat. Sous les recommandations de Vokrri, je suis allé voir le FC Pristina affronter Liria. Prizren est connue comme étant le lieu de naissance du nationalisme albanais moderne.

Beaucoup croient en l’idée de l’ethnie albanaise, réunissant les peuples albanais de Macédoine, du Kosovo, du sud de la Serbie et du Monténégro sous l’aigle noir du drapeau albanais. En voyageant au Kosovo, vous verrez rarement des drapeaux kosovars, tandis que le drapeau albanais, lui, est partout.

«Nous l’appelons le drapeau de station-service. Ce n’est pas notre drapeau», dit Korab, un membre de 23 ans du Plisat, à propos du drapeau kosovar tandis que 30 fans descendent d’un minibus.

Les ultras du FC Prishtina devant le match | © James Montague
Les ultras du FC Pristina devant le match | © James Montague

Le gouvernement du Kosovo a organisé en 2008 un concours international de design pour concevoir un nouveau drapeau. Il a reçu plus d’un millier de propositions, dont sept venant de Serbie. Le Parlement a alors désigné une liste de trois finalistes et le gagnant fut celui qui était dépouillé de symboles nationalistes pouvant causer des problèmes avec les pays voisins.

Les six étoiles représentent les six groupes ethniques du Kosovo, incluant l’albanais et le serbe, mais le drapeau reste malgré tout impopulaire. La plupart des membres du Plisat disent qu’ils veulent voir une équipe albanaise unifiée, sous le drapeau rouge et noir, et ne regarderont pas les matchs du Kosovo. À la place, ils iront faire le déplacement pour voir l’Albanie accueillir la Macédoine, un autre derby local complexe.

Aucun n’ira supporter le Kosovo contre la Croatie lors de son premier match à «domicile» en Albanie. «Nous croyons en une Albanie unie» dit Atdhe, un étudiant de 19 ans. «Il n’y a pas de «grande» Albanie, seulement une Albanie ethnique. Le KLA ne s’est pas battu pour un Kosovo indépendant, mais pour unir tous les Albanais». Un fan plaisante: «nous irons au match, mais avec un t-shirt croate!»

La désillusion d’une indépendance, même partielle, est accentuée par la perception de la corruption politique et une baisse de la qualité de vie. Le taux de chômage des jeunes s’élève à 60%. La situation est tellement mauvaise qu’en 2014, lorsque les Serbes ont supprimé les restrictions de voyages des Kosovars vers la Serbie, des dizaines de milliers de personnes ont choisi l’exode massif pour une vie meilleure en Union européenne. Des villages entiers ont été vidés.

Mais pour Bunjaki, le Kosovo a parcouru un long chemin depuis son départ du pays. «Le Kosovo n’a jamais été aussi libre qu’il l’est maintenant», déclare t-il. «Quand j’ai déménagé en 1991, ils ont interdit la langue albanaise à mon université et je ne pouvais pas étudier». Bunjaki voulait devenir médecin à l’époque.

Bâche Plisat déployé par les supporters du FC Pristina | © James Montague

«Les gens me demandent tout le temps, l’équipe nationale d’Albanie ou du Kosovo?» dit-il. «Ils ont un sentiment différent. Dans le cœur de chaque Albanais, c’est le drapeau albanais. Bien sûr, c’est mon drapeau aussi. Je ne peux pas le détester. Mais il est temps de travailler pour le drapeau du Kosovo. C’est le symbole de ce pays. Beaucoup de monde ne comprend pas ça. Tu ne peux pas unir deux équipes de football.»

Le match contre la Finlande est diffusé sur grand écran au niveau de la place Mère Thérésa dans le centre de Pristina. Mais il y a deux écrans. Un montre Finlande-Kosovo, et l’autre Albanie-Macédoine.

Pour Bunjaki, la qualification pour la coupe du monde 2018 en Russie n’est pas une question. «Ce n’est pas réaliste», dit-il. «Voici la chose la plus importante à comprendre pour les joueurs : gagner ou perdre, tu donnes tout et les gens l’accepteront».

«Je pense au futur.»

Le lendemain, au cours de sa conférence de presse à Pristina, Bunjaki annonce la première liste du Kosovo pour un match international. Comme prévu, ni Granit Xhaka, ni Shaqiri ne sont sur la liste. Xhaka eut même l’occasion d’envoyer un message disant qu’il avait considéré le changement de nationalité, mais n’avait pas donné plus d’explications. Il disait que la FIFA lui avait envoyé un document officiel indiquant que s’il représentait la Suisse lors de l’Euro 2016, il ne serait pas autorisé à faire le changement.

À côté de ça, sur la liste des 23, 10 joueurs ont un astérisque à côté de leur nom, attendant une clarification de la FIFA. «C’était historique de jouer contre Haïti et les Iles Féroé. Et maintenant contre la Finlande. Je suis heureux de faire partie de l’histoire. Mais maintenant je suis fatigué de parler d’histoire», dit Bunjaki. «Je pense au futur.»

Samir Ujkani est assis, buvant un café dans l’hôtel de l’équipe à Turku, 24 heures avant le coup d’envoi contre la Finlande.

«Dans quatre ou cinq ans, nous comprendrons à quel point ce moment est important» raconte Ujkani. «Personne n’a les idées claires aujourd’hui. Dans le futur nous nous dirons, ‘merde, nous avons joué le premier match. Nous faisions partie de l’équipe.»

Ujkani ne sait toujours pas s’il va pouvoir disputer ce premier match de qualifications pour la coupe du monde avec le Kosovo. Ses coéquipiers, les officiels et les fans se sont tous mêlés ensemble. L’entraîneur a ordonné que l’hôtel soit ouvert à tous, afin que les milliers de fans du Kosovo ayant voyagé depuis un peu partout en Europe puissent s’immerger dans ce grand jour.

Ujkani, comme les autres joueurs attendant l’approbation de la FIFA, est un véritable sac de nerfs. «J’ai mal au ventre» dit-il, «Je veux juste savoir si c’est oui ou non!» Il a déjà connu cette situation auparavant. Quelques jours avant que le Kosovo ne dispute son premier match amical officiel contre Haïti à Mitrovica, il décida de passer de l’Albanie au Kosovo. Il a été élevé dans le village de Reznik, près de Mitrovica. Son père travaillait dans une usine de textile à proximité d’Obilic et ils avaient des amis serbes.

Mais avec la guerre qui arrivait, sa famille décida de partir en 1994, il avait six ans. Ils se sont réinstallés dans la ville de Tielt en Belgique. Il intégra l’académie d’Anderlecht, puis évolua à Palerme en Serie A, ce qui lui ouvrit les portes de la sélection albanaise. Mais quand la possibilité s’est offerte à lui de jouer à Mitrovica, il savait ce qu’il devait faire.

«Quand j’étais à Mitrovica, j’avais des larmes dans les yeux. C’était mon premier match. J’étais au Kosovo. J’étais proche de ma ville. Ma mère vient de là-bas» dit-il. «Mon père marchait 25 kilomètres pour aller voir Trepca (une ancienne équipe de la première ligue yougoslave, NDLR) à Mitrovica. J’ai pris ma décision deux jours avant le match. Je ne savais pas si la FIFA ou la fédération albanaise allait me laisser faire ça. Palerme m’a dit ‘sois patient, tu risques une disqualification’. Mais je m’en moquais. »

C’était un thème commun en Italie. Les officiels du club, raconte Ujkani, lui ont souvent mis la pression pour qu’il ne joue pas avec le Kosovo. «Ils disaient que je n’aurais aucune assurance en cas de blessure. Que si je disais à mes coéquipiers que j’allais jouer pour le Kosovo, ils me répondraient que ça n’existe pas. J’ai dit que si. Je suis né là-bas. Ma famille habitait là-bas. J’ai perdu ma famille.»

Le père d’Ujkani avait quatre frères. Les familles vivaient toutes à proximité et après des années de travail, avaient construit des maisons. À l’approche de la guerre du Kosovo, trois familles sont parties. Les deux oncles les plus âgés d’Ujkani ont décidé de rester, refusant de laisser derrière eux le travail d’une vie. Les hommes et leurs femmes furent brûlés à mort dans leurs maisons, dit Ujkani.

Pour Ujkani, jouer pour le Kosovo n’est pas un choix, mais un devoir. «J’ai perdu le respect des clubs, mais je suis heureux d’avoir fait ce que j’ai fait», a-t-il dit. «Ils (les officiels du club, NDLR) m’appellent maintenant et s’excusent pour ce qu’ils ont dit et fait. Je n’ai pas souffert. C’était un honneur. Si vous êtes né dans un pays et que vous avez perdu votre famille, si vous voulez et pouvez les aider, c’est un honneur.»

Tout autour de nous, les joueurs kosovars sont assis en petit groupe. Ils viennent de terminer la dernière session d’entraînement ouverte au public. Plus de mille fans du Kosovo se sont présentés avec des drapeaux albanais et du Kosovo. Les joueurs ont pris des centaines de selfies, la plupart des fans voulant une photo avec Valon Berisha, une star en Norvège.

«Ils ont été corrects», déclare Berisha quand je lui demande comment avait réagi la fédération norvégienne à l’annonce de sa décision. «Ils comprennent que ça vient du cœur. Et je pense que la décision de mon frère (de rester avec la Norvège) a aidé également.»

Il est toujours inquiet que la permission de ce changement ne se fasse pas. Les médias albanais et kosovars lancent des dizaines de rumeurs provenant de sources internes anonymes. Un site web a même raconté que l’Albanie était prête à tout pour garder sous son aile l’étoile montante Rashica et qu’elle allait bloquer le changement.

Une autre rumeur s’était propagée comme quoi Ujkani, le seul joueur dont Bunjaki disait qu’il était à 99% sûr que le changement allait se faire, n’allait pas pouvoir jouer avec le Kosovo. Une autre disait même que Berisha ne pourrait pas rejoindre la sélection du Kosovo du fait qu’il avait déjà trop joué avec la Norvège.

«Nous avons tellement de talent ici, j’attends juste une réponse pour demain», dit Berisha en tenant sa tête entre ses mains.

Pendant ce temps, Bunjaki essaye de réfléchir à ce qu’il va pouvoir faire avec tous les joueurs offensifs qu’il a sous sa main, après avoir eu une rare chance de voir ses joueurs s’entraîner ensemble. «Ils attaquaient tout le temps, nous avions 23 attaquants, tout le monde voulait se la jouer à la Ronaldo» soupire-t-il. «Nous ne gagnerons jamais le match si nous ne sommes pas sur la défensive. Mais pour une fois, c’est un problème intéressant à avoir.»

Alors que tout le monde attend, Eroll Salihu, le secrétaire général du Kosovo, se précipite dans l’hôtel avec un téléphone collé à l’oreille. «La FIFA nous donnera une réponse demain après-midi», nous dit-il en pleine conversation téléphonique.

C’est moins de sept heures avant le coup d’envoi. Je lui ai demandé s’il les croyait.

Salihu fit un haussement d’épaules. «Nous attendons la réponse pour cinq joueurs», a-t-il dit. Il s’est arrêté et a demandé à la personne à l’autre bout du téléphone, en albanais, la confirmation. «Oui cinq joueurs». Ujkani, Rashica et Berisha ne sont pas dans la liste. Il faudra attendre encore un peu.

Le matin du match, les joueurs, officiels et les familles attendaient dans le hall de l’hôtel.

Saliku et Vokrri se sont mis à parler, appelant la FIFA et d’autres contacts pour tenter de recueillir des informations. Vokrri s’essaye même au français qu’il avait pratiqué il y a quelques années au Nîmes Olympique. Ujkani a lui passé une bien mauvaise nuit.

Les heures passent et toujours pas de nouvelles. L’heure limite est déjà passée. Puis, tout à coup, il y eut un mouvement comme si une bagarre avait éclaté. Mais ce n’était pas un combat. Les joueurs se sont rassemblés autour de Salihu et Vokrri, qui sont alors sur leurs téléphones, relayant ce qu’ils entendent.

Finalement, la foule des joueurs hurle de joie. Ujkani a les larmes aux yeux. L’approbation de la FIFA est arrivée, six heures avant le coup d’envoi et quatre avant l’heure limite de la remise des feuilles de matchs au commissaire.

Ujkani après avoir appris qu’il pouvait jouer pour le Kosovo | © James Montague

Seulement un joueur, Valon Berisha, n’a pas obtenu l’approbation. Il se tient à l’écart, la mine triste. Mais son approbation arrivera finalement une heure plus tard.

«Je suis si heureux, je suis sorti et j’ai pleuré!» dit Ujkani. «Le soulagement est sorti de mon être, mais maintenant je vais dormir une heure.»

Après des mois, voire des années de spéculations, Albert Bunjaki a finalement un effectif de 23 joueurs pour un match de compétition internationale. Maintenant est venu le moment le plus difficile. Il doit choisir une équipe.

À 8 heures, les familles et les proches attendent dans le hall de l’hôtel pour saluer les joueurs avant le départ. Un par un, ils passent sous des acclamations et des encouragements. Des mères et des pères fiers, dont beaucoup ont quitté le Kosovo à une époque où certains joueurs étaient trop jeunes pour s’en souvenir, pleurent au passage du bus.

Avant qu’il ne parte, Tord Grip, debout à côté de son protégé Albert Bunjaki, lui donne quelques recommandations tactiques de dernière minute. Grip est arrivé quelques heures plus tôt, désireux de parler à Bunjaki.

«Je vais lui donner quelques conseils», déclare Grip, qui a fait le court vol depuis la Suède. «Je pense que la Finlande jouera avec trois attaquants». Il me fait des formes avec ses mains pour illustrer ses propos, au cas où je n’avais pas compris. «La défense sera très importante aujourd’hui.»

Le stade est plein. À l’extérieur, le chef de la sécurité du Kosovo indique à une foule nombreuse qu’aucun drapeau albanais ne peut rentrer. La fédération finlandaise les a interdits, car ils constituent un «symbole politique».

«Notre drapeau est bleu, pas rouge!» crie l’officiel kosovar dans un mégaphone.

À l’intérieur, quand le match commence, des drapeaux albanais sont déployés dans les gradins. Quatre des six joueurs qui ont attendu jusqu’au dernier moment la permission de jouer sont dans le onze de départ, avec notamment Ujkani, Rashica et Berisha.

Ils attaquent. Rashica, en particulier, terrorise la défense de la Finlande. Inévitablement, il n’y a que peu d’ententes entre les joueurs. Les passes sont fréquemment manquées, mais quand le milieu de terrain du Kosovo reçoit le ballon, celui-ci se projette rapidement vers l’avant. Cinq ou six grosses occasions. Une frappe heurte même la transversale.

Mais comme Grip l’avait prédit, la défense est le point faible. Sans une bonne préparation et des entraînements, le Kosovo se trouve fragile à l’arrière. Une erreur défensive donne à la Finlande une opportunité d’un contre un. Ujkani sort un arrêt du bout des gants, magnifique. Mais sur le corner suivant la Finlande ouvre le score et le Kosovo est alors mené 1-0 à la mi-temps.

La seconde période permit au Kosovo de montrer ses qualités. Ils attaquent constamment avec verve et vitesse, coupant court à la volonté locale. Inévitablement, la défense finlandaise ne peut plus tenir. Un penalty est accordé au Kosovo et Berisha, qui ne savait pas, il y a encore quelques heures, s’il allait pouvoir jouer, prit la responsabilité de le tirer.

Les fans de la Finlande font de leur mieux pour le déconcentrer en agitant de grands drapeaux. Tous les Kosovars respirent et finalement exultent quand le ballon atteint le fond des filets. Berisha marque le premier but de l’histoire du Kosovo en éliminatoires. Le score aurait pu être élevé pour le Kosovo avec un Rashica en feu. Mais le Kosovo doit se contenter de ce match nul, 1-1.

Après le match, le sélectionneur finlandais, Hans Backe, est choqué. «Le Kosovo était très intéressant. Une équipe pleine d’énergie, courageuse, dangereuse, capable de courir pendant 90 minutes», déclare-t-il. Bunjaki est tout aussi enthousiaste. «Il y avait beaucoup de gens au Kosovo qui ont regardé le match, je suis très fier de l’équipe», dit-il. Il est près de minuit quand l’équipe rejoint son hôtel. Une foule de fans enthousiastes attend pour applaudir les joueurs à la sortie de l’autobus. À l’intérieur de l’hôtel, le joueurs se lâchent, crient et dansent. Vokrri et Salihu sont eux aussi présents. Tous prennent ensuite la direction d’une boîte de nuit pour fêter l’événement.

Il est peu probable que les changements de nationalité soient la dernière embûche dans le parcours du Kosovo. L’Ukraine a maintenu son refus d’accueillir le Kosovo et le match a finalement été disputé à Cracovie, en Pologne.

«Nous avons montré à tout le monde que nous pouvions jouer au football», crie Ujkani sur le bruit d’une musique pop albanaise qui émane d’une petite enceinte sous son bras. «Ce soir, nous profitons.»

James Montague / Traduit de l’anglais par Antoine Jarrige avec autorisation de l’auteur

Vous pouvez retrouver la version originale sur le Bleacher Report


Image à la une : © AFP PHOTO / Lehtikuva / Jussi Nukari / Finland OUT

1 Comment

  1. Pingback: Footballskitrip Balkans #11 - On a discuté avec Fadil Vokrri, président de la Fédération de Football du Kosovo - Footballski - Le football de l'est

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.